Manga·Service Presse·Nouveau !·Rapidos·East & West·****

Fool night #4

Manga de Kasumi Yasuda
Glénat (2022), série en cours, 4/6 tomes parus

bsic journalismMerci aux éditions Glénat pour leur fidélité.

Attention spoilers!

Plein de mangaka ont publié de grandes séries sur leurs débuts, aussi il n’est pas totalement incongru de voir Yasuda construire un projet d’une grande ambition et d’une maîtrise très assurée pour sa première œuvre. Sans revenir sur les excellents dessins, à cheval entre le manga et la franco-belge (ou plutôt le style italien) et qui installent une atsmosphère de polar redoutable dans les ombres et lumières, ce tome marque une forme de pause permettant le développement après la grande violence et l’action du précédent.

Le meurtrier disparu, l’équipe de l’Institut de transfloraison semble éliminer ses querelles pour affronter les conséquences des évènements: mis au pas par les forces de police, ils vont devoir enquêter pour comprendre qui était cet enfant devenu sanctiflore animé, ce qui va les amener à explorer l’univers des transflorés qui restait en coulisses jusqu’ici. Étirant un peu les relations entre Toshiro et Yomiko, l’auteur installe une situation insurrectionnelle alors que les anti-transfloraison multiplient les manifestations et agressions contre les tenants du système. Pas vraiment d’intrigue politique mais une tension qui élargit la focale qui restait jusqu’ici un peu interne au héros et à l’Institut. Et c’est une excellente chose qui donne une respiration en nous faisant voir du pays et de nouveaux protagonistes en généralisant des problématiques plus complexes que ce que l’Etat veut bien montrer.

Franchement novateur, ce manga s’installe comme une valeur sure de SF sociale tirant sur le polar. Kasumi Yasuda semble avoir énormément de choses à dire et à montrer dans sa besace et il est fort probable que l’on ne soit qu’au début d’une grande saga tant les potentialités ouvertes par son hypothèse sont grandes. Une des séries majeures à suivre actuellement, mon petit doigt me dit que cette série restera marquante…

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****·BD·Nouveau !·Service Presse

13 heures 17 dans la vie de Jonathan Lassiter

Récit complet en 104 pages écrit et dessiné par Eric Stalner. Parution aux éditions Grand Angle le 31 mai 2023.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

La Loi de Meurs, Phi.

Jonathan Lassiter est un jeune homme introverti, sage, et pour tout dire, un peu ennuyeux. Il tente tant bien que mal de se faire une place dans le cabinet d’assurance où il vient d’être embauché, afin d’offrir à sa belle Helen la sécurité matérielle qu’elle exige.

Pour cela, Jonathan est prêt à supporter les clients insupportables, un patron tyrannique ainsi que les incessantes brimades de ses collègues. Seulement voilà: le chaos surgit toujours de façon imprévisible, malgré les efforts que l’on peut faire pour l’endiguer.

En l’espace d’un heure, Jonathan va perdre son job, être plaqué par sa fiancée, et se retrouver avec une plainte pour coups et blessures sur le dos après avoir rendu la monnaie de sa pièce à son insupportable collègue de bureau. Ces pertes successives ne vont pas s’arrêter là, car lorsque notre pauvre hère prend le chemin du bar le plus proche pour noyer son chagrin, il s’aperçoit bien vite, au moment de régler la note, qu’un pickpocket l’a dépouillé de son portefeuille.

Le jeune homme récemment célibataire va être sorti de la panade par Edward, un quincagénaire cynique et nihiliste, qui tient le comptoir en débitant ses diatribes sur l’insanité de la vie. Edward paie la note de Jonathan, mais il a un service à lui demander en retour: le raccompagner chez lui dans sa cadillac rouge. Se sentant redevable, Jonathan accepte, sans savoir que les prochaines 13 heures et 17 minutes vont représenter un pivot décisif dans son existence…

Nous avions déjà croisé Eric Stalner sur Le Bossu de Montfaucon, où il officiait en tant que dessinateur. Il règne ici en tant qu’artiste complet, et nous embarque, en même temps que son ingénu protagoniste, dans une folle équipée centrée sur les rencontres improbables.

L’histoire est menée par un duo atypique de héros, qui sont bien évidemment opposés en tous points. Cette dynamique de buddy cop movie se marie bien avec l’aspect road trip, puisque chaque étape de ce voyage initiatique sera l’occasion pour nos deux compères de tisser des liens et de mettre en lumière leurs oppositions et leurs point communs inattendus.

L’auteur semble s’amuser réellement avec l’ambiance sixties américaine, notamment en jouant avec une bichromie subtile et un trait semi-réaliste. Le récit s’enchaîne d’une traite et nous tient en haleine jusqu’à sa résolution, les enjeux étant finalement aussi élevés pour Jonathan qu’ils ne le sont pour Edward.

Ces 13 heures 17 minutes dans la vie de Jonathan Lassiter sont une bonne surprise, dans laquelle Eric Stalner peut montrer l’étendue de son expérience et de sa maîtrise de la narration visuelle.

*****·BD

Le Labeur du diable #1

Première partie du récit imaginé par Fathi Beddiar et dessiné par Babbyan et Geanes Holland. Parution le 21/09/22 aux éditions Glénat, avec la mention « Pour public averti« .

From Nobody to Nightmare

Webster Fehler n’en mène pas large dans la vie. Petit juriste sans envergure, plus tâcheron que ténor du barreau, il subit des avalanches de brimades et d’insultes à longueur de journée. Seul, écrasé par la vacuité de son existence, Webster se laisse porter par le mouvement et a abandonné tout espoir de mener une vie satisfaisante. La ville tentaculaire de Los Angeles n’arrange rien à ses tourments, et ne fait même que nourrir ses frustrations et ses pulsions morbides.

Cependant, le destin va offrir à Webster une occasion impromptue d’exister, sous la forme d’une sacoche trouvée sous un sordide tunnel, où il s’aventurait à la recherche d’une prostituée. Dans cette sacoche, se trouve un appel du destin, sous la forme d’une arme chargée, d’un couteau, de quelques liasses de billets et surtout, d’un badge de policier. Cette découverte va faire émerger une part sombre, très sombre de Webster, qui de quadragénaire frustré va se transformer progressivement en prédateur, et s’extirper avec violence de sa chrysalide de passivité.

L’émancipation de Webster va coûter cher à beaucoup de monde, la faune qui prospère dans la fange de Los Angeles n’a qu’à bien se tenir.

Le Labeur du Diable n’est pas là pour donner des leçons de morale, mais plutôt des généreuses mandales dans la tronche. Adoptant une ambiance noire dans une L.A corrompue et puante, l’auteur Fathi Beddiar nous emmène dans les tréfonds d’une entité froide et déshumanisante, dans laquelle le seul moyen de retrouver son humanité est de s’adonner aux instincts les plus vils.

En décrivant ainsi la trajectoire d’une personne insignifiante qui se transforme en cauchemar ambulant, le scénariste nous livre sans concession sa vision du genre humain, une vision pessimiste, d’autant plus dépriamnte qu’elle est cohérente. En effet, le monde réel nous montre tous les jours qu’un quidam respectueux des règles n’est qu’un prédateur qui s’ignore, où qui n’a pas encore trouvé les ressources nécessaires à la satisfaction de ses bas instincts. Sitôt ces ressources à portée de main, l’individu docile se rebiffera, et le plus souvent, fera payer au monde ses tourments antérieurs.

Les exemples en fiction sont légion: Joker, Chronicle, Breaking Bad ou encore Chute Libre, mettent également en scène un personage faible et lâche, qui va se métamorphoser en prédateur revanchard d’une société qui l’a bafoué. Ce type de récit a une valeur ajoutée amivalente, car il joue dans un premier temps sur la sympathie naturelle que le lecteur/spectateur ressentira pour les outsiders. Qui n’a pas déjà encouragé un personnage maltraité de prendre sa revanche contre ses oppresseurs ? Mieux encore, qui n’a pas déjà projeté dans ce type de personnage ses propres échecs ou son propre sentiment d’injustice ? C’est là que les auteurs subvertissent cet empathie envers les victimes, et Fathi Beddiar ne fait aucunement exception ici, en la transformant radicalement, jusqu’à la faire basculer à l’opposé du spectre moral. Vient alors chez le lecteur/spectateur un sentiment étrange, la culpabilité d’avoir soutenu cette victime devenue bourreau.

La culpabilité vient peut-être aussi du fait que l’on peut confortablement projeter son propre désir de revanche dans ce personnage, qui se défait de ses oripeaux de moralité pour se complaire dans la revanche. L’autre atout du Labeur du Diable, c’est aussi le contraste entre l’hyper-réalisme de la violence et de la décadence, et le doute quant à la nature réelle des pulsions violentes de Webster: à la fois surnaturelle et terre-à-terre, c’est sans doute ainsi que se décrit le mieux la corruption des hommes.

Le Labeur du Diable est une oeuvre coup de poing, très cinématique dans son traitement (le scénario était initialement destiné au cinéma, comme l’explique l’auteur dans le dossier très complet qui boucle l’album), un coup de coeur à ne pas mettre entre toutes les mains !

***·BD·Nouveau !·Service Presse

Ange Leca

Histoire complète en 72 pages, coécrite par Tom Graffin et Jérôme Ropert, dessinée par Victor Lepointe. Parution chez Grand Angle le 01/03/23.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

Seine de crime(s)

Paris, en 1910, vous auriez dû voir ça ! En pleine crue, la Seine déversa des milliers de mètres cubes d’eau dans les rues de la capitale. Les pieds mouillés, les citadins n’ont eu d’autre choix que de s’adapter, en circulant en barque ou sur des pontons improvisés.

Pour couronner le tout, la crue historique fit remonter tous les rats qui prospéraient dans les égouts et les canivaux, attirés par les ordures et les immondices flottant au grès des courants. Ange Leca, quant à lui, mène sa vie dissolue sans trop se soucier du niveau des eaux. Ce qui lui importe, c’est surtout le niveau d’alcool dans son verre. Ce reporter à la manque noie ses démons dans l’absinthe, et s’oublie dans les bras d’Emma, sa maîtresse. Le seul hic, c’est qu’Emma est l’épouse d’Alfred, propriétaire du journal dans lequel Ange publie ses articles.

Prisonnier de ses addictions, exilé de sa Corse natale, empêtré dans une relation sans avenir, Ange est embourbé dans une stagnation mortifère dont il ne sortira rien de bon. Sa routine éthylique est cependant bousculée lorsqu’un cadavre démembré et mutilé est retrouvé dans les rues inondées, sans doute refoulé par la crue. Il s’agit d’un tronc de femme, dont les bras, les jambes, la tête et les seins ont été coupés, impossible à identifier. Leca va se lancer avec zèle dans une enquête qui va virer à l’obsession. Les sens embrumés par les vapeurs d’absinthe, ce qu’il trouvera va remettre en question ce qu’il pensait savoir de l’amour et de la vie parisienne.

Enquête dans le Paris des années folles, cela aurait pu avoir un air de déjà-vu, il faut bien l’admettre. Cependant, l’idée des scénaristes, de situer l’enquête durant une crue historique, permet à la fois d’ancrer le récit dans une réalité palpable et de lui donner un cadre original.

En cherchant bien, on pourrait voir Ange Leca comme une version trash de Tintin: un reporter intrépide accompagné de son fidèle chien. Alors que Tintin combat des trafiquants d’opium (les Cigares du Pharaon), Ange Leca est un ancien opiomane; la chasteté légendaire du fils d’Hergé pâlit face à la concupiscence d’Ange dans les bras d’Emma, tandis que les aventures pittoresques ont cédé la place à des meurtres sordides.

La partie relative à l’enquête est très bien documentée par les auteurs, qui s’appuient sur les balbutiements de la criminologie de l’époque pour orienter les opinions de leurs enquêteurs, dont certains ne sont pas fictifs. L’album se conclut par un dossier bref et plutôt dense sur le contexte historique, qui nous éclaire adéquatement sur la typologie du crime du début XXe.

Le dessin, assuré par Victor Lepointe, permet de poser l’ambiance, et de faire revivre l’époque en lui apportant des couleurs qui tranchent avec l’idée finalement assez commune de la Belle Epoque, colorée et foisonnante. Ici, pas d’ambiance délurée à la Baz Luhrmann mais des teintes plus proches du réel et un goût certain pour les détails architecturaux.

Ange Leca entraînera le lecteur dans les bas-fonds parisiens pour une enquête romanesque et sordide à la fois.

***·Comics·East & West·Nouveau !·Service Presse

Newburn #1: Ils savent qui je suis

Premier tome de 168 pages, contenant les 8 premiers chapitres de la série écrite par Chip Zdarsky et dessinée par Jacob Phillips. Parution le 24/02/23 chez Urban Comics, collection Indies.

Le crime, c’est mal. Et quand il est organisé, c’est encore pire. Des organisations tentaculaires, menées de main de fer par une perfide hiérarchie et un sens implacable des affaires, mènent la vie dure à la police, qui peine à résoudre les différentes affaires en lien avec ces familles mafieuses.

Le crime étant ce qu’il est, les différents clans mafieux sont eux aussi prêts à se sauter à la gorge, poussés soit par l’avidité, soit par une volonté de venger les affronts commis par leurs rivaux. Ce dernier point est la raison d’être d’Easton Newburn. Ancien flic devenu détective privé, Newburn est employé par le conglomérat des mafias pour résoudre les crimes qui les impliquent. Un bandit exécuté dans une chambre d’hôtel, un parrain assassiné chez lui, voilà le genre de cas qui intéresse Newburn.

Ce poste lui offre une certaine immunité, puisque son action permet d’apaiser les tensions et de maintenir l’équilibre entre les familles. Même la police a conscience des enjeux, aussi le laisse-t-elle, avec réticence néanmoins, accéder sans entrave aux scènes de crime et aux conclusions scientifiques.

Newburn bénéficie d’une aura et d’une réputation qui lui permettent de naviguer dans ce monde extrêmement dangereux, mais rares sont ceux qui semblent connaître la vérité sur cet énigmatique personnage, son passé et ses véritables intentions.

Connu pour son run sur la série Daredevil, ou encore la série The Wicked + The Divine, ou encore Sex Criminals (en tant que dessinateur) Chip Zdarsky décide de refaire une plongée dans le monde du polar pour cette nouvelle série en creator-owned (un système de publication aux US grâce auquel les auteurs gardent 100% des droits de leurs œuvres, contrairement à ce qui se fait chez les gros éditeurs-Marvel et DC en tête-qui dépossèdent systématiquement les auteurs).

Ambiguïté morale, crimes sanglants, personnages torturés, tous les ingrédients du polar sont là, jusqu’au protagoniste quelque peu cliché du détective privé ancien flic. Néanmoins, l’auteur apporte une touche d’originalité en faisant de son héros une sorte d’arbitre entre les mafias, un rôle à la fois avantageux et très dangereux. Les enquêtes en elles-mêmes ne sont pas hyper-compliquées et rapidement résolues, et montrent un Newburn presque toujours en maîtrise de son univers. Pour augmenter les enchères lors du second tome, il conviendra de renverser la vapeur, et montrer comment notre héros imperturbable réagit lorsque le sol se dérobe sous ses pieds.

Du reste, la galerie de personnages et leurs interactions sont crédibles au fil des huit chapitres, qui sont construits comme une série policière, chaque numéro étant une enquête distincte avec un fil rouge qui se dessine peu à peu. Le tout rappelle quand même fortement les grandes heures d’Ed Brubaker.

En conclusion, Newburn réussit l’exercice délicat du début de série (du pilote, pour filer la métaphore) et, malgré une exécution plutôt classique, nous donne envie d’en savoir davantage.

*****·Comics·East & West·Rétro

Batman: Amère victoire

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Comic de Jeff Loeb et Tim Sale
Urban (2012) – DC (2000), 392p., série terminée.

L’édition chroniquée est la première version reliée chez Urban, après les quatre volumes SEMIC souples parus en 2002 juste après l’édition originale. Une version n&b « anniversaire 75 ans » est sortie en 2014 toujours chez Urban. Il s’agit de la suite directe de Un long Halloween, mythique album et Prix Eisner du meilleur album. L’édition comprend une préface de Tim Sale (malheureusement disparu l’an dernier…), un résumé du volume précédent, deux pages de croquis et l’épisode bonus « Un chevalier servant« . Édition correcte qui mérite surtout pour la qualité de fabrication des éditions Urban et l’histoire elle-même.

Il y a un an (lors des évènements relatés dans Un long Halloween) le tueur se faisant appeler Holliday a terrorisé Gotham. Lors de l’enquête le procureur Harvey Dent, défiguré par de l’acide, est devenu Double-face, un psychopathe schizophrène. Alors que Batman et le commissaire Gordon n’ont pas fait le deuil de leur amitié avec Dent, des crimes reprennent, ciblant cette fois la police de Gotham. Holliday est-il de retour?

image-10Batman - Amère victoire (Dark Victory) - BD, avis, informations, images,  albums - BDTheque.comQue vous découvriez les BD de Batman ou soyez novice en comics de super-héros, vous tenez une pépite. Lorsque j’ai commencé à lire du  Batman j’ai recherché les albums les plus faciles d’accès parmi les plus cités, la difficulté étant la subjectivité des fans pas toujours lucides sur l’accessibilité de leurs monuments. Et je peux vous dire que le diptyque de Loeb et Sale est un véritable miracle tant graphique que dans l’écriture, qui condense la substantifique moelle de l’univers gothique de Batman, de l’origin story fluide, en proposant le même plaisir à des nouveaux venus, aux spécialistes et aux amateurs d’indé. La seule réserve sera peut-être pour de jeunes lecteurs biberonnés aux dessins très techniques d’un Jorge Jimenez ou de Capullo, qui pourront tiquer sur l’ambiance rétro.

Amère victoire reprend les mêmes qualités que le volume précédent en les simplifiant dans une épure encore plus accessible. Sous la forme d’une enquête autour d’un serial killer qui reprend le même schéma narratif que les meurtres aux fêtes nationales du Long Halloween (ici concentrés sur des membres véreux du GCPD), les auteurs continuent subtilement d’introduire le personnage de Robin sur la fin de la série, en Batman (tome 1) - (Tim Sale / Jeph Loeb) - Super Héros [BDNET.COM]parallèle évident avec le deuil du jeune Bruce Wayne. Si le monde mafieux est toujours très présent (le récent film The Batman reprend à la fois la famille Falcone et le lien de Catwoman avec ces criminels), le découpage se veut moins complexe en atténuant un peu le formidable jeu des séquences simultanés et amputées qui instillaient brillamment le doute sur l’identité du tueur. Ici ce sont Harvey Dent, la nouvelle procureur et même Catwoman qui sont dans le viseur du lecteur…

Beaucoup plus technique qu’il n’en a l’air, le dessin de Tim Sale est mis en valeur par le format large du volume Urban où l’on profite des grandes cases (à ce titre, la grosse pagination ne doit pas vous effrayer, l’album se lit assez rapidement du fait d’un découpage aéré et de textes favorisant les ambiances), voir de doubles pages et où les très élégants aplats de couleurs font ressortir le travail de contrastes du dessinateur (agrémenté de quelques lavis sur des flashback). Avec un montage diablement cinématographique (Loeb a scénarisé un certain nombre de séries de super-héros et produit les séries Daredevil et Defender de Netflix) on plonge dans les bas-fonds, les bureaux éclairés de lames de stores et les gargouilles des sommets de Gotham avec un plaisir permanent.

Amère Victoire – Comics BatmanProposant autant de suspens que d’action, utilisant à l’envi le freakshow d’Arkham sans en faire le centre de l’histoire, Amère victoire offre une galerie de personnages aussi archétypaux que le nécessite la mythologie Batman, avec un joyau super: Catwoman, aussi pétillante que touchante malgré son absence d’une bonne partie de l’histoire (… pour cause d’aventures à Rome narrées dans le chef d’œuvre du même duo, Catwoman à Rome, tout juste réedité). L’art de Loeb est de prêter un style oral à chaque personnage, reconnaissable et que l’on a envie de retrouver. Et finalement la résolution du coupable deviens assez secondaire dans le projet tant il y a de prétendants et une atmosphère que l’on regrette dans les récents comics Batman. On pourra d’ailleurs des liens à travers les âges en trouvant des proximités avec le récent White Knight: Harley Quinn… dont les couleurs sont réalisées par le grand Dave Stewart… qui avait officié sur Catwoman à Rome. Les grande se retrouvent!

Chef d’œuvre parmi les chef d’œuvres, bien moins cité et bien meilleur que le Dark Knight de Miller, cet Amère Victoire est un classique à avoir impérativement bien au chaud dans sa bibliothèque.

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***·Comics·East & West

November #1: La fille sur le toit

Premier volume de 124 pages de la série écrite par Matt Fraction et dessinée par Elsa Charretier, avec Matt Hollingsworth aux couleurs. Parution le 01/06/2022 aux éditions Sarbacane.

Polar Givré

Un beau matin, alors qu’elle est occupée à gâcher sa vie, Dee est accostée par un homme à l’allure débonnaire, qui se présente comme étant un certain M. Mann.Ce dernier semble l’avoir préalablement observée et étudiée, et il a une proposition à lui faire. Contre une rémunération conséquente, Dee accepte de traduire un code secret puis d’en diffuser le résultat sur une radio à fréquence courte, et ce quotidiennement.

Bien que son quotidien ait de quoi s’améliorer, Dee ne saisit toutefois pas la balle au bond et reste vautrée dans ses vieilles addictions, jusqu’au jour où aucun code secret ne lui parvient….

De son côté, Kowalski, reléguée au centre d’appels du 911, fuit une vie de couple morose en enchaînant les heures sup’. Sa routine sera bousculée lors d’une nuit fatidique durant laquelle la ville va plonger dans le chaos. Quel rapport entre ces deux histoires ? Quels liens unissent ces deux parcours chaotiques ? Existe-t-il une conspiration pouvant donner sens à tout ça ?

Sur l’Etagère, on connaît Matt Fraction pour son travail chez Marvel (Fear Itself, Hawkeye, Iron Fist,) mais aussi en indépendant, comme Sex Criminals. Ici, l’auteur plonge dans le polar sombre et opte pour un récit choral, moyen idéal de brouiller les pistes tout en semant des indices ça et là. Comme dans tout polar qui souhaite se distinguer dans cette catégorie, le récit commence par un mystère, qui une fois détricoté mènera les personnages et les lecteurs à une conspiration qu’on devine déjà vaste et tentaculaire.

Néanmoins, il faut vous attendre à ce que le scénariste ne vous prenne pas par la main pour vous conduire jusqu’à sa conclusion. Il faudra rester attentif-ve, et parfois même revenir sur vos pages pour relire certains passages afin de reconstituer vous-même le puzzle. Certains éléments de mise en scène peuvent donc paraître opaques au premier abord, voire abscons, d’où le constat que ce premier volume est une lecture exigeante. La structure chorale renforce encore ce constat, avec plusieurs protagonistes féminines dont les destins vont se croiser de façon tragique ou inattendue.

Il faudra attendre le second tome, paru en novembre, pour pouvoir juger cette intrigue à tiroirs dans son ensemble.

***·BD·Nouveau !

Noir burlesque 2/2

La BD!
BD de Enrico Marini
Dargaud (2022), 122p., diptyque complet.

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Le premier tome sorti tout pile un an avant m’avait envouté dans son atmosphère de film noir et cette suspension introductive qui nous laissera nous demander tout le long de la lecture comment finit cette histoire d’amour impossible… Et la première qualité de ce second et dernier(?) tome est sa couverture, remarquablement harmonieuse avec le premier et qui permet de constituer une magnifique affiche côte à Noir Burlesque T. 2 : Marini avec son art et son rêve - ActuaBDcôte. Dans le monde littéraire l’objet-livre importe et on peut dire que Dargaud et Marini ont peaufiné cette très belle édition qui aurait mérité un petit cahier graphique en note d’intention de l’auteur. L’édition collector Momie proposant quelques illustrations pour cinq euros de plus ne suffit pas à combler cette (petite) frustration. Un grand projet d’auteur mérite une grande édition. Celle-ci est juste très jolie.

Après une première moitié très ambiance qui posait les personnages nous voilà embarqué pour cent pages d’action aux dialogues enlevés comme sait les faire Enrico Marini. Cela a ses avantages et ses défauts avec toujours ma même remarque sur ces césures qui ne sont pas justifiées par le scénario mais par un choix éditorial, celle de déséquilibrer l’ensemble. Les planches sont toujours aussi belles. On sent que Marini s’est particulièrement appliqué, notamment sur sa femme fatale qui donne une indication sur une possible évolution réaliste du style de l’auteur, qui fait fort envie. Le scénario bâti autour d’un rocambolesque cambriolage fait la part belle aux personnages secondaires qui permettent une stature héroïque au beau bandit et un Noir Burlesque T. 2 : Marini avec son art et son rêve - ActuaBDcomique de situation autour des truands tous plus excentriques les uns que les autres. C’est une des réserves que je pointerais sur ce volume qui brise un peu l’atmosphère avec l’humour marinesque qui faisait déjà de son Batman une semi-comédie loin de la noirceur imaginée. De même pour l’action continue qui est certes fort plaisante (et montre encore une fois l’énorme facilité technique de l’italien) mais évacue le drame… jusqu’à une conclusion en semi-happy end qui iconifie les vecteurs de l’Amérique que sont la belle voiture et le Baseball.

C’est donc là en quelque sorte une part de l’identité artistique de Marini qu’on lui connait depuis ses débuts qui peut minorer la puissance (pourtant très grande) de ce diptyque: hormis son association avec Dufaux sur les Rapaces Enrico Marini a toujours cherché le grand spectacle d’action flirtant vers la comédie avec l’ADN de Philippe de Broca. Le premier tome sentait l’envie de Noir au travers de ce montage remarquablement inspiré. Le second développe le Burlesque classique là où on attendait du New Burlesque  sulfureux de la couverture. Il n’y a pas tromperie sur la marchandise mais selon ce que l’on aime chez Marini on savourera immensément ou as usual. En attendant avec impatience son prochain projet.

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**·***·****·East & West·Manga·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Lost Lad London #1 – Clevatess #2 – Fool night #3

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Salut les mangavores! On monte en qualité sur ce billet avec trois volumes sortis récemment: une déception sur la pourtant grosse com’ de Ki-oon sur Lost Lad London, un Clevatess confirme la qualité de son ouverture et un Fool Night qui confirme sur ce dernier volume de l’année qu’il est peut-être la série de 2022…

  • Lost Lad London #1 (Shinya/Ki-oon) – 2022 (2019), 224p., volume, 1/3 tomes parus.

bsic journalismMerci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.

lost_lad_london_1_ki-oonLe maire de Londres a été assassiné dans le métro. Au mauvais endroit au mauvais moment, Al se retrouve avec le couteau du crime dans la poche et un des plus fins limiers de New Scotland Yard sur le dos. Mais le vieil inspecteur a du flair et ne sent pas de coupable dans ce jeune étudiant. Il décide de faire équipe avec ce qu’il faut bien appeler le principal suspect du meurtre…

Une fois n’est pas coutume, cette nouvelle série courts lancée par les très bons Ki-oon… m’a parue vraiment un ton en dessous de leurs habitudes. En annonçant une approche très européenne du fait du séjour de l’autrice en Angleterre l’éditeur semble justifier un dessin absolument minimaliste qui empêche selon moi de parler véritablement de BD, voir de manga. Le scénario et les personnages sont assez sympathique bien que l’on ne saisisse pas encore tout à fait l’intérêt de cet attelage entre un flic bourru dans le plâtre et un jeune adulte issu d’adoption. On lit donc l’album sans aucun soutien graphique et si l’on ne s’ennuie pas il faut avoir une vraie vibration soit pour les polar, soit pour le graphisme de l’autrice, pour trouver un intérêt de poursuivre sur la série. Pas mauvais mais manquant cruellement de quelque chose de plus, Lost Lad London est une surprise, mais pas dans le sens attendu…

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    • Clevatess #2 (Iwahara/Ki-oon) – 2022 (2020), 224p., 2/5 tomes parus.

bsic journalismMerci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.

clevatess_2_ki_oonLe premier tome de cette nouvelle série de Dark-fantasy Ki-oon avait fait l’effet d’un électrochoc! Très curieux de voir ce que pouvait donner ce switch initial qui voit la toute puissance du Démon (dans un esprit qui rappelle Le dernier des dieux) j’avais été surpris à la fois par des dessins aux encrages magnifiques et par une rudesse inhabituelle. On reprend immédiatement après le premier opus qui avait laissé l’héroïne démembrée juste revenue à la vie par le sang maléfique du démon. S’ensuit une première partie de manga très énergique alors qu’Alicia tente d’éliminer les redoutables bandits. Cela nous donnera l’occasion de découvrir la détermination, les talents guerriers de cette championne mal en point mais aussi un artefact très puissant qu’elle devra conquérir en affrontant un démon ancien tapi au fond du lac. Totalement pris par le rythme on bascule ensuite dans des considérations stratégiques moins rythmées et qui, si elles permettent de développer l’univers (avec l’émergence d’un grand méchant très réussi), font un peu retomber la hype de lecture. Alors que le manga en est déjà à son cinquième tome au Japon on patientera en se disant que le passage du second volume est souvent synonyme de ralentissement et qu’avec une telle qualités moyenne basée sur un potentiel très riche on n’est pas du tout inquiet sur l’ambition de l’auteur de bâtir une mythologie et un récit fort en personnages et disruptif.

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  • Fool night #3 (Yasuda/Glénat) – 2022 (2020), 208p., 3/5 tomes parus.

bsic journalismMerci aux éditions Glénat pour leur confiance.

fool_night_3_glenatEn assumant l’orientation Polar de la série, Katsumi Yasuda développe les différentes factions de cette société, entre la police bien décidée à éliminer le sanctiflore assassin, l’Institut de transfloraison lancé dans la récupération de ce spécimen unique grâce à une milice privée ou l’arrivée d’un nouveau venu dans ces militants anti-transfloraison… juste évoqués. Est-ce que l’auteur est en train de construire un projet au grand format en prenant le temps de poser son cadre? Toujours est-il que si le personnage de Yomiko (et le duo un peu gnan-gnan qu’elle formait avec Toshiro) est absent de ce volume pour cause d’hôpital suite à l’agression précédente, ce volume reste plein d’action et surtout de planche absolument à tomber dans son style aussi technique que minimaliste. On savoure chaque ombre et la minutie des détails pour un niveau de précision loin des canons de l’édition manga. La corolaire de cela c’est que la parution s’étire et qu’il faudra attendre le mois de mai pour connaitre la suite des aventures dramatiques de Toshiro. On serait proche du 5 Calvin si ce n’était la très surprenante arrivée du méchant qui sonne vraiment baclée, tellement que l’on revient en arrière pour s’assurer que l’on n’a pas loupé des pages. Vraiment étrange au regard de très grande maitrise générale de Yasuda depuis le début. Erreur de jeunesse sans doute qui n’obère en rien le statut de révélation de l’année manga pour ce Fool Night.

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****·BD·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Saint-Elme #3: le porteur de mauvaises nouvelles

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BD de Serge Lehman et Frederik Peeters
Delcourt (2022), 78p.,  série en cours, 3 tomes parus.

image-13Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance

Frank Sangaré est mal en point. Très. Laissé brulé et à l’article de la mort, le cadet des frangins enquêteurs tente de s’évader dans les tunnels de Saint-Elme alors que son ainé commence à suivre sa trace. Pendant ce temps le ménage se prépare dans la famille Sax…

Avec une sortie rapprochée de trois albums en deux ans on est totalement dans le rythme de série en mode bing-watching et la construction millimétrée de Serge Lehman colle parfaitement avec ce format: galerie de personnages hauts en couleur (ou en perversions), explosions de violence crue, sexe poisseux et dialogues percutants, on a tout ce qu’il faut pour rester addict aux mésaventures des frères Sangaré dans ce bas-fonds qu’est Saint-Elme. Utilisant savamment le hors-champ, les auteurs préparent l’arrivée du redoutable patriarche mafieux alors que le limier de la fratrie de détectives a enfin débarqué. Avec sa gueule sans pupille et son allure robotique, il ajoute une couche d’étrange alors que le scenario se positionne enfin sur le caractère anormal des évènements surnaturels auxquels on a assisté jusqu’ici.

Les deux premiers tomes nous avaient totalement conquis et s’il y a un peu moins de surprise sur ce troisième, plus linéaire, la maestria de Peeters et la force des personnages suffisent amplement à prolonger le plaisir sur cette série totalement inattendue et qui tranquillement est en train de se hisser au même niveau qu’un 5 Terres ou un Renaissance. Brillant et addictif!

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