***·BD·East & West·Guide de lecture·La trouvaille du vendredi·Rétro

La Frontière invisible

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BD de Benoit Peeters et François Schuiten
Casterman (2002-2004), env. 60p./album, diptyque.
L’histoire est d’abord parue en deux volumes avant de ressortir en un unique volume puis dans le quatrième tome de l’intégrale de la série

Dernier descendant d’une illustre dynastie, Roland de Cremer, jeune cartographe arrive au Centre de cartographie de Sodrovno-Voldachie. Là il va apprendre le métier au contact d’un maître de la tradition qui voit arriver une modernité menaçant l’art de la cartographie. Entre ses découvertes amoureuses et professionnelles, de Cremer va devoir se positionner lorsque le pouvoir militaire du maréchal Radisic décident de reprendre en main la direction du Centre…

Les cités obscures -8- La frontière invisible - 1Ma relecture de cet avant-dernier diptyque de la série est l’occasion de rappeler l’importance de la série des Cités obscures dans l’histoire de la BD franco-belge. Entamée en 1983 en feuilleton dans le magazine mythique (A suivre), la série compte onze albums dont le dernier paru en 2009 est probablement le dernier. Le dessinateur François Schuiten est le fils d’un réputé architecte bruxellois et son travail commencé dans les pages de Métal Hurlant se concentre dès le début sur les formes architecturales et les décors. Le scénariste Benoit Peeters est un éminent sémiologue, spécialiste de Tintin qui a autant écrit de livres sur le récit séquentiel que de scénarii de BD. Leur travail sur les Cités Obscures consiste en le développement d’un univers à la géographie partagé mais expérimentant de multiples formes tant graphiques (noir et blanc ou couleur), de format que s’étendant au-delà du cadre du neuvième art en se développant en expositions, musiques ou faux guide touristique aux Guides Michelin.

Se situant dans un univers à la temporalité technologique proche des années 1950 et parfois quasi-steampunk, La Frontière invisible raconte en deux tomes très différents la résistance de la tradition sur une science techniciste au service d’un pouvoir politique qui cherche à façonner les territoires pour confirmer son récit. Frontière Invisible (La) | François Schuiten & Benoît PeetersNotre héros est un naïf plutôt bien vu à son arrivée en raison de son nom glorieux, montrant le conservatisme de cette société. Désormais membre d’une illustre institution il devient ainsi un gardien du Temple en même temps qu’un rempart contre la modernité incarnée par des machines destinées à automatiser un art ancestral. Dans ce monde fantastique, outre les architectures démentielles qui sont un des plaisirs évident de la lecture, les travaux surréalistes participent à l’esthétique générale: ainsi les travaux cartographiques portent autant sur la reconstitution du territoire en une gigantesque maquette que sur des cartes traitant des comportements sociaux.

Alors que le premier tome déroule un récit linéaire de découverte de ce petit monde et de ses décors incroyables (où l’on n’oublie pas une certaine sensualité qui rappelle que Schuiten n’est pas qu’un dessinateur-architecte!), le second relate la fuite des deux héros dans des décors naturels et des tableaux allégoriques où la politique expansionniste de ce régime autoritaire nous explique le sens du titre et l’absurdité de la Frontière.

Frontière Invisible (La) | François Schuiten & Benoît PeetersÉtonnamment c’est plus le worldbuilding et sa cohérence qui fascinent dans cette BD sans doute un peu trop courte pour pouvoir développer réellement une intrigue géopolitique intéressante. On effleure donc simplement ce que l’on imagine des rivalités empruntées à l’Europe de l’Est en contexte de Guerre froide qui ne restent que des tableaux. De même sur l’histoire pourtant passionnante de ce Centre incarné par un dôme gigantesque renfermant une version miniature du territoire de la République mais qu’hormis la rivalité entre le patron et le jeune loup imposant ses machines, on ne fait que survoler. Archéologues, Schuiten et Peeters lancent des pistes, nous font découvrir au détour d’un couloir les caves de l’Institution, habitées d’animaux fantastiques dont on ne nous dira rien… Frustrant, comme une conclusion amère dont on ne sait que penser au-delà de l’idée que le rêve (y compris amoureux) doit guider le cartographe plus que sa mission.

Album tantôt fascinant tantôt décevant, La frontière invisible n’est semble t’il qu’une pierre de l’incroyable édifice des Cités Obscures, œuvre d’une époque, d’une génération, de ces Bourgeon, Bilal, Manara, Pratt, des artisans érudits dont les dessins très détaillés n’étaient que le véhicule pour des réflexions sociétales comme poétiques. Des albums intelligents et accessibles qu’il faut redécouvrir.

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American vampire legacy #1: sélection naturelle

Comic de Scott Snyder et Sean Murphy.
Urban (2012), 128p., one-shot.

couv_162052En 1941 l’ordre de chasseur de vampires « les Vassaux de Venus » envois ses deux meilleurs agents en Roumanie occupée par les nazis pour récupérer un scientifique qui aurait mis au point un remède contre le Mal… La question des nazi est très secondaire. Jusqu’à ce qu’ils réalisent que les affidés d’Hitler et les démons ont plus de lien qu’on ne le pense…

image-10Sean Murphy à la Paris Comics Expo!Ce petit album en forme de bonbon confirme immédiatement ce que je disais sur le dernier album de Scott Snyder et le saisissant décalage de qualité entre ses débuts et aujourd’hui. Paru juste après les vingt-sept épisodes de sa saga American Vampire et en même temps que le monument La Cour des Hiboux, cette prolongation sera suivie d’un second tome dessiné par Dustin Nguyen, le futur dessinateur de Descender, puis récemment d’une itération 1976 qui clôt le second cycle. N’ayant pas lu la saga principale je peux confirmer que ce tome dessiné par un jeune Sean Murphy se lit sans aucune difficulté comme un one-shot en forme de croisement idéal entre Indiana Jones et Lovecraft.

Sous sa forme d’album, Sélection naturelle ressemble à une petite perfection geek comme il en arrive de temps en temps, de ce débordement d’amour pour la culture Pop années 40′ qui rassemble tout ce que les amateurs veulent voir: des nazi, des vampires, des espions bad-ass, des scientifiques hallucinés et de sombres secrets sur le monde obscure, le tout dans des décors grandioses et parfaitement gothiques. C’est bien simple, si Murphy n’avait pas dessiné ce volume, le George Bess de Dracula l’aurait pu. Avec une efficacité qui frise la perfection dans une simplicité que seule la fraicheur du novice amène, Snyder découle au lecteur du massacre de vampires infiltrés parmi nous avant de nous relater simplement l’histoire de ses deux héros, le QG de l’organisation clandestine avant de partir pour les Carpathes en un hommage délirant à notre archéologue préféré. Ne perdant jamais de temps sans pour autant tomber dans l’orgie, les auteurs enchainent les séquences attendues avec une remarquable maitrise du temps qui me fait dire que la malédiction principale des comics reste la pagination qui incite trop les scénaristes à délayer leurs histoires.

American vampire legacy tome 1 - BDfugue.comLa cerise sur le gâteau de ce cadeau est que la richesse de l’univers à peine esquissé dans ses aspects les plus grandioses donne fichtrement envie de plonger dans la mythologie d’American Vampire tant on a le sentiment d’avoir effleuré un sacré morceau. Le problème des récits de vampires (comme de zombies) étant que l’on reste le plus souvent dans de la simple chasse sans construction historique, le projet de Snyder devient particulièrement intéressant en ce qu’il semble avoir bâti un monde cohérent relaté sur différentes époques (… en compagnie d’un certain Stephen King il faut dire).

Avec le simple regret d’une histoire trop courte et que Murphy s’est arrêté à ce seul tome dans la saga, on savoure chaque planche en frémissant d’impatience de connaitre la fin de l’histoire de Felicia Book et en gardant à l’esprit que la très qualitative édition Urban de la saga en intégrale (comprenant donc ces deux Legacy mais également les autres histoires one-shot) donne une bonne raison de se plonger dans une série lauréate d’un Eisner award et figurant parmi les classiques du comic Indé.

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Comics·Rétro·East & West·*****

Batman: Amère victoire

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Comic de Jeff Loeb et Tim Sale
Urban (2012) – DC (2000), 392p., série terminée.

L’édition chroniquée est la première version reliée chez Urban, après les quatre volumes SEMIC souples parus en 2002 juste après l’édition originale. Une version n&b « anniversaire 75 ans » est sortie en 2014 toujours chez Urban. Il s’agit de la suite directe de Un long Halloween, mythique album et Prix Eisner du meilleur album. L’édition comprend une préface de Tim Sale (malheureusement disparu l’an dernier…), un résumé du volume précédent, deux pages de croquis et l’épisode bonus « Un chevalier servant« . Édition correcte qui mérite surtout pour la qualité de fabrication des éditions Urban et l’histoire elle-même.

Il y a un an (lors des évènements relatés dans Un long Halloween) le tueur se faisant appeler Holliday a terrorisé Gotham. Lors de l’enquête le procureur Harvey Dent, défiguré par de l’acide, est devenu Double-face, un psychopathe schizophrène. Alors que Batman et le commissaire Gordon n’ont pas fait le deuil de leur amitié avec Dent, des crimes reprennent, ciblant cette fois la police de Gotham. Holliday est-il de retour?

image-10Batman - Amère victoire (Dark Victory) - BD, avis, informations, images,  albums - BDTheque.comQue vous découvriez les BD de Batman ou soyez novice en comics de super-héros, vous tenez une pépite. Lorsque j’ai commencé à lire du  Batman j’ai recherché les albums les plus faciles d’accès parmi les plus cités, la difficulté étant la subjectivité des fans pas toujours lucides sur l’accessibilité de leurs monuments. Et je peux vous dire que le diptyque de Loeb et Sale est un véritable miracle tant graphique que dans l’écriture, qui condense la substantifique moelle de l’univers gothique de Batman, de l’origin story fluide, en proposant le même plaisir à des nouveaux venus, aux spécialistes et aux amateurs d’indé. La seule réserve sera peut-être pour de jeunes lecteurs biberonnés aux dessins très techniques d’un Jorge Jimenez ou de Capullo, qui pourront tiquer sur l’ambiance rétro.

Amère victoire reprend les mêmes qualités que le volume précédent en les simplifiant dans une épure encore plus accessible. Sous la forme d’une enquête autour d’un serial killer qui reprend le même schéma narratif que les meurtres aux fêtes nationales du Long Halloween (ici concentrés sur des membres véreux du GCPD), les auteurs continuent subtilement d’introduire le personnage de Robin sur la fin de la série, en Batman (tome 1) - (Tim Sale / Jeph Loeb) - Super Héros [BDNET.COM]parallèle évident avec le deuil du jeune Bruce Wayne. Si le monde mafieux est toujours très présent (le récent film The Batman reprend à la fois la famille Falcone et le lien de Catwoman avec ces criminels), le découpage se veut moins complexe en atténuant un peu le formidable jeu des séquences simultanés et amputées qui instillaient brillamment le doute sur l’identité du tueur. Ici ce sont Harvey Dent, la nouvelle procureur et même Catwoman qui sont dans le viseur du lecteur…

Beaucoup plus technique qu’il n’en a l’air, le dessin de Tim Sale est mis en valeur par le format large du volume Urban où l’on profite des grandes cases (à ce titre, la grosse pagination ne doit pas vous effrayer, l’album se lit assez rapidement du fait d’un découpage aéré et de textes favorisant les ambiances), voir de doubles pages et où les très élégants aplats de couleurs font ressortir le travail de contrastes du dessinateur (agrémenté de quelques lavis sur des flashback). Avec un montage diablement cinématographique (Loeb a scénarisé un certain nombre de séries de super-héros et produit les séries Daredevil et Defender de Netflix) on plonge dans les bas-fonds, les bureaux éclairés de lames de stores et les gargouilles des sommets de Gotham avec un plaisir permanent.

Amère Victoire – Comics BatmanProposant autant de suspens que d’action, utilisant à l’envi le freakshow d’Arkham sans en faire le centre de l’histoire, Amère victoire offre une galerie de personnages aussi archétypaux que le nécessite la mythologie Batman, avec un joyau super: Catwoman, aussi pétillante que touchante malgré son absence d’une bonne partie de l’histoire (… pour cause d’aventures à Rome narrées dans le chef d’œuvre du même duo, Catwoman à Rome, tout juste réedité). L’art de Loeb est de prêter un style oral à chaque personnage, reconnaissable et que l’on a envie de retrouver. Et finalement la résolution du coupable deviens assez secondaire dans le projet tant il y a de prétendants et une atmosphère que l’on regrette dans les récents comics Batman. On pourra d’ailleurs des liens à travers les âges en trouvant des proximités avec le récent White Knight: Harley Quinn… dont les couleurs sont réalisées par le grand Dave Stewart… qui avait officié sur Catwoman à Rome. Les grande se retrouvent!

Chef d’œuvre parmi les chef d’œuvres, bien moins cité et bien meilleur que le Dark Knight de Miller, cet Amère Victoire est un classique à avoir impérativement bien au chaud dans sa bibliothèque.

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**·Comics·East & West·Rétro

All-star Superman

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Comic de Grant Morrison, Frank Quitely et Jamie Grant
Urban (2017) – DC (2006), 320p., série terminée.

eisner-winnerL’édition originale américaine est parue en douze volumes (2006-2008) puis une intégrale en un unique puis en deux volumes. La première intégrale française paraît chez Panini en 2011, est reprise par Urban à la reprise du catalogue DC sur une édition 2013, réimprimée en 2017, avant d’être intégrée à la collection Blacklabel en 2022. Les trois éditions Urban sont identiques. L’édition chroniquée est la 2013, avec un cahier bonus de 26 p. incluant notes d’intention, croquis, couvertures de chapitres, script, bio des auteurs et dramatis personae.

Superman a été assassiné. Empoisonné par là où il tire sa puissance. Lex Luthor son ennemi de toujours a fomenté une mission de sauvetage dans le Soleil qui a saturé les cellules de l’homme d’Acier en énergie. Il ne lui reste plus que quelques semaines à vivre. Kal-El entame alors un inventaire de ce qu’il na pas encore fait, de ce qu’il pourrait résoudre et de comment conclure sa vie…

What did you think of all-star superman's art? - Superman - Comic VineLorsque l’on souhaite commencer à lire des albums de Superman on tombe sur des tops qui qualifient d’indispensables le Unchained de Jim Lee, le Red son de Mark Millar, For All Seasons du mythique duo Sale/Loeb, Kingdom Come de Alex Ross et donc ce All-star Superman. Pas encore très réputé, l’écossais Frank Quitely marque avec cette série en douze épisodes une grosse étape de sa carrière, cinq ans avant Jupiter’s Legacy et quelques années après sa rencontre avec Millar sur The Authority. All-star Superman remportera l’Eisner de la meilleure nouvelle série tout au long de sa publication…

Pourtant je dois reconnaître qu’hormis Red Son je n’ai que moyennement accroché aux volumes cités plus haut et il en est de même sur ce « mythe ». Je commence à me faire une raison en me disant que ce personnage n’est pas fait pour moi, ce que confirme ma très grosse hype sur l’anti-superman qu’est Injustice et sa variante télévisuelle The Boys. Appâté par les dessins de Quitely dont j’avais adoré la dynamique dans Jupiter’s Legacy et le pitch assez trompeur des « douze travaux de Superman », j’ai été assez déçu par une succession d’épisodes très mal liés et qui apparaissent plus comme une chronique non chronologique et assez sévèrement WTF qui surprend par son aspect futuriste et souvent parodique, jusqu’à rappeler par moment le travail de Geoff Darrow dont le dessinateur s’inspire très certainement.

Dès le premier chapitre on est ainsi plongé dans une époque d’anticipation, une sorte de Métropolis alternative rétro-futuriste qui permet toutes les excentricités en matière de costumes ou de décors. L’idée est plutôt bonne… mais comme souvent chez DC on nous balance au milieu d’une intrigue qui n’a pas de début, parmi des personnages qui ne nous ont pas été présentés et sur des micro-intrigues qui ne semblent pas reliées. L’utilisation de toutes les inventions les plus absurdes de l’univers de Superman ne facilite pas l’immersion et Slings & Arrows | All star superman, Superman, Comicsl’implication dans ce drame historique de la mort de Superman: Bizaro et Zibaro, le mage galactique Klyzyzk Klzntplzk, sans oublier le Soleil-tyran et bien sur Krypto le super-chien… Alors que Tom King nous a proposé cet été une magistrale odyssée Supergirl qui parvenait à s’extraire de ces absurdités, Grant Morrison semble recherche comme un Alex Ross ce qu’il y a de plus désuet dans la mythologie de Kal-El.

Les aspects positifs de cet album reposeront sur l’imagination débordante et bien sur la qualité des dessins de Quitely. Petite suggestion en passant: alors que la question de la reprise des couleurs d’albums anciens ne cesse d’enflammer les passions à chaque expérience éditoriale, je dois dire que le travail de Jamie Grant est extrêmement datée et mériterait une modernisation qui pourrait atténuer l’aspect rétro de l’album. Certaines idées comme l’expérience de super-pouvoirs permettant à Loïs de comprendre la vie de Superman pendant 24h ou les perspectives de supermen du futur sont intéressantes. Mais l’ensemble est par trop baroque, mal ficelé et hermétique aux novices pour véritablement apprécier All-Star Superman. Pas mauvais, certainement très bon même pour les afficionados de l’homme de Krypton, ce gros volume n’est en tout cas assurément pas fait pour tout le monde..

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****·East & West·Manga·Rétro

Planetes

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Manga de Makoto Yukimura
Panini (2022), 1040 p., série terminée.

mediathequeL’édition lue est la Perfect de 2022 (en 3 volumes) qui inclut outre les pages couleurs, des textes documentaires rédigés en lien avec le CNES. La série était auparavant parue en 4 volumes en 2002, puis en Deluxe (2011) qui correspond à cette Perfect. En 2015 une intégrale est parue, option la plus économique pour cette pagination.

En 2075 Hachi est récupérateur de débris spatiaux sur l’orbite terrestre. Ce métier hautement risqué est essentiel en cette période d’essor de l’humanité dans son environnement proche: installés sur la Lune comme sur Mars, les hommes projettent un premier voyage habité sur Jupiter. Tout à son rêve de grands espaces et inconfortable dans les relations humaines complexes, Hachi est décidé à intégrer l’élite qui formera ce premier équipage jupitérien…

Planètes - BD, informations, cotesTout juste la vingtaine et diplômé d’une des plus prestigieuses universités des Beaux-arts du Japon, Makoto Yukimura publie avec Planètes sa première œuvre en quatre volumes et impressionne par la maturité de sa réflexion, de sa narration et la précision de son dessin. Avant d’enchaîner sur Vinland Saga qui vient de se terminer au vingt-sixième tome, le mangaka est dès sa première publication une des figures majeures de la BD japonaise, sur des années qui voient paraître un certain Eden, 20th century boys ou FMA

Commençant sur les rails du film L’étoffe des héros qui ambitionnait de décrire l’entraînement des premiers astronautes américains, Planètes montre rapidement que le propos de l’auteur n’est pas un récit d’aventure mais bien une réflexion passionnante sur les relations humaines et la proximité immédiate de notre Terre, à la fois dans l’Espace et le Temps. Appartenant sans hésitation au genre de l’Anticipation, le manga est très efficace dans sa description réaliste des navettes des récupérateurs et jusqu’aux forces spatiales tentées comme sur le plancher des vaches de se lancer dans des folies martiales en orbite. Car tout au long de ces mille page flotte ce danger majeur qui semble avoir marqué Yukimura: le syndrome de Kessler. Que ce soient les actions terroristes dans la base lunaire permanente, les accidents en orbite terrestre ou la préparation du voyage vers Jupiter, les séquences narrant les rêves et les risques de la conquête spatiale sont passionnantes… et frustrantes.

Car très vite on comprend que le rythme du scénario est syncopé avec des flashback brutaux en revenant progressivement sur le passé des membres de l’équipage de Fée Carmichael, la très charismatique capitaine du vaisseau de nettoyage. Ainsi on saute fréquemment et sans Planetes | ComicCriticonprévenir du sol lunaire à la maison des parents sur Terre. Sans véritable guide narratif, il faut se laisser porter en toute confiance, comme un astronaute et son cordon ombilical, au fil de ces chapitres toujours immersifs et passionnants. Yukimura a un sens du rythme et un talent d’écriture qui explosent littéralement aux yeux du lecteur. Les joutes verbales sont nombreuses et il excelle autant dans les séquences introspectives, philosophiques et psychologiques que dans les vannes terriblement drôles. J’ai rarement autant rigolé dans un manga qui n’est pourtant pas du tout orienté comique.

Je parlais de frustration car si le décors est bien celui de la conquête spatiale prochaine, la focale du mangaka est sur ses personnages. Comme Hiroki Endo sur Eden il semble se laisser porter par ceux-ci sans plan précis et semble divaguer au fil de ses réflexions et de la vie que prennent ses acteurs sur la page. C’est perturbant mais terriblement accrocheur en donnant une densité très forte au cœur au manga. Sans lien évident entre les parties, le tout prend finalement un sens (ou des sens) en prenant du recul une fois la lecture achevée.

Remarquablement maîtrisé, non linéaire et passionnant à chaque instant, Planètes est l’œuvre d’un auteur à l’intelligence flagrante qui s’adresse à nos âmes autant qu’à nos yeux. Un grand auteur!

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Sanctuary (perfect) #1

La trouvaille+joaquim

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Manga de Sho Fumimura (« Buronson ») et Ryoichi Ikegami
Glénat (1990)/(2022), 460p, 1/6 tomes parus.

Sous l’appellation « Perfect » de l’éditeur se cache plus simplement une réédition intégrale regroupant deux tomes par volumes, sans ajout particulier ni retravaille du master vieilli. Glénat avait ouvert la publication en 1996 avant de l’abandonner au bout de deux tomes, les éditions Kobuto reprenant la série pour publier les douze volumes entre 2004 et 2005, introuvables désormais. Alors que Glénat republie le chef d’œuvre de Ikegami en apéritif à la nouveauté Trillion game (chronique demain), on peut gager que la ressortie de l’autre monument, Crying Freeman ne tardera pas, avec, espérons, un travail éditorial plus conséquent.

bsic journalismMerci aux  éditions Glénat pour leur confiance.

Asami et Hojo sont deux jeunes ambitieux. L’un officie dans l’ombre des politiciens, l’autre dans celle des Yakuza. Alors qu’une commissaire est nommée sur le territoire du second, elle va bientôt apprendre que beaucoup de choses relient les deux hommes…

CaptureRyoichi Ikegami est un des monstres sacrés du manga, notamment dans les années 80-90 où il officia sur les best-sellers Crying Freeman (avec le scénariste du mythique de Lone Wolf &Cub qui vient de ressortir en édition perfect), adapté au cinéma par Christophe Gans, et donc ce Sanctuary scénarisé l’auteur de Ken le survivant (Hokuto no Ken) qui accompagnera Ikegami sur la plupart de ses autres séries.

Ce qui marque immédiatement en ouvrant ce manga de Yakuza qui a probablement inspiré Boichi sur son Sun-ken Rock c’est le style graphique très crayonné où des éphèbes rivalisent d’intelligence et de détermination, l’un du côté des Yakuza, l’autre du côté politique, pour parvenir à leurs fins. Comme tout vieux film de Scorsese ou de John Woo (on est un peu entre les deux) les costards d’époque, les Mercedes et les coiffures vintage marquent leur temps et participent à l’atmosphère d’un Japon corrompu jusqu’à la moelle et écrasé par une classe de vieux mandarins que ces jeunes gens veulent bouter du pouvoir.

Et c’est là la modernité la plus notable dans le scénario: ces deux auteurs de quarante ans dynamitent la gérontocratie japonaise, comme Masamune Shirow et Katsuhiro Otomo dans leurs monuments Appleseed et Akira du reste. Alliant une radicalité dans la violence graphique (sexuelle comme physique) ils montrent un monde politique plus détestable encore que celui de la pègre en ce qu’il est réputé œuvrer au bien commun. Ici Capture1on achète les circonscriptions électorales à coup de millions et de grands « présidents » décident de tout entre jeux de jambes en l’air avec des gaminettes et parties de golf. Si le monde des Yakuza n’est guère reluisant, il semble moins pointé du doigt (qui reprocherait à des criminels leur manque de morale?).

Sur ce premier tome remarquable d’équilibre nous apprenons donc qu’un lien ancien existe entre ces deux impétrants et que la commissaire va être le grain de sable dans le plan parfaitement huilé du duo pour gravir le sommet et changer le monde. Résolument adulte, le scénario ne s’encombre pas de scories familiales et d’intrigues secondaires faciles. Dur tout en sachant être léger, Buronson et Ikegami dressent un tableau très réaliste d’une époque et de deux mondes qui semblent naviguer de concert au-dessus d’une société bien délaissée au regard des enjeux de pouvoir. Doté de personnages charismatiques, d’une narration millimétrée, d’action régulière et de dessins superbes (bien que mal mis en valeur par une technique d’impression d’époque), Sanctuary est un must-read qui n’a vraiment pas vieilli et montre pourquoi l’œuvre de Ryoichi Ikegami est majeur dans l’univers du manga.

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Infinity 8: Retour vers le Führer!

La trouvaille+joaquim

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BD d’Olivier Vatine et Lewis Trondheim
Rue de Sèvres (2017), 88p. 3 volumes souples format comics et un volume relié.

Si vous suivez régulièrement ce blog vous savez combien j’aime les formats originaux, variés, qui permettent à tous les publics de trouver ce qu’ils cherchent, aux expérimentations des artistes et last but not least, aux porte-monnaie de souffler un peu sur des éditions légères. Lors de son démarrage le jeune éditeur Rue de Sèvres a été très actif en la matière puisque ce sont eux qui ont quand-même permis les magnifiques éditions journal du Chateau des Etoiles (pour lequel Alex Alice publie cette fin d’année un Art book qui s’annonce somptueux… stay tuned!), mais également l’original Infinity 8 qui, chose trop rare, avait lancé les deux premiers tomes en format comics très qualitatifs.

Pour rappel cette série proposait entre 2017 et 2019 des aventures solo au sein d’un croiseur spatial, chaque tome réalisé par une nouvelle équipe (le tout avec Lewis Trondheim en « showrunner »). Si les deux premiers tomes proposaient les dessins très qualitatifs de Bertail et Vatine, la suite m’a laissé de côté en migrant dans un style simpliste proche de celui de Trondheim. Si l’esprit de la série était cohérent, graphiquement ce n’était pas ma tasse de thé. Dernière précision: comme pour le partenariat avec le Label 619 (basculé récemment d’Ankama à Rue de Sèvres), Infinity 8 était Infinity 8 T2 | Rue de Sèvresproposé par le ComixBuro de Vatine, depuis parti chez Glénat. Bon et maintenant que Blondin à fait son prof, qu’est-ce que ça donne ce Retour vers le Führer?

L’agent Stella Moonkicker revient d’une suspension pour violence sur passager. Rageuse de ne pas avoir retrouvé son Megaboard, cette adepte des selfi va bientôt tomber sur une étonnante réception culturelle promouvant l’art de vivre Nazi. Alors qu’un virulent rabbin commence à agresser ces gentils animateurs elle se voit contrainte d’intervenir. Une intervention qui aura des conséquences dramatiques pour toute la communauté de l’Infinity 8…

Rappelons le concept d’Infinity8: la croisière intersidérale Infinity 8 est pilotée par un alien aux capacités très particulières puisqu’il reboot le temps toutes les 8 heures afin de sauver le vaisseau d’une menace mortelle. Chaque album voit donc un nouvel agent du vaisseau partir en mission… Et voici donc Stella Moonkicker poufiasse blonde passablement insupportable qui ne pense qu’à ses comptes de réseaux sociaux, chargée de protéger le vaisseau contre rien de moins que le retour d’Hitler, décongelé d’une épave spatiale. L’humour noir est bien entendu de mise tout le long à force d’inversions de valeurs incessants: le rabbin est un intégriste, les nazis de gentils naïfs et l’anti-héroïne qui va aider toute guillerette le génocide spatial du nouveau Hitleroïde.

Infinity 8 - Tome 2 - Infinity 8 tome 2 retour vers le fuhrer - Trondheim  lewis / vatine olivier - broché - Achat Livre ou ebook | fnacLe cœur de l’album réside dans la relation entre le robot (cousin du C3PO de StarWars) et la grognasse qui a plus de Tuco que de Blanche Neige. L’esprit WTF est omniprésent en tirant vers Fluide Glacial, avec deux auteurs toujours très portés sur la dérision. Les délires SF nazi ont toujours attiré les envies (notamment graphiques) et permis de s’éclater sans avoir à se préoccuper de questions morales. Mais soyons clairs, l’amour de Vatine pour les bimbo spatiales pulp est le principal intérêt de l’auteur qui malgré un trait simplifié à l’extrême reste un très grand dessinateur capable de créer une dynamique de cases folle avec quelques traits. Alors vous aurez droit à des plongées en scaphandres, de combats de robots, des légions nazies, des piratages informatiques et éviscérations sanguinolentes en tout genre dans ce Retour vers le Führer…

L’édition comics est bien entendu agrémentée de tout ce qui en fait le sel: fausses pub, cahiers graphiques et autres interviews créatives des auteurs. Le plein de bonus pour un délire so-pulp dans la veine du récent Valhalla Hotel. Et puis on ne boudera pas le plaisir de profiter de la dernière BD dessinée par le créateur d’Aquablue publiée…

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Odyssée sous contrôle

La trouvaille+joaquim

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BD de Dobbs et Stephane Perger
Ankama (2016), 54p., one-shot, collection « Les univers de Stefan Wul »

Avant de débarquer sur la planète Emeraude, l’agent Michel Maistre fait la rencontre de la belle Inès Darle, dont il va tomber éperdument amoureux. Malheureusement ils vont se retrouver tous deux impliqués dans un complot extra-terrestre. Lancé à la recherche de la belle kidnappée, l’agent va vite se retrouvé confronté à une réalité parallèle qui va remettre en question jusqu’à son être même…

badge numeriqueJ’ai découvert l’immense qualité graphique de Stephane Perger sur la série Luminary qui vient de s’achever et souhaitais découvrir ses précédentes productions. La très inégale collection Les univers de Stefan Wul n’a pas donné que des chefs d’œuvre (sans doute du fait d’adaptations de romans pas forcément géniaux bien qu’ayant eu une immense influence sur une génération d’artistes) même si elle permet d’apprécier les traits de Vatine, Adrian, Varanda, Reynès ou Cassegrain et je ne vais pas le cacher, cette Odyssée sous contrôle vaut principalement pour les planches somptueuses de Perger. Alors que d’autres romans ont été adaptés en plusieurs volumes celui-ci, du fait de son traitement, aurais sans doute dû en passer par là…

Odyssée sous contrôle – Artefact, Blog BDLa faute sans doute à une ambition scénaristique un peu démesurée sur une base pulp. Dobbs fait ainsi le choix de troubler le lecteur dès la première page en ne suivant aucune structure séquentielle logique afin de créer un effet de confusion similaire à celui du héros. Hormis les poulpes alien qui semblent fasciner Wul (voir Niourk) on n’a pas grande chose auquel se rattacher, les personnages changeant d’identité, des seconds couteaux apparaissant de nulle part sans que l’on sache si l’on est censé les connaître et le déroulement du temps se faisant de façon très chaotique. La volonté est évidente. Certains apprécieront cette lecture compliquée. Il n’en demeure pas moins que comme album BD on aura fait plus lisible. Peut-être également en cause la technique de Perger qui si elle est très agréable à l’œil, ne permet pas toujours de compenser les ellipses et devinettes narratives que nous jette le scénariste. Lorsque le scénario est flou il faut un dessin extrêmement clair et évocateur (comme sur le sublime Saison de sang) pour garder le lecteur dans les rails.

Au final on a un album assez frustrant habillé de superbes séquences et de quelques idées terrifiantes, d’un design rétro très fun et d’une promesse d’espionnage vintage, ensemble de propositions qui surnagent avec une impression de pages perdues. Une fausse bonne idée en somme qui à force de ne pas dérouler son histoire ne la commence jamais vraiment. Dans la collection on ira plutôt voir du côté de La mort vivante ou Niourk.

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***·BD·La trouvaille du vendredi·Rétro

L’assassin qu’elle mérite

La trouvaille+joaquim

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BD de Wilfried Lupano, Yannick Corboz et Catherine Moreau (coul.)
Vent d’ouest (2010-2016), 46p./album série terminée en quatre volumes.

Dans la Vienne impériale de 1900 l’ancien monde se fracasse sur le nouveau. Si l’oppression féodale a été remplacée par une Lutte des classes entre prolétariat et bourgeoisie fortunée, cette dernière est loin d’être homogène, certains de ses membres abhorrant le carcan moral que fait peser l’ordre établi sur l’humanité. Ainsi vont se retrouvés liés à la vie à la mort deux riches hédonistes décidés à s’encanailler en créant une oeuvre d’art vivante: un pauvre naïf qu’ils ambitionnent d’élever au rang de criminel ultime chargé d’abattre la société morale. Ils vont s’efforcer de créer l’assassin qu’elle mérite…

L'assassin qu'elle mérite - BD, informations, cotesÉtrange série que cette quadrilogie qui se découpe en réalité en deux diptyque en forme de deux lieux/époques. Formé à Emile Cohl et déjà très solide techniquement et doté des atouts techniques des artistes de l’animation, Yannick Corboz (auteur plus tard de la Brigade Verhoeven et dernièrement des Rivières du Passé chez Maghen) sort d’un diptyque avec le golden-boy d’alors, Wilfried Lupano tout juste auréolé du succès de sa série majeure, Alim le Tanneur. Déjà chez les deux auteurs ce besoin de politique, cet esprit contestataire d’un ordre établi, d’une morale religieuse ou sociale qu’ils veulent mettre à bas. Et l’on sent dans le duo Alec/Klement une part de l’esprit créatif qui transpire dans cette reconstitution des Vienne et Paris de la Belle-époque.

Difficile de résumer cette intrigue très tortueuse qui, si elle suit résolument l’itinéraire assez piteux du jeune Victor tombé dans les filets machiavéliques de Victor, ne fait pas de lui un héros pour autant, loin de là. Ici les personnages sont bien un prétexte pour dépeindre deux sociétés au bord de l’explosion et que personne ne veut vraiment défendre. Le traitement scénaristique est ainsi perturbant en ce qu’hormis peut-être Klément, l’ami victime repenti on a très peu de compassion ni pour Alec le manipulateur ni pour Victor la victime. Car s’il a découvert la belle vie des héritiers gavé de l’argent de son mécène, le jeune garçon enchaîne mauvaises rencontres sur mauvaises décisions et n’est même pas capable de devenir le terrible révolutionnaire que l’on imagine.

L'Assassin qu'elle mérite - BD, avis, informations, images, albums -  BDTheque.comWilfried Lupano nous avait déjà habitué au refus de la linéarité sur Alim le tanneur et poursuit ici sa construction chaotique au risque de perdre un peu le lecteur quand aux finalités de son projet. Le décors et les acteurs permettent bien très efficacement de nous décrire la Vienne impériale où la Police est principalement là pour protéger le mode de vie rapace des riches et où le vernis moral s’efface bien vite derrière le sexe et les pulsions. Mais faute de point d’accroche auquel s’identifier (un héros, un méchant) on écoute les analyses intéressantes tout en cherchant la route. C’est une approche que l’o peut qualifier de complexe, l’auteur refusant de donner le mode d’emploi de sa carte postale. Ainsi la rupture de mi-série voit disparaître Alec et l’intrigue se voit transposée à Paris autour de l’Exposition Universelle et d’un projet d’attentat anarchiste. Des personnages disparaissent, d’autres apparaissent sans que l’on se souvienne bien si on les a déjà vu ou non.

L'Assassin qu'elle mérite - BD, avis, informations, images, albums -  BDTheque.comGraphiquement parlant Corboz propose de belles mises en scène avec une évolution que la couleur n’aide pas. En changeant de coloriste sur chaque album, on sent que le dessinateur n’est pas totalement convaincu, lui qui maîtrise pourtant une belle palette sur ses dernières publications. Et si l’encrage est un peu grossier sur le premier volume ce sont surtout les couleurs qui semblent faites au numérique qui détonnent avec l’approche artisanale du trait et de l’ambiance. L’évolution graphique est ainsi palpable tout au long de la série (en mieux) et propose quelques très belles atmosphères impressionnistes qui collent parfaitement à l’époque.

Série insaisissable, ni pamphlet politique, ni carte postale ou chronique sociale, L’assassin qu’elle mérite est tout cela à la fois dans un mode déstructuré qui demandera un lâcher-prise au lecteur sans chercher un sens à tout cela. Pas le meilleur scénario de Wifried Lupano mais une belle découverte graphique d’un dessinateur assez rare et qui pourrait bien exploser au grand public au premier succès commercial.

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****·BD·Documentaire·Rétro

Le tirailleur

Le Docu BD

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BD de Piero Macola et Alain Bujak
Futuropolis (2014), 96p.

Abdesslem est un vieux monsieur pauvre comme il y en a tant dans les foyers Sonacotra. Pourtant Abdesslem est un héros de guerre. Comme il y en eu tant lorsque la République avait besoin de bras et de chair pour affronter les allemands ou les guerres d’indépendance et qu’elle abandonna comme les indigènes qu’ils étaient. Avant de s’en retourner auprès des siens, Abdesslem a accepté de raconter sa vie au photographe Alain Bujak. Afin que son malheur, son sacrifice ne reste pas anonyme.

Le Tirailleur - Par Alain Bujak et Piero Macola - Futuropolis - ActuaBDLa qualité des grands documentaires réside dans cette fibre humaine qui fait lier le récit graphique et une réalité qui transpire des mots et des images, qui rend la narration vraie. Le format du témoignage direct aide cela. Le dessin l’éloigne souvent en donnent un aspect fictif à des évènements pourtant bien vécus. Comme souvent les récits de témoins de guerre, innombrables, nous semblent toujours trop gros, inconcevables du confort de nos canapés du XXI° siècle. Pourtant l’indéniable véracité de ce que rapporte Bujak nous laisse sous le choc de l’injustice. On a beau connaître les fautes de la France envers ces sous-citoyens qu’étaient les indigènes, ces rappels crus, factuels, marquent notre éthique de citoyen en attente de justice.

Abdesslem est tout simplement enlevé par l’armée un beau jour de ses quinze ans. Il ne reverra sa famille que des années plus tard. On lui fait signer son engagement, lui l’analphabète jugé suffisamment grand pour porter un fusil pour aller se faire trouer la peau sur le Front. Heureusement pour lui la France la perd bien vite cette drôle de Guerre qui voit une armée de va-nu-pieds errer sur les routes de France devant l’avancée allemande, assez vite pour lui éviter de se faire tuer. Pourtant, avec sa morale de bon croyant soumis à l’Ordre il rempile, une fois, deux fois, trois fois. On lui dit qu’il est bon soldat. Il participe à la Libération et à la terrible bataille de Monte Cassino. Il semble traverser cette guerre puis les autres comme un passager, comme son enlèvement l’a rendu, ne comprenant pas bien sa situation mais acceptant son sort, comme celui d’une décision de dieu, peut-être, ou tout simplement parce que c’est ainsi.  Il continue en Indochine puis décide de cesser. Il aura passé dix ans de guerres pour un Régime qui lui a enlevé sa liberté, l’a forcé à s’engager pour l’illusoire pension d’ancien combattant.Le tirailleur - Suivi du Voyage chez Abdesslem de Alain Bujak - Album -  Livre - Decitre

S’il rentre au pays fonder une famille malgré tout, sa jeunesse a été prise et sa vieillesse le sera aussi par le biais du sarcasme administratif: pour toucher sa pension d’ancien combattant il doit résider neuf mois par ans en France. Ce sera à Dreux, dans un foyer, dans une chambre de seize mètres carrés. Comme un pauvre, un étranger à qui ce pays pour lequel il s’est battu demande encore ce sacrifice se rester loin des siens. Que faire d’autre?

Le Tirailleur - Alain Bujak et Piero Macola - A propos de livres...Sous les mots du photographe Alain Bujak la mémoire d’Abdesslem est claire, précise. Les faits sont là, gravés dans son esprit. Ils sont portés par la technique tout en sobriété crayonnée de Piero Macola. Les dessins impressionnent d’évocation, notamment lorsqu’il est question de montrer les nombreux paysages traversés. Je suis toujours effaré par la faculté de ces artistes à proposer des dessins très technique, précis, avec cette estompe grasse, comme son compatriote Turconi.

En conclusion de ce magnifique témoignage les photos de Bujak accompagnent un dernier voyage qu’il fit au Maroc pour annoncer à Abdesslem la revalorisation décidée en 2011 par le gouvernement français sur les pensions des tirailleurs. Car ils sont des milliers a avoir ainsi servi le pays qui les a colonisé et bien mal remerciés. Ce poignant témoignage est un hommage à tous ceux-la.

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