*****·BD·Un auteur...

Oleg

La BD!
BD de Frederik Peeters
Atrabile (2020), 184p., One-shot.

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Coup de coeur! (1)mediatheque

C’est l’histoire d’un mec qui s’appelle Oleg. Il est dessinateur de BD le mec… C’est l’histoire d’un mec qui s’appelle Frederik. Il est aussi dessinateur BD… Oleg est Frederik, mais Frederik n’est pas Oleg. Ensemble ils partagent le quotidien d’un auteur, qui allie vie de famille et création, hyper-sensibilité sensorielle, observation du quotidien. Ils sont des spectateurs du monde qui nouent un partenariat entre une manifestation graphique de leurs pensées et influence du quotidien. Oleg ce n’est pas vraiment une autobiographie de Frederik Peeters mais c’est une autobiographie d’un auteur de BD…

Prix des libraires BD 2022, Oleg et Blanc Autour premiers en liceLe suisse Frederik Peeters (aucun rapport avec celui des Cités obscures) m’impressionne à chacune de ses sorties depuis ma découverte sur son OBNI Saccage paru en 2019 et qui m’avait totalement subjugué par la capacité à créer une forme de récit avec une liberté graphique propre au art-book. Il est question de la genèse de ce livre dans Oleg, forme de mise en abyme où l’on voit des croquis préparatoires et les réflexions de sa compagne ainsi que ses doutes propres sur ses envies, entre l’inspiration exigeante et le commercial grand public. Et on ne peut pas dire que Peeters vise la facilité, tant dans les sujets de ses projets que dans le style graphique qu’il adopte et qui pourra en rebuter… au premier aperçu. Car cet auteur est pour moi l’un des plus impressionnants dessinateurs du circuit, au sein des plus grands dont les planches ne nous choquent pas forcément au premier regard mais qui respirent une vérité immédiate. On dit souvent que Picasso a dû déstructurer son dessin après avoir atteint très jeune la perfection technique. C’est le cas de beaucoup de grands auteurs BD qui semblent chercher la difficulté, tels des Pratt, Giraud, ou Vivès. On ressent cette aisance chez Peeters et l’absence d’intrigue a proprement parler lui permet de donner libre court, non à un lâchage mais plutôt à un œil libre. Comme dans Saccageil s’astreignait à donner une structure narrative, un fil à ses explosions imaginaires, dans Oleg il utilise le récit du quotidien pour exprimer graphiquement des sensations: un éclat du soleil, un effleurement tactile, le son intermittent du nageur…

Oleg», ou Frederik Peeters entre imaginaire et quotidien - PressReaderEntre ces visions à la première personne, ce sont les relations interpersonnelles qui habillent notre lecture, d’un langage intelligent, référence, drôle. Car Peeters est aussi un excellent scénariste qui donne une justesse à ses personnages pourtant souvent caricaturaux. Cette famille simple, normale, est touchante. Ce père aimant, très amoureux de sa femme entrée dans un âge mur comme on dit. Elle doute, intégrée dans la norme sociale plus que lui, ermite de la table à dessin. On peut deviner un sacrifice professionnel de la femme pour que son compagnon n’ait pas à assumer des boulots plus dans le système. Ce n’est pas dit et aucun reproche n’est exprimé. L’amour est vrai, simple, quotidien, de petites attentions, d’un regard, d’une caresse. Oleg est presque agaçant à ne jamais s’énerver. Touchant de naïveté lorsque le racisme ordinaire lui saute au visage, agressant son moi le plus profond en suggérant sa participation à ces idées nauséabondes. On aime le voir partager sa passion du cinéma Frederik Peeters, auteur culte bientôt adapté au cinéma par Shyamalan, sort  une nouvelle BD, "Oleg"à sa grande fille, ces moments de complicité avec son ado qui se cherche. Il la titille sur ses copains-copines sans jamais être lourd. Ermite, il n’est pas asocial, s’astreignant à un partage en se rendant dans des établissements scolaires pour parler de BD… avant d’être rappelé rapidement à la médiocrité omniprésente de son temps. Si le dessin est simple et les dialogues nombreux, l’expressivité générale de cet album laisse sans voix. Chaque case, chaque mouvement des corps joue son rôle pour faire ressentir. Plus qu’une simple chronique de vie Frederik Peeters nous propose un ouvrage sensoriel qui traduit la magie du dessin, ce que l’on aime dans ces traits qui expriment le monde sans le copier. Un regard artistique et humain sur notre existence. Un superbe moment et une lecture obligatoire pour tout amoureux de BD.

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20th century boys #11-22

Manga de Naoki Urasawa
Panini (2002-2007), 208 p./volume, série finie en 22 volumes.

L’édition chroniquée dans cette série de billets est la première édition Panini. Une édition collector (avec albums doubles) a ensuite été publiée puis récemment la Perfect, grand format et papier glacé, au format double également. Le billet sur le premier volume est ici.

Attention spoilers!

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Pour ce dernier billet en mode marathon sur la seconde moitié de la série, je vais faire un petit décorticage de la structure. Après une sorte de prologue originel et fondamental pour poser l’ambiance de cette bande de garçons par qui tout à commencé (cinq premiers tomes), l’histoire commence vraiment avec Kanna, la nièce de Kenji, dix ans après le Grand bain de sang de l’an deux-mille, pendant dix tomes. Le tome quinze marque une nouvelle rupture essentielle et le début d’un nouvel arc en élargissant franchement le périmètre de la conspiration et en rappelant pas mal de personnages vus très tôt. On peut ainsi dire que le cœur de la série commence à ce stade, concentrée, moins erratique maintenant que l’on connait les protagonistes et les perspectives de AMI et son organisation.

Serie 20th Century Boys (Édition Deluxe) [KRAZY KAT, une librairie du  réseau Canal BD]Et après cette lecture échevelée de ce qui a tous les atours d’une série TV, je reconnais que l’auteur a eu du mal à conclure son grand oeuvre… C’est du reste le problème de la quasi-totalité des grandes saga chorales et déstructurées qui à force de vouloir surprendre leur lecteur/spectateur finissent par s’enfermer dans un cercle infini. Comme Game of Thrones qui a noyé son auteur avant sa conclusion (pour le roman), à force de cliffhangers permanents et de croisements d’intrigues à la révélation sans cesse repousser, Urasawa ne savait plus trop bien comment achever son récit après la dernière pirouette du tome quinze. Conscient du risque de redite, l’auteur troque son grand méchant énigmatique AMI pour le retour du héros. Et autant que la renaissance christique d’AMI, le choc est là, tant l’attente a été longue, l’incertitude permanente et l’effet recherché parfaitement réussi. Pourtant les très nombreuses portes ouvertes et mystères créés nécessitent d’être refermés, ce qui devient compliqué à moins de changer complètement de rythme et de structure au risque de tomber dans quelque chose de plus manichéen.

Ainsi la dernière séquence post-apocalyptique, si elle reste saisissante 20th Century Boys (Édition Deluxe) (tome 8) - (Naoki Urasawa) - Seinen  [CANAL-BD]notamment en ces temps de COVID et de perméabilité des foules à toute sorte de croyance avec une sorte d’abolition du raisonnement humain, elle est bien moins prenante avec le sentiment de partir tous azimuts et de continuer à maintenir un suspens qui demande à se finir. Comme une prolongation de trop, comme un épisode superflu, le cycle situé entre les tomes seize et vingt-deux tourne un peu en boucle. Ce n’est pas faute de sujets accrocheurs, le rassemblement de la bande à Kenji, esquissé jusqu’ici, est une bonne idée de même que l’itinéraire autour de la mère de Kanna. Si la question de l’identité d’AMI fait un peu réchauffé, Urasawa a suffisamment de bons personnages, qui ont vieilli et donc plein de choses à nous raconter, pour tenir jusqu’à la fin. Mais certains effets de style commencent à peser, comme cette technologie faire de bric et de broc et ces forces de sécurité bien piteuses pour un Gouvernement du monde aux ressources théoriquement infinies. Quelques incohérences commencent également à se voir et la course effrénée des héros vers on ne sait quoi tout comme la lenteur avec laquelle Kenji finit par endosser son rôle finissent par lasser.

20th Century Boys (Édition Deluxe) (tome 11) - (Naoki Urasawa / Takashi  Nagasaki) - Seinen [CANAL-BD]Attention, 20th century boys reste une oeuvre d’exception qui mérite la lecture ne serait-ce que pour le talent de scénariste indéniable de Naoki Urasawa. Malheureusement la série semble une nouvelle fois confirmer le fait que les plus grandes œuvres sont relativement compactes et à l’intrigue simple. Sorte de concept scénaristique employant toutes les techniques d’addiction du spectateur mises en place par les séries américaines à l’orée des années 2000 (l’époque de Lost, The Wire, Breaking Bad, The Shield, 24H chrono ou Prison Break…), 20th century boys marque par l’amour de l’auteur pour ses personnages, le refus du grand spectacle et l’utilisation (parfois abusive) des points de suspension. Niveau efficacité c’est impérial, on dévore les 2/3 de la saga avec envie et autant de plaisir de retrouver tel personnage trente ans après. Le second arc est pour moi le meilleur et aurait pu être une conclusion (noire) très acceptable même si il aurait laissé bien des portes ouvertes. En assumant la vraie disparition de Kenji il aurait assumé jusqu’au bout le concept tout à fait original d’histoire sans héros et du rôle du mythe. Balayant un nombre incalculable de sujets de société avec courage et parfois une certaine rage, Urasawa livre une oeuvre de SF presque Kdickienne, du Philip K. Dick réalisé par Wong Kar Wai, plein de nostalgie pour une belle époque de simplicité, de franchise et de Rock’n roll. Son propos dès l’an 2000 sur la manipulation des foules est particulièrement percutant aujourd’hui et l’on se dit par moment que la réalité a rattrapé la fiction lorsque l’on voit le pilotage au forceps d’une pandémie par des gouvernements qui s’assoient sur certains principes et des foules prêtent à tout accepter par peur et panurgisme. Si sa saga est donc imparfaite, Naoki Urasawa reste un grand bonhomme, un des mangaka les plus intéressants et sa dernière création encours laisse une sacrée envie lorsque l’on voit la maturation de son trait comme de son récit.

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****·BD·La trouvaille du vendredi·Littérature·Rétro·Un auteur...

Page noire

BD de Frank Giroud, Denis Lapière, Ralph Meyer et Caroline Delabie (coul.)
Futuropolis (2010), 102 p., one-shot.

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Kerry Stevens est une critique littéraire débordant d’ambition, déterminée à bousculer son destin vers la gloire. Pour cela elle est déterminée à dénicher le grand romancier Carson MacNeal, qui vent des millions de volumes mais que personne n’a jamais vu et qui ne donne jamais d’interviews. Loin de là Afia se bat avec sa mémoire torturée, traumatisée par son passé et tombée dans la spirale de la drogue et la prostitution… Rien ne relie ces deux personnes. Leur itinéraire va pourtant converger vers ce Carson MacNeal qui semble aimanter bien des intérêts…

Amazon.fr - Page Noire - Frank Giroud, Denis Lapierre, Caroline Delabie,  Ralph Meyer - LivresAvant Undertaker (la série qui l’a consacré et dont le dernier volume vient de sortir –  chronique la semaine prochaine ) et après Berceuse assassine (celle qui l’a révélé, avec le défunt Tome, scénariste mythique des meilleurs Spirou!), Ralph Meyer avait réalisé cet étonnant polar entièrement construit dans une mise en abyme vertigineuse entre récit et fiction, auteur et création… Meyer n’est pas encore une star mais participe déjà à de gros projets, notamment le premier XIII mystery où il rencontre Dorison, son futur scénariste sur Asgard et Undertaker donc.

Alternant deux récits qui vont progressivement converger, Meyer et sa coloriste attitrée Caroline Delabie proposent deux univers graphiques tranchés: le premier encré dans le style habituel du dessinateur et colorisé en palette bleutée, le second en couleur directe, peu encré et habillé de rouge-rosé… avant de converger dans un croisement très discret et révélateur, entre ces deux styles. Etonnant! Joignant le graphisme à l’écriture sophistiquée des deux scénaristes chevronnés Lapière et Giroud, les planches nous font ainsi suivre deux jeunes femmes qui ne semblent reliées en rien, l’une aux Etats-Unis, l’autre que l’on imagine en France, l’une mordant la vie avec morgue, l’autre détruite et acceptant difficilement de l’aide. Un peu perdu (moins que chez Urasawa…) mais acceptant de suivre deux récits juxtaposés, on comprend que le fil conducteur est bien l’histoire de la blonde Kerry. Parvenant un peu trop facilement à ses fins, on commence alors à plonger dans le texte lui-même. Dès les premières pages de l’album on nous insère des vues du roman en cours de Carson MacNeal qui nous font progressivement douter de la frontière entre fiction et réalité. Comme au cinéma, tout le plaisir de l’image est de la rendre mensongère, laissant le lecteur se débattre entre ce qui est vrai, ce qui est fictif, la narration principale et la secondaire… On prend alors plaisir à voir s’entrecroiser ces trois personnages en doutant toujours de quel récit s’insère dans quel autre, en rejoignant les effets du polar où l’auteur s’amuse à laisser son lecteur se construire des scénarii. On est ainsi par moment proche de l’atmosphère des Nymphéas noirs où époques et réalité s’enchevêtrent brillamment.

Page noire » par Meyer, Giroud et Lapière | BDZoom.comA ce récit dans le récit les auteurs approfondissent l’immersion en nous faisant pénétrer dans le processus créatif, partiellement autobiographique comme souvent, du romancier. Par les yeux de Kerry on observe l’homme derrière le nom, ce qui inspire, les fulgurances nocturnes et finalement l’interrogation sur l’invention créative en nous posant la question: toute invention n’est-elle pas directement inspirée par l’expérience de son auteur, que ce soit ses lectures, rencontres, sa propre vie? L’expérience est passionnante et personnellement je n’avais jamais lu de BD aussi bien pensée sur le travail d’auteur, sachant allier un vrai polar avec une expression des créateurs sur leur propre travail. Comme je le dis souvent sur ce blog, il est important pour que la BD puisse rester un média artistique, que ses lecteurs se questionnent sur ce qu’ils lisent et ne se contentent pas de consommation simple et infinie. Comme support grand public le neuvième art rejoint les éternels questionnements du cinéma entre art et entertainment consumériste. Des albums comme Page noir, en sachant proposer une vraie histoire littéraire immersive qui joue sur les récits tout en s’interrogeant, associe le ludique et le réflexif. L’alchimie que tout amateur de BD recherche?

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Brigada

La BD!
BD Henrique Fernandez
Spaceman Project (2021), 155p.+ artbook de 18 pages. Intégrale des trois tomes.

Projet édité en financement participatif sur la plateforme Spaceman Project. Intégrale fournie avec un jeu d’ex-libris et un storyboard relié du troisième tome. Certaines librairies diffusent les trois volumes de cette série.

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Le Voirander se propage sur le monde, créant une nouvelle réalité démoniaque. La Brigade des nains est envoyée combattre les elfes noirs et se trouve prise dans le brouillard. Dotés d’un tempérament combatif, égoïste et puérile, ils semblent une arme bien dérisoire pour empêcher le chaos total, alors que dans la Cité, les sœurs-sorcières cachent un secret lié à l’origine du mal…

Brigada #1 page 09, Enrique Fernández on ArtStation at  https://www.artstation.com/artwork/v2eYA | Art, Artwork, PaintingHappé par les magnifiques projets de l’éditeur participatif espagnol Spaceman Project (allez jeter un œil, vous verrez, c’est vraiment très créatif!), j’ai découvert l’univers graphique unique d’Enrique Fernandez. Avec une dizaine d’ouvrages sur son CV il ne s’agit pas d’un perdreau de l’année et si sa qualité de coloriste de premier plan est évident, son style propose une étonnante variété, de la jeunesse crayonnée (comme sur le tout neuf Hammerdam chez Ankama) à la dark fantasy de Brigada.

Très enthousiaste à la réception de cette intégrale j’ai été franchement échaudé par une entrée en matière vraiment ardue qui nous plonge dans l’histoire sans explication, dans un déroulé narratif chaotique… Heureusement l’auteur recadre fortement son scénario dès le second tome qui s’avère hautement plus intelligible, lisible graphiquement et qui se poursuit sur un troisième volume essentiellement concentré sur la bataille finale, tout à fait réussie. Si vous comptez découvrir cette série vous pouvez commencer directement par le second tome, sans véritable perte (on nous fait quelques rappels utiles), la première partie faisant plutôt office de prologue.

BRIGADA 3 (DERNIER VOLUME) | Spaceman ProjectLe style graphique de Fernandez est donc vraiment intéressant. Avec des visages qui rappellent Mathieu Bablet, il propose des personnages SD dans un environnement torturé et tribal, un monde ancien fait de magie et de vestiges. On sent une influence de l’Animation chez cet auteur, qui explique peut-être la trop grande rapidité par moments à lire des séquences, l’absence des intervalles nécessitant une gestion des ellipses ou un explicatif qui ne viennent pas spontanément. D’une grande maîtrise formelle, Brigada émerveille ainsi devant cette gestion des lumières et des couleurs avec des personnages anguleux proche des représentations des contes.

Cette quête de la magie est du reste à la fois classique et très intéressante dans les éléments qu’elle fait maladroitement ressortir. Ainsi ce brouillard permet d’aborder le thème du temps non linéaire mais aussi la maîtrise des forces naturelles par l’industrie et l’urbain. Si l’interaction entre nains et elfes est clairement confuse, on finit par apprécier cette brigade de bras cassés, à la fois surpuissants individuellement et totalement incapables de collaborer pour affronter la menace. Par moment on retrouve des idées de la Horde du Contrevent dans la gestion du groupe mal assorti face aux éléments intraitables.

Projet maladroit qui aurait clairement nécessité l’appui d’un scénariste, Brigada n’en est pas moins une proposition artistique intéressante d’un auteur important qui possède indéniablement un univers à lui qu’il sait ciseler et modifier en fonction des albums. De quoi donner envie de creuser ses autres ouvrages sur des one-shot et en collaboration.

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Sang royal (intégrale)

La BD!

A l’occasion de la sortie de l’intégrale d’une des dernières séries de Jodoroswky, magnifiquement mise en image par Liu Dongzi, je vous propose de relire ma chronique de la série:

BD de Jodorowsky et Dongzi Liu
Glénat (2010-2020), 2 cycles de 2 tomes parus, 54p. par album.

Je remercie les éditions Glénat qui m’ont permis de lire la version numérique du dernier tome de la série.

badge numeriqueLe projet original comprenait deux albums, suite à quoi un second cycle a été publié avec sept ans d’attente entre le troisième et le quatrième. Le premier cycle suit donc la tragédie d’un roi incestueux et le second sa descendance destinée à le tuer…

Résultat de recherche d'images pour "sang royal dongzi""Le roi Alvar est un conquérant né qui ne tolère pas la défaite. Semblant enfanté des dieux, il va pourtant tomber sous le coup d’une malédiction après la trahison de son cousin. Indomptable, soumis à aucune morale, Alvar prendra femmes et enfantera pour la gloire de son titre et peut-être pour l’amour véritable. Mais le monde des hommes est plein de duplicité et c’est en croyant suivre son destin qu’il ira à sa ruine. Découvrez la légende d’Alvar, le roi mendiant, le plus grand d’entre les grands…

Cette courte série qui aura attendue longtemps sa conclusion, sans doute en raison de la flamboyance graphique du chinois Liu Dongzi, est au cœur de l’œuvre de Jodorowsky, vieux maître qui n’en finit plus de nous proposer son univers fait de sang et de sexe, une œuvre sans morale, blasphématoire, provocatrice. Il y a les adeptes de Jodo et ceux qui le fuient, las de ses outrances sanglantes, de sa fascination pour les mutilations, pour les relations incestueuses et les amours impossibles. La profusion de séries BD qu’il a créé se répète bien entendu… mais ne serait-ce que par-ce qu’il a un vrai talent pour attirer de grands dessinateurs et transposer dans différents contextes ses obsessions, il arrive souvent à nous transporter dans son monde, avec plaisir.

Résultat de recherche d'images pour "sang royal dongzi""On retrouve beaucoup de choses déjà vues dans Sang Royal. La force de la série (outre donc des planches toutes plus magnifiques les unes que les autres) c’est sa concision et sa cohérence. Conçue comme un drame en deux actes (pour chaque cycle), la série nous présente la sauvagerie du roi, prêt à tout pour assouvir ses envies dont un amour improbable avec une paysanne va enclencher l’engrenage infernal qui le mènera à sa perte à la toute fin. Si le premier diptyque est assez sobre question fantastique et se concentre sur les relations incestueuses d’Alvar avec sa fille, le second voit poindre des créatures surnaturelles et gagne en héroïsme guerrier. L’ensemble reste très homogène y compris graphiquement malgré l’écart entre le premier et le dernier album.

Résultat de recherche d'images pour "sang royal dongzi""Ce qui m’a plu également c’est l’absence totale de d’autocensure de Jodorowsky, qui assume de montrer ce qui doit être, de façon moins malsaine que dans certaines saga (les Méta-Barons pour le pas les citer). Les scènes de sexe sont élégantes, les batailles sont des boucheries réalistes et rapides, les mutilations sont soit racontées soit intégrées à l’histoire avec un rôle central pour la suite. L’œuvre de Jodo n’est pas pour les fillettes et Sang Royal n’échappe pas à la règle. Le sang et l’épée siéent parfaitement à cette histoire sans héros, où le mythe s’incarne dans la force brute et où le roi tout puissant se trouve victime de ses pulsions amoureuses en considérant ses enfants avec bien peu d’égard. C’est également une série épique avec un art du dessinateur pour raconter les combats entre corps parfaits. Cet auteur est fascinant dans son radicalisme… Série graphiquement superbe avec un dessin qui esthétise l’horreur en l’atténuant, Sang Royal est surprenante en ce que jamais l’on ne sait ce que le scénariste va imposer à ses personnages. Étonnamment méconnue, elle mérite d’être découverte en attendant peut-être une prochaine collaboration avec le prodige Liu Dongzi.

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The shaolin cowboy #1-2

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Comic de Geoff Darrow
Futuropolis (2020) – Burlyman (2004-2007) – Dark Horse (2015-2018), 2/3 albums parus.

L’histoire éditoriale de cet OBNI est aussi complexe que le dessin de son auteur… Le premier volume de cette édition a été publié chez Burlyman avec une traduction chez Panini en 2008-2009). Le second volume correspond à la suite directe publiée chez Dark Horse (2015). Le troisième volume (à paraître) intitulé « qui arrêtera leur règne? » est également paru chez Dark Horse en 2017. Les éditions reliées des trois volumes sont parues chez Dark Horse (le premier après les deux autres…) et correspondent à cette édition Fututopolis. Le premier volume a été nominé aux Eisner Awards pour la meilleure nouvelle série, meilleur dessinateur, meilleure couleur. Darrow a obtenu un de ses trois Eisner sur ce tome comme meilleur auteur réaliste.

L’édition proposée par Futuro est franchement royale avec de magnifiques volumes au papier épais et du contenu additionnel. Cela aurait été parfait su l’éditeur avait eu la bonne idée d’un texte explicatif au premier volume aidant le suivi sur les trois tomes. On est un peu abandonné dans le cerveau fou de Darrow

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Le Shaolin cowboy parcourt les terres désertes d’une Amérique réactionnaire, déchue et parsemée de créatures improbables. Sur son mulet à casquette bavard et équipé d’un arsenal improbable, il affronte tout ce que le monde fait de timbrés et de démons… pour sauver sa vie. Et la philosophie on y pensera plus tard…

SNEAK PEEK: Darrow's Original SHAOLIN COWBOY Back in Print | 13th ...Geoff Darrows appartient à une mouvance d’illustrateurs nés au mauvais endroit! Avec les Richard Corben (Grand prix d’Angoulême 2018), Simon Bisley et ses peintures barbares dantesques qui ont influencé notamment Olivier Ledroit, l’italien Liberatore , la mouvance ultra-réaliste trash japonaise, et plus récemment les albums d’Eric Powell il fait partie des auteurs en liberté totale dont l’amitié avec Moebius n’est pas anodine tant son travail semble tout droit sorti du magazine Métal Hurlant. Son nom est sorti du cercle des initié en 1999 lorsque les sœurs Wachowski l’embauchent avec les yeux de Chimène pour mettre en place l’univers visuel et le storyboard des films Matrix. Quand on voit la finesse de son travail on les comprend…

Ce double album (j’y reviens) est un trip sous acide, un mélange entre le artbook déchaîné d’un auteur maniaque, le storyboard détaillé d’un film d’animation qui n’existe pas et une grosse farce sacrément gonflée. Ne cherchez pas de message, de sous-texte ou je ne sais quelle vision! Geoff Darrow utilise son Shaolin Cowboy pour latter du gang dégénéré, du zombie, du requin géant et du cadavre possédé… Vaguement frustrant du fait de la structure totalement apocalyptique du « récit », l’ouvrage est d’une générosité graphique folle car l’auteur ne connaît pas la contrainte. Ainsi le second volume, outre un texte de trois pages relatant des évènements potentiellement précédents et une nouvelle de soixante pages en fin d’ouvrage, reprend le récit au travers d’une sidérante séquence de démontage de zombie sur… cent pages! Cent pages muettes de baston virtuose, le plus long plan séquence de l’histoire du cinéma qui n’en est pas un, bref, quelque chose de jamais vu et qui ne sera certainement jamais refait. Gonflé, d’une précision diabolique, un peu lassant au bout de cinquante pages, mais quelle expérience!

Shaolin Cowboy #01 by Geof Darrow | Fumetti

Si le second volume est donc dispensable hormis pour les fana de Darrow et les collectionneurs, le premier est un délire totalement foutraque qui enchaîne les dialogues absurdes avec des personnages débiles à l’aspect surréaliste avant d’entamer des hostilités où le Shaolin cowboy fait parler sa technicité au combat en découpant des tranches de cou au katana, expulsant un cœur d’un coup de paume ou donc entamant une danse mortelle armé de son bâton à double tronçonneuse… Tout au long de la lecture on est sidéré autant par le grand n’importe quoi permanent que par le détail des Le Shaolin Cowboy T3 : Dans les entrailles de la ville (0), comics ...immenses planches qui nous donnent parfois le sentiment d’être dans un album « Où est Charlie » pour adulte. Car Shaolin Cowboy est pour les âmes solides et les adeptes du mauvais goût (il est étonnant que Fluide Glacial n’ait pas cherché à éditer ces ouvrages tant ils correspondent à l’esprit sale gosse de l’éditeur).

Le sourire aux lèvres et émerveillé à la fin du premier tome on est franchement frustré à la fin du second. Le troisième tome à paraître semble beaucoup plus narratif, proche du pamphlet contre l’Amérique de Trump et fidèle au premier. L’éditeur a choisi une étrange stratégie de publication  en deux fournées (les tomes 1 et 2 puis le trois) avec bien peu de communication qui ne facilitera pas la transmission au public d’une œuvre qui nécessite d’être accompagnée. J’espère avoir un petit peu contribué à cet accompagnement tant l’œuvre de Darrow mérite que l’amateur de BD s’y intéresse et tant on a rarement vu un album aussi généreux. Si vous aimez l’esprit Fluide, si vous aimez les zombies, si vous aimez Tarantino, si vous aimez les Monthy Python… foncez!

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Uncle sam

La trouvaille+joaquim

Comic de Steve Darnal et Alex Ross
Semic/Panini (2001/2010), 96., one-shot.

La dernière édition en date est une version deluxe chez Panini, datant de dix ans, qui est peut-être la version française de la Collected édition reliée comprenant trente-deux pages de plus avec des illustrations originales et des textes de contexte. J’ai personnellement la version SEMIC brochée de 2001.

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Ma récente lecture du plutôt réussi Strange fruit m’a donné envie de me replonger dans les ouvrages du grand Alex Ross, chef de file de l’école hyper-réaliste des comics de super-héros et peut-être le plus iconique des dessinateurs de l’écurie DC. Connu pour ses deux plus grands ouvrages, le mythique (et encyclopédique…) Kindgome Come et donc, cet Uncle Sam. Ce dernier arrive assez tôt dans la carrière de Ross et a le grand mérite de se présenter comme un véritable roman-graphique, relativement court, qui marque le style de Ross avec cette colorisation directe et ce très grand sens de la mise en scène. Surtout, il nous dispense d’un côté kitsch que revêt l’oeuvre d’Alex Ross de part son style, son rattachement exclusif aux héros classiques de DC et au Golden Age.

Uncle Sam - BD, avis, informations, images, albums - BDTheque.comRésumer l’intrigue d’Uncle Sam est ardu mais surtout inutile car il s’agit d’un concept, d’une allégorie visant à faire parcourir par l’Oncle Sam, l’âme de l’Amérique, l’histoire de son pays, des idéaux de la guerre d’indépendance aux renoncements et perversions qui ont abouti à une corruption généralisée des âmes et des esprits… Véritable pamphlet politique d’une même force que les films de Michael Moore, cet album est exigeant (comme tous les ouvrages d’Alex Ross du reste…) en ce que sa narration encrée dans un délire fait d’aller retours entre la mémoire du personnage et ce qu’il observe de nos jours insère alterne pensées et bruits erratiques de ce qui l’entoure. Sous la forme d’un vieux clochard décrépi et halluciné, Oncle Sam subit chaque violence du quotidien comme un choc qui le ramène à ce que devait être l’Amérique et à une déviance qui a finalement commencé très tôt… dès les premières escarmouches avec les anglais! Les auteurs ont un propos très dur sur ce qu’est devenu leur pays et cela a d’autant plus de force que la carrière du dessinateur s’est faite entièrement sur l’iconographie nationaliste des super-héros de l’Age d’Or et leur idéal de justice et de droiture.

Uncle Sam, comics chez Semic de Darnall, RossSi certains passages sont évidents (on assiste à l’assassinat de Kennedy à la Ford Hunger March de 1932 qui vit la police tirer sur une manifestation d’ouvriers Ford ou l’attentat d’Oklahoma city), d’autres nécessitent une bonne connaissance de l’histoire américaine. Chacun prendra ce qu’il peut mais l’essentiel du propos (sublimement mis en images cela va sans dire) reste très clair. Sur la dernière partie Sam entame un dialogue avec sa version féminine, Columbia, incarnant l’Etat, avec la pauvre Marianne française aussi désespérée que lui par ce qu’est devenue sa République ou encore l’ours soviétique aussi mal en point que les autres, avant de rencontrer ce que les américains ont fait de lui, sorte de pendant négatif mettant face à face l’idéal et la réalité du mythe américain…

(Re)lire aujourd’hui Uncle Sam donne une portée assez sidérante lorsqu’on mets en parallèle l’Amérique de Trump, considéré par beaucoup comme la pire présidence de l’histoire du pays, et cet album qui aurait pu sortir aujourd’hui alors qu’il a vingt ans… Cet écart renforce le propos de l’ouvrage qui nous assène que l’Amérique est un mythe mort-né et que les tragiques épisodes de son histoire ne sont pas des incidents mais la logique directe des choix politiques de générations de dirigeants avec la complicité passive d’une population qui préfère lire des BD de super-héros en slip plutôt que de s’interroger sur la manière de reprendre les rennes de ce navire à la dérive…

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Le quatrième pouvoir

La trouvaille+joaquim
BD de Juan Gimenez
Les Humanoïdes associés (1989-2008), 255p., comprend les quatre volumes de la série.

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badge numeriqueTout début avril nous avons appris la triste nouvelle du décès (suite au covid-19) du très grand dessinateur argentin Juan Gimenez, compagnon de route de Jodorowsky en donnant une incroyable impulsion au personnage du Méta-baron créé par le chilien et Moebius dans l’Incal. Formidable designer créant des formes techniques SF incroyables cet artiste a influencé toute une génération de dessinateurs BD et du design et sa disparition est une très grande perte pour le 9° art…

Sa bibliographie n’est finalement pas très fournie et se caractérise principalement par les séries Léo Roa, La saga des Méta-barons, la plus connue de ses collaborations, et ce Quatrième pouvoir, à l’histoire si particulière. Il s’agit d’une de mes premières lectures de BD adulte SF que j’avais découvert fasciné à sa sortie au format one-shot. De ces albums marquants, non tant par son scénario, assez simple, que par ses thématiques, ses visions de grands espaces futuristes et d’engins incroyables, de cette violence organique, radicale… Le Quatrième pouvoir est à ranger avec toute une série d’autres créations directement issues de l’esprit Metal-Hurlant, des visions techno-punk uniques, directement issues des visions intérieures de leurs auteurs, des Bilal, Druillet ou Moebius… Jusqu’alors habitué aux one-shot de ce type, l’expérience de Gimenez sur la Caste des Meta-barons lui a inspiré une suite au Quatrième pouvoir, qui se terminait pourtant sans suite possible…

Le Quatrième Pouvoir (Intégrale) (Nouvelle Édition) - (Juan ...Humains et Krommiums sont en guerre. Ces derniers croient avoir trouvé l’arme ultime en créant un être aux pouvoirs psychiques capables de contrôler la matière et le temps… Exether Mega, pilote de chasse, se retrouve ainsi prise en chasse car elle est le spécimen que les scientifiques doivent associer à d’autres femmes kidnappées pour réaliser leur arme…

Les trois albums qui suivirent la ressortie en 2004 du premier tome (soit quinze ans plus tard!) sont lisibles comme des one-shot et leur rattachement est, il faut l’avouer un peu acrobatique. Si Meurtres sur Antiplona (tome 2) se présente comme une rocambolesque (et  maladroite – même s’il a clairement inspiré visuellement la série Orbital!) fuite entre mafieux, police et héros reprenant les thématiques de Léo Roa et l’environnement hyper-urbain, la véritable suite du premier tome commence avec Enfer vert (tome 3).

Bien plus posé, construit, l’album prends le temps de nous expliquer les événements Planche originale n°9 accompagnée de sa première étape - L'Ile D-7 ...originaux de la série et de proposer une conséquence crédible. En posant un thème de survie dans une jungle hostile ce troisième tome nous fait retrouver ce qui plaît chez Gimenez: les designs géniaux des scaphandres et vaisseaux (l’auteur a commencé comme dessinateur industriel), de l’action militaire gore à souhait et des créatures extrêmement imaginatives et particulièrement agressives! Conscient des limites de l’histoire originelle, l’auteur construit sérieusement son univers avec ce conflit entre Fédération et Krommiums autour duquel gravite une galaxie de mercenaires, éleveurs de bêtes sauvages exotiques et autres entités supranaturelles… On ne sait si Gimenez se plaît le plus dans le noir spatial, les immenses volumes des vaisseaux aux architectures parfaites ou dans le huis-clos urbain ou de la jungle d’Enfer vert tant chacun de ces univers fourmille de détails et de bonnes idées. On pourra lui reprocher justement ce trop plein qui caractérise son œuvre, mais il faut admettre la générosité créative de l’argentin.

Sur le quatrième tome une démonstration d’armement en théâtre d’opération tourne mal du fait de corruptions et plans machiavéliques d’industriels pourris. L’héroïne, dans sa fuite perpétuelle, se retrouve réfugiée sur l’Ile, une tour de défense monumentale pilotée par une intelligence artificielle et une armée de droïds. Revenant sur le lieu où tout a commencé, elle devra user de ses pouvoirs pour sauver ses nouveaux compagnons…

Le quatrième pouvoir - Enfer vert Tome 03 - Le quatrieme pouvoir ...Personnellement j’adore l’univers thématique de Gimenez où la technologie ne semble pas avoir de limites, où les corporations ont depuis longtemps dominé les Etats corrompus et où beaucoup de choses se règle à coup d’armements dantesques. L’argentin est clairement un représentant du sous-genre de la SF militaire et excelle dans ces affrontements spatiaux ou terrestres, chaque engin doté d’un design fou qui nous donne envie de découvrir sa notice technique! Les quatre tomes sont très inégaux et hormis pour les fana vous pouvez vous contenter des tomes un et trois qui peuvent être pris comme un diptyque. Le second volume est très décalé du reste et franchement bancal scénaristiquement. Le concept de la série (l’héroïne aux pouvoirs incommensurables) est trop faible pour assurer une cohérence d’ensemble et les liens très artificiels. Dommage de voir le talent relativement gâché et la confirmation que même les plus grands dessinateurs ne s’improvisent pas scénaristes comme ça…

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*****·BD·Cinéma·Un auteur...

Visionnage: Bourgeon, le passager du vent.

Un auteur...

A l’occasion de la sortie des intégrales des séries de François Bourgeon chez son nouvel éditeur Delcourt (… quel éditeur n’aura pas eu Bourgeon dans son fonds?…) j’ai pris le temps de visionner le magnifique film qu’a fait son comparse Christian Lejalé en 2010 et dont est sorti un gros ouvrage, sorte de Art-book ultime sur cet auteur incontournable bourgeon-le-paager-du-ventdu neuvième art. Lejalé est le compagnon de route de François Bourgeon depuis longtemps et l’ai aidé de nombreuses fois dans son travail documentaire au travers de vidéos dont on peut voir des aperçus dans ce film. Conçu comme une entrée privilégiée et calme dans l’antre d’un monstre de la BD franco-belge, on le documentaire alterne reportage de l’époque des Passagers, à la glorieuse époque du journal (A suivre) de Casterman, que l’auteur considère encore comme une époque bénie, une anomalie qui permit à des auteurs ambitieux et exigeants de produire des albums comme le Dernier chant des Malaterre, fabuleux one-shot de 120 pages en donnant au dessinateur le luxe du temps pour le réaliser en étant payé. A l’heure d’une précarité galopante des auteurs et d’une production déraisonnable, on saisit le changement d’époque. Il est marquant de voir l’auteur à la trentaine dans la maison bretonne qu’il a acheté et quarante ans plus tard dans le même atelier, disposé de la même manière, le temps figé. Comme beaucoup j’étais convaincu que Bourgeon faisait partie de la légion de dessinateurs bretons qui nous offre si souvent de magnifiques albums teintés de culture… et bien non! Il est parisien et breton d’adoption, mais comme il le dit, sera toujours un étranger…

Projection du documentaire sur François Bourgeon et rencontre avec ...François Bourgeon a la particularité de travailler sur des modèles et maquettes. Il nous parlait de son travail de reconstitution de Montmartre dans la gazette du Sang des cerises. On le voit ici dessiner des personnages après sculpture d’un visage, se documenter au musée de la Marine sur les bateaux des Passagers ou créer des ambiances devant la caméra de son ami Lejalé.

La saga des Passagers du vent bientôt de retour | www.cnews.frCe film est passionnant en ce qu’il permet en un agréable moment agrémenté de douces musiques, de voir l’artiste au travail, son environnement professionnel, l’entendre parler autant de processus de création que d’économie de la BD avec le point de vue de celui qui a toujours été à part dans cette économie si particulière. Le succès immense de ses séries l’a aidé à maintenir ses exigences, il en est conscient. Mais il s’autorise aussi sans langue de bois un avis sur le marché actuel, difficile également pour des monuments François Bourgeoncomme lui.  Celui qui disait « Je n’ai pas publié de livre entre 1998 et 2005. Ce furent des années très dures, avec des huissiers qui venaient chez moi. Mais je ne sacrifierai jamais mon indépendance à quelques pourcentages de ventes supplémentaires » est un insoumis.

Un des derniers artisans de la BD, qui prends le temps nécessaire, le travail nécessaire pour produire les planches qui feront vrai et réaliste, Bourgeon est un historien de la BD, comme incarnation d’une époque et comme auteur d’albums toujours impressionnants. Si vous aimez Bourgeon ce visionnage est très recommandé!

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Ci-dessous un reportage réalisé par Lejalé pour France3 et qui donne une idée de ce documentaire plus long

***·BD·Graphismes·Un auteur...

Wild West

Un auteur...
BD de Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat
Financement participatif sur Kisskissbankbank (2020), 166p. n&b., one-shot(?).

couv_386333L’ouvrage est en format à l’italienne avec tranche toilée, titre à vernis sélectif. La BD proprement dite comprend trois « rocambolesques aventures du Juge Laudermilk » intercalée par des illustrations réalisées par Ronan Toulhoat lors d’un Ikntober. Outre les illustrations intérieures, un carnet de croquis de vingt-deux pages est inséré à la fin, ainsi qu’une page de remerciement suivant les « gains » choisis par les enchérisseurs.

Le financement original prévoyait 8500€ et a été financé à 200%. Le palier raté prévoyait une histoire supplémentaire.

Cela fait quelques temps que je regarde passer des projets de financement participatif, souvent pour des artbook, parfois pour des BD. Très attaché à l’idée de création collaborative, de Libre et de circuits courts et alternatifs, ces financements autonomes de projets créatifs me donnent envie d’aider. Malheureusement beaucoup de ces projets ne sont pas vraiment professionnels et parfois un peu chers (comme ce  gros artbook de Frank Cho que j’ai laissé passer en raison de son coût, prouvant que même les plus grands passent par ces circuits). Ces financements permettent en outre à de petits éditeurs de préfinancer des suites de séries souvent excellentes.

Je me suis donc laissé tenter par celui-ci car (vous ne serez pas surpris si vous suivez ce blog depuis quelques temps), Ronan Toulhoat est un de mes dessinateurs favoris. J’ai découvert son duo à l’époque du semi-professionnel, j’ai suivi toutes ses séries depuis, toujours excellentes, et suis toujours sidéré par les progrès et la quantité de dessins/travail qu’il produit et qu’il montre en ligne. Je ne m’aventurerais pas à juger l’activité de certains auteurs mais il est très satisfaisant de voir qu’un dessinateur autodidacte parvienne à publier aussi régulièrement, parfois plusieurs albums dans l’année et qu’il rencontre un succès mérité. Certains ont un talent évident, certains sont des bûcheurs. Au final les lecteurs que nous sommes comparent ce qu’ils voient. Et Ronan Toulhoat en montre de sacrées quantités. J’ai parfois été déçu par ses partis pris graphiques, notamment en matière de colorisation. Mais la qualité de ses encrages, son sens du mouvement, du cadrage et du ressenti en font pour moi un des meilleurs dessinateurs actuels, même si d’autres peuvent paraître plus techniques.Ronan Toulhoat - Graceful par Ronan Toulhoat - Illustration

Et cet album alors? Le dessinateur présente régulièrement des illustrations dans des univers balisés que ne lui permettent pas d’explorer ses séries en cours. C’est le cas du Western donc, mais aussi du Napoléonien, Victorien, bref, partout où son univers noir et rageur se trouve bien. Je regrette que le duo travaille depuis si longtemps sur l’époque médiévale (spécialité de Vincent Brugeas) et j’ai trouvé cette occasion d’aller voir du côté de l’Ouest à point nommé. Le premier point positif est l’excellent personnage Ronan Toulhoat (@RonanToulhoat_) | Twitterimprobable de juge itinérant que nous découvrons au travers de courtes BD humoristiques inégales. Le Juge Laudermilk troisième du nom parcourt les contrées sauvages et villes nouvelles dans sa diligence servant de bureau comme de tribunal, accompagné de Chochanna, pilote de l’attelage et fine tireuse avec sa carabine à lunette, ainsi que son aide de camp chicanos Igor, pas bien malin, à peu près muet et toujours utile pour profiter des situations et engranger des dollars dans la mise en place de belles arnaques… Si la première histoire est très chouette, la seconde m’a laissé sur ma faim avec une impression de redite. Chacune de ces trois histoires annonçant la fin de l’épisode, on peut imaginer une future série en bonne et due forme pour peu qu’un éditeur suive. L’équipe fictive du juge a du potentiel pour une courte série de one-shots ou en format histoires courtes.

Juicy par Ronan Toulhoat - IllustrationLes illustrations « Inktober » qui s’intercalent entre les BD sont très réussies et inspirées. Les textes qui les accompagnent en regard sont en revanche très dispensables et apparaissent vraiment forcés. C’est dommage car Vincent Brugeas sait écrire et pouvait produire quelques courtes nouvelles d’ambiance… qui auraient entraîné une plus grosse pagination mais enrichi le projet. Je suis surpris par ce choix qui utilise très peu la page de regard donc.

Toulhoat, Ronan - Para-BDEnfin, la partie « illustrations libres » est très diverse, entre des crayonnés à peine posés, de superbes encrages et quelques couleurs. C’est vraiment du carnet de croquis encore chaud. Cela permet de voir une authenticité qui conviendra aux vrais fans que sont certainement les participants à ce projet.ronan.toulhoat

Il ressort de ceci le plaisir du graphisme « direct from the pen » et le rappel que les éditeurs servent parfois aussi à modeler un projet. Par les temps qui courent où l’on voit sur les rayonnages des librairies des albums pas finis et qui semblent avoir loupé l’étape éditoriale, on pourra difficilement reprocher ces quelques manques à un travail très pro et fidèle à ce qui était annoncé. A coup sur si les deux inséparables poursuivent cette initiative sur d’autres thèmes Inktober, ça peut devenir aussi indispensable qu’un Sketchbook Comixburo

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