
Histoire complète en 72 pages, coécrite par Tom Graffin et Jérôme Ropert, dessinée par Victor Lepointe. Parution chez Grand Angle le 01/03/23.


Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.
Seine de crime(s)
Paris, en 1910, vous auriez dû voir ça ! En pleine crue, la Seine déversa des milliers de mètres cubes d’eau dans les rues de la capitale. Les pieds mouillés, les citadins n’ont eu d’autre choix que de s’adapter, en circulant en barque ou sur des pontons improvisés.

Pour couronner le tout, la crue historique fit remonter tous les rats qui prospéraient dans les égouts et les canivaux, attirés par les ordures et les immondices flottant au grès des courants. Ange Leca, quant à lui, mène sa vie dissolue sans trop se soucier du niveau des eaux. Ce qui lui importe, c’est surtout le niveau d’alcool dans son verre. Ce reporter à la manque noie ses démons dans l’absinthe, et s’oublie dans les bras d’Emma, sa maîtresse. Le seul hic, c’est qu’Emma est l’épouse d’Alfred, propriétaire du journal dans lequel Ange publie ses articles.
Prisonnier de ses addictions, exilé de sa Corse natale, empêtré dans une relation sans avenir, Ange est embourbé dans une stagnation mortifère dont il ne sortira rien de bon. Sa routine éthylique est cependant bousculée lorsqu’un cadavre démembré et mutilé est retrouvé dans les rues inondées, sans doute refoulé par la crue. Il s’agit d’un tronc de femme, dont les bras, les jambes, la tête et les seins ont été coupés, impossible à identifier. Leca va se lancer avec zèle dans une enquête qui va virer à l’obsession. Les sens embrumés par les vapeurs d’absinthe, ce qu’il trouvera va remettre en question ce qu’il pensait savoir de l’amour et de la vie parisienne.
Enquête dans le Paris des années folles, cela aurait pu avoir un air de déjà-vu, il faut bien l’admettre. Cependant, l’idée des scénaristes, de situer l’enquête durant une crue historique, permet à la fois d’ancrer le récit dans une réalité palpable et de lui donner un cadre original.

En cherchant bien, on pourrait voir Ange Leca comme une version trash de Tintin: un reporter intrépide accompagné de son fidèle chien. Alors que Tintin combat des trafiquants d’opium (les Cigares du Pharaon), Ange Leca est un ancien opiomane; la chasteté légendaire du fils d’Hergé pâlit face à la concupiscence d’Ange dans les bras d’Emma, tandis que les aventures pittoresques ont cédé la place à des meurtres sordides.
La partie relative à l’enquête est très bien documentée par les auteurs, qui s’appuient sur les balbutiements de la criminologie de l’époque pour orienter les opinions de leurs enquêteurs, dont certains ne sont pas fictifs. L’album se conclut par un dossier bref et plutôt dense sur le contexte historique, qui nous éclaire adéquatement sur la typologie du crime du début XXe.
Le dessin, assuré par Victor Lepointe, permet de poser l’ambiance, et de faire revivre l’époque en lui apportant des couleurs qui tranchent avec l’idée finalement assez commune de la Belle Epoque, colorée et foisonnante. Ici, pas d’ambiance délurée à la Baz Luhrmann mais des teintes plus proches du réel et un goût certain pour les détails architecturaux.
Ange Leca entraînera le lecteur dans les bas-fonds parisiens pour une enquête romanesque et sordide à la fois.