
Premier et second volumes de la mini-série écrite par Chip Zdarsky. Le premier contient les épisodes US: Devil’s Reign (2022) #1-3, Devil’s Reign : Superior Four (2022) #1, Devil’s Reign : Villains For Hire (2022) #1, Daredevil : Woman Without Fear (2022) #1, Devil’s Reign : X-Men (2022) #1.
Le second contient les épisodes US: Devil’s Reign (2022) #4, Devil’s Reign : Superior Four (2022) #2, Devil’s Reign : Villains For Hire (2022) #2, Daredevil : Woman Without Fear (2022) #2, Devil’s Reign : Winter Soldier (2022) #1, Devil’s Reign : Spider-Man (2022) #1, Devil’s Reign : Moon Knight (2022) #1. Parution le 07/09/22 et le 05/10/22 chez Panini Comics.

Here it goes again
Dans l’univers Marvel, les super-héros ne sont pas toujours bien perçus, et ce malgré leur dévouement et leur abnégation. Car voyez-vous, ils ont aussi une fâcheuse tendance à provoquer des dégâts, et, allez savoir, ramènent aussi sans doute le commun des mortels à leur condition et à leur impuissance.
En 2006, il y a seize ans pour nous mais un peu moins au sein de l’univers 616, un incident grave impliquant de jeunes super-héros avait conduit les autorités à promulguer la Loi de Recensement, qui obligeait les super-héros en activité à dévoiler leur identité et à travailler pour le SHIELD, ce qui impliquait un contrôle hiérarchique, une formation et une sanction de leurs actes. Ulcéré par cette atteinte aux libertés fondamentales, Captain America s’opposa vivement à cette Loi, entrant de facto dans la clandestinité avec tous ses partisans. De l’autre côté, Iron Man, plus pragmatique, considéra que le compromis était raisonnable et opta pour la coopération. Cette divergence de point de vue engendra la célèbre CIVIL WAR, la guerre civile des super-héros, qui eu des conséquences et des ramifications durables, faisant entrer une frange non négligeable de héros dans la clandestinité durant plusieurs années.

Ce schisme ébranla le rampart formé par les héros et ouvrit la voie à l’Invasion Secrète des Skrulls (Secret Invasion), puis au règne sombre (Dark Reign) de Norman Osborn, lorsque ce dernier, profitant d’une vague favorable de publicité, fit croire à sa rédemption et devint le nouveau directeur du SHIELD, permettant aux criminels de tout bord de prospérer. Pourquoi vous raconter tout ça ? Parce que Devil’s Reign reprend quasiment au mot le pitch de Civil War, qu’il l’assaisonne avec du Dark Reign, pour nous resservir la recette en trois volumes.
Petit récapitulatif: Après quelques années passées sous l’égide de l’irascible Jonah Jameson, la mairie de New York passe aux mains de Wilson Fisk. Ce dernier, connu pour être l’empereur du crime connu sous le nom du Caïd, est parvenu, avec habileté, à laver sa réputation lors d’une invasion d’Hydra (voir Secret Empire) pour se hisser vers le fauteuil du Maire. Le Caïd a longtemps lutté sans merci contre Matt Murdock, alias Daredevil, ces derniers se rendant coup pour coup dans un déluge sans fin de violence et de vengeance. Devenu Procureur, Murdock a poursuivi sa lutte contre son ennemi juré, qui depuis quelques années détient jalousement le secret de sa double identité.
Pour garder un coup d’avance, Fisk a réuni des preuves, des pièces à conviction, non seulement sur Daredevil, mais aussi sur d’autres héros susceptibles d’entraver ses projets. Mais lors de son petit check-up mensuel dans son coffre-fort, Fisk s’aperçoit que le dossier a disparu. Et ce n’est pas tout, il est désormais incapable de se rappeler du véritable nom de Daredevil, ni de faire le lien avec Matt Murdock. Fou de rage d’avoir été ainsi berné, l’ancien Caïd décide de prendre les choses en main et fait promulguer une loi interdisant les super-héros, et par extension toute personne détentrice de pouvoirs surhumains dans l’enceinte de la ville.
Cette initiative force les héros urbains à se regrouper: Luke Cage et Jessica Jones reprennent du service, avec leur ami Iron Fist, Spider-Man bien entendu, mais également des francs-tireurs tels que Moon Knight ou le Punisher, personne ne sera épargné. Pour couronner le tout, Fisk enrôle des criminels notoires en les amnistiant, pour former les Thunderbolts, une milice chargée de traquer les contrevenants.

Il y a des lectures qui vous font sentir le poids des années. Il y a des lectures qui vous font réaliser que les comics et leurs histoires, c’est avant tout une machine à mouvement perpétuel, qui tend à reproduire des cycles, comme l’Histoire avec un grand H. Et enfin, il y a des lectures qui vous font réaliser que vous lisez depuis assez longtemps pour voir les cycles narratifs se suivre et se répéter.
Chip Zdarsky combine donc des éléments déjà vus dans d’autres séries et sagas, sans que l’intention réelle derrière cette resucée ne soit très claire: remettre les thématiques au gout du jour ? Se les approprier ? Est-ce plutôt une commande de Marvel qui souhaite réinterpréter ses classiques ? Allez savoir. Il n’en demeure pas moins que tout dans Devil’s Reign a déjà été vu ou revu:
- Un méchant qui se rachète une bonne réputation et se hisse au sommet ? Norman Osborn l’a déjà fait lors de Dark Reign, avec des effets plus pernicieux et à une échelle sensiblement plus grande.
- Une loi qui empêche les super d’être des héros ? Plus ou moins la même chose dans Civil War, avec néanmoins plus de nuance quant aux implications politico-sociétales. Là où Civil War donnait à chaque camp des arguments entendables sur la façon de réagir à la Loi de Recensement, Devil’s Reign ne s’embarrasse pas d’une telle réflexion et admet sans embage le caractère inique de l’initiative de Fisk.
- Des méchants utilisés pour traquer les super-héros rebelles ? Là aussi, les Thunderbolts sont un copier-coller, avec US Agent pour les encadrer, ce qu’il faisait déjà en 2011.
- Le Caïd qui tient un dossier sur Daredevil et d’autres super-héros ? L’idée fait exactement écho au Rapport Murdock , à l’époque où Brian Bendis écrivait la série.
- Bon sang, même le concept d’utiliser l’Homme Pourpre pour contrôler en masse les populations a déjà été utilisée !
Néanmoins, on peut accorder à Devil’s Reign un élément de sa prémisse qui soit original, ou du moins peu courant, à savoir la bataille électorale dans laquelle se lancent nos héros pour espérer battre Fisk sur son propre terrain. Après Jameson et Fisk, l’idée de voir un super-héros à la tête de New York serait, avouons-le, plutôt cool.

A côté de ça, on ne peut pas ignorer certains défauts éditoriaux, qui prennent leur source chez Marvel, mais qui sont confirmés par Panini: l’histoire principale, qui est magnifiquement dessinée et qui tient globalement la route malgré les redites précitées, est littéralement parasitée par une floppée de tie-ins, des épisodes annexes se déroulant en parallèle de l’intrigue dominante. Ces épisodes se concentrent sur Elektra, qui soit dit en passant est devenue la nouvelle Daredevil, ainsi que sur les Thunderbolts, et l’on trouve aussi des épisodes mettant en scène Moon Knight, le Soldat de l’Hiver, et le Docteur Octopus cherchant à assimiler ses doubles à travers le Multivers.
Oui, vous avez bien lu, une partie non négligeable de ces deux premiers volumes n’a rien à voir avec le sujet. D’une qualité qui va du franchement médiocre au tout à fait passable, ces tie-ins, qui se paient en plus le luxe de ne pas être disposés dans le bon ordre chronologique, auraient pu disparaître sans que l’ensemble n’en soit affecté, bien au contraire. L’histoire principale, qui va à l’essentiel, aurait gagnée à être publiée seule.
Le bilan de ces deux premiers tomes est donc plus que mitigé, notamment du fait des égarements éditoriaux de Panini, ce qui est d’autant plus dommage que la série principale, bien que pompant allègrement dans les classiques, présente tout de même certaines qualités.