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Arsène Lupin contre Sherlock Holmes 2/2

Second volume du diptyque écrit par Jérôme Félix et dessiné par Alain Janolle. Parution chez Grand Angle le 31 mai 2023.

Ça va te coûter Sherlock

Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur, et Sherlock Holmes, le plus grand détective du monde, se livrent depuis des années une guerre sans merci. Leur rivalité a culminé lors d’une nuit décisive durant laquelle Holmes, déterminé à appréhender le seul homme capable de le surpasser, tua par accident Raymonde, l’épouse de Lupin.

Quelques années plus tard, alors que le détective de Baker Street s’est retiré du monde, Lupin met de côté ses cambriolages pour percer le secret d’un vieil alchimiste, qui avant de mourir, aurait découvert le secret de la transmutation du plomb en or. L’as du déguisement se fait alors passer pour un Holmes sous couverture pour mener son enquête auprès des deux filles de l’alchimiste, sans ignorer toutefois que ce secret va attirer bien des convoitises, sans compter sur la revanche de Holmes lui-même.

Après quelques aléas de caractérisation dans le premier volume, les deux légendes sont de retour dans la conclusion du duel. Cette fois moins de fausses notes, l’auteur se concentrant sur la rivalité entre les deux adversaires et sur leurs motivations. La conclusion de l’enquête s’avère assez satisfaisante, de même que la fin de l’affrontement entre Holmes et Lupin, qui contient son lot d’émotion et une belle leçon sur le prix de la rancune.

Dans la continuité du précédent volume, et pris dans son ensemble le diptyque affiche une bonne qualité et se lit agréablement, ce qui va en faveur d’un 3 Calvin.

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Plastok #1: L’empoisonnement

Premier tome de 72 planches de la série co-écrite par Maud Michel et Nicolas Signarbieux, dessinée par Nicolas Signabieux. Parution aux éditions Glénat le 15/02/2023.

Le plastique c’est fantastique

C’est bien connu, le genre humain tire sa prévalence et sa longévité d’une confiance-en-soi absolue. « Après nous, le Déluge ! » affirmaient justement deux de nos références en terme d’absolutisme. Et bien, non, figurez-vous que ce bon vieux Louis XV et Madame de Pompadour avaient tort. Après nous, le Plastique !

Longtemps après la mort du dernier représentant du genre Homo, subsisteront sur Terre une trace de notre passage. Je ne parle pas ici des bâtiments, des routes, ou des centrales nucléaires, mais d’une matière en apparence plus anodine, qui pourtant restera le seul témoignage de notre passage: le Plastok.

Le Plastok, c’est le nom donné à la matière divine, du point de vue des insectes qui ont survécu à la catastrophe qui a balayé le genre humain. Pour eux, les humains étaient des « dieux géants », aux motivations obscures. Autour de ces figures terrifiantes, une religion est née parmi les insectes, la « foi humanos », qui s’articule autour d’une prophétie messianique. Le ministère du culte est géré par une grande prétresse, sélectionnée parmi les coccinelles. Anasta CXV, la Grande prestresse actuelle, est vieillissante et sur le point de désigner celle qui lui succèdera parmi ses étudiantes. Bug, quant à lui, se contente de servir Anasta, considérant sa condition de puceron. Mais son quotidien servile sera bouleversé lorsque, au moment d’annoncer son successeur, Anasta est empoisonnée. Bug est accusé, et toutes les preuves sont contre lui. Comment s’en sortira le jeune puceron ? Et plus important, que fera-t-il du secret que lui a confié Anasta avant de succomber ?

Plastok nous plonge dans un univers d’insectes anthopomorphisés, comme le faisaient Fourmiz et 1001 Pattes. Utiliser des animaux anthropomorphes dans un récit est, par nature, un façon de se distancier des travers humains et de les dénoncer. Des Fables de La Fontaine à la Ferme des Animaux, en passant par les films d’animation susmentionnés, prêter des caractéristiques humaines et des défauts à des bêtes a toujours permis de s’en moquer. Dans cet album, les auteurs utilisent des thématiques écologiques et renversent les perspectives pour traiter de la ferveur religieuse et des intrigues qu’elle a générées au cours de notre histoire.

Il est intéressant d’ajouter à cette thématique un soupçon d’horreur cosmique, en commençant par déplacer le curseur. Si dans les histoires de Lovecraft, l’humain est peu de choses face à des créatures géantes issues des profondeurs du cosmos dont il ne peut saisir la magnitude ni les motivations, que représente alors l’humain pour des créatures minuscules, dont la compréhension du monde est si différente de la notre ?

Bien évidemment, ce premier tome ne peut s’éloigner de sa prémisse, car qui dit insectes dit également société hiérarchisée et division des tâches, ce qui, dans le cadre d’un récit contenant nécessairement un arc narratif pour son protagoniste, amène obligatoirement l’idée de déterminisme et de destinée (peut-on déroger à notre place dans le collectif ? peut-on s’élever dans la société en franchissant les barrières ?).

Le déroulé de l’ensemble reste classique et calqué sur les modèles du récit d’aventures, ainsi que celui du « héros injustement accusé qui doit s’innocenter ». On passe donc par la case « évasion spectaculaire », puis « rencontre avec un allié inattendu » et ainsi de suite.

Malgré cet aspect classique, le pitch est suffisamment intéressant pour donner envie de lire la suite, pour voir les secrets de ce monde révélés et le personnage principal sortir de son cocon, sans mauvais jeu de mot.

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Harpoon

Histoire complète de Roc Espinet, parue aux éditions Spaceman Project le 21/10/2022.

Hardcore Vaïana

Pour autant que l’on sache, l’Île de Loimata est la seule terre émergée sur laquelle la vie peut prospérer. C’est du moins ce que pensent Litha et son peuple, insulaires dont les ancêtres ont survécu à un grand cataclysme qui a rasé une partie de l’île. Aujourd’hui, alors que Loimata porte encore les stigmates de cette catastrophe, un îlot en son sein demeure nappé dans un brouillard méphitique nommé le Funeste, frappé du tabou par les anciens. Son évocation et son exploration sont proscrites, car il se dit qu’une arme ancienne, puissante et maléfique, la Corne de Nicro, s’y trouverait encore, attendant de provoquer un nouveau cataclysme.

Litha quant à elle, est une farouche guerrière, élevée à la dure par une mère intransigeante pour être la meilleure, la plus impitoyable. Les sentiments n’ont pas eu de place dans sa vie, qu’elle a consacrée au combat et à la violence, jusqu’à devenir la cheffe militaire de Loimata, malgré la mort de sa mère. Le quotidien spartiate de Litha est bouleversé lorsque Loimata se retrouve encerclée par une immense flotte de bateaux, qui forment un blocus menaçant comme personne n’en a jamais vu.

Alors que les habitants se demandent encore qui sont ces envahisseurs et ce qu’ils cherchent, le sang de Litha ne fait qu’un tour, la jeune guerrière s’empresse de s’embarquer pour le Funeste pour y retrouver la Corne de Nicro, avec un objectif double: soustraire l’arme taboue à la convoitise des envahisseurs, et s’en servir contre eux pour protéger l’île.

Malheureusement, personne n’est jamais revenu vivant du Funeste, Litha n’est donc en rien préparée à ce qui l’attend là-bas. D’autant plus qu’utiliser cette arme représente certes une opportunité de vaincre les nouveaux ennemis, mais aussi un risque de raser la dernière moitié de Loimata.

En fiction (et aussi souvent dans la vraie vie), les menaces exigent une réponse appropriée et proportionnelle. Mais il existe aussi des situations face auxquelles le danger est si grand, qu’aucune réponse proportionnée n’existe. Il faut donc alors se tourner vers des solutions extrêmes, radicales, qui peuvent se révéler plus destructrices encore que la menace que l’on souhaite combattre. Les exemples sont nombreux, parmi lesquels le recours au Destructeur d’Oxigène dans le premier Godzilla, ou encore le voyage dans le Temps pour Avengers Endgame.

Dans Harpoon, la Corne de Nicro est l’équivalent du Destructeur d’Oxigène, car il représente à la fois la salut potentiel de Loimata et sa destruction tout aussi probable. Cet item narratif a pour effet bénéfique de confronter les personnages à de choix thématiques qui poussent l’histoire en avant, ce qui est un atout car il faut bien avouer que l’exposition (soit les 20 premières pages environ) se prend un peu les pieds dans le tapis.

L’auteur opte pour une protagoniste plutôt sombre, voire antipathique, s’éloignant du cliché de la princesse Disney que l’on pouvait voir dans Vaïana, autre récit d’aventure basé sur les cultures insulaires du Pacifique. Ce n’est qu’en se confrontant au Funeste que Litha apprendra la leçon dont elle a besoin pour retrouver un équilibre dans sa vie, faisant d’elle une héroïne à la face sombre mais au parcours intéressant. Le reste du casting n’est pas délaissé pour autant, chaque membre du groupe formé par Litha ayant un parcours défini, des sentiments et des aspirations propres, ce qui leur évite une fonction accessoire et permet de tisser un réseau de personnages dont les intéractions seront un des moteurs du récit.

L’autre moteur du récit est la redécouverte des secrets oubliés de l’île, les héros avançant littéralement dans le brouillard pour décoder les origines du tabou qui frappe leur histoire. Trahisons, rancoeurs, nous sommes donc ici face à une histoire plus sombre qu’il n’y paraîtrait à première vue. Graphiquement parlant, Roc Espinet parvient à donner corps à ses personnages ainsi qu’aux créatures du Funeste, mais on reste peut-être sur sa faim s’agissant des décors de l’île, finalement assez dépouillés (ce qui s’entend néanmoins si l’on considère le cataclysme). La palette graphique reste quant à elle sobre, ce qui colle à l’ambiance du récit mais pas nécessairement au décorum des îles du Pacifique.

Harpoon est un album plus profond et plus sombre que sa couverture ne laisse présager, un album certes couteux (30€ tout de même!) mais qui en vaudra le détour.

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Les Sauroctones #3

Troisième et dernier volume de la série écrite par Erwann Surcouf. Parution le 27/01/2023 chez Dargaud.

From zeroes to heroes

Voici la fin des aventures de Jan, Zone et Urtsi, chasseurs de monstres dans un monde post-apocalyptique, débutées en 2020 et poursuivies en 2021. Après un cataclysme non spécifié, la civilisation a du se reconstruire comme elle a pu sur les ruines de l’ancien monde. Beaucoup de savoirs et de connaissances se sont perdus dans le processus, mais il faut dire que les survivants ont aussi d’autres préoccupations, comme par exemple les bestioles géantes qui dévorent tous les malheureux qui osent croiser leur chemin.

Comme dans les mythes fondateurs, de valeureux héros se dressent contre ces prédateurs mutants, des guerriers sans peur et sans reproches (et au fort taux de mortalité) que l’on nomme des Sauroctones. Révérés dans toutes les villes où ils passent, ces chasseurs de monstres font l’objet d’un culte, avec des colporteurs qui se chargent de diffuser leurs légendes. Zone, Jan et Urtsi sont trois jeunes aspirants sauroctones, qui décident de faire équipe afin de se faire un nom dans le métier, attirés par la notoriété.

Après une entrée en matière rocambolesque durant laquelle ils ne doivent leur survie qu’à un hasardeux mélange entre chance pure et audace incertaine, les trois adolescents constatent que leur légende prend forme. Baptisée le Trio Fantastico, la troupe, qui gonfle quelque peu ses exploits, parvient tout de même à terrasser le terrifiant Tamarro, tout en gardant à l’oeil leur objectif principal, à savoir rejoindre la mythique Fusée qui les emmènera sur une lointaine et idyllique planète.

Depuis le début de la série, Erwann Surcouf nous embarque dans un univers foisonnant, empli de mutants, de bestioles féroces, de sectes post-apocalyptiques, le tout saupoudré de références à la pop-culture et d’un humour potache mais-qui-n’oublie-pas-d’être-subtil. Il faut avouer que le gros du travail de l’auteur est déjà fait, car il est parvenu à ravir l’intérêt des lecteurs grâce à ses personnages attachants, qui se débattent dans un monde où tout peut arriver.

Le seul regret que l’on peut avoir ici est que ce tome est le dernier de la série, même si l’auteur ne s’interdit rien grâce à sa fin plutôt ouverte. Tout ce qui fait le sel des Sauroctones a déjà été dit dans les deux précédentes chroniques, donc si vous avez apprécié les précédents volumes, foncez lire celui-ci !

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Furioso #2: L’Outre-Monde

Second tome du dyptique écrit par Philippe Pelaez et dessiné par Laval NG. 48 pages, parution le 05/04/23 chez Drakoo.

C’est La Geste qui compte

Dans le premier tome, nous rencontrions Garalt, qui revenait d’entre les morts façon The Crow, huit ans après avoir été tué par sa Nemesis, le chevalier Roland. Ce dernier, neveu du roi Kaarl (comprendre Charlemagne, dans la version originale), a été rendu fou par un amour non réciproque, et s’est dit que massacrer des gens serait une bonne soupape afin de soulager sa frustration.

Cela tombait plutôt bien, puisque le royaume de Kaarl était depuis de nombreuses années en conflit contre les Morts (comprendre les Maures, dans la version originale), l’armée de l’Empereur Agramant. Quelque peu décontenancé par cette impromptue résurrection, Garalt sauve de façon inopinée Angélique de Baran, celle-là même qui éconduisit Roland, et découvre qu’il a été ramené à la vie par Alcyna, une magicienne qu’il aima jadis, et dont la sœur Morgane complote sans cesse contre les hommes.

Être ressuscité c’est bien beau, seulement voilà: Garalt en aime une autre, la farouche virago Bradamante, qui lui a donné un fils qu’il n’a pas eu le temps de connaître, occis qu’il fut par Roland. Dans le premier tome, Garalt tente de se rapprocher de Bradamante en participant incognito à une joute, mais difficile de cacher son habileté au combat. Alors que la guerre s’intensifie et que l’empereur zieute de plus en plus près la capitale d’Ys, Garalt va devoir faire un choix, entre être héroïque et être SUPER héroïque.

Philippe Pelaez, auteur apprécié sur l’Etagère, achève son adaptation du poème médiéval Roland Furieux (Orlando Furioso). Comme nous l’expliquions, ce récit fait partie des classiques fondateurs du genre fantasy, mais, ayant été vampirisé au fils des décennies, par les différentes œuvres qui s’en inspirent, finit par passer en second plan en terme de référence et perd donc son statut d’œuvre originale, aux yeux de lecteurs qui pourraient ignorer la portée de l’adaptation.

Ce phénomène fait que, sur ce diptyque, Philippe Pelaez et Laval NG ne réinventent pas la roue, loin s’en faut. Toutefois, l’adaptation n’en perd pas pour autant en légitimité, grâce à des thèmes forts qui méritent encore d’être adaptés. Le principal reproche que l’on peut faire au diptyque, c’est de condenser de façon un peu trop précipitée une œuvre dense et prolifique, quitte à sacrifier certaines péripéties ou certains personnages.

On peut prendre pour exemple le personnage d’Angélique, qui demeure quand même accessoire dans l’intrigue, ou encore le personnage de Sibly, l’écuyère que Garalt prend sous son aile, qui est (métaphoriquement parlant) mise dans un bus page 12 pour ne plus reparaître ensuite. La bataille finale, qui est évoquée et préparée en début d’album, se déroule de façon quelque peu brouillon, avec une intervention héroïque de Garalt amenée abruptement et sans trop de préparation.

Même si les textes sont toujours aussi léchés et écrits avec style, il n’en demeure pas moins l’impression que l’auteur s’est un peu pris les pieds dans le tapis avec cette adaptation. Avec la multiplication des sorties, l’auteur en deviendrait-il négligent ?

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Les filles des marins perdus – Livre II

La BD!
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BD de Teresa Radice et Stefano Turconi
Glénat (2023), 123p., série en cours.

image-5Merci aux éditions Glénat pour leur confiance.

Au Pilar les destins fois se croiser des filles venues de tous horizons. Dans ce lieu de partage et d’amour il n’est pas toujours facile de se laisser aller au bonheur quand les cicatrices de la vie d’avant vous rattrapent. Tess et Cinamon vont le constater…

image-10Les deux auteurs désormais célèbres du Port des marins perdus (un classique) continuent leur série spin-off qui contrairement à ce que l’on pourrait penser n’est absolument pas une démarche commerciale mais bien une envie créative de prolonger la découverte des occupantes de leur si beau bordel! Pour ceux qui connaissent le travail des deux auteurs ce ne sera pas une surprise tant un humanisme extrêmement profond et un positivisme absolu transpirent de tout leur travail. A chaque album, qu’il soit historique, jeunesse ou plus poétique, Radice et Turconi nous ravissent par une qualité d’écriture, une esthétique immense qui ne se contente pas d’emprunter ses plans au cinéma mais démontre que le neuvième art est le plus grand en réunissant toute la finesse littéraire avec le graphisme pure.

Les filles des marins perdus tome 2 - BDfugue.comDeux histoires donc, entrecroisées mais qui auraient aussi pu donner lieu à un récit unique puisque l’histoire de Tess sur lequel commence l’album se poursuit jusqu’à la fin avec celle de Cinamon. La personnalité des filles transparaît incroyablement sous l’art intriqué du couple d’auteurs qui jouent d’un érotisme très doux, subtile et craquant.

Beaucoup plus abouti que le précédent, (indiquant d’ailleurs une tomaison III en page de titre, laissant entendre que le Port des marins perdu constitue le premier chapitre de cette saga), les planches de ces Filles atteignent une qualité artisanale folle en jouant de lumières incroyable et de couleurs dont on connait désormais la qualité. L’intrigue également dépasse la seule chronique sociale pour nous lancer dans la grande aventure d’espionnage et de chasse au trésor, tout cela dans ces cent pages sur deux histoires. C’est dire la très grande maîtrise de l’art narratif de Teresa Radice qui fait montre comme d’habitude d’une fluidité rare.

Si l’album ne nécessite pas a proprement parler d’avoir lu les précédents pour être apprécié, je ne saurais que très vivement vous conseiller de filer prendre la trilogie et de vous l’enchaîner au coin du feu avec une bonne tasse de tea et un chat sur les genoux. Quand la BD apporte tant de plaisir simple quel bonheur!

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Renaissance #5: les hybrides

Série écrite par Fred Duval, dessinée par Emem, avec Fred Blanchard au design. Parution chez Dargaud le 16/09/2022.

Fermi bien vos gueules, les aliens !

Un jour, un gars très intelligent, Enrico Fermi, a levé la tête vers l’immensité du cosmos et s’est demandé: « pourquoi n’a-t-on encore jamais eu de contact avec une civilisation extraterrestre ? » Après tout, si l’on prend en compte le nombre incommensurable d’étoiles, qui sont autant de soleils susceptibles d’abriter la vie, comment se fait-il que nous n’ayons aucun contact avec d’autres espèces intelligentes ?

En résumant grossièrement, Fermi dégage plusieurs hypothèses, toutes aussi valables les unes que les autres: soit les humains sont la seule espèce intelligente de l’Univers, soit les distances séparant les étoiles sont infranchissables, soit nous n’intéressons pas les autres civilisations susceptibles de nous contacter (je passe sur la notion du Grand Filtre, qui n’a pas grand-chose à voir avec cet article).

Et bien figurez-vous que Fermi avait tort de se faire du mouron. Les extra-terrestres existent, et ils veulent du bien à l’Humanité. Débarqués sur Terre il y a maintenant vingt ans, les agents de la mission Renaissance ont extirpé notre espèce du marasme écologique dans lequel elle s’était embourbée. Cela ne se fit pas sans mal, évidemment, mais avec pas mal d’huile de coude, Swän, Sätie, Pablö et les autres sont parvenus à un résultat presque inespéré.

Aujourd’hui, il est temps pour l’Humanité de rejoindre le Complexe, la fédération intergalactique à l’origine de la mission Renaissance. Ainsi, un groupe de volontaires est missionné pour le premier saut interstellaire, mené par Pablö. Pendant ce temps, sur Terre, Swänn est aux prises avec les membres de Sui Juris, un groupuscule terroriste dont le but est de rendre aux humains l’autonomie qu’ils ont perdue à cause de Renaissance. Sätie, quant à elle, enquête sur une hybridation illégale entre extra-terrestres et humains.

La suite du second cycle de la série de Duval et Emem continue de frapper fort. Conjuguant multiples niveaux de lecture et mise en abîme des turpitudes humaines, les auteurs continuent de capitaliser sur un concept qui, sans être nécessairement inédit, reste novateur dans son approche et son traitement. Après un premier cycle mouvementé dans lequel l’enjeu premier était la survie de l’Humanité, les héros font désormais face à de tout autres périls, qui ne tarderont pas à se matérialiser, et qui sont d’ordre politique, éthique, voir existentiel.

Inutile d’en dire davantage, Renaissance prouve encore une fois que des bases solides donnent des séries qualitatives sur le long cours.

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Arca

Histoire complète en 112 pages, écrite par Romain Benassaya, d’après son roman éponyme, et dessinée par Joan Urgell. Parution chez les Humanos, en partenariat avec les éditions Critic, le 25/01/23.

Merci aux Humanos pour leur confiance.

No way home

Comme certains le disent avec tant de tact, la Terre, tu l’aimes ou tu la quittes. Fatiguée par les ravages de l’anthropocène, la planète a fermement poussé les humains vers la sortie. En désespoir de cause, deux arches stellaires nommées ARCA I et III (ne me demandez pas où est passée la II) furent déployées, avec à l’intérieur de quoi assurer le renouveau du genre humain, sur une exoplanète baptisée la Griffe du Lion: des milliers de passagers en animation suspendue, du matériel, ainsi qu’une serre géante, gérée par des organismes issus de la bio-ingénierie, les Jardiniers, le tout pour un voyage de deux-cent ans.

A son réveil, Eric Rives comprend que quelque chose ne va pas. L’arche ne se trouve pas dans le bon système, ni à aucune cordonnée connue, d’ailleurs. Lorsque les survivants sortent du vaisseau pour explorer les alentours, ils constatent que l’arche est posée sur un sol inconnu, et qu’aucune étoile n’est visible dans le vide environnant. Tout porte à croire qu’ils sont piégés dans une structure gigantesque, dont il est impossible de définir les limites. Plus étrange encore, l’état de la serre et des Jardiniers laisse penser que l’arche est en perdition depuis bien plus que deux-cent ans…

Parmi les caractéristiques intrinsèques du genre SF, on trouve celle d’interroger le devenir du genre humain. La quête d’un nouveau foyer est donc une bonne opportunité pour explorer les limites de la résilience humaine, sa volonté de vivre et sa soif d’exploration. Ce thème offre également aux auteurs la chance de mener quelques expériences en psychologie sociale, et ainsi imaginer comment se les humains feraient société ailleurs que sur Terre, qui prendrait le leadership, comment le pouvoir serait redistribué avec des ressources limitées.

Un autre thème cher aux oeuvres de SF est le lien qui unit l’Homme à ses outils. Dans 2001 Odyssée de l’Espace, le récit nous montre l’ascension de l’Homme grâce au premier outil (l’arme en os), avant de confronter plus tard les explorateurs à un outil devenu conscient, HAL. On retrouve à peu de choses près la même dynamique dans Arca, avec les Jardiniers, conçus initialement comme de simples outils, qui évoluent et s’éveillent à la conscience.

En revanche, il y a aussi des écueils que l’on reproche à la SF, à savoir la minceur de ses personnages. Cela est généralement dû au décalage entre des enjeux grandioses, dépassant les intérêts individuels. Lorsqu’on parle d’immensité spatiale et d’avenir de l’Humanité, il est assez difficile pour l’auteur de se sentir concerné ou de se concentrer sur des destinées individuelles. Ici, pourtant, l’auteur prend garde d’incarner correctement ses personnages principaux, en tissant entre eux des liens fort qui évoluent au fil du récit et en fonction de leurs croyances propres. Entre survie élémentaire et nécessité de prendre des risques pour explorer, le scénariste place chacun de ses personnages en opposition les uns avec les autres au travers de ce thème, ce qui dynamise le récit et nous implique davantage.

L’histoire aurait pu basculer dans l’horreur cosmique chère à Lovecraft, mais la piste n’est que suggérée et jamais assumée pleinement, ce qui aurait pu donner une teinte intéressante à l’album.

Sur le plan graphique en revanche, le dessin réaliste de Joan Urgell est très travaillé, autant sur les décors que sur le design des créatures. On peut saluer l’usage des couleurs directes, qui est un choix toujours risqué à l’ère du tout-numérique.

Arca est donc une récit de SF classique mais très efficace, qui maintient le lecteur en haleine grâce au mystère qu’il entretient tout au long de son intrigue.

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Ultraman #2: Mise à l’épreuve

Suite de la série éditée par Marvel, avec Kyle Higgins et Mat Groom au scénario, Francisco Manna au dessin. Parution en France chez Panini le 21/09/22.

Grand héros, gigantesques problèmes

Au printemps dernier, nous assistions à la renaissance d’Ultraman, icône nippone de la pop culture, colosse interstellaire venu sur Terre pour la protéger des Kaijus qui veulent la boulotter. Malheureusement, à peine débarqué, Ultra est abattu par Shin Hayata, un jeune homme impétueux et zélé qui souhaitait prouver sa valeur auprès de la PSU, la Patrouille Scientifique Unie.

Afin de réparer son erreur, Shin offre à Ultra son essence et fusionne avec lui, devenant ainsi Ultraman. Le duo étrange est donc forcé de collaborer pour sauver l’Humanité d’une menace qu’elle ignore mais qui ne tardera pas à se révéler aux yeux du public. Ultra, quant à lui, se voit fortement entravé dans sa mission secondaire, qui était de retrouver son frère, venu sur Terre soixante ans plus tôt et dont il n’a plus de nouvelles.

A la fin du premier tome, Shin était contraint d’éventer le secret de l’existence des Kaijus en se transformant en plein Tokyo pour affronter une bête gigantesque. La victoire fut arrachée in extremis et eut même un prix, celui de libérer toutes les bêtes précédemment capturées par la PSU, qui étaient enfermés dans une dimension de poche à défaut de pouvoir être vaincus.

Shin, Ultra, leur amie Kiki Fuji et la PSU doivent donc oeuvrer dans un monde choqué et méfiant, qui ne croit pas davantage en ses sauveurs qu’aux Kaijus. En effet, les héros ne doivent pas seulement faire face à des hordes de monstres toujours plus puissants, ils sont aussi contraints d’affronter la défiance de la population, qui prend forme de façon radicale avec un groupuscule qui croit dur comme fer au complot malgré les preuves.

Après une remise au gout du jour efficace, Ultraman revient dans un second tome qui explore la relation entre Shin et Ultra, notamment par le biais du parallèle qui existe entre les deux héros. Le ressort le plus efficace de ce second tome reste néanmoins l’écho que font les auteurs à notre monde, en misant sur le fait que l’authenticité des attaques de Kaijus fasse l’objet de théories complotistes. Des gens qui nient l’évidence et la réalité, et soutiennent des absurdités en dépit des preuves, ça nous rappelle nécessairement les dérives actuelles, comme nous l’avons vu très récemment avec Department of Truth.

Coté action, on reste sur quelque chose de bien sage, surtout comparé à la tornade de violence proposée par Ultramega de James Harren, qui pastichait déjà le héros cosmique en adoptant le point de vue du quidam qui se fait piétiner. La série Ultraman poursuit donc son petit chemin, grâce à ses protagonistes sympathiques et ses thématiques actuelles.

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Big Under #1: Catacombes

Premier tome de 128 pages du dyptique écrite par Virgil Iscan et dessiné par Alex Nieto. Parution aux éditions 404 Comics le 26/01/2023.

En-dessous de tout

En 1774, le sol de la Rue d’Enfer à Paris s’effondre, engloutissant un pâté entier de maisons par trente mètres de fond. Cette tragédie conduit le roi Louis XVI à créer l’Inspection Générale des Carrières, chargée de surveiller l’évolution des sous-sols de Paris, connus pour la présence de profondes catacombes, qui ont transformé les sous-sols en gruyère.

De nos jours, la ville continue son fourmillement sans trop se soucier de ce qui grouille, tapi dans ses profondeurs. L’IGC existe toujours, et veille de façon quasi-anonyme sur les sous-sols. Ses membres expérimentés, quoiqu’un peu désabusés, sont soudain préoccupés par deux effondrements successifs, qui ont fait remonter à la surface des ossements pour le moins étranges. Mais il semblerait que le directeur, Pierre-Guillaume, veuille laisser un voile sur ces événements afin de ne pas laisser filtrer la nouvelle, au grand dam de son équipe qui sent poindre une catastrophe imminente.

Raison de plus de s’inquiéter, Sophie, la fille de Pierre-Guillaume, ne vient plus au lycée depuis plusieurs jours. Son amie Sonia semble pourtant être la seule à s’en inquiéter. Têtue comme une mule, Sonia va embarquer, un peu malgré eux, son groupe d’amis, Dez, Berry et Kim, sur la piste de Sophie. Leur enquête va les mener à une conspiration tentaculaire prenant racine dans les entrailles creusées de Paris. Que cache le directeur à ses subordonnées ? Qu’a-t-il fait de sa fille ? Nos héros adolescents ne vont pas tarder à le découvrir, à leurs dépens.

Big Under vient enrichir le catalogue des éditions 404 Comics, dont plusieurs albums ont déjà été chroniqués ici (Zombie World, Mundus, We Live, Jonna, ou encore Big Girls). D’emblée, on est intrigué, voire happé, par le pitch énigmatique en quatrième de couverture: « Paris est condamnée, les catacombes sont la clé« . Nous sommes donc partis pour une exploration des mystères de Paris, dont les catacombes ont toujours défié l’imagination des curieux.

A première vue, l’intrigue se repose sur une structure bien connue, et qui a fait ses preuves, à savoir celle du groupe d’ados outsiders qui part à la recherche d’un ami disparu. Si vous avez une vague connaissance de la pop culture récente, alors cette prémisse devrait vous rappeler les débuts d’une série avec plein de Choses Étranges. Mais la comparaison s’arrête ici, puisque comme vous le savez, l’exception française finit toujours par s’appliquer. Le scénariste Virgile Iscan nous embarque joyeusement grâce à ses personnages attachants, ados que l’on croirait tout droit sortis du lycée en face de chez vous. L’auteur utilise l’oralité urbaine d’aujourd’hui pour crédibiliser ses protagonistes, quitte à risquer le jeunisme parfois un peu décalé. Mais celà n’enlève rien au déroulement de l’intrigue ni à ses enjeux, que l’on continue à suivre sans temps morts ni décrochage.

L’auteur parvient à maintenir le suspense jusqu’à la dernière page, faisant montrer crescendo la tension dramatique sur ce premier tome. Sur la base de deux enquêtes parallèles, celles des agents de l’IGC façon Ghost-Busters et celle de Sonia et sa bande, le mystère ne fait que s’épaissir, malgré la volonté des protagonistes de trouver la vérité. On sent ça et là des influences comme Mike Mignola / John Arcudi, que l’auteur utilise à bon escient sans que cela soit pour autant cousu de fil blanc.

La partie graphique assurée par Alex Nieto est qualitative. L’artiste opte pour un trait simple et sans fioriture, mais on aurait aimé un accent plus prononcé sur les décors urbains, la ville de Paris étant ici partie prenante. Hormis sur quelques cases, on peut reprocher un manque de spécificité à l’architecture urbaine. Celà dit, le dessinateur espagnol gère très bien son découpage ainsi que les passages plus dynamiques, et que dire des mon- oups, on ne spoile pas !

Big Under débute très bien son lancement, avec une intrigue prenante, des personnages crédibles et un dessin de qualité. On attend la suite, évidemment !