Manga·Service Presse·Nouveau !·East & West·*****

Yan #1/3

Manga de Chang Sheng
Glénat (2024) –  352p. nb., Série en cours, 1/3 volumes parus.

Merci aux éditions Glénat pour leur confiance.

Yan est une adolescente un peu particulière: elle est membre d’une famille d’artiste de l’Opera de Pekin, une troupe familiale aux talents divers mêlant arts martiaux à la danse et au chant. Un jour en rentrant du lycée elle trouve toute sa famille assassinée sauvagement… Immédiatement accusée, elle passera les trente prochaines années en prison. Lorsqu’elle sort elle n’a qu’une volonté: se venger de sa vie détruite…

Quelle claque mes aïeux! Préparez-vous à une aventure aussi intense que visuellement superbe avec ce taïwanais que je découvre (il a déjà vingt ans de carrière et cinq séries courtes à son actif) et qui nous invite dans une histoire de vengeance, d’action et de SF portée par des dessins d’une technique impressionnante.

Commençant sur le ton de la comédie en enchaînant les flashback et coupures narratives, l’auteur ne perd pas de temps et envoie rapidement son héroïne au trou pour lancer véritablement une aventure qui va passer très fluidement de la vengeance d’assassin implacable à une conspiration SF visuellement très assumée et perturbante car inattendue. Si l’on n’en sait encore que peu sur ce premier tome du triptyque, les planches enchaînent les séquences d’action où Chang Sheng nous régale par un dessin quasi-photoréaliste mais qui reste au trait et évite la désagréable impression que laissent les artistes qui retravaillent des photos. La technique de l’auteur est monstrueuse autant dans ses peintures (regardez les couvertures de toutes ses séries pour pleurer un coup) que dans son dessin qui emprunte bien plus aux comics ou à la franco-belge qu’au manga (comme souvent dans la BD chinoise, techniquement bien plus exigeante que sa consœur nippone).

Avec une mise en place bien mystérieuse, l’intrigue peut néanmoins avancer en ne laissant pas Yan seule puisqu’elle se retrouve associée à un policier à la retraite et à une jeune fille dotée de pouvoirs (qui convoquent Akira et les expériences sur les enfants) qui introduisent assez vite le fantastique à la conspiration gouvernementale, avant l’irruption d’éléments de pure SF qui rendent la conclusion tout à fait explosive! Véritable blockbuster hollywoodien (l’influence occidentale de Taïwan se ressent clairement comparé à d’autres Manwa continentaux), Yan a toutes les cartes en main pour être un très gros carton, malgré un prix au volume qui pourra refroidir les lecteurs manga classiques (j’aborde souvent la question sur le blog). Au vu de la magnifique édition proposée par Glénat (de la jaquette à la post-face sur la réalisation de la calligraphie par le maître à l’origine du logo-titre d’Akira) et de la brièveté de la série, il serait vraiment dommage de passer à côté pour cette seule raison…

***·BD·Nouveau !·Service Presse

Eden Corp

Récit complet en 128 pages, publié le 06/03/2024 chez les Humanoïdes Associés. A l’écriture, Alain Bismut (idée originale), Abel Ferry (idée originale), et Christopher Sebela (adaptation). Au dessin, Marc Laming.

Merci aux Humanos pour leur confiance.

Space is a Place

Dans le futur, la vie sur Terre, c’est vraiment nul. Le climat est foutu, la population mondiale a crevé le plafond des dix milliards d’individus, et les ressources se tarissent à vue d’oeil. Gabe, Morgane et Kali en savent quelque chose. Cette petite famille survit tant bien que mal en pillant dans les bas-fonds de Paris, tout en rêvant d’une vie meilleure.

En effet, chaque mois, des millions d’individus sont sélectionnés pour embarquer sur des arches stellaires à destination d’Eden, une exoplanète paradisiaque, garante du salut de l’Humanité. Mais les places sont chères, très chères, aussi une loterie mensuelle est-elle organisée pour faire monter quelques chanceux supplémentaires dans chaque vol. Depuis toujours, Gabe participe à la loterie, espérant gagner une place pour sa femme et sa fille vers ce monde idéal, loin des problèmes insolubles de la Terre.

Cependant, encore une fois, la victoire qu’il espérait tant n’est pas pour lui. Pire encore, ce sont ses voisins, la famille Tremaine, qui héritent de cet honneur ! Ulcéré de voir son salut lui filer une nouvelle fois entre les doigts, Gabe décide de prendre les choses en main. Usurpant l’identité des gagnants, Gabe, Morgane et Kali embarquent sur l’arche pour un voyage de quinze mois vers Eden. C’est sans compter sur un incident technique qui va leur révéler une vérité bien plus sombre que ce que laissait miroiter la campagne publicitaire d’Eden Corp.

Manipulation des masses façon Soleil Vert, mensonges éhontés d’une méga-corporation façon Moon, exploration spatiale, Eden Corp rassemble beaucoup d’ingrédients disparates pour former un tout qui demeure cohérent. Le pitch de départ rappelle immédiatement un important pivot de la série Raised By Wolves, mais part dans une direction différente lorsque notre trio familial apprend la supercherie derrière le voyage vers Eden.

L’histoire ne nous parle donc pas seulement de mensonge étatique cynique, mais plutôt d’espoir et de la persistance de ce dernier lorsque tout semble perdu. En attribuant à des protagonistes à la morale élastique une valeur aussi noble que l’espoir, les auteurs nous montrent en réalité tout le pouvoir rédempteur porté par l’espérance. C’est donc un message positif malgré tout.

L’aspect visuel de l’album, porté par les illustrations réalistes de Marc Laming, ajoute une dimension viscérale à l’expérience de lecture. Les planches riches en détails et l’esthétique futuriste contribuent à immerger le lecteur dans cet univers sombre et pourtant plein d’espoir.

Cependant, malgré de thématiques profondes et un rythme qui se veut palpitant, on assiste durant la lecture à quelques incongruités de mise en scène, notamment dans les scènes d’action, ou encore lors d’une page de flashback qui tombe comme un cheveu sur la soupe et qui ressemble à une erreur de montage.

En conclusion, Eden Corp est une lecture intéressante pour les amateurs de science-fiction qui apprécient les récits post-apocalyptiques, les rebondissements inattendus (si l’on excepte la couverture qui spoile un bonne partie de la révélation interne) et une exploration audacieuse de thèmes universels comme l’espoir, la sauvegarde de sa famille et la rédemption. Cette œuvre offre une réflexion sur l’humanité, l’espoir et les sombres facettes du progrès, le tout dans un cadre visuellement réaliste et saisissant.

****·BD·Nouveau !

Largo Winch #24: Le Centile d’or

BD d’Eric Giacometti et Philippe Franck
Dupuis (2023), 46p., série en cours.

Depuis la passage à la périodicité biennale au changement de scénariste les éditions Dupuis semblent vouloir multiplier les recettes de leur poule aux œufs d’or puisque outre un troisième film (basé sur le diptyque Le prix de l’argent/La Loi du Dollar), ce sont trois éditions qui sont parues en fin d’année et s’accompagnent de pub pour des tirages luxe de Philippe Franck…

Le vingt-troisième tome avait paru comme un miracle pour Largo, un rafraichissement inattendu et l’illustration d’une maturité pour le nouveau couple créatif. Laissant Largo dans de beaux draps à 100 km de la Terre il faut reconnaître que le cliffhanger de ce double album n’aura pas fait l’effet escompté puisque défloré en introduction du premier volume il tombe d’autant plus à plat qu’Eric Giacometti tombe dans la facilité en se débarrassant totalement de toute recherche de complexité pour laisser les clefs à son (brillant) dessinateur pour résoudre le problème du héros. On ne va pas bouder son plaisir mais cette ouverture explosive (déjà vue au cinéma avouons-le) illustre l’ensemble d’un album qui va tutoyer les sommets de l’action en sa calant dans un scénario de blockbuster hollywoodien. On pourra trouver pire mais pour une série de cette qualité et après les efforts tortueux de l’ouverture on a le sentiment que le scénariste a encore du mal à gérer le format 2X46 pages.

Chacun place le curseur d’exigence où il veut sur les séries royales ; personnellement j’assume une tendresse mais j’attends le meilleur. Surtout, le comparatif avec les scripts de Van Hamme ne cesseront de se manifester. On savoure alors cet album comme un des tout meilleurs de l’ensemble de la série sur le plan de l’action, les auteurs enchaînant les séquences franchement impressionnantes! D’autant que les deux années de travail pour Franck ne semblent pas se passer à la piscine tant la qualité graphique et colorimétrique des planches brise les rétines, jusqu’à frôler le photoréalisme par moments, à se demander si le dessinateur ne travaille pas essentiellement sur photo retouchées. On alterne d’une chute libre depuis l’espace (moins ridicule que celle d’un certain Chevalier Noir…) avant de tutoyer Rambo dans les sublimes décors du Yosemite pour finir en baston d’hélicoptère après une fusillade choc. On aura rarement autant retenu son souffle sur les planches du milliardaire en blue-jeans! Mais ces plaisirs primaires ont une conséquence: outre une méchante absolument pas mystérieuse, le scénario expédie tous les tiroirs ouverts en une case en forçant un peu trop sur la pédale. Il en résulte un gros gâchis scénaristique, d’autant que le précédent diptyque avait fait de gros efforts pour ouvrir le background. Il restera au crédit de ce Centile d’or décevant toujours plus de personnages savoureux, des perspectives politiques intéressantes pour Largo et son groupe et donc un plaisir actionner indéniable. Je dirais donc la coupe de champagne à moitié pleine…

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***·BD·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Le Paris des merveilles #2

 
BD d’Etienne Willem, Pierre Pevel et Tanja Wenisch
Drakoo (2023), 46 p. 2/2 tomes parus.

bsic journalismMerci aux éditions Drakoo pour leur confiance.

Série Le paris des merveilles, adaptant en 3×2 tomes la trilogie des romans de Pierre Pevel.

Voir le billet du premier tome et celui de la série Les Artilleuses.

Attention Spoilers!

Nous avions laissé notre mage de héros dans les pommes au sortir d’une dantesque batailles contre des gargouilles envoyées par la reine renégate d’Ambremer et voilà que nous le retrouvons aux soins de sa tendre épouse. Ah bon, Griffont est marié? Derrière cette pirouette scénaristique de bonne guerre, se dévoile le principal problème de ce second tome qui conclut le premier volume de la trilogie de romans. Rassurez-vous, le diptyque a une fin en bonne et due forme et vous serez libre de poursuivre l’aventure ou pas sur les quatre autres tomes à venir (Etienne Willem semble tombé fou amoureux de l’univers de son acolyte puisque le voilà engagé pour six albums dans le Paris des Merveilles après les trois précédents!). Pourtant on touche la difficulté à adapter des romans touffus à l’univers riche et complet dans quelques dizaines de pages de BD.

Je l’avais expliqué sur le premier billet, si la construction des Artilleuses était ludique et très orientée action avec une intrigue de blockbuster ciné, celle du Paris des Merveilles est celle d’une enquête policière complexe multipliant les personnages, identités multiples et organisations occultes commanditant tel ou tel sicaire. On imagine d’ailleurs aisément le passé de rôliste du romancier dans le déroulé tarabiscoté. Loin de moi l’envie de critiquer l’histoire des romans, la BD donnant plutôt envie de se plonger dans l’original tant l’univers est riche. Mais maintenant que le train est lancé après la clôture du premier tome, nous voilà confronté à l’impossibilité d’expliquer tout le hors champ au risque de raccourcis et nombreuses explications un peu tombées du chapeau. On imagine alors que les foisonnantes pages des romans détaillent le qui, le quoi et le quand mais l’album sonne un peu comme un résumé accéléré. La simple consultation de la page wikipedia de la saga donne une idée de ce qui nous échappe (à commencer par une méchante laissée invisible jusqu’à la séquence finale sans préparation dramatique).

Pour peu que l’on lise les deux BD d’affilée en restant concentré on appréciera cet univers encore une fois intéressant et ses personnages nombreux et forts au sein d’une intrigue tortueuse à souhait. La frustration pourra inciter à passer aux romans. Ceux qui se contenteront de la BD risquent d’avoir un sentiment de fausse bonne idée. Pour résumer, dans l’univers de Pierre Pevel, la création originale Les Artilleuses est moins riche mais plus solide.

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Seven Sons

Récit complet en 224 pages, écrit par Kelvin Mao et dessiné par Jae Lee. Parution en France chez Huginn & Muninn le 14/04/23.

Jesus he knows me

1998. Le monde n’est plus le même depuis l’avènement, 21 ans plus tôt, des Sept Fils, sept enfants identiques nés le même jour de mères différentes, sur chaque continent, et dont la particularité était d’être toutes vierges, sans exception.

Des naissances spontanées qui ne sont pas sans rappeler la naissance d’un certain Jésus, prophétisées par l’énigmatique Nikolaus Balaak, qui les a recueillis et élevés dans l’espoir que l’un d’eux soit couronné comme la seconde incarnation du Christ sur Terre.

Les Sept Fils, grâce à une habile communication de Balaak et un culte formé autour de leurs personnes, ont changé le paradigme religieux dans le monde entier, reléguant les autres dogmes au rang de fantaisie. Néanmoins, l’onction christique ne se fait pas sans heurts, puisqu’un groupe terroriste, bien évidemment des musulmans, se donne pour mission de les éliminer, et y parvient à plusieurs reprises, jusqu’à ce que seuls Pergi et Delph demeurent, à seulement quelques mois du couronnement.

Lors de la mort de son frère Ep, Delph découvre que le monde tel qu’il se le figurait, sa place dans le monde ainsi que son identité, ne sont peut-être pas ce qu’on lui a inculqué, et quitte donc son sanctuaire surprotégé en quête de réponses. Peut-on fabriquer un messie de toute pièce ? L’Humanité pourrait-elle être unifiée par un dogme unique ne souffrant aucune interprétation ?

Jésus reviens, Jésus reviens

Après plusieurs années d’absence, le dessinateur Jae Lee revient sur le devant de la scène (peut-on parler de résurrection ?), avec une histoire ambigüe traitant d’un sujet que certains pourraient qualifier de touchy (dans le genre Sean Murphy avait marqué les esprits avec son Punk Rock Jesus il y a quelques années). Le thème de la foi est en effet assez personnel et profond, et l’Histoire nous a maintes fois prouvé que la religion, supposée unir les hommes (du moins étymologiquement) leur a plutôt fourni un motif supplémentaire pour s’écharper.

La question qui se pose ici en premier lieu est la suivante: que devient la foi si un miracle devient un fait ? Si l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence, la preuve d’une croyance ne la transforme-t-elle pas nécessairement ?

Pour illustrer ce point, les auteurs nous emmènent dans un univers dystopique, où le culte hégémonique des Sept a effacé les autres religions, dont les derniers soubresauts se manifestent sous la forme de groupuscules terroristes, comme si la violence était la réponse privilégiée de l’Homme face à l’évidence divine.

Ainsi, comme Jésus qui, trahi par le Sanhédrin, succomba à la haine des hommes autant qu’à la lance de Longinus, les membres des Sept tombent les uns après les autres, comme si le monde n’était pas digne d’eux, ce qui reste un parallèle intéressant. L’intrigue prend ensuite un tournant conspirationniste, dont on ne peut révéler la teneur sans spoiler, mais qui sur le fond se révèle plutôt classique, voire un peu attendu.

Au final, en refermant l’album, on ne sait pas vraiment quel était le message des auteurs, quel positionnement ou quelle leçon ils souhaitaient illustrer à propos de la foi et du fait religieux. On peut voir cette pusillanimité comme une façon bien commode de botter en touche, ou alors une façon de contourner le thème pour démontrer que l’intérêt de la foi et le salut de l’Homme se situent ailleurs… allez savoir.

Seven Sons n’est pas exempt de défauts, mais n’est pas non plus le pavé revendicateur dans la mare dogmatique auquel on aurait pu s’attendre avec un tel sujet. L’intérêt principal réside donc dans le dessin de Jae Lee, sombre, contrasté et anxiogène à souhait.

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Killadelphia, Livre 1

Volume de la série écrite par Rodney Barnes et dessinée par Jason Shawn Alexander, avec Luis NCT aux couleurs. Parution en France chez Huginn & Muninn le 14/04/2023.

Philadelphie, on en fait toujours tout un fromage

Philadelphie, on l’aime ou on la quitte. Et pour l’inspecteur Jimmy Sangster Jr, le choix a été vite fait. Lassé de vivre dans l’ombre d’un père qu’il juge toxique, le jeune homme, qui a pourtant suivi le voie paternelle en entrant dans la police, a décidé de s’en éloigner pour mener sa propre vie, incité en cela par le décès de sa mère.

Néanmoins, de tristes circonstances vont ramener Jimmy à Philadelphie et le confronter à des souvenirs douloureux qu’il cherchait à éviter. Lorsqu’on annonce à Jimmy la mort de son père, le lieutenant James Sangster Senior, il ne verse pas une larme. Au contraire, il sent un poids se lever de ses épaules, et une pointe disparaître de sa poitrine. Mais il faut bien assister aux funérailles et mettre en ordre les affaires de son défunt paternel. Alors qu’il tombe nonchalamment sur le journal de bord de son père, Jimmy ne peut brider son instinct de policier, et remonte la dernière enquête qui a conduit au décès du vétéran.

Jimmy lit alors ce qu’il croit être les élucubrations d’un vieux fou, qui pensait avoir découvert un complot surnaturel, enraciné dans les fondations de la ville depuis des décennies, voire des siècles. Et non, Jimmy, revenir à Philly n’était peut-être pas une si bonne idée que ça en fin de compte…

Buffy-Ladelphie: Boire ou vampire, il faut mourir

Les éditions Hugin & Muninn ont lancé au printemps une série de récits horrifiques (Silver Coin, Ice Cream Man, notamment), dans des sous-genres différents. Avec Killadelphie, on plonge directement dans l’horreur vampirique, avec une touche d’urban fantasy.

Le récit démarre sans embage par le retour contraint du protagoniste, pour le plonger ensuite directement dans le bain (de sang), sans trop de transition. En effet, on pourrait s’attendre, sur une série au long cours qui compte deux ou trois dizaines d’épisodes, à ce que le scénariste prenne son temps pour faire monter doucement la tension et s’appuyer sur une ambiance paranoïaque propre aux récits de conspiration.

Il n’en est rien ici, et le premier chapitre à lui seul permet au héros de découvrir que les vampires ont pris possession de la ville depuis des lustres. D’ailleurs, on peut s’étonner de la réaction de Jimmy, qui ne remet pas tant que ça en question l’aspect délirant de ce qu’il découvre, comme si, après tout, voir des morts se réveiller en vampire n’était qu’un mardi comme un autre pour un policier américain.

Ce qui suit est donc un récit plutôt orienté vers la survie et l’action, le but étant de stopper les hordes de vampires qui vont bientôt surgir des entrailles de la ville pour tout submerger. A la façon d’un Jordan Peele dans Get Out, Rodney Barnes entremêle son récit horrifique avec un propos social, utilisant l’histoire de la ville et du pays pour mettre en exergue des thématiques sociétales typiquement américaines. Cependant, il semble le faire avec moins de ferveur, ou de façon moins frontale que Jordan Peele.

Pour la suite du récit, on ne peut néanmoins se défaire d’une sensation de survol, comme si les protagonistes passaient d’une situation à une autre sans que prenne le liant entre les différentes scènes. En revanche, la relation père/fils des Sangster est très bien mise en scène, écrite avec un sens certain de la psychologie des personnages et une évolution notable et amenée avec soin.

Les antagonistes quant à eux, sont généralement interchangeables, à l’exception du leader, dont nous ne révélerons pas l’identité pour ne rien gâcher à ceux qui souhaiteraient lire l’album.

Graphiquement parlant, Jason Shawn Alexander livre des planches que n’auraient pas renié Ben Templesmith (pour l’ambiance glauque et pesante) ni Andrea Sorrentino (pour le style photo-réaliste des visages mêlé à jeu expert sur les ombres), aidé en cela par les couleurs profondes de Luis NCT (auteur espagnol de quelques très bons albums).

L’album se clôt par une postface du scénariste, ainsi que par un dossier graphique très éclairant du dessinateur, qui livre quelques tips sur sa méthode de travail, et enfin par une très belle galerie de couvertures.

En conclusion, Killadelphia est un récit d’horreur intéressant, mené tambour battant et bénéficiant d’un traitement graphique de qualité.

***·Manga·Nouveau !·Service Presse

Fullmetal alchemist (perfect edition) #12-13-14

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Manga de Hiromu Arakawa
Kurokawa (2023) – Square Enix (2002), env. 300 p./volumes, 11/18 volumes parus dans cette édition.

bsic journalismMerci aux éditions Kurokawa pour leur confiance.

Attention spoilers!

Lire les volumes d’une série par vague a le grand mérite de permettre un certain recule et cet arc (qui commence donc au tome 11 de la Perfect edition et se termine par le 14) marque à la fois une grande accélération dans les révélations finales sur le Grand Plan des homonculus qui dirigent le pays et la confirmation du grand défaut de la scénariste Hiromu Arakawa depuis le début. FMA est incontestablement une des grandes saga du manga shonen (bien que je conteste régulièrement ce classement depuis le début de mes chroniques de la saga alchimique). Pourtant un étrange sentiment de longueurs s’insère systématiquement entre d’incroyables séquences d’action pure, de gros délires décalés ou d’espionnage millimétrique. L’origine du problème, que l’on observe ici de façon flagrante est une propension aux faux-rythme de l’autrice, qui quasi systématiquement coupe les séquences les plus brillantes par une rupture brutale, un changement de ton ou une ellipse béante. Cela crée de la frustration mais c’est un effet recherché probablement destiné à entretenir le suspens. Du fait de l’aspect tortueux et bien obscure de l’intrigue jusqu’ici et de la quantité de personnages, ce rythme erratique a tendance à complexifier la vision d’ensemble du lecteur.https://www.generationbd.com/images/FMA-13-00001_1000x716.jpg

Ceci étant dit, cet avant-dernier arc regorge de révélations majeures, nous dévoilant enfin l’objectif final des homonculus de Central City, mais aussi leur origine et le rôle du père des frères Elric. Tout se met en place pour l’affrontement final. Il était temps et ces évolutions confirment une difficulté à gérer le temps long pour l’autrice qui a gardé sous le coude nombre d’élément jusqu’à seulement quatre tomes de la conclusion. On ne va pas bouder notre plaisir puisque si l’affrontement de la forteresse de Briggs du tome 11 reste le point culminant de la saga, les suivants proposent également de belles séquences via l’antagoniste redoutable Kimblee, l’alchimiste écarlate, rencontré lors du génocide Ishval. Si les aller-retour des protagonistes restent parfois un peu confus, l’humour reste redoutable (avec, si je ne l’ai déjà dit, une des meilleures traductions que j’ai pu lire en manga, tout simplement!) et la menace des homonculus reste particulièrement menaçante. Avec mille et un personnages et une quantité de méchants sur-puissants on voit toujours difficilement comment les modestes héros vont bien parvenir à éviter l’apocalypse final annoncé. Pourtant…https://www.generationbd.com/images/FMA-13-00003_1000x734.jpgCes volumes vont nous apprendre enfin qui est Hohenheim, sa véritable puissance et son lien avec le père des homonculus. Alors que la redoutable sœur Armstrong apparaît un peu décevante, se limitant à l’interaction humoristique avec son frère, la fusion entre Lin et Greed est en revanche centrale et passionnante en ce qu’elle redonne un aspect héroïque à l’un des membres de la confrérie des Elric après que Scar semble avoir accepté de se joindre à eux. Ne renonçant devant aucune surprise, Arakawa va jusqu’à tuer Ed (ou presque) et nous montre enfin qu’un homoncule peut être détruit. Cela marque un tournant majeur en ce que pour la première fois (hormis les redoutables actes de rages de Scar) le camp des méchants se trouve menacé alors même que nous savons enfin contre quoi les héros se battent. Tout cela dans des séquences à la tension dramatique parfaitement menée et à l’originalité graphique sublime dans sa pureté d’encrage.

Avec ses défauts identifiés mais un univers d’une complexité incroyable, Hiromu Arakawa peut donc commencer à refermer ses portes, progressivement, maintenant que tous les acteurs semblent révélés. C’est donc une course contre la montre qui est entamée pour la Cinquième colonne de l’armée dirigée par Mustang comme pour les amis des frères Elric désormais réunis avec leur père. Ce qui est certain c’est que le final s’annonce grandiose!

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Merci au site GenerationBD pour ses scans de très bonne qualité!

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Ceux qui n’existaient plus #1: Projet Anastasis_

Premier tome de 72 pages d’une série écrite par Philippe Pelaez et dessinée par Olivier Mangin. Parution aux éditions Grand Angle le 01/03/2023.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

Crise d’identité(s)

Comme vous le savez, mémoire et identité personnelle sont deux notions intimement liées, si bien que l’une conditionne l’autre de façon quasi sine qua none. Natacha va vite l’apprendre à ses dépens. Admise, en même temps qu’une vingtaine d’autres personnes, dans un douteux centre de recherche russe, la jeune femme espère y trouver la paix de l’esprit, aidée par le programme expérimental nommé Anastasis_.

Hantée par un lourd traumatisme, Natacha souhaite aller de l’avant, et elle est prête pour cela à endurer toutes les expériences proposées par le Professeur Vetrov, qui tente quant à lui de percer à jour les secrets du cerveau humain. Cependant, après son admission au centre, Natacha et les autres pensionnaires vont vite s’apercevoir que les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent, et qu’on leur cache indubitablement des choses, à commencer par la nature réelle des expérimentations qu’on leur fait subir au prétexte de vouloir effacer leurs traumas.

L’auteur Philippe Pelaez surprend par la diversité des genres qu’il ose aborder en BD: Récits de guerre, Fantasy, Polar, Cape et Epée… rien ne semble le freiner ni le contenir. Le scénariste se lance donc dans le thriller à la Franck Thilliez, avec une protagoniste perdue dans une machination dont elle ignore les rouages.

Tous les éléments y sont, à savoir le scientifique machiavélique, les agents gouvernementaux sans scrupules, les compagnons d’infortune, et le protagoniste torturé. On trouve aussi, en terme de structure, la phase de découverte naïve, puis la phase de suspicion et la phase d’action.

L’auteur glisse dans son récit des méta-références cinématographiques, qui servent autant de foreshadowing que de fausses pistes dans lesquelles se perdre (Orange Mécanique, Vol au dessus d’un nid de coucou…). Malgré une exposition manquant un peu de fluidité, le reste de l’intrigue se déroule plus aisément, grâce à un jeu d’allers-retours et une gestion habile des révélations et autres coups de théâtre. Après le clap de fin cependant, on peut reprocher un album un peu trop sage, ou une intrigue manquant d’originalité, d’une touche particulière à laquelle Philippe Pelaez nous avait habitués sur ses précédentes productions.

Côté graphique, le style réaliste déployé par Olivier Mangin sied très bien au ton du récit, car il traduit l’ambiance froide et hostile du projet Anastasis_ tout autant que les émotions des différents personnages.

En conclusion, Ceux qui n’existaient plus offre tous les points forts du thriller, mais manque du petit supplément que l’on est désormais en droit d’exiger de Philippe Pelaez.

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Démons

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Comic de Scott Snyder et Greg Capullo
Delcourt (2023) 110p., one-shot.

image-5Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

C’est l’histoire de la fin de l’humanité. C’est l’histoire de Lam Cullen la chasseuse de démons. C’est l’histoire de la foi en la bonté alors que la Corne corrompt tout être. Car la Chute a déjà eu lieu…

Démons (Snyder/Capullo) - BD, informations, cotesScott Snyder fut un des golden boys du scénario de comics des années 2010 avec pas moins de deux Eisner pour American Vampire et The Wake, en compagnie d’un certain Sean Murphy, avant de réaliser peut-être une des intrigues les plus importantes de la mythologie Batman, la Cour des hiboux, en compagnie de Greg Capullo. Désormais maîtres en la maison DC, les deux compères se lancent alors dans le monstrueux (sous tous les sens du terme) Batman Metal, inventant l’iconique Batman qui rit… mais se vautrant au final dans un gloubi-boulga dont DC a le secret. Comme souvent la vigueur de la création Indépendante se retrouve écrasée par le rouleau compresseur éditorial et la métastatique mythologie du Big Two. Ce constat et sans doute la réussite insolente d’un Millar ou d’un Murphy incitent aujourd’hui Scott Snyder à lancer son propre label de création indépendante (BestJacket Press) en compagnie de celui qu’il connait le mieux, en partenariat avec Comixology, Dark Horse pour les Etats-Unis et Delcourt pour la France. De quoi voir venir une série de futurs albums en totale liberté créative pour le scénariste et ses collègues dessinateurs. Reste à voir s’il a encore des choses à proposer…

 Dans un style qui rappelle le joyeux bordel de Witchblade et les enfantillages pseudo-gores des années Top Cow, Demons commence très bien (comme souvent chez Snyder…) avec une entrée en matière déstructurée suivant une construction qui change de narrateur: à l’aube des Temps deux matières opposées, l’Auréole et la Corne furent créées et influencèrent la vie sur Terre, des Premiers hommes jusqu’à nos jours. Intéressante variation sur la lutte entre Anges et démons, les deux auteurs métalleux adeptes des histoires sombres racontent comment le Mal est omniprésent et bien plus solidement ancré que l’Auréole. Bien entendu une caste de guerriers millénaires armés d’épées forgées à partir d’Auréole luttent depuis toujours contre les Démons. Héros, légende arthurienne, tout va bien jusqu’ici. Je parlais de construction alternée, elle suit le récit de l’héroïne, fille du chef des chasseurs, qui ne connait encore rien à cette lutte secrète, et son acolyte, un démon qui a la particularité de faire partie de la caste. Dans cette histoire relativement courte au regard du développement d’univers à réaliser, on part sur une affaire de trahison où tout le mystère reposera donc sur cette alternance de récit qui agit comme une temporisation bien utile. Snyder maîtrise ses techniques narratives et déroule donc un projet assez original pour nous maintenir en suspens.

Check Out This Preview of Scott Snyder and Greg Capullo's We Have Demons #2Côté dessins on navigue entre du Capullo impressionnant lorsqu’il travaille ses gros plans, qu’il cisèle ses créatures abjectes, et du limite indigent sur les plans larges et les groupes de personnages. Si on pourra discuter l’esthétique générale des créatures (le duo a mille fois montré son amour du gore à la mode 80’s horror movies), l’ambiance générale est assez alléchante avec cette organisation secrète trop peu développée et un vrai travail d’abomination pour la Corne. Là aussi la technique est solide même si elle reste loin de la maestria proposée dans l’univers Batman.

La limite de l’exercice est à chercher dans la brièveté du projet donc, mais aussi dans des problématiques toutes américaines, entre le discours sur la Foi (dans la bonté humaine… mais qui reste tout de même tout à fait du ressort de la bondieuserie) et un encanaillement qui fait sourire du côté de l’Europe quand les auteurs semblent se trouver absolument odieux lorsque les démons lancent des bordées de jurons. On est loin d’un Ledroit ou Moorcock dans le malsain. Comme chez Spawn (Capullo a commencé dans l’écurie de Todd MacFarlane) le vernis moral américain reste très formaté et ce qui se voulait un crachat subversif reste au stade de la proposition fantastique qui mériterait quelques tomes de plus pour voir de quoi est capable le duo.

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November #1: La fille sur le toit

Premier volume de 124 pages de la série écrite par Matt Fraction et dessinée par Elsa Charretier, avec Matt Hollingsworth aux couleurs. Parution le 01/06/2022 aux éditions Sarbacane.

Polar Givré

Un beau matin, alors qu’elle est occupée à gâcher sa vie, Dee est accostée par un homme à l’allure débonnaire, qui se présente comme étant un certain M. Mann.Ce dernier semble l’avoir préalablement observée et étudiée, et il a une proposition à lui faire. Contre une rémunération conséquente, Dee accepte de traduire un code secret puis d’en diffuser le résultat sur une radio à fréquence courte, et ce quotidiennement.

Bien que son quotidien ait de quoi s’améliorer, Dee ne saisit toutefois pas la balle au bond et reste vautrée dans ses vieilles addictions, jusqu’au jour où aucun code secret ne lui parvient….

De son côté, Kowalski, reléguée au centre d’appels du 911, fuit une vie de couple morose en enchaînant les heures sup’. Sa routine sera bousculée lors d’une nuit fatidique durant laquelle la ville va plonger dans le chaos. Quel rapport entre ces deux histoires ? Quels liens unissent ces deux parcours chaotiques ? Existe-t-il une conspiration pouvant donner sens à tout ça ?

Sur l’Etagère, on connaît Matt Fraction pour son travail chez Marvel (Fear Itself, Hawkeye, Iron Fist,) mais aussi en indépendant, comme Sex Criminals. Ici, l’auteur plonge dans le polar sombre et opte pour un récit choral, moyen idéal de brouiller les pistes tout en semant des indices ça et là. Comme dans tout polar qui souhaite se distinguer dans cette catégorie, le récit commence par un mystère, qui une fois détricoté mènera les personnages et les lecteurs à une conspiration qu’on devine déjà vaste et tentaculaire.

Néanmoins, il faut vous attendre à ce que le scénariste ne vous prenne pas par la main pour vous conduire jusqu’à sa conclusion. Il faudra rester attentif-ve, et parfois même revenir sur vos pages pour relire certains passages afin de reconstituer vous-même le puzzle. Certains éléments de mise en scène peuvent donc paraître opaques au premier abord, voire abscons, d’où le constat que ce premier volume est une lecture exigeante. La structure chorale renforce encore ce constat, avec plusieurs protagonistes féminines dont les destins vont se croiser de façon tragique ou inattendue.

Il faudra attendre le second tome, paru en novembre, pour pouvoir juger cette intrigue à tiroirs dans son ensemble.