BD·Jeunesse·Service Presse·Nouveau !·****

Mekka Nikki #1

Premier volume de 224 pages noir et blanc de la série écrite par Exaheva et dessinée par Félix Laurent. Réédition en France chez les Humanoïdes Associés le 03/04/2024.

Merci aux Humanos pour leur confiance.

Nikki est une adolescente débrouillarde et inventive, qui vit dans un monde dévasté par une guerre des siècles auparavant. Déambulant dans une forêt parsemée d’épaves de vaisseaux spatiaux, Nikki joue les aventurières, juchée sur des jambes mécaniques de sa création.

Dans son village, un mal frappe les habitants de façon aléatoire, les transformants en statues de pierre. Nikki n’a qu’un désir, traverser la forêt, puis gravir la montagne en quête d’un remède. Son père, Lukka, a déjà tenté la traversée dix ans auparavant, visiblement sans succès puisqu’il n’est jamais revenu de son périple. Il faut dire aussi que la forêt est pleine de dangers, sous la forme d’une bête féroce qui traque et tue tous les intrus.

Alors que le fléau progresse, Nikki prend une grande décision, celle de se mettre en route, accompagnée de son petit robot Perko. En chemin, elle fait la rencontre de Naoe, qui va la guider à travers les dangers de la forêts, dans un monde dont elle ne sait finalement pas grand chose…

Mekka Nikki possède une histoire éditoriale tout à fait singulière, puisque la série a débuté via le fanzinat, puis l’autoédition, et chez Vide Cocagne. La série connaît un second souffle chez les Humanos, qui promettent un second tome dès le mois de juin 2024.

Il est à noter que la série bénéficie également d’une adaptation animée par les studios Dada et Squarefish, ce qui laisse entendre un certain potentiel pour une extension de l’univers des deux auteurs belges.

A l’ouverture de l’album, il sera aisé pour les lecteurs de l’Étagère (enfin, ceux qui suivent nos recommandations de lecture, bien entendu 😉 ) de déceler des similitudes, dans le style, avec la série Les Sauroctones de Erwann Surcouf.

L’aventure épisodique a ici du bon puisqu’elle insuffle un élan tout particulier au récit et permet de développer tranquillement les personnages qui composent le casting de cette quête initiatique.

Malgré l’aspect apparemment décalé de l’histoire, le ton demeure paradoxalement plutôt sérieux et grave, mené par des thématiques sous-jacentes qui augmentent les enjeux sans trop laisser la place à la déconnade.

Les amateurs-trices d’aventure rythmée apprécieront néanmoins, ceux et celles qui désespéraient de voir enfin un peu d’artisanat revenir sur le devant de la scène en seront ravis !

*****·BD·Nouveau !·Service Presse

The Ex-People #2

Second et dernier volume de 72 pages, de la série écrite par Stephen Desberg et dessinée par Alexander Utkin. Parution chez Grand Angle le 10/01/24.

Merci aux éditions Grand-Angle pour leur confiance.

Ex-ceptionnels

Dans le premier tome, nous faisions la connaissance d’une troupe de pas-si-joyeux drilles, unis par le hasard ou la destinée, vers un but peu commun: celui de revenir à la vie, de façon pleine et entière. Tous sans exception, ont subi un sort funeste dû à une injustice, qui les a laissés coincés dans un état de non-mort, et souvent avec une sorte de difformité.

Cet étrange aréopage se donne pour but d’aller à Jérusalem, qui subit alors les Croisades, pour se rendre dans un monastère unique où ils espèrent pouvoir payer un remède à leur condition. Réunir des pièces d’or et d’argent n’est pas une impossible gageure pour nos héros, qui possèdent tous des facultés spéciales de par leur condition particulière. Sur la route de Jérusalem, ils n’hésitent donc pas à détrousser des troupes de brigands de leurs butins mal acquis, mais une déception les attends à l’arrivée: Si Dieu peut autoriser des miracles et des résurrections, ses agents terrestres n’acceptent que l’or acquis de façon vertueuse…

Nos fantômes adorés se retrouvent donc le bec dans l’eau, mais après tout ce chemin, ils ne peuvent pas renoncer si facilement à leur quête de résurrection.

L’enjeu principal que nous relevions dans la chronique du premier tome se situait dans le contexte et les règles établies par l’auteur sur le fonctionnement des fantômes. Et il faut bien l’admettre, Stephen Desberg ne s’est pas réellement penché sur la question. De façon étonnante, il est difficile de lui en tenir rigueur sur ce second tome, tant il parvient à créer l’attachement avec chaque membre de sa joyeuse troupe.

L’auteur capitalise donc sur la sympathie et les touches d’humour habilement distillées, ainsi que sur les relations entre les différents protagonistes. On peut dire que les enjeux externes demeurent bien travaillés et accessibles, rendant la lecture toujours aussi prenante.

Graphiquement, sans surprise, Alexander Utkin casse encore la baraque, avec un trait et des couleurs très reconnaissables.

A ce stade, il n’y a donc aucune raison de faire l’impasse sur The Ex-People: une série bouclée en seulement deux tomes, un univers graphique unique et une histoire originale et décalée.

Mélangez ces éléments et vous obtenez la recette d’un coup de coeur !

***·BD·Nouveau !

Hana et Taru, la Folie de la forêt

Récit complet de 220 pages, écrit par Léo Schilling et dessiné par Motteux. Parution chez Dargaud le 19/01/2024 dans la nouvelle collection COMBO.

How to train your (Green) Dragon

Dans l’immensité de la jungle où vivent Taru et sa tribu, il n’y a qu’une règle fondamentale: chasser ou être chassé. Toute la culture de son peuple est axée autour de cette valeur, qui garantit la survie de tous depuis des temps immémoriaux.

Cependant, depuis 3 ans, la suprématie des chasseurs est remise en question par un étrange phénomène qui perturbe l’écosystème de la forêt. Ses animaux les plus imposants, baptisés Rois de la Forêt, sont frappés par un mal mystérieux qui les rend extrêmement agressifs, et qui les pousse à ravager les villages des chasseurs.

Démunis, les plus expérimentés d’entre eux se sont lancés dans une croisade pour repousser ces titans cornus et sauver autant de vies que possible. Taru, quant à elle, est sanctionnée pour son caractère excentrique, car elle se voit confier des tâches subalternes tout en subissant les brimades de sa mère Vesa, qui incidemment est aussi la cheffe du clan.

Parmi ses différentes corvées, Taru doit veiller sur Hana, une humaine prisonnière de sa tribu, qui semble tout ignorer de la Forêt. L’amitié de Taru pour Hana, conjuguée à la nécessité de sauver son peuple, va pousser la jeune femme à rompre les rangs pour percer le mystère de la Folie de la Forêt, avant que Vesa ne provoque un massacre.

Pour lancer son nouveau label Combo, Dargaud opte pour une histoire en apparence originale, mais qui emprunte en réalité l’essentiel de son ossature à des oeuvres familières. La protagoniste marginalisée car pas en phase avec sa culture d’origine nous fait par exemple penser à Harold, le héros de Dragons, qui, exactement comme Taru, cherche une solution moins violente au problème rencontré par son village, à ceci près que Hana & Taru remplace les dragons par les Rois de la Forêt, sortes de croisements entre castors et buffles géants.

Tout comme Harold, Taru vit dans une famille monoparentale, menée par un parent guerrier qui valorise la force, le courage et la loyauté aveugle, plutôt que l’intelligence et la pensée originale. Et bien évidemment, le paradigme est le même puisque les créatures qui attaquent les deux villages ne sont pas foncièrement maléfiques, mais sont en réalité victimes d’un mal bien plus dangereux et pernicieux, auquel il faut s’attaquer pour retrouver l’équilibre de l’écosystème.

Hana et Taru va même jusqu’à reprendre l’idée de l’Amitié Clandestine entre Harold et Croque-Mou, pour forger une alliance indéfectible entre ses deutéragonistes éponymes. Sur cette base déjà-vue, les auteurs construisent malgré tout un univers vaste et intéressant, mais qui là aussi est susceptible de nous rappeler des parangons du genre, comme Avatar, par exemple.

L’intrigue en elle-même comporte des failles qu’il nous est difficile d’expliquer une fois l’album refermé.

[ATTENTION, SPOILERS POTENTIELS]

En effet, il est dit durant l’exposition que les Rois de la Forêt sont les maîtres paisibles et incontestés de la Forêt, dont la seule aura permet d’apaiser les autres animaux et ainsi de maintenir l’équilibre. Ils sont donc supposés être bien connus du peuple de Taru, qui est naturellement surpris lorsque ces géants pacifiques deviennent fous et rasent des villages entiers à certaines périodes de l’année. Cependant, en trois ans de carnages, aucun des anciens, ni aucun des chasseurs, Vesa la première, ne semble se rappeler, ni même être au courant, des cycles de migrations des Rois de la Forêt, information qui se révèle être la clé du mystère. Donc, si l’on comprend bien, durant des milliers d’années, le peuple de la forêt cohabite pacifiquement avec les Rois, qui migrent donc normalement à la saison chaude pour revenir ensuite, jusqu’à ce que leur route privilégiée vers la montagne soit obstruée. Là, ils sont pris d’un mal qui les rend aggressifs, puisqu’ils ne supportent pas de passer la saison chaude dans la Forêt, ce qui est logique. Ce qui l’est moins en revanche, c’est que personne, hormis notre duo d’héroïnes, n’ait remarqué la fin des migrations et ne se soit penché sur la question trois années durant.

Cette erreur d’écriture fait passer notre peuple de chasseurs-guerriers pour des imbéciles, qui ne sont pas aussi en phase avec la nature que le laissent supposer leurs habitations arboricoles.

[FIN DES SPOILERS]

Ce léger point de crispation est contrebalancé par la performance graphique de Motteux, qui signe ici un premier album stupéfiant de maîtrise. Ses décors sont magnifiques et l’action est servie par une mise en scène un peu sage mais très efficace, ce qui en fait un auteur à suivre, sans conteste.

On met trois Calvin, pour l’intrigue pas si originale et dont le coeur repose sur un léger paralogisme. Mais nous étions prêts des quatre Calvin, notamment pour le dessin de Motteux, que l’on a hâte de revoir.

*·Comics·East & West·Nouveau !·Service Presse

Radiant Black #3

Comic collectif,
Delcourt (2023), Ed US Image comics (2021), 176p., 3/4 tomes parus.

La communication de l’éditeur Image comics (dont Robert Kirkman est un des dirigeants) présente depuis le début de Radiant Black cette série comme une sorte de successeur d’Invincible, l’autre blockbuster de Kirkman avec Walking Dead. Ma lecture de la première Intégrale d’Invincible m’ayant laissé franchement sur ma faim, je comprend néanmoins le lien entre les deux séries, conçues pour durer. On pourrait même parler de modèle commercial si l’on voulait être taquin…

Après seulement trois tomes, les bonnes impressions précédentes se diluent dans un format où rien ne semble suivi, comme d’anciennes séries TV où chaque épisode était une sorte de one-shot sans recherche de continuité. Radiant black paraît ainsi (après les origin story des différents radiants, le changement de porteur et les saisissantes idées visuelles du second opus) comme un rendez-vous régulier de conso, comme l’est devenu Dragonball. Alors qu’il suffisait de poursuivre sur les révélations progressives concernant le Radiant, la guerre spatiale et le Robot là l’origine de tout, Kyle Higgins et ses co-scénaristes nous envoient des historiettes autour des petites affaires web de Marshall et l’apparition de méchants que bien peu de choses nous relient aux précédents épisodes. On a immédiatement l’impression d’avoir raté un épisode, ce qui est assez désagréable. Si l’intrigue principale commence sur les tiraillements entre les deux porteurs du Radiant, les autres Radiants disparaissent complètement sans aucune explication, perdant pour l’occasion l’aspect power-rangers assez fun. Sans intérêt de personnages (les problématiques créatives de Nathan ne sont qu’un souvenir), sans menace sérieuse (les visions galactiques sont absentes), avec des adversaires bien piètres et sans aucune motivation crédible, on enchaine la lecture en baillant, sans comprendre ce qu’il s’est passé.

Avec un staff qui grossit d’album en album, on semble passer du projet indé qui disrupte un concept connu à une grosse machinerie calibrée young adult nostalgiques d’Invincible et Power Rangers qui ne présente plus le moindre intérêt pour le « simple » amateur de comics. Accident assez incompréhensible de la part des auteurs originaux, ce troisième Radiant Black brise le charme avec bien peu de choses à sauver (les deux derniers chapitres qui apportent miraculeusement un soupçon de tension dramatique). Suffisamment pour dissuader de continuer hormis pour la cible très restreinte de cette industrie qui vise la série au trèèèèèès long court. Franchement dommage et agaçant.

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***·East & West·Manga·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Coffee Moon #4 et #5

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Manga de Mochito Bota
Doki-Doki (2023), 176p., série en cours, 5/5 volumes parus.

bsic journalismMerci aux éditions Doki-Doki pour leur confiance.

Un peu échaudé par le précédent volume qui m’avait complètement perdu à force d’abuser de mystère cryptique dans le déroulement du temps, j’ai été un peu rassuré par le quatrième qui m’a semble plus pédagogique en prenant le temps d’expliquer qui sont les nouveaux protagonistes maléfiques et comment fonctionnent les pouvoirs, au risque de dialogues un peu peu trop surlignés. En s’orientant vers un univers de Magical girls dark Coffee Moon apaise un peu le lecteur qui commençait à se demander où l’auteur voulait nous mener dans cette ville noire décrite sur les planches toujours superbes et originales de Mochito Bota.

L’équipe de jeunes filles grossit et les adversaires se dévoilent plus clairement au travers de batailles très visuelles et assez sympathiques. Surtout, se dessine en filigranes l’idée d’assister à un cauchemar et la logique très particulière du monde des rêves qui permet à l’auteur de ne pas trop se soucier de vraisemblance dans les enchaînements et facilités scénaristiques. La suite dira si ce mécanisme est volontaires ou un fantasme de lecteur mais le fait est que la cohérence de ce monde permet certaines spécificités.

Alors que l’on s’approche de la conclusion, cette série aura réussi à se démarquer par un graphisme très numérique pourtant masqué par un habillage de noirs qui rend l’ensemble particulièrement attrayant. Si la différenciation des personnages est un problème depuis le premier tome, Bota parvient à jouer de la boucle temporelle sans en abuser et plutôt à bon escient dans sa construction scénaristique. Renouveler un genre très balisé (Magical girls) est loin d’être facile et ne serait-ce que pour cela Coffee Moon mérite qu’on s’y intéresse. Apparaissant finalement plus comme un Shojo de par son casting exclusivement féminin, les thèmes abordés et une certaine naïveté des dialogues, le manga devrait trouver son public pour peu qu’il ne se trompe pas de cible.

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***·Comics·East & West·Nouveau !·Service Presse

Radiant Black #2

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Comic collectif.
Delcourt (2023), Ed US Image comics (2021), 176p., 2/3 tomes parus.

Attention spoilers!

bsic journalism

Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance!

Alors que Marshall déchaîne sa vengeance contre le Radiant rouge qui a envoyé son meilleur ami à l’hôpital, surgit un nouvel être surpuissant qui exigera une alliance imprévue entre les quatre couleurs qui viennent tout juste de réaliser qu’ils ne sont pas seuls. Un combat qui va leur révéler un danger cosmique face auquel leurs combinaisons semblent bien dérisoires…

Radiant Black #10 Blacklight Edition | Image ComicsBonne surprise qui a rafraichi l’an dernier le récit superhéroïque, Radiant Black continue à casser les codes et les attendus dans ce second tome assez perturbant dans son déroulement. L’habillage « power rangers » du projet avait tout du produit formaté mais le scénariste rompait immédiatement ce schéma en changeant très tôt de porteur du radiant en ouvrant la possibilité d’une série centrée sur un héros pluriel plutôt que sur  une équipe de héros. Cette suite va confirmer cela puisque hormis la très énergique et fun première partie centrée sur la baston planétaire des quatre « couleurs » contre leur adversaire, on va suivre la version Marshall du Radiant black en continuant à visiter la vie des millenials et des réseaux sociaux (notamment sur le récit secondaire dédié à Rose et bien moins réussi que celui de Rouge).

Alors que l’on s’attend à voir se construire l’équipe, les personnages sont en réalité éparpillés assez rapidement en nous laissant voir Marshall tenter de sauver son ami et nous révéler une guerre galactique qui semble liée au Radiant et à l’antagoniste que les amis sont parvenus temporairement à contrer. On passe donc d’un premier tome plutôt original et intelligent dans l’histoire d’un auteur en dépression de page blanche à tout autre chose. Dans une grande liberté vis à vis de leur lecteur, les auteurs expérimentent ainsi des idées graphiques plutôt gonflées lorsque le héros se retrouve dans le monde du Radiant afin de sauver l’âme de son ami. D’un tempérament très différent de Nathan, Marshall va devoir assumer les conséquences des distorsions de l’espace-temps que semblent créer ses pouvoirs. Le lecteur continue d’assister à tout cela avec un grand mystère mais bien accroché pour tenter de comprendre l’origine de tout cela.

Ainsi bien plus proche du travail d’un Mark Waid que d’un produit formaté disneyien, Radiant Black maintient son originalité en proposant quelque chose que l’on n’attend pas, dans un équilibre solide entre introspection relationnelle et baston cosmique.

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*****·Comics·East & West·Nouveau !·Service Presse

The Nice House on the Lake #2

Deuxième tome de 190 pages, de la série de James Tynion IV et Alvaro Martinez Bueno. Parution chez Urban Comics dans la collection Black Label le 31/03/23.

Merci aux éditions Urban pour leur confiance.

Les copains d’abord

La présente chronique risque de vous gâcher le plaisir de lecture si vous n’avez pas lu le premier tome. SPOILER A L’HORIZON !

Dans le premier tome, nous faisions la connaissance de Walter, trentenaire dévoué qui emmenait ses amis en villégiature dans une sublime propriété au bord d’un lac dans le Wisconsin, avec quelques règles maisons dont il a le secret. Ainsi, Rick est le Pianiste, Naya la Médecin, Sarah la Consultante, Arturo l’Acupuncteur, Sam le Reporter, Véronica la Scientifique, Molly la Comptable, David le Comique, Norah l’Autrice; et Ryan l’Artiste.

Bien vite, les vacances de rêve prennent une tournure cauchemardesque lorsque Walter révèle sa vraie nature: il n’est pas humain, et appartient à une civilisation extraterrestre dont le but est l’extermination de la vie sur Terre. Cependant, Walter avait pour mission de préserver un échantillon représentatif du genre humain, afin que ses supérieurs puissent juger de la valeur de notre espèce. Après des années vécues dans la peau d’un humain, ce sont ces dix personnes aux personnalités et aux rôles disparates que Walter a décidé de sauver de l’apocalypse.

Nos rescapés apprennent donc la terrible nouvelle: partout sur la planète, les flammes ravagent les villes et consument les gens, sans faire de distinction. Piégés dans cet endroit idyllique où tous leurs besoins et désirs peuvent être comblés, nos héros encaissent le choc de la nouvelle et se posent bien vite une question cruciale: doivent-ils se résigner à leur sort, victimes malgré eux de la bienveillance de Walter, où chercher un moyen de s’échapper ?

Le premier tome de TNHOTL était un coup de coeur immédiat, confirmé par ce second tome. L’écriture inventive de James Tynion IV permet de créer des situations originales et des rebondissements accrocheurs qui ne sont pas visibles à plusieurs kilomètres. Malgré la multiplicité des personnages, il demeure facile de s’y attacher, chacun d’entre eux ayant une personnalité distincte et reconnaissable. L’auteur a choisi un format plutôt singulier pour chacun de ses douze chapitres, qui s’ouvrent sur un flash-forward d’un futur apocalyptique (possiblement les ruines de la Maison) dans lequel un des personnages brise la quatrième mur pour nous narrer sa première rencontre avec Walter, avant de basculer sur un flash-back montrant un moment significatif du personnage avec Walter. Ce paradigme est finalement renversé dans le dernier chapitre, pour une raison qui apparaîtra à la lecture.

L’écriture est telle qu’il s’avèrest plutôt difficile de ne pas ressentir d’empathie envers le personnage de Walter malgré son statut d’antagoniste. Sincère dans ses émotions mais contraint de faire des choses qu’il réprouve, on le sent partagé entre son affection pour ses amis et l’inéluctabilité des actions entreprises par son espèce, ce qui renforce sa profondeur. Lors des flash-back, l’ironie dramatique bat son plein car chaque mot, chaque attitude de Walter peut prendre un double-sens et nous éclairer sur son dilemme.

La fin de ce second volume augure cependant un autre cycle, avec de nouveaux enjeux dramatiques et des perspectives de narration plus qu’intéressantes. Côté graphique, Alvaro Martinez Bueno nous cause encore une fois un décollement de rétine, son talent étant encore accentué par la mise en couleur tranchée de Jordie Bellaire.

The Nice House on the Lake est résolument une des meilleures séries de ce début d’année, à lire sans hésiter !

****·BD·Graphismes·Nouveau !

The Midnight Order

Anthologie de 272 pages, concoctée par Mathieu Bablet, Isabelle Bauthian, Claire Barbe, Sumi, Titouan Beaulin, Quentin Rigaud, Allanva, Thomas Rouzière, Prince Rours, Claire Fauvel et Daphné Collignon. Parution au Label 619 le 16/11/2022.

Merci aux éditions rue de sèvres pour leur confiance.

Mes sorcières bien cinglées

La figure populaire de la sorcière a inspiré bien des histoires, généré bien des peurs et provoqué bien des tueries au cours des siècles. La réalité est pourtant bien plus sombre et cruelle que ce qu’aucun conte sordide ne pourrait concevoir. Depuis des siècles, les sorcières-exclusivement féminines-représentent en fait le dernier rempart entre le monde matériel et son annihilation. Par-delà les dimensions, de sombres créatures démoniaques ourdissent de sombres projets, que seules les sorcières du monde entier, fédérées sous la bannière de l’Ordre de Minuit, sont capables de contrer.

Victimes de persécutions puis reléguées aux obscurs recoins de l’inconscient collectif, les Midnight Girls poursuivent leur combat contre les forces obscures. Le prix exigé par ces combats est élevé, mais l’enjeu l’est tout autant. Johnson et Sheridan, deux sorcières expérimentées, sont chargées depuis quelques années d’une mission toute particulière: identifier et appréhender un certain type de sorcières, celles dont les pouvoirs sont si grands qu’ils échappent immanquablement à tout contrôle. Si une telle sorcière s’éveille à ses pouvoirs et que son troisième Œil apparaît, c’est le sort du monde qui entre en jeu, ce que l’Ordre de Minuit ne peut pas permettre.

Johnson et Sheridan traquent donc leur semblables, avant de les livrer aux geôles de la Forteresse Blanche, où elles sont détenues sans autre forme de procès (ce qui est assez ironique pour une sorcière, avouons-le). Afin de les neutraliser, leurs mains, sources de pouvoirs puisqu’elles permettent de conjurer des sorts (à la Docteur Strange, ou encore Naruto) sont amputées. Cette mission pèse lourd sur la conscience de nos deux héroïnes, que l’on a vues officier à plusieurs reprises dans l’anthologie Midnight Tales, déjà chroniquée sur le blog.

Le format de l’anthologie, popularisé par le Label et plébiscité par le public, sert donc encore une fois de base à cet univers partagé dont Mathieu Bablet est à l’origine. A première vue, il ne semble pas nécessaire d’avoir lu les quatre précédents numéros de Midnight Tales pour pouvoir apprécier Midnight Order. Néanmoins, s’agissant d’une suite, il est préférable de les connaître, puisque un nombre important de personnages de MO est apparu dans MT. Je pense notamment au duo de sorcières, mais également aux sorcières emprisonnées et amputées, à certains personnages secondaires et à l’antagoniste principal.

Le niveau des dessin est globalement bon mais assez inégal selon les chapitres, avec parfois des disparités assez frappantes. L’intérêt principal de l’album est qu’il vient clôturer l’aventure des Midnight Girls, qui peut être vu comme le grand œuvre de Mathieu Bablet puisqu’il a initié la série.

L’intrigue fait des sauts dans le temps et montre les différentes missions du duo, dont certaines prennent une tournure très personnelle, ce qui va engendrer un inévitable schisme entre Johnson la pragmatique et Sheridan la sensible. La figure de la sorcière telle qu’on la connaît est devenue une figure de l’émancipation féminine, une dissidente oppressée par l’ordre patriarcal qui craint le pouvoir qu’elle détient. Mathieu Bablet semble l’avoir bien compris et file donc la métaphore en opposant ses sorcières à une institution devenue froide et insensible, qui oppresse et mutile des femmes sous prétexte qu’elles détiennent un pouvoir trop grand.

L’auteur insuffle aussi de l’émotion dans la chronique amère de cette amitié qui s’effiloche entre les deux sorcières, dont les points de vue diamétralement opposés nous questionnent à la fois sur la nature humaine et sur le poids de l’institution face à l’individu.

Sur le plan éditorial, la livre est aussi une œuvre d’art, dont la couverture bleu nuit ornée d’enluminures dorées peut suffire à lui seul à provoquer un achat. Rien d’étonnant la dedans, puisque le Label 619 s’illustre depuis sa création comme un véritable artisan du livre.

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The Nice House on the Lake #1

Premier tome de 184 pages, avec James Tynion IV au scénario, Alvaro Martinez Bueno au dessin. Parution chez Urban Comics le 03/02/2023, suite et fin prévue le 31/03/2023.

Merci aux éditions Urban pour leur confiance.

Un ami qui vous veut du bien

Walter, trentenaire bienveillant et omniprésent pour ses amis, a convié son petit groupe en villégiature dans une magnifique maison au bord d’un lac, dans le Wisconsin. Ainsi, face à l’insistance enjouée de leur ami commun, Ryan, Norah, David, Molly, Veronica, Sam, Arturo, Sarah, Naya et Rick mettent chacun leurs activités de côté le temps d’une semaine, avec farniente au programme.

Une fois sur place, même les plus réticents tombent en pâmoison devant tant de luxe et de confort: piscine, salle de cinéma, bibliothèque… cette maison ressemble de près et de loin à la maison parfaite. Baigner dans tant d’opulence, et être entouré d’amis, ça se rapproche de la définition du Paradis.

Seulement, tout n’est pas parfait. Bien qu’ils soient tous amis avec Walter, certains le connaissent depuis plus longtemps que d’autres et sont habitués à ses frasques, tandis que d’autres sont encore dans l’expectative, sans compter le fait qu’ils ne se connaissent pas tous. Mais qu’à cela ne tienne, ce sera à Walter de faire le lien et de s’assurer de la cohésion de son groupe d’amis adorés. Pour ça, Walter a imaginé un petit délire, afin que chacun puisse mieux identifier les autres. Chaque participant se voit affubler d’un sobriquet le définissant, ainsi que d’un symbole propre. Ainsi, Rick est le Pianiste, Naya la Médecin, Sarah la Consultante, Arturo l’Acupuncteur, Sam le Reporter, Véronica la Scientifique, Molly la Comptable, David le Comique, Norah l’Autrice; et Ryan l’Artiste.

Cependant, ces vacances idéales vont vite se muer en prison dorée, lorsque Walter révèlera sa vraie nature et ses véritables intentions. Nos invités ne vont pas seulement apprendre la vérité sur leur ami, ils vont aussi se découvrir eux-mêmes, sur ce qu’ils sont une fois le dos au mur.

Il est assez délicat de chroniquer cet album en profondeur sans le divulgâcher. La prémisse initiée par Tynion IV (je me demande si les trois précédents étaient aussi talentueux) est suffisamment mystérieuse pour provoquer l’envie de lecture, et les choses ne font que s’amplifier une fois passée l’introduction.

L’intérêt de l’intrigue tient à la fois aux conditions de huis-clos, comme dans bon nombre de récits d’horreur ou de tension psychologique, ainsi qu’aux révélations sur Walter. Ce second point, à savoir un homme qui réunit ses amis pour leur faire une abracadabrante révélation, m’a rappelé le film The Man From Earth, qui, sans être sur le même registre horrifique, offrait quand même une réflexion sur les relations et sur la crédulité humaines.

Il faut admettre que la pléthore de protagonistes n’aide pas à l’identification, même si l’auteur tente pour nous la simplification diégétique de ses personnages, réduits à des archétypes dont on ne soupçonne pas encore à ce stade la pertinence au sein du récit. Construit tout en flashback et allers-retours dans le temps, dans lesquels chaque personnage tentera de se remémorer un évènement marquant entourant Walter, le récit ne laisse pas de temps mort ni de baisse de tension. Au contraire, le moteur narratif tourne à plein régime, et pousse le lecteur à tenter (vainement) d’éclaircir ou d’anticiper sur les réelles motivations de Walter.

Sur le plan graphique, Alvaro Martinez Bueno casse littéralement la jolie baraque (mauvaise blague tout à fait intentionnelle), son trait et la mise en couleur s’associant de façon irréprochable pour créer de magnifiques planches, qui traduisent à la fois l’artificialité apparente de la maison éponyme, la tension vécue par les protagonistes ainsi que le flou psychique dans lequel ils se retrouvent plongés suite aux événements.

Pour rappel, James Tynion IV a déjà commis quelques excellents méfaits artistiques comme Department of Truth, Something is killing the children ou encore Wynd.

The Nice House on the Lake frappe donc très fort en ce début d’année, ce qui nous conduit à y attribuer un 5 Calvin !

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Coffee Moon #2 et 3

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Manga de Mochito Bota
Doki-Doki (2023), 176p., série en cours, 3/5 volumes parus.

bsic journalismMerci aux éditions Doki-Doki pour leur confiance.

Le premier tome de Coffee-moon avait été une très bonne surprise… comme nombre de premier tomes je dirais. Le mystère total bien installé et quelques pistes lancées sur une possible société totalitaire avec ses résistants et sa réalité alternative, il n’y avait plus qu’à voir comment cet ambitieux projet allait tenir sur la durée… Paradoxalement les deux tomes suivants avancent plutôt vite, évitant la crainte d’un embourbement dans un ambiance qui aurait pu lasser et en montrant que les protagonistes ont des pouvoirs assez puissants, dont notre héroïne dotée de la capacité à contrôler le temps. Je vous laisse imaginer les extrapolations possibles à partir de là! En même temps on s’installe dans un style Shojo centré sur une bande de copines qui veulent passer du temps ensemble en faisant du shopping et en buvant des starbucks, cela juxtaposé à ce décors noir très inquiétant. L’auteur utilise malicieusement la boucle pour nous perdre dans les différentes itérations de cette journée sans prévenir, provoquant des répétitions de séquences que l’on peut voir utilisées dans certains anime.

RT!] Coffee Moon: It's a mystery manga about a girl in a very Victorian  looking city repeating the same day over and over. Also, it has some  god-tier art. : r/mangaToujours fort alléchant, Coffee moon abuse cependant un peu de ce procédé au risque de nous égarer complètement, notamment dans le troisième volume où perdu entre les boucles et un récit enchâssé non annoncé, nous voilà balancé en pleine baston que ne renierait pas Dragonball au milieu de créatures jamais vues jusque là. Si bien que l’on se prend à vérifier une éventuelle erreur d’impression pour comprendre cette explosion narrative. Sur le plan de l’atmosphère de perte de repères c’est très efficace et sacrément gonflé… pour peu que ce ne soit pas le simple fait d’une précipitation de Mochito Bota. Très déstabilisé par cette avancée on ne sait plus trop à quoi s’attendre alors que les explications sur l’essence de ce monde tardent à venir.

Alors que Doki-Doki a l’habitude des séries manga courtes, le fait de partir sur une nouvelle licence non achevée donne à la fois le temps de bâtir un univers exigeant ou de partir dans tous les sens. Tout dépend si l’auteur possède déjà la finalité de son objet ou s’il construit sa série au fur et à mesure, ce qui laisserait assez inquiet pour la cohérence de l’ensemble. Reste un objet esthétiquement toujours aussi chouette et disposant d’un vrai potentiel. Le lecteur, selon son niveau de patience, prolongera encore un peu ou s’arrêtera là. C’est le risque du mystère…

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