Récit complet de 162 pages, co-écrit par Pascal Chind et Benjamin Legrand, et dessiné par Vincenzo Balzano. Publication chez Ankama le 05/01/2024.
Merci aux éditions Ankama pour leur confiance.
Vingt mille lieues sous l’amer
Si on peut affirmer une chose de notre héros Laurel, c’est qu’il est tout sauf hardi. Ce golden boy obnubilé par le profit passe le plus clair de son temps au travail et semble négliger sa bien-aimée Éléonore.
Un jour, Laurel reçoit un appel préoccupant. Sa fiancée a disparu près d’une plage, où elle été vu pour la dernière fois plongeant dans l’eau. Après des semaines de recherches, il lui faut bien se rendre à l’évidence: Éli est morte noyée, et il en porte la responsabilité. En effet, le trader obsédé par l’argent a ignoré ses appels à l’aide, elle qui lui répétait sans cesse qu’elle devait « quitter son monde ».
Ravagé par les remords, Laurel se rend sur la même plage et se jette dans l’eau, espérant rejoindre sa fiancée dans la mort. Mais à son grand étonnement, et au nôtre, notre financier dépressif n’atterrit pas aux enfers façon Orphée et Eurydice, mais plutôt dans une ville étrange remplie d’énergumènes tous plus fous les uns que les autres. Comment a-t-il échoué à Bunkerville, la cité mécanique isolée depuis un siècle-et-demi ?
Nous avions découvert le travail de Vincenzo Balzano d’abord sur Clinton Road, puis sur Adlivun, tandis que Benjamin Legrand est notamment connu pour le Transperceneige, excusez du peu.
Il y a quelque chose de résolument kafkaïen dans ce Bunkerville (notamment en référence à la nouvelle Le Château), où un protagoniste « normal » débarque dans un microcosme où la logique et la vraisemblance n’ont plus cours. On se retrouve donc avec le cas typique du protagoniste kafkaïen passif, qui subit en majorité les évènements et vogue d’interactions lunaires en procès abscons jusqu’à un final poétique bien que mystérieux.
Les dessins de Vincenzo Balzano participent pour beaucoup à l’ambiance lunaire de l’album. Ses compositions épurées et les couleurs sombres et contrastées rappellent celles de Ben Templesmith, en moins glauque, et représentent adéquatement l’état d’esprit décalé de Bunkerville. Outre l’aspect kafkaïen, on retrouve aussi des références à des classiques comme Métropolis, la ville mécanique dont le fondateur pleure un amour perdu ou inaccessible, construite sur plusieurs niveaux, régie par la profondeur verticale.
Dans un cahier graphique en fin d’album, l’auteur nous apprend que ce projet était initialement destiné au cinéma, avant de prendre la forme d’une BD. On ne peut qu’imaginer quel objet cinématographique aurait été ce Bunkerville, mais on peut sans doute figurer un univers à la Gondry ou Jeunet, voire peut-être Terry Gilliam.
Pour conclure, Bunkerville est une œuvre belle sur la forme et sur le fond, sous-tendue par des références littéraires et cinématographiques qui renforcent sa cohérence thématique.