*****·East & West·Manga·Nouveau !·Service Presse

#DRCL, midnight children #1 & 2

Manga de Shin’ichi Sakamoto
 Ki-oon (2024) –  246p. nb& couleur. Série en cours, 2/4 volumes parus.

Merci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.

Lorsque le navire russe Demeter s’échoue dans le petit port de Whitby l’effrontée Mina Murray et ses camarades de l’aristocratie anglaise assistent à des évènements inexplicables. Une force maléfique s’est échappée du navire…

Shin’ichi Sakamoto (invité au dernier festival d’Angoulême) est l’un des auteurs majeurs du manga et étonnamment méconnu. Son traitement sans concession de ses sujets, la violence graphique et l’onirisme permanent avec lequel il construit ses histoires n’y sont sans doute pas pour rien. Pourtant, depuis la magnifique saga Ascension sur l’alpinisme puis sur les deux cycles d’Innocent traitant de la famille du dernier bourreau de l’Ancien Régime, l’auteur a marqué son style et impressionné le lectorat et les critiques. C’est peu de dire que son retour était énormément attendu… et ne déçoit pas!

Adaptant librement le roman Dracula de Bram Stoker (en reprenant la chronologie générale et les noms des personnages), Sakamoto surprend tout d’abord par son retour à un dessin plus naturel, certains abus de techniques numériques sur Innocent, si impressionnantes qu’elles soient, avaient pu déranger. Sur les deux premiers tomes de DRCL l’auteur montre avec flamboyance l’immensité de sa technique graphique et de son univers visuel. Après une introduction totalement horrifique nous montrant l’arrivée cataclysmique du démon sur le navire Demeter, le manga bascule dans la brillance d’une école pour fils de nobles de l’Angleterre victorienne avant de rapidement basculer dans la fantaisie visuelle qu’on lui connait lorsqu’il s’agit de mettre en interaction la magie noire de Dracula face au rationalisme de nos « enfants de minuit », un groupe de jeunes gens aux relations complexes.

Dès les premiers chapitres nous voyons apparaitre les figures connues, Mina, Lucy, l’affidé Renfield et bien sur le professeur Van Helsing qui va mener la chasse. Pour ceux qui connaissent le travail de Sakamoto le brouillage de l’identité sexuelle revient ici avec un Renfield transformé en bonne sœur et une Lucy androgyne dont on ne sait pas bien )à quel genre elle appartient, créant une atmosphère d’amour homosexuelle non dite dans cet environnement scolaire masculin. Ce qui titille plus c’est l’approche résolument féministe en faisant de Mina son héroïne, une roturière orpheline dont l’intelligence brillante et la détermination ont contraint les autorités de l’Ecole à l’accepter en formation. Cas particulier d’une fille dans une école de garçons, d’une fille de peu dans l’aristocratie et d’une redoutable combattante utilisant des techniques traditionnelles qui lui serviront dans son combat contre le Mal. Avec des interactions encore conflictuelles autour de la figure de Lucy, première victime de Dracula, nous n’avons pas encore le groupe de chasseurs de démons (les midnight children du titre) que l’on imagine se former autour de Van Helsing, mais après une introduction rapide et réussie toutes les cases sont en place pour nous proposer une superbe aventure gothique et d’action.

La thématique victorienne portant ses injustices sexuelles et sociales est une véritable passion au Japon et on n’est pas surpris de trouver un nouveau manga se rattachant à ces sujets. Mais dès son ouverture Sakamoto dérange, intrigue dans les relations de ses personnages. Avec la radicalité qu’on lui connait, il explose graphiquement aux multiples apparitions du Comte en enivrant nos rétines de planches absolument somptueuses. On imagine une grosse équipe d’assistants pour lécher ainsi des planches d’une finesse sidérante, ce qui ne retire en rien la qualité du travail de l’auteur.

Pour les non initiés il faudra s’habituer à une narration hachée avec de multiples sauts temporels et des effets visuels qui perturbent nos repères de lecture, ne sachant jamais si nous avons affaire à une allégorie ou à un évènement surnaturel en compagnie des personnages. Le thème fantastique peut rendre cette approche plus compliquée que sur ses sujets réalistes précédents mais s’insère parfaitement dans une atmosphère incertaine recherchée.

Si l’on peut regretter (comme à chaque publication de Sakamoto) le choix d’un format classique pour un auteur qui exige de larges pages (je note que l’édition anglophone est habillée d’une couverture reliée, ce qui aurait été une excellente idée à reprendre de Ki-oon…), ce démarrage de #DRCL ne déçoit en rien et a tout pour attraper de nouveaux lecteurs sur un sujet archi-connu qui aidera à pénétrer l’imaginaire unique d’un maitre

**·Comics·East & West·Nouveau !

Stillwater #2-3

Comic de Chip Zdarsky, Ramon Perez et Mike Spicer (coul.)
Delcourt (2023), 152 p., 3 volumes parus.

Attention Spoilers!

Le premier tome de Stillwater avait été une excellente surprise tant graphiquement que par le parti pris hautement politique du scénariste canadien (on ne dira jamais trop que les meilleurs chroniqueurs de l’Amérique sont les cousins britanniques et canadien non soumis à l’aliénation nationaliste Etats-Unienne). Alors que le premier tome nous introduisait au concept fantastique de cette petite ville où personne ne peut mourir dans un périmètre défini, le deuxième volume démarrait alors que le siège du pouvoir autoritaire du Juge explosait littéralement et qu’une mini guerre-civile éclatait dans ce contexte si particulier: la mort ne faisant pas partie de l’équation les affrontement se trouvent à un niveau de violence sans limite! Après que soit révélé le complot ourdi de longue date par les enfants de Stillwater, qui se considèrent comme les premières victimes de la tyrannie messianique du Juge, le tome de conclusion envisage une modification inattendue de la problématique quand on trouve le moyen d’étendre la zone d’immortalité et d’y englober la ville voisine de Coldwater…

A la fermeture du troisième et dernier tome force est de constater que cette série ambitieuse est très inégale, sans doute du fait de l’écriture progressive de son intrigue. Il est étrange d’imaginer qu’un scénariste de l’expérience de Zdarsky soit parti ainsi sur un projet indé la fleur au fusil et sans idée de sa conclusion. Si intéressant que soit le pitch posé au premier tome, on sent que l’auteur n’aura pas su véritablement faire progresser son idée vers une véritable histoire et soumet son lecteur à des errements narratifs que le dessin lui aussi inégal de Ramon Perez n’aide pas à fixer. Ainsi les sauts chronologiques comme les irruptions de personnages pas toujours présentés au préalable et pas toujours évidents à distinguer, font progressivement faire perdre le fil de la lecture et l’on est très heureux quant la bande d’affreux fascistes qui régissent la ville reviennent sur les pages, histoire de cadrer un peu tout ça. Par exemple l’incursion de trois histoire de fuyards de Stillwater racontées au coin du feu casse totalement le rythme du troisième tome, de même que le récit des origines de la malédiction qui donnent sérieusement le sentiment que Chip Zdarsky puise da sa musette de trucs du parfait scénariste pour ficeler la fin de son attelage.

Alors pour ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain reconnaissons que le regard porté sur cette communauté plus ou moins représentative de l’Amérique reste intéressant et projette des échos avec le contexte immédiat dans cette crainte de l’Autre, la visée de la Destinée Manifeste et autres joyeusetés trumpistes. Mais la confirmation du pacte faustien banalise un peu plus une histoire qui voit son principal intérêt dans les conséquences pratiques de l’immortalité, comme ces adultes dans des corps d’enfant, la prison à ciel ouvert ou la pertinence et légitimité de la violence dans le pays des armes à feu…

Après un excellent premier volume on retombe donc dans de l’indé plus classique dans ses imperfections et qui ne semble pas toujours savoir où il va (problème que l’on retrouve récemment dans le Once and Futur de Kieron Gillen par exemple). Hormis les quelques plaisirs coupables dans les surgissements gores et le fun expérimental de ces personnes aux corps repoussant systématiquement, la déception est à l’aune des attentes crées par le premier volume. Un petit gâchis.

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***·BD·Jeunesse·Rapidos·Service Presse

Seuls #14: les protecteurs

BD de Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann
Dupuis (2006-2024),  46p. couleur. 3 cycle parus

L’album s’ouvre sur un résumé des épisodes précédents en format BD raconté par Terry.

Merci aux éditions Rue de sèvres pour leur confiance.

On entame sans doute le dernier cycle avec ce quatorzième album si l’on en croit l’évolution du noir sur les couvertures des tomes de clôture précédents. Le rassemblement des enfants (qui n’en sont plus vraiment!) amène d’ailleurs en toute cohérence un regroupement des forces du bien contre la dictature de Neosalem. maintenant que beaucoup d’éléments ont été révélés sur l’univers et la physique des Limbes, on imagine que l’essentiel est en place pour nous amener progressivement vers une conclusion méritée.

Pour répondre à l’interrogation que je posais sur le précédent billet, le changement d’éditeur ne change en rien l’approche semi-jeunesse de la série, principalement représentée par l’aspect graphique et par le définitivement agaçant Terry, qui paraît décidément hors-sol par rapport aux autres protagonistes et à la densité générale de la saga. Les auteurs s’offrent d’ailleurs un intéressant mouvement de recul en prenant à parti leurs lecteurs qui ont bien grandi depuis dix-huit ans en leur jetant en ouverture le langage djeun’z des nouveaux arrivés dans les Limbes, qu’ils ne comprennent plus. Sympathique clin d’œil qui montre que Vehlmann et Gazzotti ont toujours à cœur de parler à leur public.

L’intrigue plus simple de cette reprise consiste en une chasse de nos amis par le terrifiant Toussaint envoyé derrière une nouveauté: une statue animée qui chasse sans répit sa cible. De quoi faire chauffer les méninges de Leila et Dodji pour trouver la parade à cette menace. Pour le reste on retrouve ce qui fait la force de Seuls: un mélange d’action jeunesse et de construction d’univers sophistiquée et originale. Malgré des pages essentiellement tournées vers l’action on continue d’en apprendre (plutôt en mode récap’) sur la finalité de cette lutte et de faire évoluer radicalement les groupes en présence pendant que Dodji et Camille cherchent toujours à comprendre leur rôle et leurs pouvoirs. Un remarquable équilibre qui est prolongé (très grande idée!!) par deux pages de descriptif des différents groupes rencontrés jusqu’à présent et d’une synthèse de l’Espace-temps des Limbes que nous raconte Yvan sur les notes du génie Anton. Aide salutaire tant la quantité d’informations lâchées par bribes méritent ce moment de pause pour être rassemblées.

Toujours remarquable par son équilibre et par son déroulement sans véritable fausses notes, Seuls maintient nos habitudes tranquilles et une qualité rare.


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Alexandre, le verdoyant & l’Elixir de vie #1

Comic de Reimena Yee
Kinaye (2024), 208p., couleur, format broché, 1/4 tomes parus.

bsic journalismMerci aux éditions Kinaye pour leur confiance!

La jeune artiste Australo-malaisienne Reimena Yee a fait une entrée fracassante dans l’univers de la BD en 2020 avec son diptyque Le marchand de tapis de Constantinople, (traduit chez nous chez Kinaye en 2023) conte arabe où sa liberté et créativité visuelle enchantait critique et lecteurs. Surfant sur la popularité de la dessinatrice, l’éditeur sort très rapidement sa nouvelle création (parue en octobre dernier en VO) dans un écrin magnifique agrémenté d’un cahier final de making of.

N’ayant pas lu ses précédentes créations je découvre un vrai talent de designer et de composition qui agence sur un style simplifié typique de l’Animation (de Walt Disney diront certains) des effets de céramiques grecques ou d’enluminures arabes pour nous immerger dans un orient antique où le grand Alexandre s’ennuie fermement sur son trône… Annonçant vouloir adapter librement le Roman d’Alexandre, Yee choisit un voyage initiatique du héros en compagnie de son serviteur, à la recherche de la Fontaine de Jouvence. C’est l’occasion d’aventures de différentes tailles, du domptage du cheval Bucéphale par le jeune Alexandre à la rencontre des Griffons fantastiques.

En suivant l’agencement de récits sans lien chronologique (typique des gestes médiévales), l’autrice affaiblit quelque peu la lecture en brisant l’enchaînement. Cela participe à la volonté d’œcuménisme graphique, la grande force de l’album, qui enjoue en nous proposant une véritable odyssée dans l’histoire de l’art médiéval et antique, croquant certaines parties dans un style d’enluminures chevaleresque ou arabe. Le texte joue également de cette mise en abyme en brouillant dès les premières pages la légende d’Alexandre, racontée à ce dernier par celui-là même qui la fait avec le héros… Reimena Yee nous relate ainsi une légende fabriquée en direct par un servant qui emmène le grand conquérant sur le chemin de ses propres futurs/anciens exploits.

Lors des scènes plus classiques, malgré une mise en scène très travaillée de l’autrice le trait simpliste peut paraître un peu faible en regard d’autres séquences. Je tiens à préciser que, Kinaye oblige, ce récit est bien un album jeunesse et il ne faudra pas vous attendre à une grande complexité relationnelle ou narrative dans les pages de cet album, ce qui correspond du reste à l’ambiance de la source adaptée. Pourtant on peine un peu à profiter pleinement d’une histoire trop hachée pour vraiment convaincre, malgré une technique et un personnage éminemment sympathiques.

On termine ce premier tome heureux de la découverte mais un peu frustré d’avoir raté de la grande aventure classique, sans doute par soucis trop appuyé d’adapter un texte qui s’y prête peu. Il restera trois tomes pour vraiment convaincre.

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Hana et Taru, la Folie de la forêt

Récit complet de 220 pages, écrit par Léo Schilling et dessiné par Motteux. Parution chez Dargaud le 19/01/2024 dans la nouvelle collection COMBO.

How to train your (Green) Dragon

Dans l’immensité de la jungle où vivent Taru et sa tribu, il n’y a qu’une règle fondamentale: chasser ou être chassé. Toute la culture de son peuple est axée autour de cette valeur, qui garantit la survie de tous depuis des temps immémoriaux.

Cependant, depuis 3 ans, la suprématie des chasseurs est remise en question par un étrange phénomène qui perturbe l’écosystème de la forêt. Ses animaux les plus imposants, baptisés Rois de la Forêt, sont frappés par un mal mystérieux qui les rend extrêmement agressifs, et qui les pousse à ravager les villages des chasseurs.

Démunis, les plus expérimentés d’entre eux se sont lancés dans une croisade pour repousser ces titans cornus et sauver autant de vies que possible. Taru, quant à elle, est sanctionnée pour son caractère excentrique, car elle se voit confier des tâches subalternes tout en subissant les brimades de sa mère Vesa, qui incidemment est aussi la cheffe du clan.

Parmi ses différentes corvées, Taru doit veiller sur Hana, une humaine prisonnière de sa tribu, qui semble tout ignorer de la Forêt. L’amitié de Taru pour Hana, conjuguée à la nécessité de sauver son peuple, va pousser la jeune femme à rompre les rangs pour percer le mystère de la Folie de la Forêt, avant que Vesa ne provoque un massacre.

Pour lancer son nouveau label Combo, Dargaud opte pour une histoire en apparence originale, mais qui emprunte en réalité l’essentiel de son ossature à des oeuvres familières. La protagoniste marginalisée car pas en phase avec sa culture d’origine nous fait par exemple penser à Harold, le héros de Dragons, qui, exactement comme Taru, cherche une solution moins violente au problème rencontré par son village, à ceci près que Hana & Taru remplace les dragons par les Rois de la Forêt, sortes de croisements entre castors et buffles géants.

Tout comme Harold, Taru vit dans une famille monoparentale, menée par un parent guerrier qui valorise la force, le courage et la loyauté aveugle, plutôt que l’intelligence et la pensée originale. Et bien évidemment, le paradigme est le même puisque les créatures qui attaquent les deux villages ne sont pas foncièrement maléfiques, mais sont en réalité victimes d’un mal bien plus dangereux et pernicieux, auquel il faut s’attaquer pour retrouver l’équilibre de l’écosystème.

Hana et Taru va même jusqu’à reprendre l’idée de l’Amitié Clandestine entre Harold et Croque-Mou, pour forger une alliance indéfectible entre ses deutéragonistes éponymes. Sur cette base déjà-vue, les auteurs construisent malgré tout un univers vaste et intéressant, mais qui là aussi est susceptible de nous rappeler des parangons du genre, comme Avatar, par exemple.

L’intrigue en elle-même comporte des failles qu’il nous est difficile d’expliquer une fois l’album refermé.

[ATTENTION, SPOILERS POTENTIELS]

En effet, il est dit durant l’exposition que les Rois de la Forêt sont les maîtres paisibles et incontestés de la Forêt, dont la seule aura permet d’apaiser les autres animaux et ainsi de maintenir l’équilibre. Ils sont donc supposés être bien connus du peuple de Taru, qui est naturellement surpris lorsque ces géants pacifiques deviennent fous et rasent des villages entiers à certaines périodes de l’année. Cependant, en trois ans de carnages, aucun des anciens, ni aucun des chasseurs, Vesa la première, ne semble se rappeler, ni même être au courant, des cycles de migrations des Rois de la Forêt, information qui se révèle être la clé du mystère. Donc, si l’on comprend bien, durant des milliers d’années, le peuple de la forêt cohabite pacifiquement avec les Rois, qui migrent donc normalement à la saison chaude pour revenir ensuite, jusqu’à ce que leur route privilégiée vers la montagne soit obstruée. Là, ils sont pris d’un mal qui les rend aggressifs, puisqu’ils ne supportent pas de passer la saison chaude dans la Forêt, ce qui est logique. Ce qui l’est moins en revanche, c’est que personne, hormis notre duo d’héroïnes, n’ait remarqué la fin des migrations et ne se soit penché sur la question trois années durant.

Cette erreur d’écriture fait passer notre peuple de chasseurs-guerriers pour des imbéciles, qui ne sont pas aussi en phase avec la nature que le laissent supposer leurs habitations arboricoles.

[FIN DES SPOILERS]

Ce léger point de crispation est contrebalancé par la performance graphique de Motteux, qui signe ici un premier album stupéfiant de maîtrise. Ses décors sont magnifiques et l’action est servie par une mise en scène un peu sage mais très efficace, ce qui en fait un auteur à suivre, sans conteste.

On met trois Calvin, pour l’intrigue pas si originale et dont le coeur repose sur un léger paralogisme. Mais nous étions prêts des quatre Calvin, notamment pour le dessin de Motteux, que l’on a hâte de revoir.

***·BD·Nouveau !·Service Presse

La maison Usher

BD de Jean Dufaux et Jaime Calderon
Delcourt (2023), 54 p., One-shot.

Album grand format avec dos toilé, titre gaufré et la nouvelle d’Edgar Poe en fin d’album.

bsic journalismMerci aux éditions Delcourt pour leur fidélité.

La Chute de la Maison Usher est une des nouvelles les plus célèbres de l’immense Edgar Poe, qui a inspiré nombre d’œuvres musicales, cinématographiques ou BD. Netflix vient de diffuser la première saison d’une variation audiovisuelle et au moins trois autres adaptations BD sont déjà parues avant cette originale version de Jean Dufaux.

L’originalité de ce one-shot est d’élargir librement l’histoire du personnage principal en imaginant une classique fuite devant un créancier violent. Le surgissement surnaturel d’un fiacre semblant sorti des Enfers permet à Damon Price, cousin du riche Rodrick Usher (son ami d’enfance dans la novelle) d’échapper à un assassinat et de découvrir la fameuse maison qui donne son titre au récit et fait office de personnages à part entière. Cet ajout permet d’installer une atmosphère vénéneuse et de caractériser cet antihéros qui abuse de l’amour d’une belle prostituée et de multiplier les antagonistes redoutables de violence avant de confronter le personnage à la maison et son propriétaire. Dufaux fait également œuvre de facétie en insérant Edgar Poe dans le récit avec une mise en Abîme intellectuellement très attrayante où l’auteur raconte au personnage son propre récit…

Les planches de Jaume Calderon (qui spécialisait jusqu’ici sa redoutable technique sur des récits historiques) nous plongent immédiatement dans une ambiance que ne renierait pas Tim Burton, où les grandes cités de la côte Est ne sont encore que des bourgades aux maisons de bois et aux ruelles tortueuses et où les brumes de la campagne n’attendent plus que de laisser émerger esprits et non-morts… La violence du récit de Jean Dufaux est sèche et le scénariste ne laisse que peu de possibilité de compassion pour son personnage qui va se retrouver

(un peu facilement) dans les griffes d’Usher. S’agissant d’un conte noir le lecteur n’attend pas tant de la vraisemblance que de l’immersion et en la matière le projet est tout à fait réussi. Ainsi lorsque le maître des lieux nous conte le destin tragique de sa sœur entre chandeliers gothiques et qu’il promène son invité dans les marais environnants on n’est guère surpris de voir surgir des forces surnaturelles aussi normales à cet emplacement que le cocher aveugle qui a sauvé Price ou la maison dont les portraits semblent vivants. Dans ce type de récit le personnage n’est qu’un focus à une narration linéaire. Pour une adaptation d’un classique on peut dire que les auteurs réussissent à nous surprendre, ce qui était une gageure.

Avec des planches somptueuses, un texte inspiré et une action qui évite de limiter le projet à de la seule horreur gothique, Dufaux et Calderon nous proposent avec ce one-shot une élégante proposition fantastique qui sait enrichir le matériau d’origine et, cerise sur le gâteau, permet de lire le texte de Poe présent en fin d’album et lui comparer l’adaptation. On a trouvé pire comme découverte d’un texte célèbre.

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Notre-Dame de Paris

BD de George Bess
Glénat (2023), 208 p., One-shot.

Comme pour les précédents « classiques » de Bess chez Glénat, l’éditeur propose l’album en deux version, l’habituelle à couverture noire et la « prestige » grand format dotée d’une couverture couleur.

bsic journalismMerci aux éditions Glénat pour leur fidélité.

En cette fin d’année nous sommes servis en adaptations de grands classiques du roman moyen-ageux après le Nom de la Rose de Manara. Désormais spécialiste des adaptations littéraires, Geoges Bess débarque cette fois au XIX° siècle sur le plus connu des romans de Victor Hugo, reprenant la maquette d’édition de Dracula et Frankenstein. Le projet était aventureux, comme pour Dracula, tant le récit a été mille fois proposé, jusqu’à s’éloigner du cœur du texte. Et ce sera la principale qualité de cette belle version qui s’étale sur XXII chapitres (contre une cinquantaine dans l’œuvre originale) que de rester étroitement proche du récit initial en nous rappelant l’immense modernité de Victor Hugo qui pointe la pesanteur des traditions (d’en haut comme d’en bas) et le drame des passions humaines.

Esmeralda apparaît comme la candeur, plus que la beauté, qui aspire à une vie simple et victime de la jalousie maladive d’un puissant, l’abbé Frolo. Souvent ramenée à l’amour (fraternel) de la belle et la bête, cette histoire est à l’origine plus celle de la bohémienne et de l’abbé au sein d’une société d’injustice où les gueux ne sont guère plus éclairés que les puissants. Multipliant les protagonistes en refusant la linéarité comme dans toutes ses œuvres, Hugo aborde la complexité des passions, des hasards et des drames humains et la BD permet par la concision du format d’éviter les longues digressions qui rendent parfois le texte exigeant. En lisant cet album on se rappelle combien ce ré&cit est la matrice d’une infinité de grandes séries BD telles Sambre ou le Roy des Ribauds par exemple.

La version de Bess est peu une BD, le dessinateur déroulant son récit essentiellement par des cartouches narratifs entrecoupés par quelques scènes fortes de véritable BD. Graphiquement, si la première moitié se hisse au niveau de précision de Dracula, tant dans les décors, les éléments décoratifs qui font le sel des planches de Georges Bess, on sent sur la fin que la charge de travail sur une telle pagination l’a poussé à l’économie, multipliant les fonds vides et certains décores à peine encrés. Le choix de textures de niveau de gris permet de densifier les cases et le jeu de lumières dans une Cité qui est un personnage à part entière de l’histoire.

Le rendu global est une lecture très plaisante, immersive qui prend une partie du talent de Victor Hugo embelli par un graphisme de haut niveau et quelques sublimes pages. La grosse pagination augmente le risque de dessins inégaux mais on ne pourra constater que l’auteur maintient une générosité générale et une passion pour ce texte évidentes. Une excellente occasion de lire ou relire ce chef d’œuvre du patrimoine littéraire français et d’ajouter un nouveau joyau à la collection d’adaptations de Georges Bess. En attendant avec impatience de connaître le prochain choix qu’il nous livrera…

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Vermines #1

Premier tome de 76 pages, de la série écrite par Mathieu Salvia, et dessinée par Johann Corgié. Parution le 21/04/2023 aux éditions Dupuis.

Ils sont fous dans le Bayou

Marcus Garner est un gangster sans scrupule, comme il en pullule malheureusement dans les rues de la Nouvelle-Orléans. Devenu membre éminent des Third Ward grâce à sa détermination, il exécute les basses besognes et organise les expéditions punitives aux quatre coins de la ville afin de défendre farouchement le territoire du gang.

Hélàs, la vie de gangster étant ce qu’elle est, Marcus a tôt fait de récolter le revers de sa médaille. Après avoir rendu visite à son frère musicien, Marcus est abattu par les membres d’un nouveau gang qu’il s’évertuait à combattre. Une mort classique pour un gangster, me direz-vous, voire glorieuse pour ses frères d’armes, qui le considèreraient comme tombé au champ d’honneur.

Cependant, le destin de Marcus prend une tournure tout à fait étrange lorsqu’il se réveille, presque nu, dans une batisse abandonnée, enchaîné à un vieux radiateur. Le jeune gangster découvre alors une vérité inconnue de l’ensemble de la population. Depuis plusieurs millénaires, la réalité est divisée en deux parties, qui sont séparées mais pas imperméables pour autant. Et par un phénomène encore inexpliqué, Marcus est mort dans sa réalité, mais subsiste encore dans l’autre.

Secouru par Grey, une créature artificielle que l’on nomme Vermine, Marcus apprend que son assassinat est lié à un complot beaucoup plus vaste qui pourrait ébranler le status quo. Seulement, voilà, rien ne pourrait moins ébranler Marcus que le sort du monde. Ce qu’il veut, lui, c’est retrouver sa vie d’avant.

On connaissait Mathieu Salvia pour la série Croquemitaines il y a quelques années. Il est récemment revenu avec In Memoriam, toujours chez Dupuis, et enfonce le clou avec une seconde série qui semble avoir des points communs avec la première, sans pour autant que l’on puisse parler d’univers partagé à ce stade.

Tout comme In Memoriam, on doit soulever que le style tranche avec la ligne éditoriale classique de l’éditeur, ce qui est plutôt bon signe puisque cela peut être perçu comme une volonté de moderniser le catalogue en lorgnant de plus près vers le style comics.

Là où IM pouvait montrer ses limites avec une protagoniste manquant de sympathie ou d’accroche, Vermines parvient assez paradoxalement à nous investir dans le devenir de son anti-héros (voire méchant-protagoniste), grâce à une écriture habile et un rythme dynamique. Concernant l’histoire en elle-même, elle emprunte aux codes de l’urban fantasy et exploite le thème du « Monde Caché« , comme nous le détaillions dans la chronique de L’Agent.

C’est également sur le plan graphique que Vermines se démarque, grâce au talent de Yohann Corgié, à qui il était grand temps que quelqu’un confie un récit dynamique à illustrer. On retient notamment le design de ses créatures ainsi que la qualité de sa mise en scène, qui emprunte notamment aux comics.

En résumé, une belle découverte, vivement conseillée aux amateurs de fantastique, de monstres et d’action.

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Le dernier jour de Howard Philips Lovecraft

BD de Romuald Giulivo et Jakub Rebelka
404 comics (2023), 107p.,  one-shot.

Edition luxueuse avec dos toilé, titre en dorure, papier épais, cahier graphique. Un Calvin pour l’édition.

Howard Philips Lovecraft est à l’Hôpital. Il est malade. Très malade. Il reçoit la visite d’un journaliste qui semble bien connaître sa vie. Soumis à des visions tout droit sorties de ses histoires, l’auteur médiocre et dépressif entame un voyage entre ses imaginaires et sa propre vie, une odyssée hallucinée en compagnie de ses amis passés et futurs. Son dernier jour est un Requiem en l’honneur de celui qui fut un petit homme mais devint un immense fondateur.

Le projet mit du temps à accoucher. Écriture ciselée, recherchée, documentée, dessin d’orfèvre du dessinateur polonais, fabrication minutieuse, ce Dernier jour de HP Lovecraft a tout du projet fou et du cadeau de Noël pour tout amateur d’imaginaire fantastique. Car c’est bien un hommage magnifique que cet album, un hommage à celui qui inventa le fantastique moderne, à la suite de Edgard Poe et avant Stephen King et autres Alan Moore. Outre sa création d’un Mythe imaginaire cohérent, le confiné de Providence créa artistiquement la quasi-totalité des dessinateurs de BD fantastiques actuels, matrice esthétique et imaginaire indépassable.

L’album est néanmoins bien une BD très joliment narrée en forme de reprise de l’Enfer de Dante voyant des guides mener Lovecraft à travers sa propre histoire, rencontrant de vrais personnes (le magicien Houdini), ses créations (Nyarlathotep), sa femme ou ses successeurs. Alors que l’on s’attendait à une nouvelle immersion dans le Mythe de Cthulhu, c’est une quasi-biographie fantastique que nous propose Romuald Giulivo en mêlant fiction et réalité dans la cheminement d’un pauvre hère délirant sur son lit d’hôpital. On découvre ainsi la pauvre vie tragique d’un enfant soumis au contrôle aliénant de sa mère et incapable de s’en extraire toute sa vie durant. On rencontre sa femme avec qui il n’a vécu que quelques mois à New-York, sans doute dans une tentative de jeunesse de sauver son âme de la domination familiale. En vain. On nous parle d’Auguste Derleth, celui qui constitua à titre posthume le Mythe de Cthulhu proprement dit… Alternant lettres écrites d’une calligraphie très élégante (et qu’on imagine manuscrite de l’auteur ou de l’éditeur, chose rare) et accompagnement des planches d’une immense variété et créativité de Jakub Rebelka, la cohérence de l’ensemble est remarquable.

Ce n’est pas faire injure à la très grande qualité du projet et des textes de Romuald Giulivo que de rappeler que l’intérêt majeur de cet album reste le travail impressionnant du dessinateur polonais. Sachant être figuratif ou onirique quand il faut, celui que j’avais beaucoup apprécié sur La cité des chiens, prend une ampleur encore plus importante par l’apport de la couleur. Ce que l’on perd dans le travail d’encrage on le gagne dans les formes organiques et les textures. Rebelka semble né pour illustrer Lovecraft et comme pour tous les grands auteurs on lui accorde volontiers le temps nécessaire entre deux créations.

Enfin, Dahaka en parle souvent sur ses chroniques de leurs albums, 404 comics constitue album après albums un sacré catalogue qui rivalise clairement avec les grands éditeurs par un choix qualitatif tant dans l’artistique que dans la fabrication de livres d’orfèvrerie. Heureusement nous serons gâtés dès l’an prochain avec un Judas qui s’annonce somptueux!

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Apparition dans le ciel de Berlin-Est

Récit complet en 136 pages, écrit par Jeff Loveness et dessiné par Lisandro Estherren. Parution chez 404 Comics le 08/06/2023 (Boom! studios 2019).

Guerre Très Très Froide

Berlin-Est, en 1973, ce n’est pas la joie. Partagée entre les deux blocs vainqueurs de la guerre, la capitale allemande est un nid d’espions, qui jouent tous avec la vérité, soit pour en faire une arme au service de leur propagande, soit pour se draper derrière des mensonges supposés garantir leur couverture.

Herring est de ceux-là. Cet agent américain est infiltré dans la Stasi, avec pour mission la déstabilisation et la disruption du régime communiste. Tandis qu’une mission d’exfiltration à travers le Mur tourne au fiasco, Herring, tout comme des centaines de berlinois, est témoin d’un phénomène exceptionnel, sous la forme d’une trainée lumineuse fendant le ciel, suivie d’un crash.

Alors que sa couverture est en danger, une nouvelle mission est assignée à Herring. Il doit désormais infiltrer un bunker soviétique, dans lequel serait détenue la chose qui s’est écrasée la veille, afin d’en déterminer la nature et le niveau de menace qu’elle représente pour le bloc Ouest. Ce que Herring va découvrir dépassera son entendement, surtout lorsque les portes du bunker se refermeront. Lorsqu’on est un espion drapé dans les mensonges et les faux-semblants, que faire face à une entité extraterrestre capable de lire les pensées et révéler à chacun sa Vérité ?

Apparition dans le ciel de Berlin-Est est un récit déroutant. En premier lieu, le titre suggère une chasse aux ovnis dans une ambiance de guerre froide sauce seventies. Si le premier acte est susceptible de se conformer aux poncifs du genre, la suite bascule bien vite dans le huis-clos paranoïaque façon The Thing, avec un ET capable de prendre possession de n’importe qui, de telle sorte que des espions, imposteurs et menteurs par nature, auraient eu à débusquer un autre imposteur.

Cependant, l’histoire bifurque une seconde fois, sans exploiter les prémisses mises en place. L’auteur Jeff Loveness privilégie en effet l’exploration psychologique de son personnage principal, son lien avec la Vérité et le mensonge, plutôt que de capitaliser sur l’ambiance et le contexte fertiles de son scénario. L’intérêt de l’album tient donc à la mise en abîme du thème principal, la Vérité, avec des problématiques contemporaines liées au galvaudage même de ce concept dans nos sociétés modernes (manipulation massive de l’information, fake news, avènement de l’IA et du deepfake…).

La mise en scène reste aussi léchée que subtile, marquée par le minimalisme et aidée par les monologues intérieurs du héros, qui illustrent adroitement le thème principal. L’autre atout majeur de l’album est bien évidemment le dessin de Lisandro Estherren, qui offre pas moins de 136 pages qui vont de l’impeccable au sublime. Mouvements, cadrages, composition des planches et texture, le dessinateur montre un talent incroyable, soutenu par les sublimes couleurs en aquarelle de Patricio Delpeche.

Malgré un scénario qui donne l’impression de survoler sa thématique sans parvenir à s’approprier un genre, Apparition dans le ciel de Berlin-Est s’avère être un ovni séquentiel servi par la maestria de son dessin et de sa mise en scène. Et encore une fois, 404 Comics réalise un travail éditorial au cordeau en créant un très beau livre.