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Gunmen of the West

La BD!
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BD de Tiburce Oger et collectif.
Grand Angle (2023), 86p., One-shot.

Les éditions Grand-Angle mettent les petits plats dans les grands avec pas moins de quatre éditions de cet album, qui mettent en avant la force graphique du projet, avec des couvertures de Ronan Toulhoat, Paul Gastine, Mathieu Bonhomme et Laurent Hirn.

bsic journalism Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

Gunmen of the West", de Tiburce Oger & collectif : qui vit par les armes  périra par les armes - Benzine MagazineTroisième album en trois ans pour l’Anthologie grand format passionnée de Tiburce Oger qui se révèle à nos yeux de lecteur un grand expert de la Conquête de l’Ouest, s’efforçant de partager, parfois maladroitement, sa passion. Car une fois que l’on a savouré les magnifiques planches débordant de tout ce qui fait l’Ouest, dans le confort graphique de récits très courts, on ne peut que constater les limites de l’exercice de vouloir raconter une dizaine d’histoires en moins de dix pages chacune. 

Après les pionniers et les Indiens voici venus les gunmen, ces fortes têtes venues au crime souvent par hasard, souvent par erreur, dans un univers où ce qui définissait la Loi fut souvent celle du plus fort/riche quand elle n’était pas tout bonnement inexistante. La variété des profiles décrits (souvent historiques) permet de ne pas s’ennuyer et le talent pur des illustrateurs suffira à tous les amoureux de poussière, de soleil et de saloons. Seule faute de gout, l’insertion du récit absurde d’un éléphant pendu, dessiné par un Nicolas Dumontheuil dont on se demande ce qu’il est venu faire là tant son style tranche avec le reste des partitions. Le plaisir de voir le trop rare Olivier Vatine de retour aux crayons contrebalancera cette incongruité.Gunmen of the West", de Tiburce Oger & collectif : qui vit par les armes  périra par les armes - Benzine Magazine

La difficulté du format anthologique se confirme donc ici et l’auteur aurait été inspiré de reproduire le fil rouge des deux premiers tomes qui donnaient une fiction de liant entre ces histoires, ici totalement découplées. La désormais habituelle ouverture et clôture de l’album par Paul Gastine (dont ont attend en trépignant le nouveau western cette année…) si lumineuses soient-elles, ne suffisent pas à donner un squelette à cet enchevêtrement qui reste réservé aux passionnés de westerns.

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La vieille anglaise et le Continent

BD de Valérie Mangin et Stefano Martino
Drakoo (2023), 88p., one-shot. Adapté du roman de Jeanne-A Débats

Merci aux éditions Drakoo pour leur confiance.

Dans un futur proche la science est parvenue à transférer (ou plutôt copier) la conscience d’un humain dans un corps vierge ou en état de mort cérébrale. Une activiste écologiste radicale arrivée à la fin de sa vie se voit proposer de se livrer à une ultime action en devenant un cachalot. Très vite elle va découvrir son nouveau corps, les menaces qui pèsent sur les cétacés dans les océans du globe et les relations nouvelles avec ses nouveaux congénères et ses anciennes relations humaines…

En adaptant en one-shot le court (et premier) roman de l’autrice féministe Jeanne-A Débats, Valérie Mangin abandonne un moment sa passion de l’Histoire et de l’Antiquité pour nous proposer une très jolie fable de SF écologiste d’excellente tenue, tant dans son développement thématique que sur les partis pris graphiques osés mais plutôt convaincants de Stefano Martino.

Le dessinateur italien a fait ses classes sur des comics et de grandes saga commerciales made in Soleil. Il est ainsi très surprenant de le voir rompre le modèle graphique très formaté dans lequel il a travaillé pendant dix ans et proposer des planches très artisanales, faites de hachures et de textures encrées qui expriment une densité de matière et d’eau lors des nombreuses séquences suivant l’héroïne-cachalot. En alternant les scènes dans un style technologique au trait marqué lorsqu’on suit les scientifiques à la tête de l’opération, et une douce odyssée contemplative parmi les baleines, le dessinateur utilise pleinement les possibilités graphiques pour nous immerger dans une différence de nature quand à ce que l’on va lire.

Le projet aurait pu entraîner un effet de juxtaposition ennuyeux, il n’en est rien. Valérie Mangin équilibre parfaitement les nombreux sujets de cette très belle histoire SF en ne perdant pas de temps d’exposition et en glissant avec le cachalot et les échanges radio/pensées de la vieille anglaise. On adopte ainsi un rythme marin, celui d’un grand cétacé qui se meut dans l’univers étouffé des océans et que seul le prisme du chef de mission, son ancien amant nous rappelle à la violence du monde des hommes.

On pourra être un peu frustré par la question écologique qui n’est ici abordée qu’en trame de fond, Mangin/Debats en nous parlant surtout de détournement des règles de la pèche, d’éthique médicale dans l’utilisation des nouvelles capacités de transmnèse ou de pandémie (tiens-tiens). Pourtant l’ensemble revêt un remarquable équilibre en moins de cent pages, en n’échouant nulle part malgré la richesse des sujets.

Une très belle BD que je recommande en espérant qu’elle saura profiter de son petit avantage avant le maelstrom éditorial du mois de septembre.

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Ange Leca

Histoire complète en 72 pages, coécrite par Tom Graffin et Jérôme Ropert, dessinée par Victor Lepointe. Parution chez Grand Angle le 01/03/23.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

Seine de crime(s)

Paris, en 1910, vous auriez dû voir ça ! En pleine crue, la Seine déversa des milliers de mètres cubes d’eau dans les rues de la capitale. Les pieds mouillés, les citadins n’ont eu d’autre choix que de s’adapter, en circulant en barque ou sur des pontons improvisés.

Pour couronner le tout, la crue historique fit remonter tous les rats qui prospéraient dans les égouts et les canivaux, attirés par les ordures et les immondices flottant au grès des courants. Ange Leca, quant à lui, mène sa vie dissolue sans trop se soucier du niveau des eaux. Ce qui lui importe, c’est surtout le niveau d’alcool dans son verre. Ce reporter à la manque noie ses démons dans l’absinthe, et s’oublie dans les bras d’Emma, sa maîtresse. Le seul hic, c’est qu’Emma est l’épouse d’Alfred, propriétaire du journal dans lequel Ange publie ses articles.

Prisonnier de ses addictions, exilé de sa Corse natale, empêtré dans une relation sans avenir, Ange est embourbé dans une stagnation mortifère dont il ne sortira rien de bon. Sa routine éthylique est cependant bousculée lorsqu’un cadavre démembré et mutilé est retrouvé dans les rues inondées, sans doute refoulé par la crue. Il s’agit d’un tronc de femme, dont les bras, les jambes, la tête et les seins ont été coupés, impossible à identifier. Leca va se lancer avec zèle dans une enquête qui va virer à l’obsession. Les sens embrumés par les vapeurs d’absinthe, ce qu’il trouvera va remettre en question ce qu’il pensait savoir de l’amour et de la vie parisienne.

Enquête dans le Paris des années folles, cela aurait pu avoir un air de déjà-vu, il faut bien l’admettre. Cependant, l’idée des scénaristes, de situer l’enquête durant une crue historique, permet à la fois d’ancrer le récit dans une réalité palpable et de lui donner un cadre original.

En cherchant bien, on pourrait voir Ange Leca comme une version trash de Tintin: un reporter intrépide accompagné de son fidèle chien. Alors que Tintin combat des trafiquants d’opium (les Cigares du Pharaon), Ange Leca est un ancien opiomane; la chasteté légendaire du fils d’Hergé pâlit face à la concupiscence d’Ange dans les bras d’Emma, tandis que les aventures pittoresques ont cédé la place à des meurtres sordides.

La partie relative à l’enquête est très bien documentée par les auteurs, qui s’appuient sur les balbutiements de la criminologie de l’époque pour orienter les opinions de leurs enquêteurs, dont certains ne sont pas fictifs. L’album se conclut par un dossier bref et plutôt dense sur le contexte historique, qui nous éclaire adéquatement sur la typologie du crime du début XXe.

Le dessin, assuré par Victor Lepointe, permet de poser l’ambiance, et de faire revivre l’époque en lui apportant des couleurs qui tranchent avec l’idée finalement assez commune de la Belle Epoque, colorée et foisonnante. Ici, pas d’ambiance délurée à la Baz Luhrmann mais des teintes plus proches du réel et un goût certain pour les détails architecturaux.

Ange Leca entraînera le lecteur dans les bas-fonds parisiens pour une enquête romanesque et sordide à la fois.

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Ceux qui n’existaient plus #1: Projet Anastasis_

Premier tome de 72 pages d’une série écrite par Philippe Pelaez et dessinée par Olivier Mangin. Parution aux éditions Grand Angle le 01/03/2023.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

Crise d’identité(s)

Comme vous le savez, mémoire et identité personnelle sont deux notions intimement liées, si bien que l’une conditionne l’autre de façon quasi sine qua none. Natacha va vite l’apprendre à ses dépens. Admise, en même temps qu’une vingtaine d’autres personnes, dans un douteux centre de recherche russe, la jeune femme espère y trouver la paix de l’esprit, aidée par le programme expérimental nommé Anastasis_.

Hantée par un lourd traumatisme, Natacha souhaite aller de l’avant, et elle est prête pour cela à endurer toutes les expériences proposées par le Professeur Vetrov, qui tente quant à lui de percer à jour les secrets du cerveau humain. Cependant, après son admission au centre, Natacha et les autres pensionnaires vont vite s’apercevoir que les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent, et qu’on leur cache indubitablement des choses, à commencer par la nature réelle des expérimentations qu’on leur fait subir au prétexte de vouloir effacer leurs traumas.

L’auteur Philippe Pelaez surprend par la diversité des genres qu’il ose aborder en BD: Récits de guerre, Fantasy, Polar, Cape et Epée… rien ne semble le freiner ni le contenir. Le scénariste se lance donc dans le thriller à la Franck Thilliez, avec une protagoniste perdue dans une machination dont elle ignore les rouages.

Tous les éléments y sont, à savoir le scientifique machiavélique, les agents gouvernementaux sans scrupules, les compagnons d’infortune, et le protagoniste torturé. On trouve aussi, en terme de structure, la phase de découverte naïve, puis la phase de suspicion et la phase d’action.

L’auteur glisse dans son récit des méta-références cinématographiques, qui servent autant de foreshadowing que de fausses pistes dans lesquelles se perdre (Orange Mécanique, Vol au dessus d’un nid de coucou…). Malgré une exposition manquant un peu de fluidité, le reste de l’intrigue se déroule plus aisément, grâce à un jeu d’allers-retours et une gestion habile des révélations et autres coups de théâtre. Après le clap de fin cependant, on peut reprocher un album un peu trop sage, ou une intrigue manquant d’originalité, d’une touche particulière à laquelle Philippe Pelaez nous avait habitués sur ses précédentes productions.

Côté graphique, le style réaliste déployé par Olivier Mangin sied très bien au ton du récit, car il traduit l’ambiance froide et hostile du projet Anastasis_ tout autant que les émotions des différents personnages.

En conclusion, Ceux qui n’existaient plus offre tous les points forts du thriller, mais manque du petit supplément que l’on est désormais en droit d’exiger de Philippe Pelaez.

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Indians ! L’ombre noire de l’homme blanc

La BD!
BD de Tiburce Oger et collectif.
Grand Angle (2022), 92p., One-shot.

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bsic journalism Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

L’an dernier le dessinateur Tiburce Oger (Gorn, Ghost kid) passait de l’autre côté de la page en réunissant la fine fleur des dessinateurs de BD pour une anthologie historique sur la Conquête de l’Ouest. Orienté sur les figures de pionniers, Go west young man fut une très belle réussite qui a attiré pas moins de cinquante-mille lecteurs. Beau résultat mérité pour une recette jamais évidente en format très court.

INDIANS (Tiburce Oger / Collectif) - Bamboo - SanctuaryOger remet donc le couvert cette année (avant un troisième volume l’an prochain) avec une moitié de récidivistes et autant de nouveaux, dont de sacrées pointures, qui font de ce second tome axé sur les amérindiens un album encore plus impressionnant graphiquement. Tiburce Oger écrivant l’ensemble des histoires, la réalisation est paradoxalement courte puisqu’il a fallu six mois pour concevoir l’album, certains artistes ayant eu le loisir de choisir leur scénario quand d’autres sont arrivés en dépannage du fait de l’indisponibilité de quelques pointures envisagées. Et rançon du succès il semble de plus en plus facile d’embarquer de grands noms sur ce navire de poussière et de larmes, ce qui nous allèche fort dans l’attente d’un nouveau projet.

La difficulté dans cet album comme dans le précédent c’est de suivre la chronologie (qui va de la Conquête du seizième siècle à l’aube du XX° siècle) et certaine personnages aperçus à différents âges de leur vie, voir leur descendance. Cela permet néanmoins de créer un lien entre ces séquences qui nous apprennent beaucoup de choses sur l’histoire des Etats-Unis de ces peuples martyrs amérindiens: que certains s’interrogent encore sur l’appellation de génocide concernant le destin des « peaux-rouges » nous révolte une fois que l’on a refermé ce livre qui profite de la passion encyclopédique de l’auteur pour l’Ouest.

Indians ! - BD, avis, informations, images, albums - BDTheque.comSi j’ai beaucoup aimé le précédent, j’ai eu le sentiment que les histoires étaient ici plus solides, moins tranche de vie, en s’intéressant non seulement aux évènements mais bien à la complexité de la galaxie des tribus, de leurs multitudes de langues, des mille incidences de la Conquête sur des peuples qui avaient finalement pour principal point commun d’être victimes communes de l’extermination par les blancs. Car ce qu’on retient après avoir refermé Indians c’est que les seules indiens que nous connaissons sont des tribus irrémédiablement marquées dans leur mode de vie par cette confrontation: ce peuple cavalier, nomade, l’est devenu de par l’arrivée du cheval avec les espagnols, les métissages furent précoces, complexes et déterminants pour des individus que la Destinée Manifeste avait décidé de dissoudre culturellement dans la « Civilisation » européenne. Ce qu’ils eurent été sans l’arrivée des blancs nous ne le saurons jamais.

On profite ainsi de la très grande expertise narrative des collaborateurs de Tiburce Oger qui forment une grande cohérence visuelle et une sorte de hall of fame des conteurs graphiques, dans des formats de quelques pages qui exigent la plus grande lisibilité et évocation des dessins. Tout à la fois art-book de luxe, documentaire et BD de western, Indians confirme magnifiquement le talent d’entraînement d’Oger et que l’on n’a jamais fini de trouver des choses intéressantes à raconter même dans les genres les plus éculés.

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Le Bossu de Montfaucon #2: Notre-Père

Seconde partie du diptyque de Philippe Pelaez et Eric Stalner, 57 pages, parution le 25/05/22 aux éditions Grand-Angle.

Merci aux éditions Grand-Angle pour leur confiance.

Bosse-toi de là

Dans le précédent tome, nous assistions à la quête de vengeance de Pierre d’Armagnac, enfant bâtard dont le père fut trahi par des nobles avides de pouvoir. Afin de mettre ses plans à exécution, Pierre sauve Quasimodo, un colosse difforme au cœur d’or, et se met au service de Louis d’Orléans, qui convoite le Trône de France, occupé par le jeune Charles VIII sous la régence de sa perfide sœur Anne de Beaujeu.

D’Armagnac sait se rendre indispensable. En effet, lui seul est capable de remettre la main sur deux lettres marquées du sceau royal prouvant la bâtardise du Duc d’Orléans, ce qui l’empêcherait d’accéder au Trône après avoir renversé Charles. Or l’insurrection des Bretons fait rage et pourrait bien provoquer l’abdication du jeune monarque, à moins que la régente n’ait son mot à dire…

Philippe Pelaez ne ménage pas ses efforts et nous propose son huitième album de l’année, venant boucler le diptyque historico-romanesque que ne renieraient ni Alexandre Dumas ni Victor Hugo. Le premier tome promettait des intrigues de cour et des complots sanglants, et il faut bien avouer que ce second tome tient ses promesses. Néanmoins, le flot de l’intrigue est quelque peu perturbé par des retours en arrière, dont la survenue importune est susceptible de faire perdre le fil au lecteur.

On sent que l’auteur avait encore beaucoup d’informations à nous délivrer et que le cadre contraignant d’un 57 pages a posé problème. Néanmoins, le romanesque est là, les évènements historiques sont détaillés avec soin et l’intrigue se conclue proprement.

On pourrait toutefois déplorer une fausse note sur la fin, mais il convient de la détailler dans une partie spoiler en bas d’article.

A l’issue de sa campagne vengeresse, Pierre d’Armagnac, le héros, s’apprête à quitter la scène pour enfin vivre sa vie, libéré du poids qui pesait sur ses épaules (même s’il déclame le fameux discours-obligatoire mais résolument cliché-de « la vengeance n’arrange rien »). Il a même mis la main sur les lettres compromettantes, permettant ainsi au Duc d’Orléans d’étouffer l’affaire. Et là, alors qu’il devrait savoir qu’il n’est désormais rien de plus qu’un témoin gênant pour cet homme perfide, il se départit de sa vivacité d’esprit, de ses capacités d’analyse, enfin, d’à-peu-près tout ce qui lui a permis de survivre jusqu’ici, pour se vautrer dans les bras d’une fille clairement envoyée pour le distraire par son ennemi/commanditaire, boire un vin qui pourrait vraisemblablement être empoisonné, et, au final, provoque sa propre fin, ce qui est pour le moins frustrant.

Hormis cette fin, Le Bossu de Montfaucon est un diptyque plus qu’intéressant, bien documenté et porté par un grand souffle romanesque.

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Arsène Lupin contre Sherlock Holmes #1/2

Premier album du diptyque écrit par Jérôme Félix et dessiné par Alain Janolle, parution le 29/06/2022 aux éditions Grand Angle.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

Le (presque) gendarme et le (pas trop) voleur

On ne présente plus Arsène Lupin, création de Maurice Leblanc, monument national de littérature, ayant à son actif moult adaptations dans divers médias. Ce gentleman, redresseur de tort, est également connu pour ses talents de cambrioleur, lui qui aime s’introduire dans les demeures les plus luxueuses pour y dérober les biens les plus précieux des nantis de France et de Navarre.

Si vous connaissez le plus célèbre des voleurs français, alors vous devez également connaître le plus célèbre des détectives anglais, Sherlock Holmes de Baker Street, l’un des esprits les plus brillants de son époque, qui fit le succès de Sir Arthur Conan Doyle. figurez-vous que ces deux-là ce sont déjà croisés auparavant, mais il était grand temps de remettre des deux géants de la littérature face à face. De l’audace française ou du flegme britannique, qui l’emportera ?

Depuis des années, Sherlock Holmes traque l’insaisissable Arsène Lupin, sous ses différentes identités. En effet, alors que le gentleman cambrioleur nargue les forces de police et leur échappe grâce à son incroyable talent pour le déguisement, Holmes, lui, ne se laisse pas berner, grâce à son don pour la déduction et son esprit acéré. Sentant le sol se dérober sous ses pieds, et poussé par son amour pour Raymonde, Arsène prend la décision de raccrocher, et s’apprête à prendre sa retraite, échappant ainsi à ses poursuivants.

Mais Sherlock ne l’entend pas de cette oreille. Incapable d’envisager la défaite face à Arsène, le détective lâche la rampe et prend sa mère adoptive en otage. Il en résulte une confrontation violente durant laquelle Holmes laisse exploser sa rage, et tue accidentellement Raymonde alors que c’est le cambrioleur qu’il visait. Des années plus tard, alors que plus personne n’entend parler de Sherlock Holmes, Arsène Lupin, lui, continue de faire des étincelles. N’ayant plus aucune raison de sortir du crime, Arsène s’est replongé dans ses mesquineries, commettant des vols toujours plus audacieux, sans personne pour l’arrêter. Alors qu’il se rend à Rouen, Arsène découvre qu’un vieil alchimiste aurait, juste avant sa mort, percé à jour le secret de la transmutation du plomb en or. Il n’en faut pas davantage à notre cambrioleur pour faire ressortir son côté gentleman et à se mettre en chasse. Mais Sherlock risque bien de ressortir du bois, pour finir ce qu’il avait commencé, à savoir mettre un terme définitif à la carrière de Lupin.

En entamant la lecture de cet album, alléché par la perspective d’un duel au sommet entre deux personnages connus pour leur roublardise et leur esprit vif, j’ai été quelque peu étonné par le parti-pris affiché, de faire de Sherlock Holmes l’antagoniste revanchard. Cette image est en effet à contre-courant du rôle habituellement attribué à Holmes, dont l’intelligence et la froide analyse engendrent souvent un détachement émotionnel.

Le voir donc aux abois, prenant en otage une vieille dame innocente pour atteindre son adversaire en vociférant, a quelque chose de déroutant. Une fois passé cet élément de caractérisation surprenant, on est pas au bout de nos surprises, puisqu’après la fameuse ellipse de quatre ans, on a de nouveau droit à des choix hasardeux de caractérisation. Je m’explique.

Page 11, Arsène s’introduit dans une demeure, expliquant qu’il est venu chercher un bien spécifique, en l’espèce un tableau de Velasquez, et assène à son fidèle acolyte « c’est mon métier de savoir ». Cette phrase, prononcée sur un ton péremptoire, est supposée nous indiquer qu’Arsène est un professionnel du cambriolage, qu’il est bien informé et qu’il ne laisse vraisemblablement rien au hasard.

Puis, sur la même page, Arsène semble surpris de constater que le tableau est un faux. Cette révélation vient annihiler l’image du cambrioleur virtuose qui maîtrise tout, puisque si c’est « son métier de savoir », comment pouvait-il ignorer qu’il lorgnait sur un tableau contrefait ?

L’exemple ne s’arrête pas là, puisqu’à la page suivante, la page 12, Arsène poursuit son exploration de la maison et décide, qu’en lot de consolation, il volera l’argenterie et les bijoux…avant de se raviser après être tombé sur une médaille militaire qui prouve que le propriétaire des lieux est un héros de guerre, ce qui lui fait changer d’avis. Là encore, le voleur qui est supposé détenir toutes les informations nécessaires à la bonne exécution de son forfait ignorait paradoxalement le statut de sa cible, et repart bredouille !

Ce genre d’éléments peut paraître anecdotique au premier abord, mais il relève malheureusement d’une erreur d’écriture qui peut, si elle se répète, nuire à la qualité de l’ensemble. Je sais toutefois que l’auteur souhaitait avant tout montrer que Lupin vole selon un code moral strict auquel il ne déroge pas, ce qui le met en opposition directe avec Holmes, qui, bien qu’il soit situé du bon côté de la loi, n’hésite pas à commettre des actes répréhensibles pour atteindre son objectif. Mais cette dichotomie pouvait être montrée autrement, sans prendre le risque de se contredire sur la caractérisation et la cohérence des personnages.

Le reste de l’album se déroule néanmoins sans encombres, et se concentre sur la dynamique familiale autour du fameux alchimiste, ainsi que sur la mascarade employée par Lupin pour parvenir à ses fins. On s’amuse d’ailleurs en même temps que lui de la crédulité du « meilleur limier de France », et l’on attend avec impatience le retour de Sherlock, qui ne semble pas avoir complètement lâché la rampe.

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Bagnard de guerre

Second volume de la série écrite par Philippe Pelaez et dessinée par Francis Porcel. Parution chez Grand Angle le 30/03/2022.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

Des tranchées au coupe-gorge

Ce début d’année marque le passage en force de Philippe Pelaez, car après Pinard de guerre et plus récemment Le Bossu de Montfaucon, nous le retrouvons aux commandes de Bagnard de guerre, où il préside à la destinée de Ferdinand Tirancourt, le protagoniste de Pinard.

Après avoir fait profit en temps de guerre en vendant du vin au poilus prisonniers des tranchées, Ferdinand finit par payer son arrogance et se retrouve, par une série de péripéties, obligé de subir lui aussi le feu allemand, les pieds embourbés dans la gadoue. C’est pourtant un acte altruiste qui le conduit à être exilé au bagne en Guyane, un enfer tropical dont peu reviennent. Encerclé par des bagnards que la rudesse des conditions de vie aura transformés en tueurs, Ferdinand devra également frayer avec les surveillants, dont certains rêvent déjà de le suriner…

Le scénariste renoue avec la veine historique qui faisait l’intérêt du premier volume, en explorant cette fois l’enfer du bagne guyanais, selon les codes du récit d’évasion. On pense d’emblée au film Papillon, inspiré du célèbre prisonnier (ou son remake de 2018), ou encore à l’Évadé d’Alcatraz, ou la Grande Évasion, qui contiennent eux aussi leur lot de tortionnaires et de prisonniers que le désespoir rend violents.

Cette échappée exotique donne un nouveau souffle à la série et évite les redites, puisque le champ des possibles s’ouvre à nouveau et permet de poursuivre l’arc narratif de rédemption de Ferdinand Tirancourt. En effet, on tient là un véritable anti-héros, que l’on adore détester dès les premières pages de Pinard, et que l’on se surprend à soutenir à la fin de l’album. Ce passage-là ne fait pas exception, sans pour autant que le protagoniste soit devenu un ange entre-temps.

D’ailleurs, il est aisé de tracer un parallèle entre les soldats du front que côtoyait le héros, et les bagnards: les deux sont des participants involontaires, envoyés contre leur gré dans un environnement hostile par une administration indifférente, voire nocive. Il y a même une sorte de continuité entre les deux volumes, au travers des personnages de Sacha (Pinard) et de David (Bagnard), qui sont deux éléments incongrus qui n’ont rien à faire sur le front ou au bagne et qui y auront pourtant une influence positive sur le héros, constituant ainsi pour lui une sorte de boussole morale.

Comme vous le voyez, l’écriture de Philippe Pelaez conserve sa grande qualité, et Francis Porcel ne démérite pas sur le plan graphique, grâce à des décors immersifs et des personnages charismatiques.

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Le Journal, les premiers mots d’une nation

Histoire complète en 56 pages écrite par Patrice Ordas et dessinée par Philippe Tarral.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

Origines du quatrième pouvoir

En 1781, le jeune Nathan Prius combat les anglais lors de la guerre d’indépendance. Étant l’un des seuls soldats de sa compagnie capable de lire et écrire, il se voit confier la tâche de tenir le journal de bord pour le compte du général La Fayette. Et ça tombe bien, car Nathan a des ambitions journalistiques. En effet, Nathan, au civil, travaille pour Georges Ellis, le propriétaire du Richmond News, journal renommé en Virginie.

Cependant, Ellis est un homme intéressé, vil, et corrompu, qui exploite le talent de Nathan sans le rétribuer à sa juste valeur. Profitant du succès de ses articles, Ellis entend bien s’enrichir sur le dos du jeune soldat journaliste sans se soucier de son devenir. Mais de retour du front, Prius réclame la reconnaissance qui lui est due, ce qui fait naître entre les deux hommes une rivalité qui s’envenimera au fil des ans, l’un tentant de fonder son propre journal tandis que l’autre n’aura de cesse de torpiller ses efforts.

Le sujet de Le Journal arbore une juste résonance avec des thématiques actuelles. Alors que le partage et la fiabilité de l’information sont sans cesse remis en question, ce qui a ébranlé les fondations de certaines démocraties, il était de bon ton de se plonger dans le passé du contre-pouvoir le plus important, à savoir la presse. La réalité étant souvent plus épique encore que la fiction, cela aurait pu donner une chronique captivante sur les coulisses des grands empires éditoriaux américains.

Malheureusement, le conditionnel restera de mise pour cet album. En effet, il m’a paru difficile de ne pas m’ennuyer à la lecture de cette histoire de rivalité, sur fond de dynamique persécuteur/persécuté. Ce genre de ressort scénaristique n’est pas mauvais en soi, bien au contraire, il se trouve que nous avons tous une sympathie naturelle envers les outsiders. Cependant, ici, la narration décousue, à base d’ellipses régulières, et le manque de caractérisation de la majorité des personnages rendent le tout assez indigeste.

Graphiquement, rien de honteux mais un style plutôt désuet (en phase avec le thème historique me direz-vous), qui finit d’opacifier le tout. En résumé, Le Journal tape un peu à côté, ce qui est bien dommage compte tenu du sujet abordé et de son lien avec l’actualité.

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Le Bossu de Montfaucon

Premier tome de 56 pages de la série écrite par Philippe Pelaez et dessinée par Eric Stalner. Parution le 23/02/22 aux éditions Grand Angle.

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Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance!

Ça bosse dur

Fin du XVe siècle, le royaume de France est en proie au déchirement et aux querelles de pouvoir. Suite au trépas de Louis XI, c’est son fils, Charles VIII, qui hérite de la couronne. Mais son jeune âge l’empêche de régner, aussi, c’est à sa sœur Anne de Baujeu, que l’on confie la régence du royaume, jusqu’à la majorité du nouveau roi. Tout comme son père, Anne de Baujeu est retorse, perfide, et adepte des manoeuvres les plus fourbes. Sa régence n’augure donc rien de bon pour la France.

Toutefois, Louis II d’Orléans, prince de sang et second prétendant au trône après Charles, n’entend pas rester sur la touche. Exilé, il se réfugie en Bretagne, d’où il prépare son plan ambitieux pour monter enfin sur le trône. Ce que Louis ignore encore, c’est que ses rêves de conquête du trône en toute légitimité vont être broyés, tués dans l’oeuf par sa rivale Anne. En effet, Louis d’Orléans reçoit la visite impromptue d’un homme, Pierre d’Armagnac, dit le Bâtard, qui dit avoir connaissance d’un document prouvant que Louis ne peut légitimement prétendre au trône.

Quand t’as pas d’amis, prends un mâchicoulis.

Fait notable, Pierre est accompagné par un bossu, dont la difformité dissimule un cœur d’or, et que l’on a déjà vu arpenter les anfractuosités de Notre-Dame-de-Paris, un certain…Quasimodo.

Pierre et Quasimodo vont donc se lancer à la recherche du fameux document, mais vont devoir pour cela devancer Axel Lochlain, redoutable assassin à la solde des Beaujeu. Quelles sont les motivations réelles du Bâtard ? Et l’ambitieux Louis d’Orléans vaut-il la peine pour nos héros de risquer ainsi leurs vies ?

Big Bosse

Après le très bon Pinard de Guerre, nous retrouvons Philippe Pelaez aux commandes d’un récit de cape et d’épées sur fond historique, qui s’amuse à reprendre la fin de Notre Dame de Paris de Victor Hugo. Si le roman unit tragiquement Quasimodo et Esméralda dans la mort, ici, Pierre retrouve le bossu endeuillé juste avant qu’il n’expire aux côtés de sa bien-aimée, et le recueille ainsi pour tirer avantage de sa force prodigieuse.

La suite n’a cependant pas grand chose de romanesque puisque l’intrigue reprend les événements historiques de la Guerre folle. Le travail de documentation est donc palpable et profite même de l’excellente écriture de Philippe Pelaez, qui livre une fois de plus une prose maîtrisée. S’il faut du temps pour appréhender les nombreux personnages et leurs rôles respectifs, on apprécie toutefois rapidement les méandres de l’intrigue politique qui n’a rien à envier à GOT. Comme quoi, la réalité a souvent ce qu’il faut pour dépasser la fiction, surtout si l’on y ajoute de la fiction !

Pour le moment, il est difficile de juger de l’impact de l’emprunt à Victor Hugo, pour une série qui aurait très bien pu se contenter de coller à la vérité historique. Mais gageons que la plus-value de Quasimodo se fera sentir dès le second tome.