****·BD·Jeunesse·Nouveau !

Les Sauroctones #3

Troisième et dernier volume de la série écrite par Erwann Surcouf. Parution le 27/01/2023 chez Dargaud.

From zeroes to heroes

Voici la fin des aventures de Jan, Zone et Urtsi, chasseurs de monstres dans un monde post-apocalyptique, débutées en 2020 et poursuivies en 2021. Après un cataclysme non spécifié, la civilisation a du se reconstruire comme elle a pu sur les ruines de l’ancien monde. Beaucoup de savoirs et de connaissances se sont perdus dans le processus, mais il faut dire que les survivants ont aussi d’autres préoccupations, comme par exemple les bestioles géantes qui dévorent tous les malheureux qui osent croiser leur chemin.

Comme dans les mythes fondateurs, de valeureux héros se dressent contre ces prédateurs mutants, des guerriers sans peur et sans reproches (et au fort taux de mortalité) que l’on nomme des Sauroctones. Révérés dans toutes les villes où ils passent, ces chasseurs de monstres font l’objet d’un culte, avec des colporteurs qui se chargent de diffuser leurs légendes. Zone, Jan et Urtsi sont trois jeunes aspirants sauroctones, qui décident de faire équipe afin de se faire un nom dans le métier, attirés par la notoriété.

Après une entrée en matière rocambolesque durant laquelle ils ne doivent leur survie qu’à un hasardeux mélange entre chance pure et audace incertaine, les trois adolescents constatent que leur légende prend forme. Baptisée le Trio Fantastico, la troupe, qui gonfle quelque peu ses exploits, parvient tout de même à terrasser le terrifiant Tamarro, tout en gardant à l’oeil leur objectif principal, à savoir rejoindre la mythique Fusée qui les emmènera sur une lointaine et idyllique planète.

Depuis le début de la série, Erwann Surcouf nous embarque dans un univers foisonnant, empli de mutants, de bestioles féroces, de sectes post-apocalyptiques, le tout saupoudré de références à la pop-culture et d’un humour potache mais-qui-n’oublie-pas-d’être-subtil. Il faut avouer que le gros du travail de l’auteur est déjà fait, car il est parvenu à ravir l’intérêt des lecteurs grâce à ses personnages attachants, qui se débattent dans un monde où tout peut arriver.

Le seul regret que l’on peut avoir ici est que ce tome est le dernier de la série, même si l’auteur ne s’interdit rien grâce à sa fin plutôt ouverte. Tout ce qui fait le sel des Sauroctones a déjà été dit dans les deux précédentes chroniques, donc si vous avez apprécié les précédents volumes, foncez lire celui-ci !

****·BD·Littérature

T’Zée, une tragédie africaine

Récit complet en 144 pages, écrit par Apollo, dessiné par Brüno et mis en couleurs par Laurence Croix. Parution chez Dargaud le 06/05/22.

Le retour du Roi

Après des années passées à l’étranger, Hippolyte revient dans son pays natal, en proie à une grave crise. Son père, T’Zée, tyran cruel depuis des décennies, a été destitué par les rebelles, et il est présumé mort. Retranché à Gbado, dans l’extravagant palais construit par T’Zée au fond de la jungle, l’introverti et flegmatique Hippolyte pondère son avenir, alors que les rebelles se rapprochent pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’héritage du despote.

Pendant ce temps, Bobbi, la jeune épouse de T’Zée, ne sait plus comment taire les sentiments qu’elle nourrit envers Hippolyte, alors même que le seul obstacle qui se dressait entre eux est désormais écarté. Durant toutes ces années, Bobbi s’est évertuée à jouer un rôle, celui de la marâtre insupportable, afin de parfaire sa mascarade. La jeune femme n’a donc que faire que les fondations du pays volent en éclats, ou que sa vie soit menacée par les rebelles. Tout ce qu’elle souhaite, c’est retrouver Hippolyte pour lui avouer enfin ce qu’elle ressent pour lui. Mais le destin permettra-t-il à un amour si coupable de s’épanouir ?

T’Zée s’inspire de la tragédie Phèdre de Jean Racine. Métamorphosant le contexte pour le resituer dans l’Afrique post-coloniale, l’auteur se joue du mythe pour mieux se le réapproprier. Car si la tragédie en tant que genre, suppose des personnages bernés par le destin et mis face à des choix impossibles qui précipitent leur chute, alors l’Afrique est bien une des grandes tragédies de l’Histoire contemporaine.

Si la Phèdre de Racine était dévorée par la jalousie et le ressentiment, Bobbi, elle, n’est finalement pas tant le jouet de ses pulsions que le produit d’une ère post-coloniale, qui a ouvert la voie à des guerres civiles, des administrations ad hoc, corrompues et impropres à diriger des pays laissés exsangues par l’Occident.

Dans cette nouvelle version, il est d’ailleurs difficile de savoir qui, de Bobbi ou Hippolyte, tient lieu de protagoniste, tant les deux sont ballottés par les événements et par cette crise politique et humaine qui rend incertain l’avenir du pays. Bobbi semble cependant tirer son épingle du jeu, en tenant les rênes de ce qu’il reste du régime de T’Zée, tandis qu’Hippolyte tient lieu de protagoniste beaucoup plus passif, car longtemps tenu à l’écart des affaires familiales par un père autoritaire qui le jugeait faible.

Au-délà de l’adaptation de la pièce de Racine, on voit donc bien que c’est le contexte africain qui tenait à cœur les auteurs, comme nous l’explique finalement la post-face du scénariste. La conjugaison de l’écriture d’Apollo et du dessin de Brüno fonctionne parfaitement, ce qui laisse transparaître dans chaque planche une ambiance crépusculaire et une amertume lancinante, qui mène cette tragédie moderne jusqu’à sa conclusion logique.

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Renaissance #5: les hybrides

Série écrite par Fred Duval, dessinée par Emem, avec Fred Blanchard au design. Parution chez Dargaud le 16/09/2022.

Fermi bien vos gueules, les aliens !

Un jour, un gars très intelligent, Enrico Fermi, a levé la tête vers l’immensité du cosmos et s’est demandé: « pourquoi n’a-t-on encore jamais eu de contact avec une civilisation extraterrestre ? » Après tout, si l’on prend en compte le nombre incommensurable d’étoiles, qui sont autant de soleils susceptibles d’abriter la vie, comment se fait-il que nous n’ayons aucun contact avec d’autres espèces intelligentes ?

En résumant grossièrement, Fermi dégage plusieurs hypothèses, toutes aussi valables les unes que les autres: soit les humains sont la seule espèce intelligente de l’Univers, soit les distances séparant les étoiles sont infranchissables, soit nous n’intéressons pas les autres civilisations susceptibles de nous contacter (je passe sur la notion du Grand Filtre, qui n’a pas grand-chose à voir avec cet article).

Et bien figurez-vous que Fermi avait tort de se faire du mouron. Les extra-terrestres existent, et ils veulent du bien à l’Humanité. Débarqués sur Terre il y a maintenant vingt ans, les agents de la mission Renaissance ont extirpé notre espèce du marasme écologique dans lequel elle s’était embourbée. Cela ne se fit pas sans mal, évidemment, mais avec pas mal d’huile de coude, Swän, Sätie, Pablö et les autres sont parvenus à un résultat presque inespéré.

Aujourd’hui, il est temps pour l’Humanité de rejoindre le Complexe, la fédération intergalactique à l’origine de la mission Renaissance. Ainsi, un groupe de volontaires est missionné pour le premier saut interstellaire, mené par Pablö. Pendant ce temps, sur Terre, Swänn est aux prises avec les membres de Sui Juris, un groupuscule terroriste dont le but est de rendre aux humains l’autonomie qu’ils ont perdue à cause de Renaissance. Sätie, quant à elle, enquête sur une hybridation illégale entre extra-terrestres et humains.

La suite du second cycle de la série de Duval et Emem continue de frapper fort. Conjuguant multiples niveaux de lecture et mise en abîme des turpitudes humaines, les auteurs continuent de capitaliser sur un concept qui, sans être nécessairement inédit, reste novateur dans son approche et son traitement. Après un premier cycle mouvementé dans lequel l’enjeu premier était la survie de l’Humanité, les héros font désormais face à de tout autres périls, qui ne tarderont pas à se matérialiser, et qui sont d’ordre politique, éthique, voir existentiel.

Inutile d’en dire davantage, Renaissance prouve encore une fois que des bases solides donnent des séries qualitatives sur le long cours.

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Neo-forest #1: Cocto citadelle

La BD!
BD de Fred Duval et Philippe Scoffoni
Dargaud (2023), 62p., série en cours, 1/2 tomes parus.

L’édition chroniquée est la CANAL-BD en tirage limité (1600 ex.) qui comprend un frontispice signé, une couverture alternative et un cahier graphique commenté par le dessinateur.

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Plusieurs siècles après que la civilisation ait chuté, la France est divisée en néo-féodalités où des seigneurs tout puissants possèdent gens, ressources et technologies issues du monde d’avant. Le seigneur Cocto est l’un des plus importants de ces seigneurs, régnant sur des territoires autonomes à la pointe de l’ingénierie génétique. Alors que sa file Blanche, peu attirée par la perspective de la succession, part pour un trek avec ses amis, un complot se prépare…

Lorsque Fred Duval sort un album tous les sens sont en alerte. Lorsqu’il s’agit de SF la tentation d’acheter les yeux fermés est grande tant le scénariste a atteint une forme de perfection et sais se renouveler en apportant toujours de passionnantes thématiques très actuelles. Dieu sait que le genre est balisé, inondé de créations souvent redondantes au-delà des aspects graphiques.

NEOFOREST t.1 (Fred Duval / Philippe Scoffoni) - Dargaud - SanctuaryDuval est accompagné sur ce projet ambitieux par l’excellent designer Philippe Scoffoni, dont les premiers albums tirent plutôt sur l’anticipation scientifique et que j’avais découvert sur le très agréable Milo. Suivant les réseaux sociaux du dessinateur j’ai vu diffuser depuis pas mal de temps d’étonnants designs de néo-chevalerie utilisant des VTT comme montures et autres artefacts dans un style original mêlant moyen-âge et technosociété écolo. Ceux qui connaissent le travail de Fred Duval savent que sa grande force réside dans la puissance et la cohérence des univers décrits où l’auteur ne lésine sur aucun détail pour densifier son futur. On sent ici que les deux compères ont passé du temps et beaucoup de passion à imaginer comment une société recréée pourrait allier l’ancien et le moderne en utilisant la technique scénaristique classique du croisement d’époques.

https://www.ligneclaire.info/wp-content/uploads/2023/01/NeoForest_Page_19.jpgL’intrigue est sommes toutes très banale: un seigneur au pouvoir convoité part à la recherche de son héritière alors qu’un incident va le contraindre à transmettre une régence temporaire à son frère… en qui il n’a aucune confiance. Si la mécanique est très bien huilée et nous fait tourner les pages pour savoir comment ce complot va bien pouvoir être évité, c’est bien le fonctionnement de l’univers lui-même qui passionne à la lecture de ce premier tome. Après avoir passé l’amusement un peu craintif de ces joutes médiévales en vélo et de costumes issus du XIV° siècle, il faut reconnaître que l’alliage fonctionne parfaitement dans une hypothèse qui voit non pas un effondrement post-apo mais plutôt une évolution extrémiste d’un pouvoir capitaliste qui retourne à son origine sous forme de fief après que la catastrophe climatique ait ramené la Nature à ses droits. Dans Neo-forest c’est bien l’organisation politique humaine qui s’est effondré (si l’on reste ici centré sur la France, Duval n’abandonne jamais son champ large en nous parlant brièvement du reste du monde) mais pas la technologie. Ainsi les OGM ont fait évoluer la végétation qui se retrouve dotée de nouvelles capacités fort dangereuses (avec le thème Gaïa en sous-texte), les féodaux maîtrisent la génétique en créant des êtes hybrides humains-cochons mais aussi des prothèses et jusqu’à un contrôle quasi-total sur la vie elle-même. Un paradoxe de retour aux Ages sombres adossé à une technologie très poussée comme les aimes le scénariste: positive et utilitaire.

https://www.ligneclaire.info/wp-content/uploads/2023/01/NeoForest_Page_20.jpgLes planches de Philippe Scoffoni sont très agréables avec un style très années deux-mille qui fait penser par moment à Servain sur L’Histoire de Siloé . On pourra trouver certains personnages ou décors rapides mais le tout est fort bien enrichi par une colorisation pastelle fort élégante qui participe à une atmosphère presque doucereuse. Le dessinateur n’abuse pas de son talent de design en proposant ses outils ou véhicules techniques uniquement lorsque nécessaire. Comme je le disais la SF brille lorsqu’elle parvient à proposer l’élément original qui justifie un projet sans se contenter du décorum. Néo-Forest n’est pas un blockbuster mais respire la grande expérience des auteurs qui connaissent le potentiel de leur projet, projet très équilibré entre les envies graphiques de Scoffoni et le récit lui-même. Une alchimie BD tout à fait réussie qui se lit avec grand plaisir.

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Les vieux Fourneaux #7: chauds comme le climat

La BD!
BD de Wilfried Lupano, Paul Cauuet ert Jerôme Maffre (coul.)
Dargaud (2022), série en cours, 54p./album.
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Dans une bonne histoire il faut toujours un adversaire redoutable. Garan-servier est depuis le début de la série cette incarnation d’un capitalisme prédateur et relié à toutes les péripéties du village de Montcoeur. Mais voilà que l’affreux en vient à casser sa pipe… ce qui déclenche un engrenage mortifère lorsque la marche immorale du monde vient se rappeler au souvenir de nos militants du troisième âge…

Les Vieux Fourneaux - Tome 7 - Les Vieux Fourneaux - Chauds comme le climat  - Wilfrid Lupano, Paul Cauuet - cartonné - Achat Livre | fnacLa question qui tourne autour de la série c’est sa durée de vie… et celle de ses personnages. Les auteurs nous ont déjà fait le coup plusieurs fois de la disparition d’un des protagonistes et l’on imagine mal les Vieux fourneaux continuer sans un membre du trio. Alors que la fille de Sophie grandit bien on voit passer le temps, qui indique que Lupano et Cauuet n’imaginent pas leur poule aux œufs d’or comme éternelle puisqu’ils choisi une trame non figée dans une bulle sans chronologie comme le sont certaines séries. Ainsi la disparition de Garan-Servier, évènement déclencheur de cet épisode est surtout un prétexte à la dénonciation du fascisme rampant qui gangrène les têtes d’une partie de la jeunesse française… et par incidence Montcoeuroise. Sous ce thème politique ce sont les péripéties plus classiques qui sont les plus efficaces pour nous faire rire toujours aussi franchement: ainsi la participation d’Antoine et Pierrot à une manif entre blackblocks et CRS, l’irruption rageuse de la redoutable Berthe dans un barbecue organisé par le maire et les truculents échanges de village ou de troquet qui permettent à Lupano de nous ravir de son magnifique sens du dialogue comme bon héritier d’Audiard.

Les vieux fourneaux est une BD militante grand public qui fait le même effet que l’écoute d’un album de Renaud. Notre époque désabusée d’un capitalisme triomphant qui ouvre la porte au fascisme a tendance à nous faire oublier que la culture et les loisirs culturels sont aussi un vecteur de combat pour dénoncer la résignation et rappeler qu’un autre monde est possible. A travers ses papy et notamment le génial Pierrot Wilfried Lupano nous bouscule par des vérités qu’il ne faut jamais se lasser de rappeler. La grande diversité de la galerie de personnages évite le manichéisme qui aurait perdu nombre de lecteurs. Cette série est toujours un grand plaisir BD, excellemment bien dessinée, prodigieusement écrite, une sorte d’Asterix du XXI° siècle, que l’on attend avec impatience et la garantie d’un entertainment à la française.

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Furieuse

Histoire complète en 240 pages, écrite par Geoffroy Monde et dessinée par Mathieu Burniat. Parution le 14/10/22 chez Dargaud.

La Ballade du Seum et de l’Héroïsme

Oubliez la légende du Roi Arthur telle qu’on vous l’a racontée. Le héros au coeur pur qui tire l’épée enchantée du rocher pour affronter de méchants sorciers n’est qu’une gentille fable, un conte patriarcal et condescendant, qui ne saurait être plus éloigné de la réalité. Oh, bien sûr, comme tout conte, celui-ci a aussi un fond de vérité. Il y a très longtemps, Arthur se dressa bel et bien, muni de son épée enchantée, pour repousser une horde de démons tout droit sortis de l’Enfer.

Accueilli en héros, il conquit ensuite les royaumes voisins afin de les unifier, devenant Roi de Kamelott. Mais les années ont passé, et Arthur a depuis sombré dans l’alcoolisme et la dépravation, noyant ses années de gloire sous des couches de crasse et des litres de piquette. Désormais veuf, et n’ayant plus que sa fille cadette Ysabelle à ses côtés, il est bien loin de la légende.

Ysabelle, quant à elle, enrage de voir l’épave qu’est devenu son père. Elle, qui vit enfermée dans le chateau, ne rêve que de partir à l’aventure, mais elle peine à se soustraire à la convoitise du Baron de Cumbre, vieil énergumène libidineux à qui elle fut promise. Lorsque la jeune fille apprend, la veille de son mariage, que sa soeur aînée Maxine, absente depuis plusieurs années, avait justement fugué pour échapper à son union avec le Baron, son sang ne fait qu’un tour.

Ysabelle prend alors la décision la plus importante de sa vie: accompagnée de l’épée magique de son père, qui ne supporte plus l’ennui et les outrages qu’elle subit aux mains d’Arthur, elle fait son baluchon et part retrouver sa soeur. Ce sera le début d’un voyage initiatique rocambolesque, durant lequel Ysabelle s’émancipera de son père.

On connaissait Geffroy Monde pour des séries comme Poussière, où il officiait en tant qu’auteur complet. On le retrouve ici au scénario, secondé au dessin par Mathieu Burniat. Le duo donne naissance à une aventure décalée, assez éloignée des poncifs de la fantasy, et qui inflige de franches estafilades au mythe arthurien. L’idée que la descendance du Roi Arthur soit assurée par une fille impétueuse n’est pas nouvelle (il n’y a qu’à voir Olwenn, fille d’Arthur, série en 2 tomes chez Vents d’Ouest / Glénat), mais elle est traitée ici avec humour et dérision, ce qui ajoute un vent de fraîcheur bienvenu.

On adhère donc bien à la figure du héros déchu, et par conséquent à la cause de notre héroïne, qui souhaite s’affranchir du patriarcat et prendre en main son destin. Tantôt naïve, tantôt pourrie-gâtée, Ysabelle n’en demeure pas moins un personnage attanchant qui évolue tout au long du récit, avec en toile de fond la trame de l’émancipation.

L’auteur a aussi été bien inspiré de baser son récit sur une dynamique de duo, héroïne ingénue / épée qui parle, car il permet d’instaurer toutes sortes de situations rocambolesques et donne au scénario un pivot en trois articulations qui se suit avec plaisir tout au long des 240 pages (tout de même!).

S’agissant du ton, on sent de franches similitudes avec Les Sauroctones, notamment par la nature des dialogues ou par l’absurdité de certaines situations. Le trait simple mais très expressif de Mathieu Burniat se marie d’ailleurs à merveille avec ce ton décalé, sans pour autant verser dans la parodie.

Concernant les thématiques, nous sommes bien sûrs face à un récit resolument féministe, mettant en exergue l’émancipation féminine face à une engeance masculine faible, lâche, veule, qui ne voit la femme que comme une nuisance ou une ressource à exploiter. C’est d’ailleurs un trait représentatif de la société féodale, où les femmes étaient simultanément écartées du pouvoir tout en étant indispensable à la perpétuation des dynasties.

Furieuse est donc une vraie réussite, drôle, bien écrite, et dotée d’une identité propre. On n’est pas loin du 5 Calvin !

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Noir burlesque 2/2

La BD!
BD de Enrico Marini
Dargaud (2022), 122p., diptyque complet.

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Le premier tome sorti tout pile un an avant m’avait envouté dans son atmosphère de film noir et cette suspension introductive qui nous laissera nous demander tout le long de la lecture comment finit cette histoire d’amour impossible… Et la première qualité de ce second et dernier(?) tome est sa couverture, remarquablement harmonieuse avec le premier et qui permet de constituer une magnifique affiche côte à Noir Burlesque T. 2 : Marini avec son art et son rêve - ActuaBDcôte. Dans le monde littéraire l’objet-livre importe et on peut dire que Dargaud et Marini ont peaufiné cette très belle édition qui aurait mérité un petit cahier graphique en note d’intention de l’auteur. L’édition collector Momie proposant quelques illustrations pour cinq euros de plus ne suffit pas à combler cette (petite) frustration. Un grand projet d’auteur mérite une grande édition. Celle-ci est juste très jolie.

Après une première moitié très ambiance qui posait les personnages nous voilà embarqué pour cent pages d’action aux dialogues enlevés comme sait les faire Enrico Marini. Cela a ses avantages et ses défauts avec toujours ma même remarque sur ces césures qui ne sont pas justifiées par le scénario mais par un choix éditorial, celle de déséquilibrer l’ensemble. Les planches sont toujours aussi belles. On sent que Marini s’est particulièrement appliqué, notamment sur sa femme fatale qui donne une indication sur une possible évolution réaliste du style de l’auteur, qui fait fort envie. Le scénario bâti autour d’un rocambolesque cambriolage fait la part belle aux personnages secondaires qui permettent une stature héroïque au beau bandit et un Noir Burlesque T. 2 : Marini avec son art et son rêve - ActuaBDcomique de situation autour des truands tous plus excentriques les uns que les autres. C’est une des réserves que je pointerais sur ce volume qui brise un peu l’atmosphère avec l’humour marinesque qui faisait déjà de son Batman une semi-comédie loin de la noirceur imaginée. De même pour l’action continue qui est certes fort plaisante (et montre encore une fois l’énorme facilité technique de l’italien) mais évacue le drame… jusqu’à une conclusion en semi-happy end qui iconifie les vecteurs de l’Amérique que sont la belle voiture et le Baseball.

C’est donc là en quelque sorte une part de l’identité artistique de Marini qu’on lui connait depuis ses débuts qui peut minorer la puissance (pourtant très grande) de ce diptyque: hormis son association avec Dufaux sur les Rapaces Enrico Marini a toujours cherché le grand spectacle d’action flirtant vers la comédie avec l’ADN de Philippe de Broca. Le premier tome sentait l’envie de Noir au travers de ce montage remarquablement inspiré. Le second développe le Burlesque classique là où on attendait du New Burlesque  sulfureux de la couverture. Il n’y a pas tromperie sur la marchandise mais selon ce que l’on aime chez Marini on savourera immensément ou as usual. En attendant avec impatience son prochain projet.

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***·BD·Nouveau !·Rapidos

Là où naissent les histoires

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BD de Pierre Christin et Virginie Augustin
Dargaud (2022), collection « Valérian et Laureline par… »

Redevenus enfants, Valerian et Laureline vivent sous la tutelle de Monsieur Albert sur la Terre du XXI° siècle, lorsque Galaxity confie à ces derniers une mission diplomatique au cœur du Caucase…

Valérian par... -3- Là où naissent les histoiresAlors que certains héros iconiques multiplient les spin-off, séries parallèles, hommages et autres artifices des éditeurs pour vendre toujours plus d’albums, on peut dire que sur Valérian, Dargaud reste fort discipliné en respectant le souhait des auteurs originaux de ne pas voir leur création devenir une attraction commerciale. Tellement qu’on se pince un peu en constatant les dates de parutions des trois uniques hommages de Larcenet (2011), Lauffray et Lupano (2017) et donc ce Christin et Augustin. Des trois, Là où naissent les histoires est le moins comique et interroge sur le statut de suite ou d’histoire solo de l’album, impression renforcée par la présence de Pierre Christin au scénario, dans un contexte qui rappelle étonnamment sa seconde passion scénaristique: le thriller diplomatique.

Alors que le début de l’album nous fait savourer le talent incontestable de Virginie Augustin qui est à l’aise dans absolument n’importe quel environnement, des plaines d’Hyborée aux bahuts parisiens, on migre ensuite dans une étrange intrigue diplomatico-écolo qui risque de laisser un peu sur le carreau les lecteurs qui ne connaissent pas particulièrement la chronologie de la série mère. Le rajeunissement https://www.ligneclaire.info/wp-content/uploads/2022/09/Page-8-scaled.jpgdes héros fait référence directe à la conclusion de la série en 2010 dans L’Ouvre Temps. Présentant différents protagonistes qui vont se retrouver au cœur d’un Caucase que Christin aime approcher, l’histoire devient malheureusement un peu brouillonne quand aux motivations des différentes crapules. On sent l’envie de parler de problématiques actuelles, de la surconsommation d’images à l’heure du Bing watching à la question des matières premières sans oublier d’aborder le féminisme cher à Virginie Augustin et incarné par la pétillante Laureline, mais si le contenu est intéressant la trame reste confuse.

Sans doute conçu comme un cadeau bonux vaguement fan-service, cet album luxueux réalisé par deux orfèvres de la BD peine à atteindre le niveau de ses deux prédécesseurs. Sans doute mal calibré et scénarisé par un spécialiste des thriller plus que des blagues, ce troisième Valerian vu par… aura du mal à enthousiasmer les découvreurs de la dernière heure.

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Les Âges perdus #2: la Terre des Meutes

Second volume de la série écrite par Jérôme Le Gris et dessinée par Didier Poli. Parution le 20/05/22 chez Dargaud.

L’Apocalypse, c’était mieux avant !

Dans la chronique du premier tome, nous reprochions aux Âges Perdus un manque de worldbuilding et une intrigue qui ne se détachait pas vraiment du tout-venant post-apocalyptique. Avec le recul, ce constat demeure, mais il faut tout de même ajouter au crédit des auteurs une volonté affirmée de poursuivre la construction de leur monde à mi-chemin entre uchronie et post-apo.

Pour résumer, le monde dans lequel se situe le récit a été détruit en l’an mille par un cataclysme qui a failli exterminer la vie sur Terre. Des milliers d’années plus tard, alors que les humains survivants ont vécu terrés dans des grottes durant une période baptisée l’Obscure, la faune s’est adaptée et a profité de l’absence humaine. Une fois dehors, les survivants se sont organisés en clans, et vivent au gré des saisons et des migrations selon un mode de vie nomade.

Cependant, après des milliers d’années passés dans l’obscurité rassurante des grottes, l’Humanité doit repartir de zéro. En effet, tous les anciens savoirs ont été perdus, si bien que le lointain Moyen-Âge, vu par nous autres hommes modernes comme une période sombre, ressemble plutôt à une utopie pour nos survivants du futur.

Dans le premier tome, nous faisions la connaissance de Primus, chef de la tribu de Moor, quelque part dans ce qui était certainement l’Angleterre. Primus avait un rêve: domestiquer les plantes, et permettre ainsi à son peuple de quitter la vie nomade pour se sédentariser. Pour ce faire, il a besoin d’occuper la Fort des Landes, plus longtemps que ce que lui permettent les lois qui régissent les clans, les Lois de L’Aegis.

En voulant mener à bien son projet, Primus provoque une guerre avec les autres tribus, et paye le prix fort car son clan est pratiquement rayé de la carte. Seule sa fille Elaine, accompagnée de quelques autres, parvient à en réchapper. N’ayant plus nulle part où aller, Elaine tente de traverser la Mer des Aigles pour atteindre la Terre des Meutes, espérant y trouver de quoi recréer les bases d’une nouvelle civilisation, comme le rêvait son père.

Durant sa quête sur la Terre des Meutes, Elaine va faire la rencontre de Mara, vagabonde qui va lui venir en aide. Les deux voyageuses vont devoir se serrer les coudes face aux terribles hommes cerfs, qui prennent en chasse sans pitié quiconque pénètre leur territoire.

On poursuit avec ce second tome l’exploration des âges perdus. La question centrale de la série, « de quelle manière un cataclysme planétaire affecterait-il les civilisations humaines ? », donne lieu à des postulats de l’auteur, qui, comme nous l’évoquions dans l’article précédent, sont pertinents sans nécessairement aller au bout de la réflexion.

La partie survie et prédation, face aux hommes-cerfs, a malheureusement des airs de déjà-vu (je pense notamment aux quatre ou cinq dernières BD post-apo dans lesquelles on trouvait aussi une faune mutante), mais offre pour le moment une tension bienvenue dans la quête d’Elaine, qui serait autrement quelque peu contemplative. La partie la plus intéressante, c’est néanmoins les phases de découverte de la Terre des Meutes, pendant laquelle Elaine va explorer les vestiges du Moyen-Âge, avec l’espoir qu’un jour les humains pourront reproduire les prodiges promis par cette époque lointaine. Cette partie fait donc écho, sur le plan thématique, au premier tome, où l’auteur explorait l’idée que certains pivots étaient inévitables dans le développement humain sur le plan chronologique. Ainsi, après avoir été ramenés à un niveau de développement équivalent à celui du néolithique, les hommes repasseraient par la voie tribale et la vie de chasseurs-cueilleurs, avant de se tourner inévitablement vers l’agriculture. Dans ce second tome, la domestication des plantes est un peu laissée au second plan, l’auteur préférant évoquer les prouesses de bâtisseurs qui ont suivi.

La partie graphique est toujours aussi qualitative, grâce à l’expérience de Didier Poli, l’album profite grandement de son trait réaliste et des couleurs de Bruno Tatti.

En bref, les Âges perdus est une série décente, écrite et réalisée avec sérieux et technique, mais à qui il manque encore un je-ne-sais-quoi pour se distinguer d’autres séries du même genre.

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Convoi

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BD de Kevan Stevens et Jef
Soleil (2022), 114p., one-shot.

J’ai découvert Jef récemment, en 2021 sur son trip sous acide Gun crazy. Extrêmement productif il a remis le couvert en ce début d’année sur l’excellent Mezkal, accompagné déjà de Kevan Stevens. Chez Jef un album ça fait minimum cent pages. Et on ne peut pas dire qu’il chôme tant le découpage est travaillé et les cases fourmillant de détails. Pourtant il faut parfois savoir faire court, surtout quand le projet est simple.

Convoi (Jef)- ConvoiCar ce Convoi au titre aussi limpide que son pitch, se résume en une course folle à la sauce Mad Max Fury Road matinée de dialogues tarantinesques fatigués. Le chef d’oeuvre de George Miller a fortement inspiré la galaxie des artistes graphiques et on comprend bien que certains aient eu envie de se faire un petit plaisir coupable. Le problème c’est que dans un Mad Max l’épure scénaristique s’appuie sur une virtuosité graphique. Jef est un bon dessinateur, là n’est pas le problème. Mais son dessin rapide s’inscrit dans un univers personnel et peut devenir lassant sur des plans larges et des étendues grises désolées. Je ne sais pas quand a été réalisé cet album mais l’on sent un niveau d’implication bien moindre que sur le précédent Mezkal où l’émotionnel nous touchait malgré l’habillage défouloir.

De même, les dialogues à la cons à base de grossièretés et de bons mots ne font pas un album et finissent par devenir lassant en donnant l’impression d’avoir confié les textes à un collégien en rupture scolaire. L’esprit fou de cette France post-apo se reflète dans ces dialogues comme dans les trognes totalement débiles des marionnettes qui font office de personnages. En roue libre, les auteurs nous abreuvent de critiques tous azimut sur les exagérations de notre société en fin de cycle, du végétarisme aux interrogations sur le genre. En 2074 les pingouins parlent, les poissons fument, les frères Bogdonaff sont trois, l’héroïne porte le blouzon de Michael Jackson sur Thriller et Tortue Géniale dirige une place-forte en zone iradiée…

Illustrant la formule qu’un concept ne fait pas un scénario, les deux auteurs du Convoi échouent là où ils avaient réussi en début d’année pour une raison simple: Mezkal s’appuie sur un scénario habillé de WTF quand le convoi pose un WTF en se dispensant de scénario. Si vous voulez du délire lisez Gun Crazy, si vous voulez un film lisez Mezkal. Si vous êtes archi-doingues des Wasteland le Convoi peut se tenter. Pour les autres on attendra un projet plus solide.

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