BD de François Bourgeon
Delcourt (2022), Série Les passagers du vent complète en 3 cycles de 9 tomes.
Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.
Les passagers du vent est une des séries les plus iconiques de la BD franco-belge, quarante-ans de BD qui s’achèvent avec ce dernier volume du troisième cycle ou plutôt de la seconde époque, dédiée à Zabo, la petite-fille de l’héroïne apparue dans les pages de la revue (A suivre) en 1980. Pour les lecteurs qui découvrent cette série à l’imagerie datée, c’est un peu comme de voir s’achever Corto Maltese ou DragonBall…
La narration de François Bourgeon, sans doute un des auteurs les plus entiers et exigeants de ce média, a toujours été complexe, non linéaire et à la chronologie variable. Il en est de même sur cet ultime volume qui a tendance à s’étirer un tantinet dans le journal des années de déportation de Zabo (rebaptisée Clara pour des raisons que vous découvrirez dans la lecture) en Nouvelle Calédonie. S’ouvrant un instant après la clôture du premier tome du Sang des cerises, l’album suit le récit par Clara à Klervi de son histoire américaine en Louisiane (les deux tomes de La petite-fille bois-caïman) jusqu’à leur rencontre à l’enterrement de Jules Vallès. Les trois-quart de la BD suivent donc ce récit dense, détaillé, émouvant et dur, avant d’ouvrir des perspectives sur la vie retrouvée des deux femmes liées par le destin. Si Bourgeon est un très grand dialoguiste et scénariste, ses choix de construction ne facilitent pas le suivi qui nous basculent vingt ans d’un côté et vingt de l’autre, ce qui incite vivement à réviser le tome précédent, voir l’ensemble des aventures de Zabo.
Le cœur de ce récit porte donc sur les crimes des versaillais et la féroce répression bourgeoise sur les communards qui accompagne la naissance de l’empire colonial de la République, dont la crudité connue de Bourgeon n’oublie pas de nous rappeler en ces temps de nostalgie réactionnaire combien il s’est agit avant tout de formidables débouchés financiers pour le capitalisme napoléonien et d’un moyen de répression pour les prisonniers politiques comme d’assouvissements primaires de domination raciste pour une armée biberonnée tout au cours du XX° siècle. En se contentant de séquences décousues l’auteur montre de façon un peu erratique combien Zabo a vécu dans sa chair les exactions sur ordre de la soldatesque versaillaise qui n’a pas hésité à passer par la baïonnette femmes et enfants. Perdant le même jour son mari et son bébé, la jeune femme se voit déportée en compagnie de Louise Michel après de nombreux mois en détention chez les bonnes sœurs. Ayant perdu le gout de vivre, il lui faudra tout le soutien de cette figure historique, toute l’humanité de ses sœurs de combat et tout l’amour de Lukaz qui viendra la sauver aux antipodes après l’amnistie générale. On découvre ainsi une longue chronique de cet enfermement, des débats philosophique de haut niveau des déportés, comme la réalité des colonies où vaincus algériens rencontrent vaincus parisiens.
D’un construction étrange, cet album nous touche surtout sur les séquences « récentes » autour du duo Clara/Klervi, l’auteur reformant son duo de toujours, la blonde et la brune, dans un amour des femmes qui semblent les seules capables de dépasser l’animalité du genre humain. Cherchant à boucler la boucle de sa saga, il retourne en Bretagne, pays qu’il connaît si bien, dont il aime tant dessiner les landes (tellement qu’il confond par moments les paysages calédoniens et ceux de sa terre d’adoption), dans une fort réussie pirouette où l’amour (simple) triomphe. Un optimisme après tant d’horreurs, qui fait de cette conclusion une semi-réussite qui ne comblera pas l’incertitude de cette seconde époque où Bourgeon aura dessiné au gré du vent sans toujours de ligne directrice semble t’il, mais toujours avec une immense science de la BD. Les passagers du vent s’achèvent donc en demi-teinte, en constatant qu’ils auraient pu en rester à la vie d’Isa mais qu’il aurait été dommage de se priver de la vision de ce maître sur une période fondatrice de notre histoire républicaine que tout un chacun devrait prendre le temps d’étudier.