Récit complet en 64 pages, écrit par Isabelle Bauthian et dessiné par Nicoletta Migaldi. Sortie le 02/05/24 chez Drakoo.
Merci aux éditions Drakoo pour leur confiance.
La Bête et le Beau
Dans un monde de nuages où la magie mêle science et sentiments, des nefs volantes évoluent entre paisibles cumulus et terribles orages. Au sol, la monarchie a été renversée et ses fidèles, transformés en monstres bestiaux évoluant dans un univers tribal aux mains des plus ambitieux. Opportune, pirate des cieux, traque Épigone, ancien officier dont la transformation en bête n’a fait qu’attiser la soif de vengeance.
Mais Opportune sait que seul le baiser d’une personne l’aimant sincèrement rendra à Épigone son apparence humaine. Tandis que, sur leurs bateaux, l’on complote et l’on se déchire, se noue entre la Bête et sa Belle geôlière une étrange relation…
Isabelle Bauthian n’en est pas à sa première publication chez Drakoo. En début d’année, elle nous avait déjà entraînés dans un monde où les personnages pouvaient se voir transformés en animaux anthropomorphes, sur fond de magie empathique et plus tôt elle avait proposé un surprenant diptyque aux personnages forts.
Elle reprend donc ici ces ingrédients qui lui semblent chers, pour concocter un récit qui, selon toute vraisemblance, reprend la structure du conte de la Belle et la Bête, en inversant les rôles et les attributs.
Il y a quelques temps de ça, nous avions déjà évoqué la structure quasi universelle qui sous-tend ce conte, notamment par la façon dont il dicte aux jeunes femmes la façon dont elles étaient supposées se comporter et sur les critères recherchés dans la sélection d’un partenaire.
Ainsi, Belle, ou en tous cas sa version classique, est une jeune femme réservée et introvertie, loyale à son vieux père, qui va rencontrer un Prince (soit un homme de haut statut affichant une abondance de ressources) dont la nature arrogante a littéralement pris forme sur lui, et dont elle sera le catalyseur de la rédemption grâce au pouvoir transcendant et transformateur de l’amour.
Dans Opportune, l’héroïne est donc tout l’inverse, soit bravache, aventureuse, indomptable et loyale seulement envers elle-même. Révolutionnaire, elle porte en horreur les valeurs patriarcales et dominatrices de la monarchie, ne prospérant que dans le chaos qui a succédé à la Révolution.
Loin de son homologue classique, Épigone semble être un personnage romantique dans le sens littéraire du terme, acquis à une cause perdue et porté par des valeurs désuètes.
Le premier écueil dans lequel s’engouffre l’autrice, est celui de délaisser la dynamique de geôlier-captive, qu’elle n’inverse pas puisqu’à aucun moment la Bête n’est prisonnière de la Belle, tout au plus sont-ils contraints de s’entraider car perdus dans un territoire hostile.
L’autrice préfère utiliser cette nomenclature pas-si inversée pour explorer les thèmes de l’admiration, du désir et de l’amour, et la façon dont ces trois sentiments peuvent se mélanger ou se confondre.
Le second écueil concerne le worldbuilding, surtout au regard de la façon imprécise dont est traitée la magie. L’idée d’une monde de piraterie aérien était également fort alléchant mais hormis une double page expliquant le contexte on sent que le décorum n’intéresse pas tellement les auteurs, à l’image de la dessinatrice qui propose de fort beaux personnages bien enluminés mais abandonne complètement son arrière-plan. Le contexte politique est mieux développé, mais la fin, si elle conclut bien l’intrigue, n’est pas aussi satisfaisante qu’elle aurait pu l’être, car elle ne répond que partiellement au questionnement dramatique et aux enjeux posés au début de l’histoire.
En revanche, il faut reconnaitre à Isabelle Bauthian un talent certain pour l’écriture des dialogues, dont l’éloquence réussit à masquer les faiblesses d’un scénario aux étonnantes ellipses qui semblent vouloir éviter toute action continue. On se retrouve ainsi dans une inégale lecture dont les joutes verbales maintiennent un intérêt que la structure générale ne porte pas. Un rendez-vous manqué plein de promesses peu tenues…