BD de Pat Perna et Jean-Baptiste Hostache..
Les Arènes (2022), 224 p. One shot.
Pays-Basque, années soixante-dix. Une jeune femme pourchassée par les assassins de la Mother Company vient chercher l’aide de Nicholaï Hel, assassin imparable et maître de Go. En passant sa porte elle ramène à celui qui avait réussi à se faire oublier toute l’âme noire de l’Amérique de l’après-guerre. Un conflit stratégique, moral et personnel…
Adepte des récits historiques sur les personnages sombres Pat Perna ne choisit pas la facilité en adaptant l’inclassable roman Shibumi qui raconte autant l’action malfaisante et immorale des Etats-Unis de la Guerre Froide que l’itinéraire spirituel d’un assassin mystique. Adaptant visiblement avec fidélité l’ouvrage, le scénariste prend le risque de ne pas compenser le refus de l’action qui semble émaner de la source.
S’ouvrant comme une tonitruante histoire d’espionnage dystopique avec une scène introductive de massacre à l’aéroport de Rome, Shibumi nous présente immédiatement le contexte et l’adversaire: une tentaculaire World company avant l’heure qui synthétise tout le conspirationnisme issu des actions de la CIA pendant la Guerre Froide et l’essence capitaliste de la nation dont les intérêts économiques priment sur tout autre. Organisme tout puissant, la Mother company va jusqu’à contrer l’alliance idéologique historique des Etats-Unis avec Israël en acceptant d’éliminer le commando Kidon chargé par l’Etat juif de venger les victimes de Munich, afin de conserver les conditions pétrolières favorable de la part des Etats arabes. Sous le trait hyper-dynamique de Jean-Baptiste Hostache (que je découvre dans un style qui rappelle furieusement le Blain de Quai d’Orsay), l’album est découpé en trois parties à l’intérêt inégal mais aux planches toujours cinématographiques et élégantes.
La frustration vient d’une volonté d’intime qui coupe l’action et l’épique chaque fois qu’ils doivent survenir, proposant ainsi un surprenant ton à l’humour très efficace dans un habillage de James Bond. Beaucoup d’attendus seront alors déçus une fois le premier chapitre passé: la critique des barbouseries américaines ou la terrible vengeance du héros invincible laisseront ainsi la place à une séance de spéléologie ou à une soirée décalée dans le château de Hel. Déstabilisant mais pas ennuyeux pour autant, Shibumi se veut comme son personnage: iconoclaste, zen et décalé.
Très bien écrit et porté par des dessins qui font beaucoup au plaisir de lecture et donnent furieusement envie de découvrir les travaux précédents de Hostache, l’album ne donnera en revanche pas forcément envie de lire le roman dont il est issu malgré le très visible « adapté de… » en couverture, hormis pour les curieux. Des difficultés des adaptations qui posent toujours la question du degré de fidélité nécessaire. Shibumi au format BD reste cependant un intéressante surprise qui vous sortira des sentiers battus.