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Au-delà des montagnes / Le calcul du papillon

La BD!
BD collectif
Delcourt (2023), 80p. environ, one shots, Collection « Les futurs de Liu Cixin » #11 et #12

bsic journalismMerci aux éditions Delcourt pour leur fidélité.

Pour une collection express on peut dire que « Les futurs de Liu Cixin » aura fait dans le rapide, avec pas moins de quinze albums d’artistes du monde entier pour illustres des nouvelles d’un des auteurs majeurs de la littérature SF mondiale. Pas franchement complétiste et plus attaché à des auteurs pour voir ce qu’ils peuvent apporter à des idées SF parfois excellentes, parfois très banales, je termine mes lectures de cette collection par ces deux albums réalisés par deux auteurs espagnols et un américain… qui malheureusement ne figureront pas parmi les meilleures adaptations du chinois.

  • Au-delà des montagnes

Les futurs de Liu Cixin - Au-delà des montagnes de Eduard Torrents, Ruben  Pellejero - BDfugue.comL’intrigue commence comme beaucoup d’apocalypses en science-fiction et chez Liu Cixin, par l’arrivée d’un astre extra-terrestre dont la gravitation provoque l’aspiration d’une colonne d’eau plus haute que l’Everest, que va entreprendre de « grimper » un géologue-alpiniste traumatisé par l’accident qui a coûté la vie à sa cordée. Mais c’est bien au-delà du pitch classique que l’intérêt de l’album se trouve puisque une fois arrivé en haut, le personnage principal va se voir relater la fantastique odyssée d’une civilisation d’androides auto-créés dans un univers minéral fermé. Commence alors un très intéressant récit d’une hypothèse de l’Evolution dans un paradigme totalement différent du notre et qui permet une réflexion profonde sur le type de Développement exotique qui pourrait avoir lieu ailleurs dans l’univers. Tout à son approche scientiste, Liu Cixin imagine ainsi que des charges électriques pourraient allumer des entités minérales semblables à nos amibes primitives, que le Plein peut développer une certaine forme de raisonnement à l’opposé d’un environnement libre ou nous rappelle que la science progresse en réaction à son environnement physique et non sur de seules hypothèses. Tout cela est parfaitement attrayant même si la très grande linéarité de l’album (qui consiste ainsi pour l’essentiel en un récit directe) et l’inadaptation du trait de Ruben Pellejo à ce type d’univers laissent la coquille de l’album assez pauvre. C’est dommage mais montre que la cohérence entre trait et histoire restent centrales en BD.

  • Le calcul du papillon:

Les Futurs de Liu Cixin (tome 12) - (Dan Panosian) - Science-fiction  [LIBRAIRIE BDNET NATION, une librairie du réseau Canal BD]J’avais bien accroché au trait de l’américain Dan Panosian sur Slots et voulais voir ce qu’il aurait pu proposer sur cette adaptation qui fait référence à la théorie du chaos. Malheureusement son album nous laisse face à une intrigue sans orientation ni fin, avec un dialogue conclusif qui semble avoir laissé pas mal de monde sur le carreau. Assez nihiliste, l’intrigue suit un scientifique yougoslave qui poursuit des points mobiles sur le Globe, dont l’activation (selon sa théorie) devrait provoquer un brouillard empêchant toute poursuite de la guerre de l’ancienne République de Tito. L’idée est classique et le contexte aurait dû être original, sans que cette dernière guerre de la Guerre Froide n’apporte grand chose à l’idée SF. Pire, on ne comprend pas le lien entre cet aspect géopolitique de fond et ce quichotisme d’un personnage que l’on n’a pas eu le temps de comprendre. On lis donc cet album passivement, en attendant une évolution pour ne voir que drame et progression sans fin. On reste donc sur le carreau, pas vraiment dans la SF, pas vraiment dans la politique historique ni le drame, avec trop peu de clés pour pénétrer le projet de Panosian. L’inverse de ce que proposait l’excellent Ere des anges.

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BRZRKR #1

Premier tome de 103 pages, de la série créée par Keanu Reeves, co-écrite par Matt Kindt et dessinée par Ron Garney. Parution aux US chez BOOM! Studios, publication en France chez Delcourt le 15/03/2023.

Berzerker au grand Coeur

L’homme qui se fait appeler B. n’en est pas vraiment un. Doté depuis sa naissance de pouvoirs surhumains, il parcourt les âges, incapable de mourir et mû par une soif inextinguible de combats. Il serait d’ailleurs plus juste de parler de boucheries, car lorsque Berzerker se bat, il laisse généralement dans son sillage des guerriers en confettis avec supplément hémoblogine.

« –Monsieur, qu’est-ce qui vous a traversé la tête au moment de mourir ? » « –Euh, comment vous dire... »

Lassé de cette vie de violence mais incapable de s’arrêter, B. a passé un marché avec le gouvernement américain. En échange de bons et brutaux services, l’Oncle Sam s’est engagé à trouver par tous moyens une méthode pour permettre à B. de mettre fin à son immortalité. Non pas que B. envisage nécessairement de mettre fin à ses jours, mais il souhaite au moins avoir la possibilité de mourir, un don qu’il juge précieux après ces milliers d’années passées à commettre des massacres.

Accompagné par une thérapeute, B. explore ses souvenirs, perdus dans les brumes du temps, afin de percer le secret de ses origines et de ses pouvoirs surnaturels.

….

Voilà, c’est à peu-près tout pour le moment.

Si vous vous êtes intéressé de près ou de loin à la pop-culture ces 25 dernières années, alors vous avez forcément entendu parler de Keanu Reeves. Ce comédien, connu notamment pour certains de ses rôles iconiques, est généralement très apprécié pour son humilité, son introversion et son altruisme. Après avoir fait une incursion dans le monde des jeux vidéos (Cyberpunk 2077), il s’essaie cette fois à la bande dessinée, épaulé par Matt Kindt, auteur prolifique et talentueux que l’on a déjà pu lire dans Black Badge, Folklords, Ether, ou encore Mind MGMT et Deparment H.

Après une campagne Kickstarter qui a marché du tonnerre, le duo s’est octroyé les services de Ron Garney pour créer cette histoire en douze chapitres, dont l’adaptation sur Netflix n’a pas tardé à être annoncée, avec Keanu Reeves dans le rôle-titre. C’est d’ailleurs l’acteur qui prête ses traits au personnage de la BD, faisant de cet album une sorte de mise en bouche ou de préquelle.

On ne va pas se mentir, BRZRKR, malgré son titre hyper-cool et stylisé, est un récit plutôt stéréotypé. Le personnage mystérieux, violent, invincible et légèrement oublieux de son passé ne peut que nous rappeler certains badass bien connus comme Wolverine, auquel B. emprunte même son pouvoir de régénération. L’immortel lassé de la vie est également un thème récurrent dans ce genre de récit, on pense notamment à The Old Guard, qui met également en scène des guerriers antédiluviens blasés par l’éternité (et une autre BD adaptée sur Netflix!), ou au Higlander qui ne veut plus de cette vie éternelle après avoir vu mourir tous ceux qu’il aimait.

L’intrigue n’en est encore qu’à ses balbutiements, si bien que la direction que va prendre le récit dans son deuxième tome est encore un peu floue à ce stade. Il n’en demeure pas moins que l’action est omniprésente. Les scènes de combat sont ultra-gores, avec têtes réduites en bouillie, machoires arrachées, bras et jambes qui volent dans tous les sens après avoir été séparés de leurs propriétaires. Néanmoins, elles s’avèrent répétitives, puisque malgré les flash-backs dans le passé du personnage, elles se résument toujours à la même chose, à ceci-près que les armes changent en fonction des époques. Le Berzerker n’ayant pas encore rencontré de défi physique à affronter, les combats qui se succèdent peuvent donc se révéler un peu ennuyeux, consistant uniquement en un sosie de notre Keanu adoré qui déchiquette des soldats anonymes en carton-pâte.

On demande donc à en voir davantage dans la suite, avec une attente particulière sur le développement émotionnel du protagoniste et les révélations sur ses origines, sans oublier, bien sûr, des scènes d’action un tantinnet plus originales. On met trois Calvin pour le capital sympathie de Keanu, le dessin de Ron Garney et le mystère autour de la résolution de l’histoire.

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Radiant Black #2

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Comic collectif.
Delcourt (2023), Ed US Image comics (2021), 176p., 2/3 tomes parus.

Attention spoilers!

bsic journalism

Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance!

Alors que Marshall déchaîne sa vengeance contre le Radiant rouge qui a envoyé son meilleur ami à l’hôpital, surgit un nouvel être surpuissant qui exigera une alliance imprévue entre les quatre couleurs qui viennent tout juste de réaliser qu’ils ne sont pas seuls. Un combat qui va leur révéler un danger cosmique face auquel leurs combinaisons semblent bien dérisoires…

Radiant Black #10 Blacklight Edition | Image ComicsBonne surprise qui a rafraichi l’an dernier le récit superhéroïque, Radiant Black continue à casser les codes et les attendus dans ce second tome assez perturbant dans son déroulement. L’habillage « power rangers » du projet avait tout du produit formaté mais le scénariste rompait immédiatement ce schéma en changeant très tôt de porteur du radiant en ouvrant la possibilité d’une série centrée sur un héros pluriel plutôt que sur  une équipe de héros. Cette suite va confirmer cela puisque hormis la très énergique et fun première partie centrée sur la baston planétaire des quatre « couleurs » contre leur adversaire, on va suivre la version Marshall du Radiant black en continuant à visiter la vie des millenials et des réseaux sociaux (notamment sur le récit secondaire dédié à Rose et bien moins réussi que celui de Rouge).

Alors que l’on s’attend à voir se construire l’équipe, les personnages sont en réalité éparpillés assez rapidement en nous laissant voir Marshall tenter de sauver son ami et nous révéler une guerre galactique qui semble liée au Radiant et à l’antagoniste que les amis sont parvenus temporairement à contrer. On passe donc d’un premier tome plutôt original et intelligent dans l’histoire d’un auteur en dépression de page blanche à tout autre chose. Dans une grande liberté vis à vis de leur lecteur, les auteurs expérimentent ainsi des idées graphiques plutôt gonflées lorsque le héros se retrouve dans le monde du Radiant afin de sauver l’âme de son ami. D’un tempérament très différent de Nathan, Marshall va devoir assumer les conséquences des distorsions de l’espace-temps que semblent créer ses pouvoirs. Le lecteur continue d’assister à tout cela avec un grand mystère mais bien accroché pour tenter de comprendre l’origine de tout cela.

Ainsi bien plus proche du travail d’un Mark Waid que d’un produit formaté disneyien, Radiant Black maintient son originalité en proposant quelque chose que l’on n’attend pas, dans un équilibre solide entre introspection relationnelle et baston cosmique.

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Not all robots

Comic de Mark Russel et Mike Dodato jr.
Delcourt (2023), 120 p. One-shot.

image-5Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

En 2056 toutes les taches contraignantes et productives sont effectuées par des robots. Les humains devenus oisifs se voient attribués un robot domestique dont ils dépendent. Dans cette société déséquilibrée organisée par les multinationales de la robotique, si la majorité s’accomode de cette situation, certains voient dans cette élimination productive des humains une dépendance trop dangereuse pour le genre humain…

Amazon.fr - Not All Robots (Volume 1) - Russell, Mark, Deodato Jr., Mike,  Loughridge, Lee - LivresEncore une dystopie robotique. En s’associant au vétéran Mike Deodato qu’on a vu plus élégant, l’auteur du récent Billion dollar island propose un pitch classique dont le ton surprend puisqu’il se veut résolument satirique. En suivant vaguement le destin d’une famille d’américains moyens passablement inquiète du comportement de son robot Russel juxtapose les scènes absurdes à la manière d’un Fabcaro ou d’un Emmanuel Reuzé. Et si l’idée marche dans un esprit Fluide Glacial, on sent très vite sur Not all robots les limites de l’exercice et le manque d’humour du scénariste qui accumule les commentaires appuyés sur ce mauvais plan. Le propos repose ainsi principalement sur les dialogues absurdes entre robots dont certains voudraient se passer du genre humain. Mais en oubliant qu’absurde ne veut pas dire incohérent, il fait de ses androïdes des êtres au comportement humain bien qu’ils aient l’apparence fruste de boites de conserve à la mode Star-wars. Alors qu’un Boichi excellait dans son hypothèse d’une IA cherchant à copier l’empathie humaine et, ici les dialogues sont illogiques et l’interaction robot-humains marche mal. L’intrigue aurait alors pu évoluer vers une guerre de résistance mais là encore bien peu d’action malheureusement très médiocrement portée par un style figé choisi par Deodato

Au final ce sont les deux post-faces des auteurs qui sont les plus intéressantes en nous expliquant pour le scénariste le sens de sa parabole faisant de ses robots des incarnation d’un comportement mâle dominateur dans un contexte #Meetoo (difficile de le comprendre en lisant l’album), pour le dessinateur le malaise de sentir qu’il n’était peut-être pas l’homme de la situation. Etonnante franchise avec laquelle on ne peut qu’être d’accord. Au final pour peu que vous accrochiez au style de dessin il est possible que l’idée vous amuse trente minutes, pour le reste on a là un album plutôt loupé.

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L’ère des anges

La BD!
BD de Sylvain Runberg et Ma Yi
Delcourt (2023), 77p., one shot. Collection « Les futurs de Liu Cixin » #10.

couv_466775bsic journalismMerci aux éditions Delcourt pour leur fidélité.

Rescapé d’une terrible guerre civile dont le continent africain a le secret, le docteur Ita est aussi l’un des plus brillant scientifique de la planète. Prix nobel de chimie il semble l’exemple d’un modèle américain qui permet aux plus modestes de s’en sortir par l’effort et le talent. Pourtant il décide un jour de se consacrer entièrement à la résolution du problème majeur de la Terre: l’alimentation, au risque de rompre les digues éthiques érigées par la société occidentale. Prêt à tout et sur de son succès, son cas repose la question insoluble: le but, si nécessaire soit-il justifie t’il de s’exonérer de toute morale éthique? Et surtout, qui fixe cette morale?

Les Futurs de Liu Cixin tome 10 - L'Ere des anges - Bubble BD, Comics et  MangasParcourant la collection des Futurs de Liu Cixin par morceaux en sélectionnant (comme souvent) la qualité des dessins, j’entame avec cette ère des Anges (et second scénario de Sylvain Runberg sur la collection) ma quatrième lecture d’une collection qui a le grand mérite de proposer des hypothèses SF parfois très exotiques mais aussi de nous faire découvrir une vision asiatique très différente de notre mode de pensée. Avec les limites du format « nouvelle ». Et clairement ce nouvel album est le plus abouti et satisfaisant de la collection pour le moment.

Avec une technique très BD qui sait remarquablement couvrir les quelques faiblesses de dessin par une mise en scène et une colorisation très élégantes (rehaussées par quelques effets numériques discrets), le chinois Ma Yi nous présente une sorte d’hypothèse anticapitaliste au concept de Wakanda (dans le Black Panther de Marvel). Si on pourra reprocher sa gamme de visage assez réduite, créant parfois des gémellités involontaires, la variété des décors, certains gros-plans et le design général scientifique participent à nous immerger dans le scénario très solide de Sylvain Runberg.

On a pu tiquer sur certaines histoires de Liu Cixin très marquées par une mentalité chinoise centrée sur l’Empire et la dominance du collectif sur l’individu. Ici la finesse et la pertinence du propos sur la domination impérialiste des Etats-Unis y compris en matière de normes scientifiques sont remarquables et passionnantes. Les Futurs de Liu Cixin tome 10 - L'Ere des anges - Bubble BD, Comics et  MangasEn suivant l’itinéraire de ce survivant décidé à tout faire pour résoudre le problème de faim dans le monde on est plus dans un registre d’Anticipation décortiquant le fonctionnement mercantile de notre monde et le texte de Runberg parvient à éviter le piège des méchants cowboy ricains contre les gentils africains en piochant des éléments factuels du pilotage commercial de la diplomatie agressive des USA abordés par des dialogues non manichéens. Ainsi confronté à ses pairs du comité d’éthique de l’ONU, le génie biochimiste nobélisé se voit opposer de vraies questions sur la responsabilité du scientifique dans sa propre limitation. Il rétorque que ces belles valeurs n’ont jamais empêché les drames et famines. Très intelligent, le personnage d’Ita n’oublie pas l’apport financier majeur de ce système qui vend la science mais de par son histoire exige des résultats rapides. Et pour cette fois il sera difficile de voir là une option discutable du régime communiste mais plutôt de vrais questionnements universels que la SF a pour rôle d’aborder.

Doté de belles scènes d’actions, de dialogues très efficaces et de réflexions sur le fonctionnement de notre monde et de l’utilisation jusqu’au-boutiste par les Etats-Unis de leur puissance militaire et d’une morale qu’ils rangent à leurs intérêts commerciaux, L’ère des anges est très proche du coup de cœur et un excellent one-shot de SF.

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Démons

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Comic de Scott Snyder et Greg Capullo
Delcourt (2023) 110p., one-shot.

image-5Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

C’est l’histoire de la fin de l’humanité. C’est l’histoire de Lam Cullen la chasseuse de démons. C’est l’histoire de la foi en la bonté alors que la Corne corrompt tout être. Car la Chute a déjà eu lieu…

Démons (Snyder/Capullo) - BD, informations, cotesScott Snyder fut un des golden boys du scénario de comics des années 2010 avec pas moins de deux Eisner pour American Vampire et The Wake, en compagnie d’un certain Sean Murphy, avant de réaliser peut-être une des intrigues les plus importantes de la mythologie Batman, la Cour des hiboux, en compagnie de Greg Capullo. Désormais maîtres en la maison DC, les deux compères se lancent alors dans le monstrueux (sous tous les sens du terme) Batman Metal, inventant l’iconique Batman qui rit… mais se vautrant au final dans un gloubi-boulga dont DC a le secret. Comme souvent la vigueur de la création Indépendante se retrouve écrasée par le rouleau compresseur éditorial et la métastatique mythologie du Big Two. Ce constat et sans doute la réussite insolente d’un Millar ou d’un Murphy incitent aujourd’hui Scott Snyder à lancer son propre label de création indépendante (BestJacket Press) en compagnie de celui qu’il connait le mieux, en partenariat avec Comixology, Dark Horse pour les Etats-Unis et Delcourt pour la France. De quoi voir venir une série de futurs albums en totale liberté créative pour le scénariste et ses collègues dessinateurs. Reste à voir s’il a encore des choses à proposer…

 Dans un style qui rappelle le joyeux bordel de Witchblade et les enfantillages pseudo-gores des années Top Cow, Demons commence très bien (comme souvent chez Snyder…) avec une entrée en matière déstructurée suivant une construction qui change de narrateur: à l’aube des Temps deux matières opposées, l’Auréole et la Corne furent créées et influencèrent la vie sur Terre, des Premiers hommes jusqu’à nos jours. Intéressante variation sur la lutte entre Anges et démons, les deux auteurs métalleux adeptes des histoires sombres racontent comment le Mal est omniprésent et bien plus solidement ancré que l’Auréole. Bien entendu une caste de guerriers millénaires armés d’épées forgées à partir d’Auréole luttent depuis toujours contre les Démons. Héros, légende arthurienne, tout va bien jusqu’ici. Je parlais de construction alternée, elle suit le récit de l’héroïne, fille du chef des chasseurs, qui ne connait encore rien à cette lutte secrète, et son acolyte, un démon qui a la particularité de faire partie de la caste. Dans cette histoire relativement courte au regard du développement d’univers à réaliser, on part sur une affaire de trahison où tout le mystère reposera donc sur cette alternance de récit qui agit comme une temporisation bien utile. Snyder maîtrise ses techniques narratives et déroule donc un projet assez original pour nous maintenir en suspens.

Check Out This Preview of Scott Snyder and Greg Capullo's We Have Demons #2Côté dessins on navigue entre du Capullo impressionnant lorsqu’il travaille ses gros plans, qu’il cisèle ses créatures abjectes, et du limite indigent sur les plans larges et les groupes de personnages. Si on pourra discuter l’esthétique générale des créatures (le duo a mille fois montré son amour du gore à la mode 80’s horror movies), l’ambiance générale est assez alléchante avec cette organisation secrète trop peu développée et un vrai travail d’abomination pour la Corne. Là aussi la technique est solide même si elle reste loin de la maestria proposée dans l’univers Batman.

La limite de l’exercice est à chercher dans la brièveté du projet donc, mais aussi dans des problématiques toutes américaines, entre le discours sur la Foi (dans la bonté humaine… mais qui reste tout de même tout à fait du ressort de la bondieuserie) et un encanaillement qui fait sourire du côté de l’Europe quand les auteurs semblent se trouver absolument odieux lorsque les démons lancent des bordées de jurons. On est loin d’un Ledroit ou Moorcock dans le malsain. Comme chez Spawn (Capullo a commencé dans l’écurie de Todd MacFarlane) le vernis moral américain reste très formaté et ce qui se voulait un crachat subversif reste au stade de la proposition fantastique qui mériterait quelques tomes de plus pour voir de quoi est capable le duo.

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Once and future #4

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Comic de Kieron Gillen, Dan Mora et Tamara Bonvillain (coul.)
Delcourt (2022) – BOOM Studios (2020), 134p., série en cours, 4 « collected editions » parues.
Quand on lance une série le plus dur c’est de savoir s’arrêter. Surtout quand on est épaulé par l’un des dessinateurs les plus impressionnants du circuit US. Partie pour 3 ou 4 tomes, la geste arthuro-badass-gore-littéraire de Kieron Gillen a déjà cramé la limite et ce quatrième volume qui en attend (au moins) un cinquième est le volume de trop, pas loin de la sortie de route. C’est fort dommage tant la brochette de personnage est sympathique, l’esprit film d’horreur fauché des années 80 assumé et très opérant et le décalage trash de l’esthétique arthurienne originale. Once and Future T04 de Dan Mora, Kieron Gillen, Tamra Bonvillain - Album |  Editions DelcourtJe reconnais que mettre 2 Calvin avec un artiste de la qualité de Dan Mora fait beaucoup hésiter. Est-ce bien raisonnable? Pourtant on m’accordera que l’absence de décors finit, une fois basculé entièrement dans l’Outremonde, par devenir gros et les effets visuels font également saturer un peu. Depuis le début de la série l’alternance d’humour, d’action débridée, d’irruptions gores en laissant les atermoiements d’Arthur ( il faut le dire assez ridicules) en pouce-café permettaient de garder un rythme accrocheur. Le fait de sortir du monde réel nous plonge dans un grand vide assez inintéressant, où le temps n’a plus lieu, où les baston sont coupées aussitôt commencées et où ne restent pratiquement plus pour nous tenir hors de l’eau que les fight super-héroïques des chevaliers à la mode Gillen. En passant dans l’Outremonde les auteurs perdent clairement l’équilibre de leur série en étant réduits à faire surgir épisodiquement un nouveau personnage de la littérature anglo-saxonne, qui Shakespear par ici, qui Robin Hood par là, sans oublier une Gorgone. Face à ces démons les héros sont bien peu de choses et se contentent de courir… Tout ça sent de plus en plus le gloubi-boulga et l’érudition certaine du scénariste ne justifie pas d’oublier son objectif. Très grosse déception donc pour ce volume d’une série qui avait su effacer ses quelques défauts sous une immense sympathie et un sens du fun évident. A croire que Gillen a laissé les manettes à un assistant. Espérons qu’il ne s’agit là que d’un accident et qu’un cinquième tome viendra conclure en feu d’artifice une série qui ne méritait pas ça. note-calvin1note-calvin1
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Perpendiculaire au soleil

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BD de Valentine Cuny-Le callet

Delcourt (2022), 436p, one-shot.

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Jeune étudiante en arts, Valentine Cuny-Le Callet entame en 2019 une correspondance avec le condamné à mort américain Renaldo MacGirth qui purge sa peine en Floride. De cet échange nait un livre impressionnant, hybride entre l’ouvrage d’art et BD documentaire un magnifique et dur manifestes contre le système carcéral.

badge numeriquePour son premier album l’artiste Valentine Cuny-Le Callet a déjà touché le monde de la BD, raflant comme peu une salve de prix (voir-en pied d’article). Pourtant la forme de son projet en collaboration étroite avec Renaldo MacGirth est loin d’être grand public, comme sa forme absolument hybride. Car si le sujet est bien un journal de sa relations épistolaire avec ce détenu condamné à mort (pour une énième affaire mal jugée impliquant des noirs américains), l’ouvrage est également une expérimentation artistique totale croisant les techniques, les expressions à quatre mains, d’une richesse comme seule la sève des artistes démarrant leur carrière peut le proposer.

Perpendiculaire au soleil de Valentine Cuny-Le Callet: des petits avions de  papier créatifs pour rendre espoir et humanité dans les couloirs de la mort  – Branchés CultureL’émotion dans Perpendiculaire au soleil vient bien sur de ce contexte, qui rassemble les dernières manifestations du racisme d’Etat en Floride, bastion réactionnaire des Etats-Unis, injustice d’une procédure manifestement expéditive et de conditions de détentions rappelant que l’absurde administratif n’est jamais loin… et cette peine de mort qui nous ramène aux fondements de l’humanisme. De la peine de mort il est pourtant peu question dans ce récit. Non que l’idée ne pèse sur le vécu terrible de Renaldo MacGirth mais sans doute parce que le quotidien de la survie psychologique et du combat pour commuer sa peine absorbent toutes les énergies. L’autrice aborde le sujet brièvement lorsqu’elle se documente sur la question. La réalité d’un système aberrant éclate également, appliquant la logique d’économie de moyens à ces assassinats légaux en créant ses propres limites par la multiplication des exécutions « ratées ». Pourtant le sens de ce projet n’est pas celui d’un pamphlet abolitionniste mais bien une exploration d’une relation humaine dans un contexte dramatique.

Perpendiculaire au soleil de Valentine Cuny-Le Callet: des petits avions de  papier créatifs pour rendre espoir et humanité dans les couloirs de la mort  – Branchés CultureValentine découvre l’action de l’ACAT (qui soutient les prisonniers via des échanges de courriers) à l’occasion de la résurgence du thème de la peine de mort après les attentats de Charlie Hebdo. L’autrice s’engage alors résolument dans cet échange, sans savoir où elle va mais convaincue que c’est là son devoir d’être humain. Ce sera Renaldo qui lui expliquera sa version des évènements l’ayant conduit au couloir de la mort. Les recherches de Valentine lui permettront seulement d’illustrer le cœur du problème, à savoir la multitude d’errements dans les enquêtes policières, dans la procédure judiciaire, augmentant d’autant le risque d’exécutions d’innocents. Avec un ton d’une sérenité de sage, elle cherche à connaitre Renaldo comme un ami, ce qui la poussera à passer une année d’étude outre-atlantique et lui permettra de rencontrer son correspondant.

Perpendiculaire au soleil, une amitié long-courrier entre un condamné à  mort et une illustratriceTout a été dit sur la dureté des conditions de détention (peut-être plus humaines que nos prisons françaises…) mais via le graphisme et la sincérité des textes, toujours pudiques, Valentine Cuny-Le Callet ajoute une part de non-dit, cette expression directe de ce qui est indicible par le prisonnier enfermé dans cinq mètres-carrés sans lumière extérieure. La pudeur et la franchise, indispensables pour le prisonnier pour pouvoir échanger et trouver cette relation humaine qui manque terriblement entre les quatre murs, transpirent dans ces textes à la fois poétiques et mélancoliques. Ils forment à la fois un journal intime, les pensées de l’autrice, celles du prisonnier avec qui a été réalisé ce projet malgré les grandes difficultés d’échanger autre chose que du simple texte. La difficulté rend créatif et l’on assiste à un arsenal de bricolages pour garder la faisabilité du projet à travers la censure importante des courriers arrivant à l’administration pénitentiaire.

Ce livre est assez unique dans sa forme et sans doute dans la carrière à venir de l’autrice, comme une singularité d’humanité et d’expressivité qui transpire une maturité impressionnante et un travail hors norme de la part de Valentine Cuny-Le Callet. Un état de grâce.

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La compagnie rouge

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BD de Simon Treins et Jean-Michel Ponzio

Delcourt (2023), 128p., one-shot.

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image-5Depuis des siècles les guerres ont laissé place à des conflits commerciaux où des compagnies de mercenaires s’affrontent par robots interposés. Pourtant dans cette économie du combat certains désaccords politiques continuent d’employer des Condotta pour départager les différents. La Compagnie rouge est la plus ancienne de ces compagnies de soldats…

C’est peu de dire que cet album s’est fait attendre, depuis la diffusion il y a bientôt un an de la sublime couverture et des premiers visuels fort alléchants et promettant un acme du space-opera militaire. Après moultes reports voici donc arriver ce gros volume équivalent à trois tomes de BD et qui malgré l’absence de tomaison s’annonce bien comme une série au vu de la conclusion.

LA COMPAGNIE ROUGE t.1 (Jean-Pierre Pécau / Jean-Michel Ponzio) - Delcourt  - SanctuaryCommençons par ce qui fâche: le style de l’auteur, Jean-Michel Ponzio. Conscient de sa maîtrise numérique, le dessinateur ouvre sa série sur des planches qui font baver tout amateur de SF, avec un design et une mise en scène diablement efficaces et qui n’ont rien à envier aux plus grands films spatiaux. Accordons-lui également la qualité des textures sur un aspect qui montre souvent des définitions grossières, pixélisées ou floues. Malheureusement aussitôt les personnages humains apparus on tombe de sa chaise et dans un véritable roman-photo qui détricote rapidement toute la puissance des objets techniques. Je ne cache pas que ce problème est ancien et commun à à peu près tous les auteurs qui travaillent en photo-réalisme à partir de photos d’acteurs. D’immenses artistes en subissent les affres comme Alex Ross et récemment j’ai pu constater à la fois le talent artistique d’un Looky et l’immense différence entre son travail numérique (sur Hercule) et un autre plus traditionnel (Shaolin, dont le troisième tome vient de sortie et très bientôt chroniqué sur le blog). Mais outre le côté figé des expressions et mouvements, Ponzio ajoute des costumes kitschissimes qui semblent nous renvoyer à de vieux sérials SF des années cinquante ou aux premiers jeux-vidéos filmés des années quatre-vingt-dix. Cet aspect semble tragiquement recherché puisque le bonhomme sait parfaitement redessiner ses formes et la différence entre le plaisir des combats spatiaux et les séquences avec personnages s’avère assez rude.

LA COMPAGNIE ROUGE t.1 (Jean-Pierre Pécau / Jean-Michel Ponzio) - Delcourt  - SanctuarySur le plan de l’intrigue on est dans du très classique (une compagnie de mercenaires recherchant des contrats et victimes de manigances) avec des personnages fort fonctionnels (le chef de guerre fun, la sage capitaine mais réussis, le novice qui permet de faire avancer l’histoire et notre connaissance de l’univers,…) et les pérégrinations d’un équipage sur le même modèle que le récent Prima Spatia. Le récit passe beaucoup par des dialogues très dynamiques que l’on a paradoxalement plaisir à suivre en faisant abstraction des « photos ». On excusera un découpage parfois brutal dans les sauts temporels et on ralentit le rythme sur les concept-arts grandioses de trous de ver, de stations spatiales et de croiseurs de guerre au design fort inspiré si ce n’est des hommages un peu trop appuyés à Star Wars.

On se retrouve ainsi avec une BD bipolaire qui nous enchante par son aspect technique et un univers hard-science franchement attrayant et une façade de roman-photo kitsch qui fait rapidement sortir du récit. Si vous parvenez à dissocier ces deux aspects vous pourrez passer un excellent moment à bord de l’Argos, mais pour les allergiques à ce type de dessins il vaut mieux passer votre chemin. Très grosse déception…

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Le sang des cerises 2/2

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BD de François Bourgeon
Delcourt (2022), Série Les passagers du vent complète en 3 cycles de 9 tomes.

image-5Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

Les passagers du vent est une des séries les plus iconiques de la BD franco-belge, quarante-ans de BD qui s’achèvent avec ce dernier volume du troisième cycle ou plutôt de la seconde époque, dédiée à Zabo, la petite-fille de l’héroïne apparue dans les pages de la revue (A suivre) en 1980. Pour les lecteurs qui découvrent cette série à l’imagerie datée, c’est un peu comme de voir s’achever Corto Maltese ou DragonBall…

https://www.ligneclaire.info/wp-content/uploads/2022/11/PASSAGERS_DU_VENT09_11-scaled.jpgLa narration de François Bourgeon, sans doute un des auteurs les plus entiers et exigeants de ce média, a toujours été complexe, non linéaire et à la chronologie variable. Il en est de même sur cet ultime volume qui a tendance à s’étirer un tantinet dans le journal des années de déportation de Zabo (rebaptisée Clara pour des raisons que vous découvrirez dans la lecture) en Nouvelle Calédonie. S’ouvrant un instant après la clôture du premier tome du Sang des cerises, l’album suit le récit par Clara à Klervi de son histoire américaine en Louisiane (les deux tomes de La petite-fille bois-caïman) jusqu’à leur rencontre à l’enterrement de Jules Vallès. Les trois-quart de la BD suivent donc ce récit dense, détaillé, émouvant et dur, avant d’ouvrir des perspectives sur la vie retrouvée des deux femmes liées par le destin. Si Bourgeon est un très grand dialoguiste et scénariste, ses choix de construction ne facilitent pas le suivi qui nous basculent vingt ans d’un côté et vingt de l’autre, ce qui incite vivement à réviser le tome précédent, voir l’ensemble des aventures de Zabo.

Le cœur de ce récit porte donc sur les crimes des versaillais et la féroce répression bourgeoise sur les communards qui accompagne la naissance de l’empire colonial de la République, dont la crudité connue de Bourgeon n’oublie pas de nous rappeler en ces temps de nostalgie réactionnaire combien il s’est agit avant tout de formidables débouchés financiers pour le capitalisme napoléonien et d’un moyen de répression pour les prisonniers politiques comme d’assouvissements primaires de domination raciste pour une armée biberonnée tout au cours du XX° siècle. En se contentant de séquences décousues l’auteur montre de façon un peu erratique combien Zabo a vécu dans sa chair les exactions sur ordre de la soldatesque versaillaise qui n’a pas hésité à passer par la baïonnette femmes et enfants. Perdant le même jour son mari et son bébé, la jeune femme se voit déportée en compagnie de Louise Michel après de nombreux mois en détention chez les bonnes sœurs. Ayant perdu le gout de vivre, il lui faudra tout le soutien de cette figure historique, toute l’humanité de ses sœurs de combat et tout l’amour de Lukaz qui viendra la sauver aux antipodes après l’amnistie générale. On découvre ainsi une longue chronique de cet enfermement, des débats philosophique de haut niveau des déportés, comme la réalité des colonies où vaincus algériens rencontrent vaincus parisiens.

D’un construction étrange, cet album nous touche surtout sur les séquences « récentes » autour du duo Clara/Klervi, l’auteur reformant son duo de toujours, la blonde et la brune, dans un amour des femmes qui semblent les seules capables de dépasser l’animalité du genre humain. Cherchant à boucler la boucle de sa saga, il retourne en Bretagne, pays qu’il connaît si bien, dont il aime tant dessiner les landes (tellement qu’il confond par moments les paysages calédoniens et ceux de sa terre d’adoption), dans une fort réussie pirouette où l’amour (simple) triomphe. Un optimisme après tant d’horreurs, qui fait de cette conclusion une semi-réussite qui ne comblera pas l’incertitude de cette seconde époque où Bourgeon aura dessiné au gré du vent sans toujours de ligne directrice semble t’il, mais toujours avec une immense science de la BD. Les passagers du vent s’achèvent donc en demi-teinte, en constatant qu’ils auraient pu en rester à la vie d’Isa mais qu’il aurait été dommage de se priver de la vision de ce maître sur une période fondatrice de notre histoire républicaine que tout un chacun devrait prendre le temps d’étudier.

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