**·Comics·East & West·Nouveau !·Service Presse

Sacrifice #1

esat-west

Comic de Rick Remender, Max Fiumara et Dave MacCaig.

Urban (2024) – Image (2023), 128, contient les 6 premiers épisodes de la série. 

Merci aux éditions Urban pour leur confiance.

L’ordre et l’harmonie règnent sur le monde. Chacun dispose des moyens de nourrir sa famille et de vivre honnêtement. Pour cela une simple condition: chaque famille doit livrer au moissonneur l’ainé de ses enfants. Qu’advient il de ces sacrifiés? Chacun y va de son histoire. Chaque famille gère ce sacrifice différemment. Grace à eux les Dieux en leur palais peuvent jouer leur rôle de bienfaiteurs…

Rick Remender est pour moi l’un des plus brillants scénaristes de sa génération, qui propose régulièrement des œuvres que l’on n’attend pas, souvent sombres, violentes, voir nihilistes. Ce que j’aime chez cet auteur c’est sa capacité à ne jamais aller dans des schémas attendus, à toujours trouver dans des cadres archi-balisés (le polar, la SF, la fantasy), des tons et des personnages jamais abordés.

Les six premiers chapitres de ce Sacrifice étaient attendus. Et je ne perdrais pas de temps pour reconnaitre que ce premier volume compilé dans la (toujours) très belle édition de la collection Urban est une franche déception… En assumant un récit assez minimaliste, schématique, porté par peu de texte en voulant laisser le dessin parler de lui-même (comme il l’explique en post-face), le scénariste de Seven to eternity, tombe dans une certaine banalité que le dessinateur Max Fiumara ne parvient pas à compenser. Son dessin est parfois élégant, rehaussé par une colorisation de grande qualité de Dave MacCaig, mais bien loin de la virtuosité des meilleurs, capables de porter un album sur leurs seuls dessins. Les sublimes couvertures d’épisodes marquent (comme souvent) une sacrée différence avec l’intérieur… En croquant un univers de fantasy occupé par une multitude de créatures humanoïdes de divers type et un panthéon divin reprenant les dieux de l’Olympe vaguement toilettés à la sauce fantasy, les auteurs ne font pas preuve d’une grande originalité. Avec une intrigue tout à fait linéaire se contentant de narrer la progression des captifs vers une mystérieuse destination, entrecoupée de quelques séquences chez les dieux, on attend la surprise qui ne vient guère qu’en toute fin d’album avec une timide rupture qui laisse la situation en plan juste après cet élément perturbateur qui rappelle le récent Chicken Run 2.

On pourra trouver un intérêt dans le design général et certains éléments de worldbuilding lors de l’itinérance, mais le tout manque tout de même singulièrement de tonus et de mystère (qui permettait à Une soif légitime de vengeance de nous accrocher), faisant de ce premier volume de Sacrifice plus une version adulte des contes classiques qu’un nouveau coup de poing punk de Rick Remender.

note-calvin1
note-calvin1

Manga·Service Presse·Nouveau !·Rapidos·East & West·**

Stunts – the 9th ghost #1/3

Manga de Sora Daichi
 Glénat (2024) –  200p. nb& couleur. Série en cours, 1/3 volumes parus.

Merci aux éditions Glénat pour leur confiance.

Le jeune James Martin débarque à New-York pour réaliser son rêve: devenir agent de police. Bardé du statut de N°1 de l’Ecole de police, il se retrouve soudainement confronté à un atroce meurtre impliquant son frère, substitut du procureur. Contacté par une unité spéciale fédérale, le Stunts, il va plonger dans les arcanes des « Ghosts », ces affaires classées sans coupable et pour lesquelles des moyens non-conventionnels sont déployés par cette élite de la police…

Avec une couverture très percutante pour son premier manga publié, Sora Daichi propose avec Stunts une déclaration d’amour au polar américain avec une coloration hollywoodienne évidente (à commencer par Se7en bien sur). Avec une dessin très classique mais où surgissent quelques belles visions encrées ce premier volume de la trilogie commence par l’arrivée joyeuse du héros qui retrouve son frère et nous fait découvrir leur relation… avant que le manga ne sombre dans l’horreur des crimes ritualisés avec force amputations et tortures.

On sent le même amour du cinéma et de l’imaginaire américain chez le mangaka (qui évacue totalement toute référence japonaise, chose rare dans un manga) que chez l’auteur d’Ender Geister. Malheureusement en se prenant plus au sérieux et dépendant d’un format très bref, il a tendance à juxtaposer des séquences au forceps, introduisant très rapidement chaque personnage qui se retrouve limité à son archétype immédiat. La rapidité de l’avancée provoque des aberrations comme ces multiples blessures par balle qui semblent soignées en quelques heures ou ces sauts géographiques un peu faciles. Sans que l’on sache encore s’il y a du fantastique ou un simple complot occulte dans cette histoire, on peut regretter que la mécanique narrative soit un peu légère au regard d’une envie et d’une application qui forcent la sympathie. Avec le cadre de cette unité spéciale de crack de la police et des méchants bien gores, on a tout pour permettre une sympathique enquête dans les bas-fonds. Espérons que ce soit juste un retard à l’allumage et qu’une fois passées les obligations de mise en place l’auteur trouve sa vitesse de croisière.

****·BD·La trouvaille du vendredi·Rétro·Un auteur...

Requiem, chevalier vampire

BD de Pat Mills et Olivier Ledroit
Nickel – Glénat (2010/2024), 48p./album, 11 tomes parus.

La carrière d’Olivier Ledroit n’a pas été un long fleuve tranquille. Issu du monde du jeu de rôle, il rencontre très tôt François-Marcela Froideval, l’équivalent des années 1990-2000 de Jean-Luc Istin, à la tête de pléthore de séries développant l’univers de dark fantasy qu’il affectionne et partageant avec Ledroit un esprit Dark-metal que l’on retrouve dans Requiem. Ledroit et Froideval deviennent immédiatement célèbres avec les Chroniques de la Lune noire, où la progression graphique du dessinateur est fulgurante et s’arrête au troisième tome (sur vingt en un) bien qu’il continue d’illustrer l’intégralité des superbes couvertures qui ont fait sa renommée. Après le somptueux diptyque lovecraftien Xoco (sa meilleure œuvre jusqu’ici) Ledroit rencontre son scénariste de Requiem sur la très ambitieuse mais royalement bordélique Sha où l’on peut trouver le meilleur comme le pire de l’artiste, avant de tenter une aventure post-apo solo radicale dont les mauvaises ventes scelleront le sort. Sans doute frustrés du manque de soutien de l’éditeur, les deux compères décident de monter leur propre structure pour publier ce qu’ils savent être le plus casse gueule des projets BD depuis longtemps.

Car Requiem, plus longue série de Ledroit depuis le début de sa carrière, est une œuvre certes imparfaite (notamment du fait de textes semblant créés par un adolescent) mais totalement radicale, sans filet et où il met tout ce qui lui fait envie sans jamais de contrainte, au risque parfois d’un grand n’importe-quoi. Il faut songer que si le bonhomme a plutôt réussi sa trilogie solo Wika, l’absence de contrainte et de partenaire créatif peut l’amener au pire narratif comme sur sa série du Troisième oeil en cours de publication chez Glénat. Pour finir cette chronologie, Requiem s’est stoppé au onzième tome et il aura fallu dix ans et une variation beaucoup plus lumineuse (Wika donc) de sa démesure, avec une carte blanche laissée par l’ogre Glénat pour que la série soit rachetée, réeditée avec de nouvelles couvertures, avant la conclusion prévue en deux nouveaux tomes dès ce mois de mai. Il est amusant de voir que Ledroit revient au final à l’éditeur qui l’a lancé puisque les éditions Zenda (créatrices des Chroniques de la Lune noire) ont été reprises par Glénat, et que seul cet éditeur qui ne craint pas des pertes sur une série, pouvait se permettre de reprendre une création aussi radicale.

Car pour venir à la BD elle-même, Requiem repose sur un concept qui justifie toutes les outrances: l’Enfer est un espace-temps spécifique doté de ses dieux, son bestiaire et sa morale. Les perversions y ont toute leur place et le dessinateur peut laisser libre cour à toutes les orgies sexuelles, SM, d’éviscérations gores et autres tortures joyeuses. Cela ne surprendra pas les lecteurs de la première heure mais on peut dire que les Chroniques n’étaient qu’un amuse bouche et que Wika est le pendant graphique côté féérique. Outre la création d’un univers où Ledroit se permet un agglomérat de dark fantasy, de dark SF, d’ésotérisme et de pas mal de mauvais gout, Requiem est une véritable orgie graphique de la première à la dernière page et insère quelques idées sublimes comme cette reprise de Jerome Bosch au tome 7 en basculant les pages, jeu de composition qu’adore l’auteur.

L’intrigue suit Heinrich, un nazi assumé amoureux d’une juive qu’il va trahir et retrouver lors de son passage en Enfer. Mais dans l’écosystème de valeurs inversées, les plus affreux salauds se réincarnent ici en la caste la plus élevée, les Chevaliers vampires, quand les victimes se retrouvent en âmes errantes, condamnées à éliminer leurs premiers bourreaux afin d’échapper à ce monde dantesque. On retrouve ainsi du Roméo et Juliette avec un traitement cynique qui pourra en déranger certains à hauteur des outrances visuelles dont raffole le dessinateur. Ainsi, sans jamais justifier les horreurs nazies les auteurs tentent de rester cohérents avec leur univers en laissant leurs personnages se gorger d’abominations où les monstres gagnent souvent (de Torquemada aux nazi donc). Tentant de construire un monde inversé cohérent, le sadisme, l’antisémitisme, le masculinisme, l’antiféminisme qui peuvent transparaître dans le monde de Résurrection sont logiques et c’est ce qui est fascinant dans cette saga qui reste constamment sur le fil du mauvais gout, de l’immoralité créative, perturbante, sans jamais faire l’erreur de se vautrer dans l’abjection des personnages. Il y a un courage certain à ne pas redouter de rendre puissantes des ordures et faibles les victimes. La progression narrative laisse poindre si ce n’est un happy-end moral du moins un rééquilibrage vers plus de justice, et pourquoi pas in fine un triomphe de l’amour…

En suivant une intrigue simple et peu de personnages au sein d’un maelstrom de décorum pléthorique, on frise souvent l’overdose, chaque album semblant apporter son nouveau clan, son nouveau personnage (un peu comme dans les Chroniques…) mais la finesse de la trame (pendant que Requiem court après Rebecca, c’est la guerre sur Résurrection) permet au final de ne pas se perdre. Car la structure de la BD reste un caprice alternant les combats et batailles plus vite que l’on tourne les pages.

Ce trop plein pourrait lasser les plus fervent amoureux du travail de Ledroit si la série ne débordait de trouvailles visuelles, thématiques et parfois même de réflexion, qui feront passer les grosses lourdeurs très dispensables comme cette offensive de musiciens Metal totalement WTF, gratuite… et surtout inutile.

Cette chronique doit se terminer mais j’espère vous avoir convaincu de vous lancer dans l’aventure avec le luxe de pouvoir vous enfiler quasiment la totalité de la série maintenant que la conclusion est toute proche. L’expérience est unique!

note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
**·***·BD·Nouveau !·Service Presse

Blood Moon

Récit complet en 110 pages, écrit et dessiné par Bones. Parution au Label 619 le 14/02/24.

Walking on the Blood

Il y a des gens à qui on promet la Lune, et puis, il y a des gens que l’on y envoie. Depuis quelques décennies, le satellite naturel de la Terre fait l’objet d’une colonisation et d’une exploitation minière. Qui dit industrie dit nécessairement main d’œuvre surexploitée et conditions de travail déplorables.

Benjamin est le shérif de la colonie minière, dans laquelle des milliers d’ouvriers s’usent la santé. Évidemment, qui dit ouvriers esseulés, dit également alcool et distractions sordides, ce à quoi même Benjamin ne déroge pas. Le quotidien de la station lunaire est bousculé lorsque, pour la première fois de son histoire, elle devient le théâtre d’un meurtre, le premier meurtre lunaire.

Un corps crucifié et atrocement mutilé est retrouvé dans la froideur de l’atmosphère lunaire, affublé de l’inscription « BM » et c’est à Benjamin qu’il revient de tirer tout ça au clair.

Maintenant que le Label 619 est bien relancé et que les rumeurs de son déclin se sont tues, il était grand temps que l’éditeur lance sa série de one-shots « Lowreader présente », sur l’ancien modèle de Doggybags.

C’est Bones qui ouvre le bal avec un récit d’horreur spatiale, qui emprunte autant à Total Recall qu’à Lovecraft. On appréciera l’ambiance oppressante de la station lunaire, où l’encrage appuyé et les clairs-obscurs déployés par l’auteur accentuent le mal-être.

La menace est sourde et peut surgir de nulle-part, au fil d’une enquête dont le début est bien ficelé. Cependant, la suite perd un peu le rythme, malgré quelques rebondissements entrecoupés d’échanges cryptiques avec les habituels personnages-qui-en-savent-plus-que-ce-qu’ils-disent.

La fin du récit pourra paraître bancale à certains lecteurs, mais aura le mérite de ramener Bones dans ce qui l’a fait connaître, à savoir l’horreur lovecraftienne. Si le récit en lui-même souffre de quelques faiblesses, la partie graphique demeure assurée avec brio, ainsi qu’une maîtrise croissante, voire une aisance de la part de l’auteur.

On aurait été en droit d’attendre un récit plus ambitieux et mieux rythmé, mais la partie graphique et la patte distinctive de Bones sont à même de nous faire oublier ces quelques défauts.

L’avis de Blondin:

On peut dire que je l’attendais le retour de Bones, après les mésaventures de la chute de Sandawe, l’excellent éditeur participatif qui avait publié le début de Dessous, la trilogie lovecrafto-vernienne qui m’avait tout à fait enthousiasmé (et dont la conclusion est attendue cette année normalement). Éditeur qui avait lancé un certain Philippe Pelaez également, auteur incontournable ces dernières années. L’annonce d’un thriller spatial crasseux par cet auteur était du genre à me le faire acheter les yeux fermés, après le superbe Shadow Planet… pourtant je dois dire que j’ai été fort déçu par cette lecture, tant sur le plan graphique (que j’ai trouvé brouillon par rapport à ce qu’il a proposé précédemment) que sur une intrigue qui semble ne jamais vraiment dépasser le stade du pitch et de la bande-annonce. Ainsi une fois passées les premières découvertes macabres on peine à caractériser les personnages (trop rapidement présentés) et l’enchainement final se fait en pilote automatique profitant de scènes d’action débarquant de nulle part vers un final peu compréhensible. Et la désagréable impression d’un nouveau projet purement graphique d’un dessinateur qui a oublié de travailler son script. Étonnant de la part du très bon scénariste de Dessous. Un coup dans l’eau donc, en attendant une probable intégrale de Dessous chez Rue de sèvres…

**·Comics·East & West·Nouveau !

Stillwater #2-3

Comic de Chip Zdarsky, Ramon Perez et Mike Spicer (coul.)
Delcourt (2023), 152 p., 3 volumes parus.

Attention Spoilers!

Le premier tome de Stillwater avait été une excellente surprise tant graphiquement que par le parti pris hautement politique du scénariste canadien (on ne dira jamais trop que les meilleurs chroniqueurs de l’Amérique sont les cousins britanniques et canadien non soumis à l’aliénation nationaliste Etats-Unienne). Alors que le premier tome nous introduisait au concept fantastique de cette petite ville où personne ne peut mourir dans un périmètre défini, le deuxième volume démarrait alors que le siège du pouvoir autoritaire du Juge explosait littéralement et qu’une mini guerre-civile éclatait dans ce contexte si particulier: la mort ne faisant pas partie de l’équation les affrontement se trouvent à un niveau de violence sans limite! Après que soit révélé le complot ourdi de longue date par les enfants de Stillwater, qui se considèrent comme les premières victimes de la tyrannie messianique du Juge, le tome de conclusion envisage une modification inattendue de la problématique quand on trouve le moyen d’étendre la zone d’immortalité et d’y englober la ville voisine de Coldwater…

A la fermeture du troisième et dernier tome force est de constater que cette série ambitieuse est très inégale, sans doute du fait de l’écriture progressive de son intrigue. Il est étrange d’imaginer qu’un scénariste de l’expérience de Zdarsky soit parti ainsi sur un projet indé la fleur au fusil et sans idée de sa conclusion. Si intéressant que soit le pitch posé au premier tome, on sent que l’auteur n’aura pas su véritablement faire progresser son idée vers une véritable histoire et soumet son lecteur à des errements narratifs que le dessin lui aussi inégal de Ramon Perez n’aide pas à fixer. Ainsi les sauts chronologiques comme les irruptions de personnages pas toujours présentés au préalable et pas toujours évidents à distinguer, font progressivement faire perdre le fil de la lecture et l’on est très heureux quant la bande d’affreux fascistes qui régissent la ville reviennent sur les pages, histoire de cadrer un peu tout ça. Par exemple l’incursion de trois histoire de fuyards de Stillwater racontées au coin du feu casse totalement le rythme du troisième tome, de même que le récit des origines de la malédiction qui donnent sérieusement le sentiment que Chip Zdarsky puise da sa musette de trucs du parfait scénariste pour ficeler la fin de son attelage.

Alors pour ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain reconnaissons que le regard porté sur cette communauté plus ou moins représentative de l’Amérique reste intéressant et projette des échos avec le contexte immédiat dans cette crainte de l’Autre, la visée de la Destinée Manifeste et autres joyeusetés trumpistes. Mais la confirmation du pacte faustien banalise un peu plus une histoire qui voit son principal intérêt dans les conséquences pratiques de l’immortalité, comme ces adultes dans des corps d’enfant, la prison à ciel ouvert ou la pertinence et légitimité de la violence dans le pays des armes à feu…

Après un excellent premier volume on retombe donc dans de l’indé plus classique dans ses imperfections et qui ne semble pas toujours savoir où il va (problème que l’on retrouve récemment dans le Once and Futur de Kieron Gillen par exemple). Hormis les quelques plaisirs coupables dans les surgissements gores et le fun expérimental de ces personnes aux corps repoussant systématiquement, la déception est à l’aune des attentes crées par le premier volume. Un petit gâchis.

note-calvin1
note-calvin1
****·BD·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Red Gun #1: la voie du sang.

BD de JC Gaudin, Giulia Massaglia et Hugo Facio (coul.)

Soleil (2024), 56p. , série en cours, un tome paru.

Merci aux éditions Soleil pour leur confiance.

L’Amérique se remet de sa guerre civile en lançant le pharaonique chantier de chemin de fer transaméricain. Au sein de cette petite société autour du chantier, le général Dodge en charge des opérations se voit contraint de faire appel à un ancien officier pour enquêter sur les assassinats qui se multiplient parmi les filles de la communauté. Entre la violence endémique de l’Ouest et les ambitions capitalistes autour de la voie ferrée, l’enquête s’annonce compliquée…

Il n’y avait pas grand chose à attendre de cet album: un énième western, une couverture à l’ancienne, un scénariste qui parcourt les saga Soleil industrielles… Et pourtant ce premier Red Gun (personnage éponyme qui annonce une série) a tout de la bonne trouvaille qui rappelle que le diable se niche dans les détails. A commencer par une capacité évidente et fort bienvenue pour un polar d’éviter systématiquement les attendus du lecteur quand aux personnages et à l’évolution de leurs relations. Jouant astucieusement sur les cadrages suggestifs, le scénariste nous engage sur des préconçus qu’il va déjouer tout naturellement. Si l’intrigue en elle-même n’a rien de bien neuf, le cadre du chantier du transcontinental permet quelques bonnes idées autour de la communauté de natifs et de la Loi et l’Ordre locaux. Surtout les personnages sont fort bien écrits et crédibles dans leurs interactions, du chef de la sécurité annoncé comme une brute expéditive mais qui oublie de devenir le méchant qu’il semblait voué à être au mentor-général dont l’entente avec le héros est inhabituelle dans ce type de schémas.

Avec son héros torturé, son colt rouge encore mystérieux et les très beaux dessins d’une italienne qu’il faudra suivre de près, ce policier habillé de santiag se lit avec grand plaisir de bout en bout et en garde pas mal sous le coude pour la suite, discipliné à ne pas trop en dire pour laisser travailler le lecteur et libérer des pistes pour le développement au long court du héros. De là à envisager une série de tête de gondole je ne sais pas mais il est certain que La voie du sang surnage joliment dans la gigantesque marmite des publi BD.

note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
****·BD·Nouveau !·Service Presse

La cuisine des Ogres

 BD de Fabien Vehlmann et Jean-Baptiste Andreae
Rue de sèvres (2024), 84p., one-shot.

bsic journalismMerci aux éditions Rue de sèvres pour cette découverte.

Blanchette est une orpheline maladroite récemment accueillie par une bande de vagabonds. Voilà que les gamins se trouvent enlevés par une créature au nez crochu qui les emporte dans la montagne des Ogres, cette cuisine géante où s’affaire tout un peuple dans un unique but: créer le plus formidable des banquets pour les géants. Mais un grain de sable peut rapidement faire déraper la plus belle des mécaniques…

Il y a trois ans s’arrêtait au cinquième tome l’une des plus incroyables saga de la BD franco-belge, un monde fou co-construit par Wilfried Lupano et Jean-Baptiste Andreae, cet Azimut qui restera un chef d’œuvre intemporel. L’univers de JB Andreae est si fort et identifiable qu’il fait toujours craindre que le scénariste soit vampirisé, étouffé sous cet imaginaire issu de Tim Burton et du surréalisme de Dali. Fabien Vehlmann était le comparse idéal pour proposer un nouveau projet au dessinateur, dans lequel il se fond avec gourmandise et une facilité toujours sidérante.

La Cuisine des Ogres est un (gros) one-shot, en tout cas annoncé comme tel. Le format double-album n’est pas de trop tant l’univers juste aperçu est monumental et se prête à une série. Le sous-titre de l’album semble rappeler cette volonté qui cadre avec la politique raisonnable de Rue de Sèvres de ne jamais démarrer sur de longues séries mais de laisser la porte ouverte au développement de l’univers. Le scénario malin permet tout à fait cela et on l’espère vivement en refermant le volume tant celui-ci est riche!

On commence avec une amusante variation Andreaéienne de Seuls lorsque l’histoire s’ouvre sur une bande d’orphelins très vite raptés par un croque-mitaine bondissant qui file livrer sa victuaille au monde des Ogres. Début alors pour celle qu’on appelle Trois fois morte la découverte d’un monde souterrain où des milliers de créatures sont occupées aux différentes étapes de fabrication du repas des Géants, du nettoyage de la vaisselle à la conception des plus fins mets. Réchappée au broyeur par miracle, la jeune fille est bien décidée à sauver ses amis de l’assiette…

Le ton tragi-comique est celui de tous les albums d’Andreae: celui d’un conte de fées pour sales gosses, où les personnages ont les yeux globuleux, les ogres le nez crochu et la plus mignonne des créature un je-ne-sais-quoi d’inquiétant. Au-delà des pérégrinations truculentes de l’héroïne se dessine une vie tout à fait dramatique qui n’a pas grand chose à faire dans un récit pour enfants… ce que n’est pas vraiment cette Cuisine des Ogres.

Sous une base tout à fait classique du conte de fée (distordu), les auteurs plongent allègrement dans le monde de Rabelais, que ce soit par le verbiage utilisé, les citations (nos géants sont Gargamel et Pantagruel) ou les tableaux de grande bouffe où le dessinateur se régale à croquer mille et un détails. Les facéties et déformations de son dessin nous ont d’ailleurs fait oublier combien il était précis dans ses planches et la finesse de tous les décors ne cesse d’étonner. Aussi brillant dans sa colorisation directe (qui ferait passer Marini pour un débutant) que dans le dessin pur, Andreae confirme par cet album qu’il reste un des plus éminent dessinateurs de la BD franco-belge.

Fourmillant de références aux contes et légendes sans perdre en cohérence locale, La Cuisine des Ogres s’avère bien plus ambitieux qu’il n’en a l’air et parvient à créer un monde fonctionnel où la bonne morale est absente et que l’on a hâte de retrouver pour peu que le lectorat soit au rendez-vous. Avec deux artistes absolument gourmands et appliqués il aurait été difficile de se rater. Alors on savoure les pages avec un plaisir permanent et le seul regret que l’aventure ne soit pas plus longue.

note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
**·Comics·East & West·Nouveau !

Nemesis Reloaded

Comic de Mark Millar, Jorge Jimenez et Giovanna Niro (coul).
 Panini (2024) –  144p., one-shot.

Du sang, de la vengeance, un tueur immortel, de la corruption, de l’ambition, de la perversion. C’est Nemesis…

Un jour il faudra étudier les statistiques des albums Millar pour déterminer si l’on peut retrouver une fréquence régulière de qualité. Le dernier en date était très bon. Ce reboot d’un des albums qui ont fait sa réputation (… de sale gosse du comic!) ressemble à une fausse bonne idée/à une opportunité commerciale/ a un caprice de star, au choix et de manière potentiellement cumulative…

En 2011 Millar se lançait dans un improbable projet court mettant en scène une version négative de Batman: un milliardaire tout de blanc vêtu et dénoué de tout sens moral et de toute empathie, lancé dans une vengeance implacable contre des gradés de la police. L’an dernier Millar annonçait le reboot de son concept en pré-lancement de son crossover maison, Big Game attendu cet été et que seuls les lecteurs d’une immense mauvaise foi contesteront attendre. C’est ça Millar: une drogue que l’on est presque sur de regretter mais que l’on a très envie de prendre. Voici donc pour ceux qui sont passés à travers le retour du Nemesis juste avant l’Ambassador dessiné par monsieur Frank « Jupiter Legacy » Quitely qui vient juste de sortir.

Accompagné d’une des méga-star du dessin US, l’écossais déroule une partition qui fait malheureusement du surplace. Si le scénariste connait la mise en scène par cœur et nous donne quelques belles séquences rodées, le projet lui-même semble sans but, faute de définition. Si l’on comprend vite le type de personnage auquel on a

affaire, jamais on nous explique le lien entre sa formation décrite dans les flashback et sa capacité criminelle aussi infinie que celle du Joker. Sauf que le Joker est passé avant et jouit d’une aura mythologique qui dispense de rechercher la rationalité, au contraire du Nemesis qui par manque d’adversité (toujours le nœud gordien) nous lasse à enchaîner ses massacres avec sa tête de psychopathe. Si le concept même reste novateur (assumer le récit d’un super-méchant pratiquement sans aucune justification), le déroulé est linéaire en mode jeu vidéo. On pourra même trouver les planches relativement sages comparativement à des BD vraiment folles d’un Bisley, d’un Liberatore ou même d’un Rick Remender.

L’album one-shot enchaîne donc les massacres semi-bien pensants (on trouve toujours des cadavres dans les placards des innocentes victimes, ou presque) et une fois son « devoir » accompli on a un peu l’impression d’avoir assisté à un énième blockbuster sans âme ni plus-value aussi vite oublié. Gageons que dans la toile du vaste projet de Millar (qui a dit que plus on en parle moins il y en a?…) cet apéritif trouvera sa place mais pour l’heure hormis le pitch de départ et les planches très qualitatives on est dans la version basse du parangon de la danseuse de Netflix.

note-calvin1
note-calvin1
**·BD·Comics·East & West·Nouveau !

BRZRKR #2 et #3

Second et troisème tomes de 144 pages, de la série créée par Keanu Reeves, co-écrite par Matt Kindt et dessinée par Ron Garney. Parution aux US chez BOOM! Studios, publication en France chez Delcourt le 27/09/2023 et le 17/01/2024.

Ça va CSTGNR !

Le premier tome de BRZRKR nous permettait de découvrir le personnage éponyme de B, un guerrier immortel semi-divin, qui, lassé de faire la guerre à l’insu de son plein gré, a décidé de collaborer avec une agence gouvernementale américaine, avec laquelle il a négocié quelques tueries en échange d’un remède à sa malédiction.

Le premier obstacle le concernant est qu’il n’a plus vraiment de souvenirs de son passé. Les siècles et les millénaires ont défilé de telle manière que certaines périodes se sont évanouies dans le brouillard du temps. B ignore donc quasiment tout de ses origines, ainsi que de la nature de ses pouvoirs. C’est pourquoi il doit mener une thérapie avec Diana, afin de faire émerger ses anciens souvenirs, tandis que Caldwell cherche à décoder le gène immortel pour annuler l’immortalité de B, et, avec un peu de chance, la répliquer pour l’armée américaine.

Le premier tome de BRZRKR avait eu son petit impact à sa sortie en début d’année. On peut sans doute attribuer ce succès au capital sympathie du co-créateur de la série, l’acteur Keanu Reeves, qui s’est associé au talentueux Matt Kindt pour donner vie à son univers.

Comme nous l’évoquions dans la première chronique, le scénario ne brille pas par son originalité , ce qui le situe en deça de ce que Matt Kindt propose habituellement. Voyons un peu plus en détail ce qui ne fonctionne pas, dans une partie qui va spoiler au moins autant qu’une tête qui explose.

BRZRKR repose en effet son intrigue sur quelques lieux communs essentiels à son intrigue, comme le fameux « Je ne peux pas m’auto-terminer« , ainsi que le blues de l’immortel, qui, paradoxalement, n’aspire qu’au repos éternel. Alors que les deux auteurs semblaient développer une histoire qui allait crescendo vers la révélation du rôle et et des origines de B, il s’avère que la tension retombe comme un soufflet avec une explication lacunaire, qui semble confondre l’obscur et l’imprécis.

Nous n’en saurons donc pas plus sur l’entité qui est à l’origine de la conception d’Unute (le véritable nom de B), si ce n’est qu’elle paraît être extradimensionnelle, et ses motivations resteront tout aussi imprécises jusqu’à la fin. Le fameux artéfact supposément capable de lever la malédiction d’Unute n’obtient pas non plus de préparation suffisante, son utilisation sème encore davantage de confusion, sans doute car il n’obéit à aucune règle précédemment établie.

Il y a bien une tentative d’expliquer le rôle du héros dans l’ordre des choses (qui fait d’ailleurs un parallèle avec celle développée dans the Old Guard), comme quoi sa présence et ses massacres auraient permis d’essaimer le progrès et les technologies sur Terre… si vos sourcils se lèvent et que la commissure de vos lèvres pointe soudainenement vers le bas, c’est normal. En extrapolant un peu, cela n’est pas totalement dépourvu de sens, j’imagine que les humains qui auraient eu à affronter ce redoutable guerrier auraient rivalisé d’ingéniosité dans l’espoir de créer des armes capables de le blesser. Pourquoi pas, après tout ?

Il y a aussi le rôle de Diana, qui n’est pas non plus explicité. Elle se retrouve soudainement dotée de pouvoirs en lien avec le Berzerker, allez-savoir pourquoi. Plus fort encore, après un passage confus où Unute est finalement libéré de ses pouvoirs par le casque magique qui se transforme en aigle (?), elle tombe enceinte façon Nouveau Testament d’une nouvelle génération de Berzerkers, qui une fois ados veulent parcourir le monde et se reproduire à l’instar de la Mutante… Je pense qu’à ce stade, on a arrêté de se poser des questions.

Il ne faut pas non plus oublier l’antagoniste, Caldwell, qui subit un traitement confinant à l’irrespect total. Après ce qui se veut être une révélation choc sur ses véritables intentions (cousues de fil blanc, bien sûr), il dérobe le pouvoir du héros et devient lui-même un Berzerker, pendant 14 pages, soit un chapitre et demi avant la fin du récit. Ce qui s’annonçait comme une bataille dantesque et mortelle pour notre héros devient donc une péripétie un peu gênante, sachant que le grand méchant se fait désosser en quelques pages, et que, étrangement, ses pouvoirs de berzerker nouvellement acquis ne lui permettent pas de se régénérer ni de ressusciter…

Comme vous l’aurez sans doute déjà deviné, nous sommes face à un produit mal calibré, bourré d’approximations et d’incohérences, A MOINS QUE la suite, suggérée par la conclusion du 12e chapitre, ne vienne remettre toutes les pièces du puzzle à leur place. En l’état, on met deux Calvin seulement, car on est en droit d’exiger mieux du duo d’auteurs Reeves/Kindt.

*****·BD·Nouveau !

Le Convoyeur #4: La saison des spores

La BD!

BD de Tristan Roulot et Dimitri Armand,

Dargaud (2023), 62p., série achevée en quatre tomes.

Tout ce qui a commencé doit finir. Minerva a retrouvé son mari, libéré de l’influence de la Ruche grâce à son sérum. Désormais le Mal doit être supprimé. Mais est-ce seulement possible? Personne sait combien de Convoyeurs existent. Leurs pouvoirs semblent illimités. La farouche guerrière aidée de sa science des spores sera-t’elle suffisamment équipée pour détruire ce qui menace encore de reprendre son homme? A moins que la solution ne soit ailleurs, loin des affrontements et de la résistance?

Cela fait longtemps qu’une série n’aura autant bousculé les habitudes de lecture et le schéma un peu grippé du post-apo. Par leur concept terriblement casse-gueule et novateur, les auteurs ont fait évoluer doucement leur histoire classique de médiéval-apocalypse mutant vers une intrigue tortueuse ou les mutations que se plait à croquer Dimitri Armand sont le reflet d’identités incertaines. Illustration de cette maitrise totale de leur narratif, le concept des quatre couvertures évoluant à chaque album du Convoyeur à Minerva avant de plonger le couple retrouvé dans la menace globale. Le tout semble pensé et la construction, en plus du graphisme, est brillante!

On pourra regretter les défauts de ce tome de conclusion qui trouve les mêmes problèmes insolubles que toutes les séries qui résolvent leur problématique au volume précédent. Cette saison des spores se doit donc de refermer une histoire où la tension dramatique a explosé juste avant. Pour autant le déroulement, les nouveautés proposées et les quelques références graphiques (dont l’indépassable Mad Max Fury Road qui a traumatisé toute une génération d’artistes!) restent tout à fait enthousiasmantes, jusqu’à l’affrontement final aussi dramatique qu’intelligent, avec un retour de l’intime brillamment mis en image par un Dimitri Armand au sommet de son art. Peut-être pas le meilleur des quatre mais pour l’ensemble de la série, on pose sans soucis un cinquième Calvin.

Rarement nous aurons eu autant de mal à chroniquer une série changeante et insaisissable comme le Convoyeur. Ce dernier(?) tome confirme que tout était pensé, réfléchi, construit et l’on ne mesure qu’une fois la dernière page fermée la force de cette série. En seulement quatre tomes sans aucun temps mort, sans aucune digression, Roulot et Armand ont probablement posé une sacrée pierre dans le jardin des grandes BD, avec une série qui n’ira qu’en se bonifiant avec le temps. Le creuset renferme encore suffisamment de mystères pour permettre de nouveaux cycles. Vues la passion et le talent délivrés par les auteurs sur ces quatre volumes, on ne peut qu’être impatient à imaginer ce qu’ils nous proposeront par la suite…

note-calvin1