Récit complet d’Elsa Bordier (scénario), et Titouan Beaulin (dessin). Parution le 15/09/22 aux éditions Jungle, collection Ramdam.
Mulan en côte de mailles
La vie n’est pas simple pour Héloïse. Ou du moins, la vie d’Héloïse n’est pas tout à fait ce dont elle rêve. Si son quotidien ne reflète ni ses impétueuses aspirations ni son caractère de feu, c’est principalement à cause de la société patricarcale et belliqueuse dans laquelle elle vit.
Car oui, chers lecteurs de l’Etagère: le Moyen-Âge, ce ne sont que des ponts-levis, des troubadours et la Peste Noire. C’est aussi une hiérarchie sociétale verticale, qui impose aux individus une place prédéterminée qui ne peut souffrir aucune exception.
Pour Héloïse, cela se manifeste par la désapprobation de ses parents, qui ne souhaient pour elle qu’un mariage avantageux afin qu’elle perpétue la noble lignée. Ce qui signifie que plutôt que d’apprendre à se battre, comme elle le souhaite si ardemment, elle doit se contenter de la broderie et d’autres activités insignifiantes à ses yeux mais normalement dévolues aux femmes. Qu’à celà ne tienne, notre jeune fille en mal d’aventures va apprendre à se battre, par mimétisme, en observant les garçons lors de leurs entrainements. Quelques temps plus tard, c’est le Maître d’Armes en personne qui l’entraînera, en secret, bien sûr, jusqu’à faire d’Héloise une combattante virtuose.
Un jour, alors que la nécessité du mariage pèse de plus en plus lourd sur ses épaules, Héloise fait la rencontre d’Armand, noble comme elle, avec qui elle partage le sentiment d’être étouffée par la société. Armand n’aime ni la violence des combats, ni les armures que son père espère lui faire porter, et préfèrerait passer son temps à parfaire son art du dessin. Alors Héloïse a une idée: s’ils se fiancent, ils pourront alors s’associer pour donner satisfaction à leur deux familles, au prix d’une supercherie très simple.
Héloise n’a qu’à se faire passer pour Armand en revêtant son armure lors des entrainements et des joutes, lui épargnant ainsi l’harassement qu’il redoute tout en permettant à la jeune femme de croiser le fer comme elle l’a toujours voulu. Bien vite, la réputation d’Armand s’étend rapidement, si bien qu’un jour, un émissaire du Roi vient au chateau, pour le recruter dans sa campagne militaire contre un Baron rebelle. Armand n’a pas le choix: il doit partir faire la guerre, lui qui n’a jamais tenu une épée de sa vie.
Héloise s’en veut terriblement: elle a provoqué la perte de son meilleur ami, par pur égoïsme. Pour le sauver, il ne lui reste plus qu’à fausser compagnie à ses parents et rattraper la garnison, pour enfiler une nouvelle fois l’armure et faire parler ses talents. Mais le chemin sera long et semé d’embûches pour le petite comtesse qui n’a jamais mis les pieds hors de son château !
Comme le laisse deviner son titre, La Chevaleresse est un album féministe, mettant en scène une héroïne impétueuse face aux carcans patriarcaux qui veulent la cantonner à une place bien précise sans lui laisser l’opportunité d’exploiter son potentiel.
Malgré le contexte médiéval, on peut dire sans se tromper que le message véhiculé par Elsa Bordier porte une marque intemporelle, puisqu’elle parle d’accomplissement personnel, d’amitié, et d’amour. Il est donc aisé de transposer les difficultés vécues par Héloise au monde moderne, ce qui ajoute à l’accessibilité de l’intrigue. L’idée de base rappelle d’ailleurs d’autres oeuvres comme Mulan, lorsque la jeune fille s’entraîne par mimétisme, ou encore Wonder Woman (le film) lorsque le jeune Diana est entrainée en secret par sa tante à l’insu de sa mère autoritaire. Si on cherche bien, on peut même faire le parralèle avec Patrocle, le cousin d’Achilles, qui revêt son armure pour aller se battre à sa place lors de la Guerre de Troie.
La scénariste ne se contente pas d’un récit féministe qui mettrait en avant la bravoure et le courage féminins, elle habille également son récit d’une réflexion sur la guerre et la violence, ce qui est souvent le cas dans ce type d’oeuvre. En effet, lorsque l’on veut mettre en avant les qualités intrinsèques du Féminin , il n’y a rien de plus aisé que de le placer en contraste avec les défauts notoires du Masculin, à savoir la violence. L’auteure parvient à faire exister ses personnages tour à tour sans déséquilibre, créant des relations engageantes et crédibles.
Coté graphique, la trait de Titouan Beaulin, dont c’est le premier album, rest naïf, avec un côté hésitant, mais il sied bien au contexte médiéval et au ton de l’album.
J’ai néanmoins une réserve sur la résolution de l’intrigue [ATTENTION SPOILER !]
Une fois la fameuse bataille terminée, Héloise, blessée, retrouve sa compagne Isaure et Armand. Héloise a sauvé le Roi d’une mort certaine, mais a pu constater que son désir d’aventures était assez éloigné des réalités de la guerre. Armand, quant à lui, décide qu’on doit lui couper un pouce, afin de maintenir la mascarade et être certain d’être renvoyé chez lui.
Une fois la besogne accomplie, Armand revient au camp, et constate que le départ précipité du Roi a laissé l’armée en pleine débâcle, et que beaucoup de soldats sont rentrés chez eux. Il est lui-même remercié, ce qui à mon sens, rend le sacrifice du pouce totalement inutile, puisqu’Armand aurait de toute façon été renvoyé… A moins qu’Armand ait vu sur le long terme et qu’il ait souhaité s’assurer qu’on ne lui demanderait plus jamais de porter une épée, auquel cas il lui aurait suffit de simuler une claudication…
Il n’en demeure pas moins que la Chevaleresse est un bel album jeunesse, traitant de sujets d’actualité par le prisme médiéval.
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