Kinaye (2023), 40p., one-shot. Collection Punch!, saison 2.
Merci aux éditions Kinaye pour leur confiance
Coriandre lapin et Estragon le dragon tiennent une taverne où passent tous les aventuriers en quête de donjons et de trésors. Mais un jour une vieille connaissance vient menacer l’ancien paladin et met en péril le cadre de vie qu’il a installé pour lui et le jeune dragon qu’il a adopté jadis…
Alors que se profile en juin le quatrième et dernier épisode de cette seconde saison de l’anthologie fantastique PUNCH!, les éditions Kinayedénichent une nouvelle pépite en la personne d’Anaïs Maamar, jeune autrice venue du cinéma d’animation et dont c’est la première publication. Et pour une première on peut dire sans hésiter que techniquement ça dépoté! Sous la schéma d’une historiette de fantasy autour de l’adoption et de la différence (un ex-paladin-lapin adopte un bébé dragon qui ne sais pas dans quelles conditions il est venu au monde), l’autrice assume un format compact concentrant pratiquement son récit en unité de temps et d’action, simplement aéré par un récit du passé du lapin. Cela permet de ne pas se disperser et de développer l’univers visuel avec cette très chouette maison qui semble conçue comme dans un jeu vidéo (point commun avec plusieurs artistes de la collection Punch!) et un chara-design où Anaïs Maamar se fait plaisir. Dans le même esprit graphique que le précédent épisode de Valentin Seiche, Coriandre et Estragon est autrement plus lisible et jouit d’une colorisation simple mais terriblement efficace.
Il est toujours aussi agréable de découvrir de jeunes talents pour lesquels Kinaye apparaît désormais comme une pépinière reconnue et mérite toute l’attention des amoureux du dessin. Avec une coloration plus fantasy et plus classique que la précédente saison, Punch! propose toujours des plaisir de lecture simple avec l’envie de suivre ces auteurs dans leurs prochains projets. Et il est certain qu’Anaïs Maamar fait partie des talents qui risquent d’exploser dans les prochaines années.
Premier tome de 72 pages de la série écrite par Mathieu Salvia et dessinée par Djet. Parution chez Dupuis le 20/01/2023.
Dirty Harry Potter
Arthur C. Clarke défendait l’idée selon laquelle « toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie« . Mais que dire de la vraie magie ? Celle qui distord la réalité et les lois de la physique, sous l’influence d’un habile sorcier ou d’un artéfact ? Dans le monde d’In Memoriam, la magie est présente au quotidien, elle est pratiquée par une frange de la population dont les activités sont régies par l’Ordre des Sorciers.
Paris, ville de lumière, ville des Lumières, rayonne également par ses prestigieuses institutions magiques, qui attirent pratiquants et touristes. La Magie ne fait pas qu’impressionner les quidams, elle a aussi des applications pratiques, comme celle d’agrandir artificiellement un logement, ou de faciliter la conception d’un enfant.
Manon, jeune policière impétueuse, essaie justement de concevoir un enfant avec sa compagne Mila, également fonctionnaire de police, en ayant recours à un sortilège. Alors qu’elles apprennent qu’elles vont devenir mamans, Manon et Mila sont prises, comme des milliers d’autres parisiens, dans la déflagration que l’on baptisera plus tard la Grande Déchirure, qui dispersa la grande majorité des énergies magiques et priva de leurs pouvoirs la totalité des sorciers. Cette catastrophe n’a pas épargné certains quartiers de la captiale, qui sont désormais irradiés et transformés en no-man’s-land dans lesquels règne le chaos.
Un an après la perte de leur bébé à naître, Manon et Mila vivent une vie de couple distendue et insatisfaisante, au bord de la rupture. Manon a rejoint la BAM, la Brigade Anti Magie, et traque les anciens mages qui revendent au marché noir le peu d’artéfacts épargnés par la catastrophe. Détestés par la population car considérés comme responsables de l’explosion, les sorciers se cachent et vivent pour la plupart dans la clandestinité.
Ce n’est pas le cas d’Adam, qui mène une vie en apparence normale rythmée par le quotidien de sa laverie. En arrière-boutique, cependant, Adam continue son activité de receleur et monnaie des informations à Manon pour la traque des autres mages. Alors que les tensions sociales sont de plus en plus fortes, Adam reçoit la visite d’un homme étrange qui recherche sa filleule, qu’il n’a pas revue depuis la catastrophe et qui a rejoint la redoutée Mafia des Chats. Ce serait une affaire de routine pour Adam, si la fillette n’était pas déjà traquée par deux assassins sadiques qui disposent encore de leurs pouvoirs magiques. Manon et Adam vont sans doute devoir s’associer pour résoudre cette affaire et empêcher une escalade de la violence.
Le duo Salvia/Djet, que l’on connaît pour la série à succès Croquemitaines, récidive avec une nouvelle série fantastique et policière. Comme on a pu le voir dans le récent Fées des Sixties, le scénariste mêle les archétypes du récit d’action et ceux de la fantasy, en faisant se cotoyer flics badass et sorciers mystérieux, comme pouvait le faire Bright.
Au regard de la caractérisation, on peut déplorer que l’auteur ne soit pas parvenu à trouver des voies alternatives pour rendre son héroïne à la fois badass et intéressante. En effet, Manon, malgré un aspect général sympathique, colle globalement au cliché du flic badass, qui fonce dans le tas, dit des gros-mots et boit beaucoup d’alcool. La cerise sur le gâteau est la relation de couple défectueuse marquée un événément tragique, comme on le voit dans ce type de récit, de Heat, à Criminal Squad en passant par Die Hard. Si l’Etagère Imaginaire aimait la controverse, nous pourrions alors relever sans trop de peine d’autres clichés de genre, comme le couple lesbien composé d’une femme girly, introvertie et décrite comme fragile/maladroite, et une femme tomboy, dotée des caractéristiques agressives et stéréotypées décrites plus haut.
Pour le reste, on peut dire que ce premier album prend son temps pour installer l’univers et les règles qui le régissent, s’agissant de l’impact de la magie sur la marche du monde et sur la vie des individus. Néanmoins, les enjeux ne sont pas encore clairement établis, l’auteur préférant sans doute garder des billes pour la suite de la série. C’est un pari plutôt risqué, car susceptible de perdre l’intérêt du lecteur qui pourrait ne pas savoir dans quoi il s’engage. On peut néanmoins supposer que la suite de l’intrigue révèlera en quoi la fille recherchée est importante, et quel est son lien avec la Grande Déchirure.
Pour ceux que cela intéresse, il y a dans l’album des premisses d’un univers partagé, avec Vermines, le prochain album du duo, à paraître en avril 2023 toujours chez Dupuis.
Si l’exposition que constitue ce premier tome nous laisse sur notre fin, il faut aussi reconnaître de bonnes idées de l’auteur s’agissant de l’exploitation de son concept de base, comme les quelques applications pratiques de la magie dans le quotidien de tout-un-chacun. On sent également une volonté du scénariste de faire un parallèle entre magie et science, ne serait-ce que par le contre-coup de l’explosion, qui file la métaphore de la bombe atomique (dévastation et quartiers irradiés), ou bien le débat sur la GPA au travers du projet familial de Manon et Mila (là encore, on peut regretter que l’auteur ait fait en sorte que ce soit Mila qui porte l’enfant, plutôt que Manon, encore un stéréotype qu’il aurait été utile de déjouer ou de subvertir en allant au-delà de nos biais de préconception), ou encore le racisme et les clivages sociaux moldus/sorciers (encore une fois comme Bright).
Graphiquement, Djet assure sa partie avec brio, grâce à un trait dynamique, des cadrages empruntés aux mangas et au cinéma d’action, de quoi réveiller la rétine.
En bref, un début de série intéressant mais non exempt de défauts scénaristiques, qui pourraient/devraient être corrigés dans la suite.
Dans un monde gangréné par la mafia en cheville avec une classe politique corrompue, Morgane se retrouve un jour à devoir payer pour une dette contractée par ses parents. Devenu malgré lui donneur d’organes, le voilà bricolé avec des organes artificiels qui lui permettent de survivre avec pour seul horizon l’esclavage dans des fabriques souterraines… Pourtant lorsqu’une des dernières représentantes du Petit Peuple décide de s’évader il se découvre des capacités insoupçonnées. Le duo, bientôt accompagnée d’un bébé, va donner du fil à retordre aux limiers crapuleux lancés à leur poursuite…
Toujours à la recherche de la bonne trouvaille pour enrichir son petit mais qualitatif catalogue, les éditions Ki-oon semblent miser beaucoup sur ce premier manga de l’autrice Takeda Toryumon dont les quatre premiers tomes sont parus l’année dernière après diffusion des premiers chapitres en conventions. Il convient donc de traiter ce premier volume de Badduckspour la première publication qu’il est.
Reconnaissons d’abord l’envie de la mangaka et son application sur des dessins très correctes même s’ils n’atteignent pas la brillance de l’illustration de couverture colorisée. La principale qualité de Badducks repose sur les dialogues entre protagonistes qui tirent vers un esprit tragi-comique avec des faciès burlesques placés au sein de situations totalement sordide. Ainsi notre héros est abandonné par ses parents, enlevé à sa chérie pour se voir prélever ses organes destinés à alimenter le marché des classes aisées. Alors que les miséreux servent de banques d’organes et de main d’œuvre servile, les races anciennes (sans que l’on nous explique précisément dans quel type de monde on se situe) sont prostituées avec les tendons coupés pour éviter leur fuite… joyeux! Si l’ambiance (assez à la mode) rappelle celle mélancolique d’un Clevatessou Frieren, les personnages ne sont malheureusement pas assez caractérisés pour nous donner envie de nous intéresser à leur sort. Le rythme plutôt tendu permet de ne pas trop s’ennuyer mais cela ne suffit pas à compenser sans doute un manque d’humour noir qui laisse l’humour un peu à plat.
Le gros soucis de ce premier tome c’est qu’en le refermant on n’a pas la moindre idée d’où on va puisque ce n’est ni l’action, ni l’humour, ni la violence qui portent réellement le récit. Au final un peu trop moyen pour vraiment emporter l’adhésion, Badducksnécessitera sans doute pour les plus motivés d’attendre le volume suivant (en juillet) avant de pouvoir déterminer si cette « cavale d’une décennie au ton inimitable » vaut vraiment la peine…
A noter que la série semble complète en quatre tomes puisque l’autrice annonce un nouveau manga à la rentrée, probab
Second tome du dyptique écrit par Philippe Pelaez et dessiné par Laval NG. 48 pages, parution le 05/04/23 chez Drakoo.
C’est La Geste qui compte
Dans le premier tome, nous rencontrions Garalt, qui revenait d’entre les morts façon The Crow, huit ans après avoir été tué par sa Nemesis, le chevalier Roland. Ce dernier, neveu du roi Kaarl (comprendre Charlemagne, dans la version originale), a été rendu fou par un amour non réciproque, et s’est dit que massacrer des gens serait une bonne soupape afin de soulager sa frustration.
Cela tombait plutôt bien, puisque le royaume de Kaarl était depuis de nombreuses années en conflit contre les Morts (comprendre les Maures, dans la version originale), l’armée de l’Empereur Agramant. Quelque peu décontenancé par cette impromptue résurrection, Garalt sauve de façon inopinée Angélique de Baran, celle-là même qui éconduisit Roland, et découvre qu’il a été ramené à la vie par Alcyna, une magicienne qu’il aima jadis, et dont la sœur Morgane complote sans cesse contre les hommes.
Être ressuscité c’est bien beau, seulement voilà: Garalt en aime une autre, la farouche virago Bradamante, qui lui a donné un fils qu’il n’a pas eu le temps de connaître, occis qu’il fut par Roland. Dans le premier tome, Garalt tente de se rapprocher de Bradamante en participant incognito à une joute, mais difficile de cacher son habileté au combat. Alors que la guerre s’intensifie et que l’empereur zieute de plus en plus près la capitale d’Ys, Garalt va devoir faire un choix, entre être héroïque et être SUPER héroïque.
Philippe Pelaez, auteur apprécié sur l’Etagère, achève son adaptation du poème médiéval Roland Furieux (Orlando Furioso). Comme nous l’expliquions, ce récit fait partie des classiques fondateurs du genre fantasy, mais, ayant été vampirisé au fils des décennies, par les différentes œuvres qui s’en inspirent, finit par passer en second plan en terme de référence et perd donc son statut d’œuvre originale, aux yeux de lecteurs qui pourraient ignorer la portée de l’adaptation.
Ce phénomène fait que, sur ce diptyque, Philippe Pelaez et Laval NG ne réinventent pas la roue, loin s’en faut. Toutefois, l’adaptation n’en perd pas pour autant en légitimité, grâce à des thèmes forts qui méritent encore d’être adaptés. Le principal reproche que l’on peut faire au diptyque, c’est de condenser de façon un peu trop précipitée une œuvre dense et prolifique, quitte à sacrifier certaines péripéties ou certains personnages.
On peut prendre pour exemple le personnage d’Angélique, qui demeure quand même accessoire dans l’intrigue, ou encore le personnage de Sibly, l’écuyère que Garalt prend sous son aile, qui est (métaphoriquement parlant) mise dans un bus page 12 pour ne plus reparaître ensuite. La bataille finale, qui est évoquée et préparée en début d’album, se déroule de façon quelque peu brouillon, avec une intervention héroïque de Garalt amenée abruptement et sans trop de préparation.
Même si les textes sont toujours aussi léchés et écrits avec style, il n’en demeure pas moins l’impression que l’auteur s’est un peu pris les pieds dans le tapis avec cette adaptation. Avec la multiplication des sorties, l’auteur en deviendrait-il négligent ?
Kinaye (2022), 40p., one-shot. Collection Punch!, saison 2.
Merci aux éditions Kinaye pour leur confiance
Poursuivant depuis 2021 la parution de son anthologie d’histoires courtes PUNCH!, Kinayerappelle celui qui a sorti la première création originale de l’éditeur, Valentin Seiche, pour une immersion dans un monde très très proche de la mythologie Miyazaki. Proposant toujours quelques cartes de personnages et descriptifs issus des jeux vidéos, l’auteur nous propose une opération de sauvetage d’un monde infesté par une graine de mélancolie tombée de la Lune. Un équipage de créatures maudites dotées de capacités martiales très importantes doit donc se rendre au cœur du Mal pour amputer la corruption et sauver le monde…
Très influencé par l’écosystème culturel Jeux-vidéo/animés japonais, Seicheparvient très facilement à s’approprier un chara-design élégant et une atmosphère mêlant naïveté et badasserie qui parlera aux jeunes lecteurs. Le dépaysement est réussi avec de chouettes engins, des combats dantesques et une proximité donc très proche avec le maître de l’animation japonaises avec ce monde de gentils démons prêts à s’allier voir à se sacrifier pour le bien commun. La trame suivra bien sur une jeune héroïne tout juste arrivée dans ce monde et qui servira de personnification pour le lecteur. Voulant bien faire Valentin Seiche coince pourtant un peu sur les scènes d’action avec une technique pas toujours très lisible qui empêche de parfaitement de profiter de la grande dynamique des planches. Petite différence entre le vrai cinéma d’animation et les BD adoptant la même technique et que laquelle achoppent souvent les illustrateurs venus de l’animation (Last man en faisait par moment les frais).
Il n’en demeure pas moins que cette jeune génération, toute à sa gourmandise d’imaginaires, nous ravit de créativité et on pardonnera les quelques limites techniques dans un format qui du reste ne vise pas à une ambition démesurée. Donner un tel tremplin à des auteurs sur des formats courts est une vraie belle œuvre qui ne surprend pas de la part d’un l’éditeur toujours très intéressant.
Ankama (2023) – TKO Studios (2021), 176p. One-shot.
Merci aux éditions Ankama pour leur confiance.
Au commencement était le Patriarche et la pierre des origines… Régnant sur la Citadelle qui alimente la terre des Cinq rivières, l’Eglise applique la Loi du dieu-fondateur. Autrefois champion de l’Eglise ayant brisé la révolte de Loquan, Ruza traine désormais son épée légendaire en quête d’un combat à même de lui contester le titre de plus grand guerrier au monde. Lorsqu’une chamane en quête de vengeance lui propose rien de moins que de tuer le Patriarche, Ruza n’hésite pas longtemps…
Forgotten Blade est une petite pépite que l’on n’attendait pas et que seule le comic indé sait proposer. Écrite par le propre patron et fondateur d’un des derniers éditeurs de comics indépendant outre-atlantique déjà à l’œuvre sur Seven deadly sins, cette épopée fantastique semi SF est surtout l’occasion d’un énorme révélation graphique en la personne de Toni Fejzula. Entre la démesure architecturale d’un Druillet et la spontanéité d’un Olivier Pont, le serbe nous enivre dans un univers visuel unique où la magie et le fantastique adoptent l’esthétique de la haute science-fiction pour mieux troubler les lignes. La science du cadrage et la justesse des dessins permettent au dessinateur de coller des figures tantôt très classiques, tantôt estompées en des touches évocatrices et une colorisation très douce et incertaine. Le tout réussit l’incroyable pari de proposer des planches très lisibles correspondant à la thématique classique de l’odyssée punitive contre une Eglise inquisitoriale (registre action) et une dimension ésotérique avec des décors et magie géométriques.
Plus inspiré que sur le loupé Seven Deadly sins, le scénariste propose un univers où la magie issue du Fondateur est basée sur ces cinq rivières, dont celle des âmes qui collecte l’esprit des défunts. En matière de magie on est rarement surpris en BD mais je dois dire que les deux auteurs parviennent à créer quelque chose de vraiment original, proche de la nécromancie en sachant rester suffisamment mystérieux pour garder une part de… magie. La colorisation basée sur les cinq couleurs des rivières donne aux pages une singularité qui souligne les éléments géométriques omniprésents. Une bonne intrigue étant souvent simple, Tze Chun place son ossature sur ses deux excellents personnages, ce qui permet de travailler le background qui ne sera révélé que tardivement. Son gros guerrier gère la partie action titanesque, sa commanditaire aux cheveux bleus étant là pour l’émotion au travers de son drame personnel. C’est cliché mais ça fonctionne très bien sans complexifier à outrance des pages déjà bien chargées. Les quêtes d’assassinat finissent souvent dans une grande baston dénuée de sens et ce n’est pas le cas ici où l’aboutissement sert le lecteur dans sa compréhension et ses révélations satisfaisantes en sachant finir remarquablement l’histoire.
Avec des hauts et des bas, l’éditeur TKO commence à construire un sacré catalogue très original en sachant chercher l’originalité graphique et le risque thématique avec des Sentient (nominé aux Eisner), Sara, ou Redfork. Ankama de son côté publie peu mais généralement très bien. L’alliance des deux vous garantit donc l’excellente lecture de ce début d’année, qui commençait à devenir ennuyeuse…
Premier tome d’une série dirigée par Gihef, avec Jul Maroh au scénario et Giulio Macaione au dessin. 56 pages, parution chez les Humanoïdes le 01/02/2023.
Merci aux Humanos pour leur confiance.
Shériff Fée moi peur
Le Londres des « Swinging Sixites » bat son plein. Partout en ville, les tenues colorées et les messages de paix fleurissent, là où régnaient autrefois l’austérité et la bienséance. Le flegme britannique n’est donc plus tout à fait ce qu’il était, mais ce n’est pas un mal puisque cela permet l’essor de la révolution culturelle. Ailith est une jeune écossaise venue à Londres pour y débuter une carrière de journaliste. Elle espère tirer parti de ses aptitudes journalistiques pour lever le mystère sur la disparition de sa mère quelques années plus tôt.
Ailtih impute la disparition à des créatures que tout le monde connaît bien au Royaume-Uni, les Fées. Oui, vous avez bien entendu, les Fées, ces petits êtres magiques qui vivent dans la forêt et jouent parfois des tours au humains. Ces dernières se sont révélées au monde entier depuis quelques années déjà, lassées de vivre dans l’anonymat esseulé des forêts anglaises. Cependant, la cohabitation entre humains et fées connaît quelques remous, notamment à cause d’une série de disparitions récentes d’humains.
Beaucoup de gens accusent les Fées, parmi lesquels Ailith et son ami d’enfance Elliot, policier anti-fées opérant à Londres. Afin de conserver son poste au journal et se prouver qu’elle a raison, la jeune reporter va débuter son enquête pour résoudre les kidnappings. Mais les rencontres qu’elle fera viendront bouleverser ses certitudes et la forcer à se remettre profondément en question.
Le pitch de Fées des Sixties est en apparence assez simple: en plein dans la décennie des Swinging Sixties, des fées vivent parmi les humains. Cette prémisse, à peu de choses près, est familière à ceux qui auront vu les récents Carnival Row et Bright, qui mêlent différentes ambiances, à savoir l’époque victorienne et le Los Angeles gangsta, au monde si particulier des fées et des créatures folkloriques anglosaxonnes.
De la même manière que Carnival Row, FDS mise sur une histoire d’amour entre fée et humain, le tout tournant autour d’un mystère dont la résolution est finalement assez simple. L’intérêt principal ne se trouve donc pas dans l’intrigue en elle-même, qui bien qu’elle contienne son lot imposé de rebondissements, mais plutôt dans l’allégorie qu’elle propose sur le racisme, la transphobie et l’homophobie.
En effet, comme on peut vite le constater, le settting de Fées des Sixties est propice à faire passer un message assez clair sur l’altérité et le rejet qu’elle provoque chez l’homo sapiens moyen. Le souci, c’est que là non plus, l’originalité n’est pas au rendez-vous, puisque ce thème et ce procédé ont déjà été utilisés à l’envi, ne serait-ce que par les deux exemples cités plus haut.
Néanmoins, on poursuit la lecture de l’album avec un certain intérêt, ne serait-ce que pour voir quelles implications les auteurs (Jul Maroh, scénariste de l’album, et Gihef, créateur du concept et de la série) ont implémenté dans leur uchronie fantastique. On note quelques bonnes idées, comme du trafic de poudre d’ailes de fées, ou autres entreprises sordides et illégales liées à l’exploitation de ces pauvres créatures.
En conclusion, il faut souligner l’initiative de cette série, visant à taiter du thème de l’inclusion et des discriminations, à la frontière de la fantasy et du thriller.
Le royaume de Ridmar est tenu d’une main tyrannie par la dynastie des Bishops, qui imposent leur loi sur l’économie des pilleurs de donjons, les Raiders. Ces fiers guerriers d’élite passent leur vie à parcourir de vastes souterrains où grouille une vermine monstrueuse, à la recherche des richesses qui leur permettra, peut-être, de trouver un repos bien mérite à l’arrivée de la vieillesse. Le meilleur d’entre tous, Marken forme son jeune et impétueux frère comme raider. Bientôt il compte déposer l’épée. Mais le bonheur est-il seulement possible pour des gens comme lui dans un monde si injuste?
Je découvre l’artiste anglais CROM à l’occasion de ce premier album sorti en 2019 et traduit en ce début d’année par la toute petite structure des éditions du Delf. Malgré un tirage faible l’album est assez bien référencé et vous ne devriez pas avoir beaucoup de mal à vous le procurer avant un probable premier tirage au vu de la qualité du titre.
Dans un style graphique naïf qui rappelle les créations du label 619 ou de Catharsis sorti l’an dernier chez Kinaye, Crom fait preuve d’une maitrise de la mise en scène et dans la lisibilité des planches qui impose le respect. Sur une histoire archi-classique du vieux héros souhaitant raccrocher les gants mais contraint par le tyran à venger ses proches, les auteurs proposent un des plus intéressants projets de fantasy lu depuis longtemps! En lâchant la bride et en évitant une complexité cérébrale ils vont droit au but, à l’essence d’un récit de fantasy, centré sur un petit groupe de personnages forts, une intrigue simple et last but not least une gestion du hors-champ parfaite. Ainsi on commence l’histoire dans un classique mais très dynamique massacre de monstres avant le retrait du héros et la confrontation avec la monarchie. Sur une pagination à la fois large mais au découpage qui prend de la place, on est surpris de constater que Crom et Freedman parviennent à proposer un récit complet auquel il ne manque presque rien et sans nécessiter de prolongation.
Ce qui fonctionne excellemment c’est le rythme des surprises dans un monde très violent où aucune vie n’est éternelle… Alors on s’attache plus vite qu’on ne pense à ce Marken et l’on déteste ces Bishops que l’on voit finalement très peu. Le design général des armures, l’aspect grandiose des donjons et forteresses accentuent l’immersion dans l’épopée tragique que l’on pourrait situer entre Furieuse et Tenebreuse. Et si le mouvement de Crom est très efficace, c’est bien l’histoire en elle-même qui nous fait dévorer ce brillant premier titre qui coche toutes les cases d’une bonne histoire: méchants redoutables et mystérieux, worldbuilding que l’on a envie de parcourir, rebondissements terribles… Après avoir plongé dans le monde de Ridmar vous pourrez rapidement prolonger avec un second titre des auteurs sorti à l’automne et dont j’ai peu de doute que l’éditeur saura nous en proposer une VF. La naissance de deux auteurs et un probable succès bouche à oreille en perspective!
Nous avions laissé le roi-lion déchu et amnésique Kgosi se diriger vers un shaman susceptible de l’aider dans sa quête de mémoire et de rédemption. Le second tome de L’ogre lion enchaine donc directement dans la cabane du sorcier pour un volume qui est construit très intelligemment comme un flashback sur les origines du lion et de son démon allié, l’écorché Bakham Tyholi. C’est la grande surprise de ce second tome (prévu en trois…?) où l’on n’attendait pas autant de révélations de sitôt, l’épisode précédent étant présenté sur une base simple envisageant des révélations progressives. Un risque aussi, probablement calculé au vu du format en trilogie et qui déséquilibre un peu l’aspect fantasy-barbare du titre puisque l’on perd sur la plus grosse partie du tome l’équilibre remarquable de la petite trouve formée par le lion et ses amis.
On sort ainsi de cette aventure au fait des responsabilités de Ngosi dans la mort de ses enfants, du rôle de son frère qui apparaissait comme le traitre à la fin du précédent épisode, et des origines du démon cornu. Avec ce parti pris inhabituel il est incontestable que le lecteur aura bien avancé dans l’intrigue, intéressante, centrée sur la tyrannie féline contre les herbivores, qui développe le thème du racisme sous la forme d’une parabole animalière. Fort impliqué dans son projet (au point de délaisser l’attendu second tome du très réussi Amazing Grace avec Aurélien Ducoudray), Bruno Bessadi dispose d’une intrigue politique détaillée autour de différents peuples (notamment un mystérieux peuple simien) et il n’est pas du tout impossible au vu du développement, du plaisir manifeste de l’auteur dans le travail de son projet et du potentiel que la trilogie s’élargisse dans quelque chose de plus ambitieux.
Si l’album marque une petite faute de gout – qui confirme les questionnements de Dahaka sur la chronique du premier tome concernant le type de public visé entre le grand public et la barbarie hyboréenne – lorsque l’impitoyable démon incarné Bakham Tyholi devient sensible aux amitiés des vivants, on n’a que peu de choses à reprocher à un album qui respire l’implication, la confiance et le professionnalisme. Bessadi croit en son grand œuvre et il n’est pas impossible qu’il le tienne au vu des qualités qu’il a montré jusqu’ici, suffisamment pour entrainer le public avec lui en tout cas dans ce qui est aujourd’hui un des tous meilleurs titres du catalogue Drakoo.
BD de David Chauvel, Jerome Lereculey et collectif
Delcourt (2022), 56p., série en cours, 1 cycle achevé, 3 tomes parus sur le second cycle
Série prévue en 5×6 tomes.
Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.
Lorsque l’on referme cette mi-temps de la seconde saison des 5 Terres on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Le plein c’est le constat que le second épisode a marqué un surplace inutile qui a créé de l’inquiétude en empêchant le rythme de s’installer. Le vide c’est qu’hormis le potentiellement cataclysmique cliffhanger du texte final on reste dans de la petite histoire qui peine à faire des cahots mafieux du clan du Sistre un équivalent des Peaky Blinders…
Car après avoir fait une croix sur l’hypothèse d’intrigue politique à la Cour de Lys on a désormais compris que ce cycle visait à développer les arcanes des mafias du monde des singes, dans une variation du monde de Scorsese ou des films policiers. On accroche avec certains personnages comme le commissaire Shin que l’on lie volontiers avec les forfaits des clans. Beaucoup moins avec les amours blessées de Kéona au Château, qui font allègrement bailler, et jusqu’à la chute de ce tome donc, on attendait plutôt la disparition définitive des archéologues à la recherche de leur Cité. Mais tout l’art des scénariste de cet immense projet c’est de tisser des liens pour plus tard. Au risque de se tirer une balle dans le pied en temporisant trop par peur de reproduire le cycle infernal si addictif du premier cycle.
Ce troisième tome permet donc de refermer certaines portes bien trop longtemps laissées entrouvertes (on ne sait pourquoi) et de solidifier la stature de certains personnages dont cette Alissa dont on a jusqu’ici le plus grand mal à faire notre héroïne. Heureusement les fils commencent à se relier autour du conflit mafieux avec un élargissement salutaire de l’univers de ce cycle qui donne beaucoup de possibilités dans les relations « politiques » du Sistre. On semble reprendre pied donc, encore loin du stress d’Angléon mais avec bien plus d’intérêt que la crainte dans laquelle le second opus nous avait laissé. Haut les cœurs, la passion n’est plus vraiment là mais rien n’est perdu, en un basculement la bande à Chauvel peut ramener soudain ces 5 Terres au niveau qu’elles ont quitté. Et cette mystérieuse Cité de Barkhane pourrait bien être ce basculement qui aura un peu trop tardé… suite en février prochain…