BD de Jean-Pierre Gibrat
Futuropolis (2022), 60 p. Série finie en 6 tomes.
Mis en prison à son retour de la Guerre d’Espagne, Mattéo va retrouver ses proches avant de partir sur les routes d’une France de la Débâcle, à la recherche d’un fils qui n’est pas vraiment le sien. Soldant ses comptes avec sa chienne de vie, l’éternel anarchiste ne peut plus fuir et caresse l’espoir d’enfin se stabiliser…
Aussi insaisissable que son personnage Jean-Pierre Gibrat aura mis quatorze ans à achever son grand œuvre, cette saga magistrale construite au fil de l’eau, sur les traces d’un personnage qui incarne plus que jamais la liberté des êtres de fiction. Alors que l’éditeur a rassemblé cinq tomes en deux intégrales, le facétieux publiait l’an dernier un ultime opus alors que je m’interrogeais sur un troisième cycle sur la seconde guerre mondiale. Jamais où on l’attend, Mattéo termine l’Espagne en taule et passera la Guerre chez les rosbeef en bon pacifiste. Ou pas.
Avec un sens de jazzman pour le rythme syncopé, l’auteur a un peu de tendresse pour son héros et l’envoie fraternellement à la recherche de son fils, ce nazillon entrevu un peu plus tôt. Mais ce qui attendrit chez Mattéo c’est cet instinct au bout de la grimace qu’il y a du bon au fond des homes. Même chez le dernier des salauds. Il suffit juste de creuser un peu. Retrouvant donc Paulin, Juliette et Amélie, Mattéo se transforme en faux-père en mission sauvetage pour récupérer un bellâtre parti la fleure au fusil pour la gloire de sa belle Nation. Un bellâtre qui lui sert de fils illégitime. Et quoi de mieux qu’un pays en déconfiture pour faire connaissance?
Alors que ce tome avait tous les risques de l’épisode de trop, Gibrat atteint la perfection en bouclant une thématique distillée tout au fil de la saga et qui se conclut avec une évidence totale. Trainant sa lâcheté tout au long de l’album, hésitant jusqu’au dernier moment, Mattéo est tellement humain qu’il ne peut guère communiquer avec un héros. Aimé de tous, le sera t’il de son fils qui ne sait rien de lui? Le veut-il lui-même, lui qui a passé sa vie à fuir les responsabilités tout en les endossant toutes? La BD selon Gibrat s’inscrit dans cette magnifique couverture (encore!), entre ce sublime visage d’Amélie et cette trogne brisée par le mal-être de Mattéo. La beauté et la souffrance.
Connue des connaisseurs mais trop peu connue, Mattéo est probablement la plus magistrale série BD depuis les saga historiques de Bourgeon. Alliant une perfection d’écriture dont on ne se lasse jamais à des planches aux faiblesses et qualités connues depuis longtemps, Jean-Pierre Gibrat tient là un chef-d’œuvre immédiat après lequel il va être compliqué de rebondir (dans l’oreillette on parle d’Indochine et de Corbeau…).