****·BD·Nouveau !·Rapidos

Banana sioule #2/3

BD de Michaël Sanlaville
Glénat (2023), 208p., série en cours, 2/3 tomes parus.

Les bonnes impressions ressenties à la lecture du premier tome l’an dernier se confirment amplement sur cette suite qui ne perd pas de temps en palabres puisque la série est prévue en seulement trois tomes. Généreux, Michael Sanlaville propose ici un gros changement de modalité sans se prendre les pieds dans le tapis puisque tout le volume est centré sur la formation d’Helena et sa découverte d’autres très talentueux compétiteurs, dont cet étonnant Soni, gringalet aussi rapide qu’intelligent et qui lui dame le pion comme star de l’Ecole.

Entrant de plein pied dans la force Shonen qu’il voulait régaler, l’auteur n’oublie pas d’équilibrer son récit par de courtes incursions de la bande à Helena et les affres d’un amour impossible, quand il ne rappelle pas périodiquement le décidément très mystérieux paternel. Adoptant tous les codes du récit sportif mais en vernis BiggerthanLife, Sanlaville se fait plaisir et nous fait plaisir en parvenant à nous surprendre avec ce sport totalement barré où les super-pouvoirs ne sont jamais loin. Le rôle de l’émotion est joué par les copains de l’héroïne qui cartonnent en tronches de cartoon. La maîtrise des subtilités des niveaux de gris et des ombres est remarquable en donnant par moment une sacrée esthétique avec deux coups de crayons suggérés.

Pour ceux qui connaissent le travail de l’auteur lyonnais la technique de l’animation se reconnait à chaque instant avec ce sens du mouvement que génère une touffe de cheveu, une onde de choc ou un cadrage. Avec une économie de moyens, le dessinateur nous en met plein la vue dans ce blockbuster dont on attend la suite avec impatience. Un nouvel exemple que « manga » ou « BD » importent peu, les auteurs talentueux savent depuis longtemps briser les lignes et prendre ce qu’il y a de meilleur dans tous les genres pour proposer des albums populaires et redoutablement efficaces.

note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
Manga·Service Presse·Nouveau !·Rapidos·East & West·****

Fool night #4

Manga de Kasumi Yasuda
Glénat (2022), série en cours, 4/6 tomes parus

bsic journalismMerci aux éditions Glénat pour leur fidélité.

Attention spoilers!

Plein de mangaka ont publié de grandes séries sur leurs débuts, aussi il n’est pas totalement incongru de voir Yasuda construire un projet d’une grande ambition et d’une maîtrise très assurée pour sa première œuvre. Sans revenir sur les excellents dessins, à cheval entre le manga et la franco-belge (ou plutôt le style italien) et qui installent une atsmosphère de polar redoutable dans les ombres et lumières, ce tome marque une forme de pause permettant le développement après la grande violence et l’action du précédent.

Le meurtrier disparu, l’équipe de l’Institut de transfloraison semble éliminer ses querelles pour affronter les conséquences des évènements: mis au pas par les forces de police, ils vont devoir enquêter pour comprendre qui était cet enfant devenu sanctiflore animé, ce qui va les amener à explorer l’univers des transflorés qui restait en coulisses jusqu’ici. Étirant un peu les relations entre Toshiro et Yomiko, l’auteur installe une situation insurrectionnelle alors que les anti-transfloraison multiplient les manifestations et agressions contre les tenants du système. Pas vraiment d’intrigue politique mais une tension qui élargit la focale qui restait jusqu’ici un peu interne au héros et à l’Institut. Et c’est une excellente chose qui donne une respiration en nous faisant voir du pays et de nouveaux protagonistes en généralisant des problématiques plus complexes que ce que l’Etat veut bien montrer.

Franchement novateur, ce manga s’installe comme une valeur sure de SF sociale tirant sur le polar. Kasumi Yasuda semble avoir énormément de choses à dire et à montrer dans sa besace et il est fort probable que l’on ne soit qu’au début d’une grande saga tant les potentialités ouvertes par son hypothèse sont grandes. Une des séries majeures à suivre actuellement, mon petit doigt me dit que cette série restera marquante…

note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
****·BD·Nouveau !·Service Presse

13 heures 17 dans la vie de Jonathan Lassiter

Récit complet en 104 pages écrit et dessiné par Eric Stalner. Parution aux éditions Grand Angle le 31 mai 2023.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

La Loi de Meurs, Phi.

Jonathan Lassiter est un jeune homme introverti, sage, et pour tout dire, un peu ennuyeux. Il tente tant bien que mal de se faire une place dans le cabinet d’assurance où il vient d’être embauché, afin d’offrir à sa belle Helen la sécurité matérielle qu’elle exige.

Pour cela, Jonathan est prêt à supporter les clients insupportables, un patron tyrannique ainsi que les incessantes brimades de ses collègues. Seulement voilà: le chaos surgit toujours de façon imprévisible, malgré les efforts que l’on peut faire pour l’endiguer.

En l’espace d’un heure, Jonathan va perdre son job, être plaqué par sa fiancée, et se retrouver avec une plainte pour coups et blessures sur le dos après avoir rendu la monnaie de sa pièce à son insupportable collègue de bureau. Ces pertes successives ne vont pas s’arrêter là, car lorsque notre pauvre hère prend le chemin du bar le plus proche pour noyer son chagrin, il s’aperçoit bien vite, au moment de régler la note, qu’un pickpocket l’a dépouillé de son portefeuille.

Le jeune homme récemment célibataire va être sorti de la panade par Edward, un quincagénaire cynique et nihiliste, qui tient le comptoir en débitant ses diatribes sur l’insanité de la vie. Edward paie la note de Jonathan, mais il a un service à lui demander en retour: le raccompagner chez lui dans sa cadillac rouge. Se sentant redevable, Jonathan accepte, sans savoir que les prochaines 13 heures et 17 minutes vont représenter un pivot décisif dans son existence…

Nous avions déjà croisé Eric Stalner sur Le Bossu de Montfaucon, où il officiait en tant que dessinateur. Il règne ici en tant qu’artiste complet, et nous embarque, en même temps que son ingénu protagoniste, dans une folle équipée centrée sur les rencontres improbables.

L’histoire est menée par un duo atypique de héros, qui sont bien évidemment opposés en tous points. Cette dynamique de buddy cop movie se marie bien avec l’aspect road trip, puisque chaque étape de ce voyage initiatique sera l’occasion pour nos deux compères de tisser des liens et de mettre en lumière leurs oppositions et leurs point communs inattendus.

L’auteur semble s’amuser réellement avec l’ambiance sixties américaine, notamment en jouant avec une bichromie subtile et un trait semi-réaliste. Le récit s’enchaîne d’une traite et nous tient en haleine jusqu’à sa résolution, les enjeux étant finalement aussi élevés pour Jonathan qu’ils ne le sont pour Edward.

Ces 13 heures 17 minutes dans la vie de Jonathan Lassiter sont une bonne surprise, dans laquelle Eric Stalner peut montrer l’étendue de son expérience et de sa maîtrise de la narration visuelle.

***·BD·Littérature·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Arsène Lupin contre Sherlock Holmes 2/2

Second volume du diptyque écrit par Jérôme Félix et dessiné par Alain Janolle. Parution chez Grand Angle le 31 mai 2023.

Ça va te coûter Sherlock

Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur, et Sherlock Holmes, le plus grand détective du monde, se livrent depuis des années une guerre sans merci. Leur rivalité a culminé lors d’une nuit décisive durant laquelle Holmes, déterminé à appréhender le seul homme capable de le surpasser, tua par accident Raymonde, l’épouse de Lupin.

Quelques années plus tard, alors que le détective de Baker Street s’est retiré du monde, Lupin met de côté ses cambriolages pour percer le secret d’un vieil alchimiste, qui avant de mourir, aurait découvert le secret de la transmutation du plomb en or. L’as du déguisement se fait alors passer pour un Holmes sous couverture pour mener son enquête auprès des deux filles de l’alchimiste, sans ignorer toutefois que ce secret va attirer bien des convoitises, sans compter sur la revanche de Holmes lui-même.

Après quelques aléas de caractérisation dans le premier volume, les deux légendes sont de retour dans la conclusion du duel. Cette fois moins de fausses notes, l’auteur se concentrant sur la rivalité entre les deux adversaires et sur leurs motivations. La conclusion de l’enquête s’avère assez satisfaisante, de même que la fin de l’affrontement entre Holmes et Lupin, qui contient son lot d’émotion et une belle leçon sur le prix de la rancune.

Dans la continuité du précédent volume, et pris dans son ensemble le diptyque affiche une bonne qualité et se lit agréablement, ce qui va en faveur d’un 3 Calvin.

***·BD·Nouveau !·Rapidos

Celle qui fit le bonheur des insectes

image-9
couv_454776
BD de Zidrou et Paul Salomone
Daniel Maghen (2022), 81p. One shot.

Il était une fois dans un luxuriant royaume indien, une reine à qui tout devait sourire et qui se trouva submergée de malheur. Au lieu du chant de vie des oiseaux elle préféra bientôt le cliquetis lugubre des insectes. Son deuil devint national, jusqu’à en oublier ceux qui restent…

Dans le magnifique et très spacieux écrin des éditions Maghen, le prolifique Zidrou propose au dessinateur de L’homme qui n’aimait pas les armes à feu un conte classique et cruel sur le deuil qui rend fou et l’autoritarisme des puissants. A travers l’histoire de cette reine qui vient de perdre son mari et reporte toute son affection sur ses deux enfants il interroge le drame personnel qui prend une dimension nationale lorsque le chagrin la fait sombrer dans la folie, jusqu’à ordonner la suppression de tous les oiseaux du pays.

Alternant le drame et l’absurde en restant toujours dans l’esprit du conte pour jeunes, le scénariste de Lydie laisse son lecteur interpréter comme il l’entend cette histoire qui semble sortie des mille et une nuits mais offre surtout à son acolyte une superbe occasion de montrer la brillance de ses couleurs. En plans larges, sur des encrages subtiles, Paul Salomone fait éclater les couleurs des plumages, l’orfèvrerie des palais indiens et chatoyer les étoffes d’orient. La lecture de Celle qui fit le bonheur des insectes est un émerveillement constant qui sait lâcher quelques touches d’espoir pour une conclusion qui se veut malgré tout dédiée à l’amour.

Comme tout conte, l’album refermé peut interroger sur la portée du propos et du scénario (simple par essence). Pourtant les auteurs offrent aux amateurs de belles images une plongée en orient qui coche toutes les cases du genre. Les amateurs seront ravis, les autres passeront néanmoins un agréable moment graphique.

A noter qu’une édition NB a été éditée, mais qui laisse dubitatif sur l’intérêt dans un tel projet…

note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
****·East & West·Manga·Rapidos·Service Presse

Tsugumi project #6

esat-west
Manga de Ippatu
Ki-oon (2023) – 192p./volume, 6/7 tomes parus.

 image-5Merci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.

En ressortant du centre de recherches dont les trouvailles vont permettre à l’érudite Tama de comprendre le destin du Japon post-apocalyptique l’équipée est mal en point: Léon gravement irradié, Dudu blessé, voilà l’armée du fourbe Omoikane qui fond sur eux, accompagnés des deux gigantesques monstres Gongen et L’Egaré! Une formidable bataille s’engage…

A l’approche de la fin de la série (l’auteur confirme sur ce tome que le septième sera le dernier) on sent que Ippatu est en pleine ferveur pour son monde dont il déroule l’histoire avec de plus en plus de fluidité et de facilité. Il est un peu triste de se dire qu’après quatre tomes de mise en place progressive et par moment assez contemplatives sur le début, l’action se précipite de cette manière comme pour rattraper le temps perdu.

Car ce sixième volume d’une des toutes meilleures séries de l’éditeur est un concentré d’action de bout en bout qui arrive à proposer de furieuses séquences de bataille entrecoupées d’un design de créatures et de décors totalement fou sans oublier de nous faire franchement rire avec ces intrusions de cartoon absurdes aux visages grotesques et aux vannes très bien traduites. Le traitement se simplifie pour évoluer vers un esprit shonen. On notera que l’auteur semble avoir fait le tour de son histoire à la fin du volume, l’intrigue se hachant par des retours et révélations un peu brutalement envoyés et quelques séquences qui si elles sont très sympathiques ressemblent presque à des bonus. Car une fois refermé le tome on nous aura expliqué très simplement l’ensemble des mystères et de l’origine des personnages, ce qui leste un confortable dernier volume pour refermer joliment cette odyssée d’une grande originalité.

Marquant des points sur tous les plans, ce tome est donc un coup de cour… qui frôle les cinq Calvin en raison d’un problème éditorial déjà soulevé mais qui saute ici aux yeux: l’auteur travaillant manifestement en numérique sur de très grands formats permettant une finesse de trait et de décors sidérante, on s’arrache littéralement les yeux de frustration sur ce format manga classique. C’est assez incompréhensible car Ki-oon propose plusieurs formats dans ses collections (récemment sur Leviathan ou Soloist in a cage) et sait innover comme sur l’exceptionnelle collection Lovecraft. Un gros manque de clairvoyance qui justifierait absolument une édition Deluxe une fois la série terminée et que la très grande qualité de Tsugumi project mériterait amplement comme mise en avant.

note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
***·East & West·Manga·Rapidos·Service Presse

Soloist in a cage #2/3

esat-west
BD de Shiro Moriya
Ki-oon (2023) – 2018, 208p./volume, 2/3 tomes parus.

 image-5Merci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.

Avec une première série qui aura vu ses trois volumes parus la même année (le dernier est annoncé pour octobre), l’éditeur Ki-oon propose un format court qui sait assumer les possibilités et les limites de la brièveté. Avec une intrigue très concise basée sur une simple évasion, la maitrise narrative est remarquable puisque si le premier se concentrait sur le prologue et le retour de l’héroïne, la césure d’une dizaine d’années permet une multitude de potentialités concernant le destin du petit frère recherché. Fort différent du précédent, ce tome nous présente une fratrie travaillant sur un mystérieux projets tout en veillant sur leur père très malade. On comprend rapidement qu’ils œuvrent pour une sorte d’Eglise dont les Inquisiteurs sont de redoutables combattants qui s’entraînent sur les terribles robots-gardiens.

Le long passage un peu mièvre avec les frangins inquiète sur l’orientation de la série mais construit aussi un très intéressant faux-semblant lorsqu’on se met à la place de Chloé qui se demande à chaque jeune garçon rencontré s’il est possible qu’il s’agisse de son frère perdu nourrisson… Torturée par les visions d’une sorte de démon qui la ramène à sa condition de surin, la jeune femme se rattache à cette humanité qui surprend dans le chaos de la cité-prison. La simplicité de l’objectif n’autorise cependant pas de trop grandes digressions et nous voilà vite ramenés à des scènes de combats où l’autrice brille par sa mise en scène.

Doté de dessins et d’une atmosphère tout à fait fascinants, Soloist in a cage frustre principalement par la brièveté du format qui interdit de développer sérieusement les antagonistes ou les organisations. Avec ces limites, la trilogie réussit pratiquement tout ce qu’elle présente dans une édition toujours élégante.

note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1

****·Comics·East & West

Everything

Histoire complète en 264 pages, écrite par Christopher Cantwell et dessinée par I.N.J. Culbard. Parution aux US chez Berger Books, label de Darkhorse Comics. Publication en France chez 404 Comics.

Posséder ou ne pas posséder, telle est la question

La petite bourgade de Holland, dans la Michigan, s’apprête à vivre à son tour la révolution consumériste, grâce à l’ouverture du flambant neuf centre commercial Everything. Qu’y trouve-t-on ? Absolument TOUT ! Tout ce qui peut ravir l’imagination et les sens de tous ses clients potentiels, quel que soit l’âge, le genre ou la classe sociale. L’architecture est moderne, le personnel accueillant, il ne reste donc plus aux habitants d’Holland qu’à aller flâner et se perdre dans les interminables rayons de ce mall cyclopéen.

Comme l’ensemble des habitants, Eberhard Friendly, conseiller municipal, se réjouit de l’ouverture du magasin, y voyant une opportunité de dynamiser sa commune. Lori Dunbar, quant à elle, est enlisée dans un spleen existentiel dont elle ne parvient pas à s’extirper. Le bonheur préfabriqué promis par Everything représente peut-être pour Lori la chance de guérir enfin de son mal-être. Ce n’est pas la même chose pour Rick Oppstein, dont la boutique Sounds Good Stéréo est mise en danger par l’offre pléthorique d’Everything.

Bientôt, les allées du centre commercial sont bondées, emplies d’une marée humaine avide de consommation. Sous l’oeil acéré de Shirley, la directrice du magasin, toute l’équipe s’affaire pour satisfaire les hordes de clients, car après tout, c’est la raison d’être d’Everything ! Malheureusement, tout n’est pas aussi transparent que ça, car dans les coulisses du magasin, se joue quelque chose qui dépasse les petites destinées personnelles, et qui engendre des tragédies comme des suicides, des combustions spontanées, des tumeurs au cerveau…et des érections involontaires.

Et si le bonheur était à portée de main pour tous ? Et si, en accaparant des objets manufacturés, vous pouviez laisser de côté vos tourments intérieurs et atteindre la félicité ? Combler le vide spirituel par une abondance matérielle, cela ressemble à s’y méprendre aux promesses de la société de consommation, qui nous fait croire que la possession de biens nous définit en tant qu’individus (il n’y a qu’à décortiquer les pubs de voiture ou de téléphones pour s’en convaincre).

Everything revient dans la décennie qui a vu fleurir les centres commerciaux aux USA, et livre une satire du modèle capitaliste à la sauce surréaliste. L’ambiance décalée accroche le lecteur dès le premier chapitre, en instillant un malaise et un mystère savamment dosés. Le ton est acerbe, ciselé, et l’intrigue offre plusieurs niveaux de lecture.

Après une première partie qui emprunte bien sûr aux œuvres de David Lynch (sans pour autant être absconse), le scénario de Cantwell bouscule les genres en usant de ficelles que Lovecraft et autres Carpenter n’aurait pas reniées. Ce basculement, loin d’être déstabilisant, offre de nouvelles clés de compréhension de l’intrigue et redynamise le récit, dont la tension va crescendo jusqu’à un final à la fois déjanté et cohérent.

Côté graphique, I.N.J Culbard fait encore une fois la démonstration de son talent, grâce à un trait épuré proche de la ligne claire. On retiendra également l’importance de la mise en couleur, qui a une signification et un impact déterminants dans le récit.

L’aspect éditorial n’est pas en reste non plus, car 404 met une fois de plus un grand soin dans la fabrication de ses livres, avec en l’espèce une couverture et un dos toilés, qui mettent en valeur une couverture poétiquement complexe.

BD·Jeunesse·Service Presse·Nouveau !·Rapidos·***

PUNCH! saison#2: Coriandre et Estragon

BD  de Anaïs Maamar
Kinaye (2023), 40p., one-shot. Collection Punch!, saison 2.

image-13Merci aux éditions Kinaye pour leur confiance

Coriandre lapin et Estragon le dragon tiennent une taverne où passent tous les aventuriers en quête de donjons et de trésors. Mais un jour une vieille connaissance vient menacer l’ancien paladin et met en péril le cadre de vie qu’il a installé pour lui et le jeune dragon qu’il a adopté jadis…

Alors que se profile en juin le quatrième et dernier épisode de cette seconde saison de l’anthologie fantastique PUNCH!, les éditions Kinaye dénichent une nouvelle pépite en la personne d’Anaïs Maamar, jeune autrice venue du cinéma d’animation et dont c’est la première publication. Et pour une première on peut dire sans hésiter que techniquement ça dépoté! Sous la schéma d’une historiette de fantasy autour de l’adoption et de la différence (un ex-paladin-lapin adopte un bébé dragon qui ne sais pas dans quelles conditions il est venu au monde), l’autrice assume un format compact concentrant pratiquement son récit en unité de temps et d’action, simplement aéré par un récit du passé du lapin. Cela permet de ne pas se disperser et de développer l’univers visuel avec cette très chouette maison qui semble conçue comme dans un jeu vidéo (point commun avec plusieurs artistes de la collection Punch!) et un chara-design où Anaïs Maamar se fait plaisir. Dans le même esprit graphique que le précédent épisode de Valentin Seiche, Coriandre et Estragon est autrement plus lisible et jouit d’une colorisation simple mais terriblement efficace.

Il est toujours aussi agréable de découvrir de jeunes talents pour lesquels Kinaye apparaît désormais comme une pépinière reconnue et mérite toute l’attention des amoureux du dessin. Avec une coloration plus fantasy et plus classique que la précédente saison, Punch! propose toujours des plaisir de lecture simple avec l’envie de suivre ces auteurs dans leurs prochains projets. Et il est certain qu’Anaïs Maamar fait partie des talents qui risquent d’exploser dans les prochaines années.

note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
BD·Service Presse·Nouveau !·****

Rescapé.e.s, carnet de sauvetages en méditerranée

image-5
couv_473263

Album de Lucas Vallerie et Michael Bunel

La Boite à bulles (2023), 160p., one-shot. Comprend une préface et une post-face de MSF, ainsi que les courtes biographies des auteurs.

Merci aux éditions La Boite à Bulle pour leur confiance.


Depuis le tristement célèbre naufrage de Lampedusa en 2013, la société civile s’est substituée aux Etats réticents à assumer leur rôle légal de sauvetage en mer par crainte d’alimenter les tensions xénophobes concernant une « submersion migratoire ». Medecins sans Frontières fait partie de ces grandes ONG qui arment des navires. Convaincue que la communication est une arme redoutable pour contraindre les gouvernements, si ce n’est à les aider, du moins à les laisser réaliser leur mission, MSF a proposé à l’éditeur La boite à bulle d’embarquer deux artistes-témoins pour raconter une mission de l’été 2022.

Une des conséquences des hypermédias est de nous habituer aux drames, à la banalité de la perte de vies humaines. L’immense mérite de ce carnet de sauvetage est de nous mettre face à face avec ces sauveteurs, ces migrants, ces êtres humains, dans une urgence qui obère toute velléité de réflexion sur les « appels d’air », sur l' »irresponsabilité », sur l’entretien d’une vague migratoire que certains dénoncent. Jamais il n’est question ici de politique mais simplement d’humanité, de ces valeurs universelles qui proclament dans le Droit de la mer l’obligation de secourir les personnes en danger prioritairement à toute autre mission.

Nous suivons ainsi la mission du Geo Barents au travers des yeux du photographe Michael Bunel et du dessinateur Lucas Vallerie, au travers d’un code couleur qui nous permet de suivre les textes que ce dernier a publié au cours des deux semaines de navigation sur son compte Instagram. Reprenant ainsi le très réussi jonglage des frères Lepage entre photographie et dessin sur leur expédition en Antarctique, cet album utilise la force de chaque média pour décrire de façon expressive (sur le dessin) et en prise sur le vif.

Truffé d’informations documentaires sur le fonctionnement des sauvetages, sur l’intérieur du navire autant que de rencontres avec les membres de la mission, Rescapé.e.s surprend par l’émotion qui nous submerge alors que survient la première embarcation à la dérive. Car contrairement à un froid papier de presse on saisit le ressenti des auteurs dans une vérité crue, celle de gens perdus sur l’immensité, pour qui l’arrivé du Géo Barents est la fin d’un cauchemar. Ils savent que la suite, après débarquement, ne sera pas une partie de plaisir mais ces difficultés paraissent dérisoires face à la peur permanente depuis qu’ils ont quitté leur maison dans les mains des passeurs. Sans s’appesantir sur le contexte politique qui verra les néo-fascistes revenir au pouvoir en septembre 2022, on sent à la fois l’existence d’un droit que les autorités sont contraintes d’appliquer, et le système sécuritaire européen se mettre en place dès les migrants débarqués à port.

Constamment pressé par le temps, le dessinateur alterne croquis rapides et dessins plus travaillés lorsqu’il a quelques heures devant lui. Témoignage directe d’une réalité que la plupart ne veulent pas voir, cet immense cimetière invisible qu’est la méditerranée, documentaire passionnant sur l’organisation et le professionnalisme impressionnants de ces humanitaires dévoués à une évidence, Rescapé.e.s est un album précieux et susceptible de sortir nos populations de leur torpeur et des infâmes concurrences répressives des politiques de droite.

note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1
note-calvin1