
On commence à rattraper le retard manga, ce qui permet de vous proposer de tous frais avis de quatre premiers tomes fort alléchants chez trois éditeurs dont j’apprécie particulièrement les sélections manga et une excellente découverte chez Vega-Dupuis.
- Eighty-six #1 (Asato-Yoshihara/Delcourt) – 2022 (2018), 192p., volume, 2/3 tomes parus.
Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.
Le marché des Light novel est un phénomène de masse au Japon avec un essor important depuis les années 2000, qui permet à de jeunes auteurs de se faire publier. La particularité est le transmédia puisque ces histoires destinées aux young adults. Cet « Eighty-six » relate ainsi le destin croisé d’un commandant d’escouade issu d’une caste de parias et d’une brillante officier appartenant à l’élite, liés dans une guerre présentée comme sans victimes puisque officiellement uniquement menée par des drones. Bien entendu la réalité est toute autre dans cette histoire de SF militaire fortement inspirée par les guerres créées par les fascismes pour souder une population derrière son régime. Une tendance à l’utilisation de la 3D se développe dans le Manga, permettant des décors et habillages très techniques et des visuels alléchants, comme sur Egregor ou Ex-arm. Profitant donc de très sympathiques design mecha, ce tome d’ouverture présente le cadre général, abordant pas mal de sujets intéressants comme les drones, le nationalisme, les guerres lointaines, le racisme et les mensonges d’Etat. Assez brouillonnes, les séquences d’action se concluent sur une très épique attaque du héros qui nous réveille opportunément au moment d’enchaîner sur la suite. Destiné donc à un public ciblé, 86 a du potentiel qui nécessitera de ne pas trop tarder à lancer une intrigue pour l’heure cantonnée à l’exposition.



- Les amants sacrifiés (Kakizaki/Ki-oon) – 2022 (2020), 144p., 1/2 tomes parus.
Merci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.
Si certains auteurs se cantonnent à un genre exclusif, voir passent leur carrière sur une unique série, on ne peut pas dire que Masasumi Kakizaki soit du genre casanier! Auteur complet, il enchaine depuis 2010 des séries courtes sur des genres aussi variés que l’horreur, le western, le peplum et désormais le thriller policier historique. Sur un diptyque court (que Ki-oon aurait été inspiré de publier en one-shot) qui adapte un film de Kyoshi Kurosawa (sans rapport avec son illustre homonyme), il aborde une des faces sombres de l’histoire impériale du Japon et plus précisément les atrocités commises par l’armée d’occupation de la Mandchourie depuis les années 1930. Pour ceux qui ne connaissent pas cet auteur son dessin se caractérise par un travail des volumes et des textures très particulier qui fait littéralement sortir les formes de la page et peut donner un aspect de marionnettes à certains visages. Avec ce style beaucoup plus évident sur des genres horreur et fantastiques il est surprenant de le voir dans une intrigue contemporaine, qui manœuvre remarquablement bien la tension de cette période fascisante du Japon nationaliste et des hésitation d’une partie de la population modernisée sur une capitulation morale ou un refus de la ligne nationaliste. Le couple en question va ainsi se retrouvé confronté à ce dilemme. Et l’ensemble fonctionne parfaitement avec une économie et une densité qui devrait faire réfléchir pas mal d’auteurs de manga. Du tout bon, de l’inhabituel, qui se lit avec plaisir en attendant la conclusion au printemps 2023!



- Coffee Moon #1 (Bota/Doki-Doki) – 2022 (2020), 164p., 1/4 tomes parus.
Merci aux éditions Doki-Doki pour leur confiance.
Dans une cité à la nuit éternelle et à la pluie noire, Pieta vit chaque jour la même journée, enfermée dans une boucle temporelle. Avec on amie Danae elles commencent à s’interroger et cherchent à sortir de cette routine d’évènements. Mais sortir d’un « scénario » a un coût…
Toujours très attentifs à la qualité des dessins, le label manga des éditions Bamboo nous lance une nouvelle série à l’ambiance ténébreuse et incertaine qui rappelle le récent SinOAlice sorti cet été chez Kurokawa. Il s’agit du premier manga de cet auteur qui n’a publié jusqu’ici qu’un recueil d’histoires érotiques. Et bien on peut dire que graphiquement c’est une sacrée claque! Que ce soit la technique de dessin, le design, ou l’atmosphère poisseuse de cette cité, c’est un régal graphique de bout en bout pour qui aime les encrages profonds et les ambiances contrastées. Je me suis toujours interrogé sur la qualité générale et l’intérêt des trames utilisées habituellement en manga et je dois dire que ce volume est une bannière à lui seul pour la finesse et la force de ces dégradés de volumes. Niveau scénario je dois dire que tout cela reste encore un peu vaporeux même si l’on sent l’envie de l’auteur de ne pas trop tarder sur la redondance de la boucle temporelle. Un univers commence doucement à apparaître (notamment dans le journal de conclusion), qui laisse penser à un développement à la Dark City ou Matrix ou lorgne vaguement du côté de Promised neverland en manga . Un premier tome absolument convaincant donc qui demande à avancer rapidement pour voir si l’auteur a une belle grosse idée derrière la tête…



- The far east incident #1 (Ohue/Vega) – 2022 (2019), 164p., 1/4 tomes parus.
Lors de son occupation de la Mandchourie, les forces d’occupation japonaises se livrèrent à des expériences sur des civils au sein de l’unité 731. Après la capitulation du Japon et alors que les soldats démobilisés affluent de toute l’Asie pour retrouver leur pays dévasté, l’armée américaine combat dans l’ombre une milice terroriste visant à réinstaurer un Etat fort dans le pays vaincu. Des deux côtés combattent des « variants », humains mutants dotés d’une résistance hors du commun. Ils ont tous comme point commun d’avoir été victimes des expériences de l’unité 731…
Prenant pour base les exactions de la véritable unité 731 en Chine, ce manga à la parution lente (un volume par an environ) nous accroche dès les premières pages pour ne plus nous lâcher jusqu’à la conclusion. Alors qu’il s’agit de sa première publication, Aguri Ohue marque la rétine dans une technique graphique qui rappelle les manga de Miyazaki mais doté d’encrages très précis et efficaces et d’un respect physique et des éclairages qui jouent beaucoup dans la dynamique des séquences. Profitant d’une galerie de personnages restreinte l’auteur se concentre sur la relation entre le héros, super-combattant démobilisé, et une gamine mutante dans un esprit tragi-comique. La force de ce tome réside dans la profondeur d’un contexte assez sombre (l’unité 731, le fascisme japonais, la récupération des criminels par les américains à la fin de la guerre,…) allié à une action endiablée à coup de fusillades sanglantes et explosives et à un humour noir très efficace. Sans tomber dans une farce déplacée, on a un parfait équilibre entre interaction avec des personnages marquants et un thriller uchronique avec un très gros potentiel. Le seul point noir réside dans la lenteur de publication qui se comprend par l’aspect artisanal et auteur du manga, ce dont on ne va pas se plaindre. Et au final un des manga marquants de cette année, tout simplement!




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