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13 heures 17 dans la vie de Jonathan Lassiter

Récit complet en 104 pages écrit et dessiné par Eric Stalner. Parution aux éditions Grand Angle le 31 mai 2023.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

La Loi de Meurs, Phi.

Jonathan Lassiter est un jeune homme introverti, sage, et pour tout dire, un peu ennuyeux. Il tente tant bien que mal de se faire une place dans le cabinet d’assurance où il vient d’être embauché, afin d’offrir à sa belle Helen la sécurité matérielle qu’elle exige.

Pour cela, Jonathan est prêt à supporter les clients insupportables, un patron tyrannique ainsi que les incessantes brimades de ses collègues. Seulement voilà: le chaos surgit toujours de façon imprévisible, malgré les efforts que l’on peut faire pour l’endiguer.

En l’espace d’un heure, Jonathan va perdre son job, être plaqué par sa fiancée, et se retrouver avec une plainte pour coups et blessures sur le dos après avoir rendu la monnaie de sa pièce à son insupportable collègue de bureau. Ces pertes successives ne vont pas s’arrêter là, car lorsque notre pauvre hère prend le chemin du bar le plus proche pour noyer son chagrin, il s’aperçoit bien vite, au moment de régler la note, qu’un pickpocket l’a dépouillé de son portefeuille.

Le jeune homme récemment célibataire va être sorti de la panade par Edward, un quincagénaire cynique et nihiliste, qui tient le comptoir en débitant ses diatribes sur l’insanité de la vie. Edward paie la note de Jonathan, mais il a un service à lui demander en retour: le raccompagner chez lui dans sa cadillac rouge. Se sentant redevable, Jonathan accepte, sans savoir que les prochaines 13 heures et 17 minutes vont représenter un pivot décisif dans son existence…

Nous avions déjà croisé Eric Stalner sur Le Bossu de Montfaucon, où il officiait en tant que dessinateur. Il règne ici en tant qu’artiste complet, et nous embarque, en même temps que son ingénu protagoniste, dans une folle équipée centrée sur les rencontres improbables.

L’histoire est menée par un duo atypique de héros, qui sont bien évidemment opposés en tous points. Cette dynamique de buddy cop movie se marie bien avec l’aspect road trip, puisque chaque étape de ce voyage initiatique sera l’occasion pour nos deux compères de tisser des liens et de mettre en lumière leurs oppositions et leurs point communs inattendus.

L’auteur semble s’amuser réellement avec l’ambiance sixties américaine, notamment en jouant avec une bichromie subtile et un trait semi-réaliste. Le récit s’enchaîne d’une traite et nous tient en haleine jusqu’à sa résolution, les enjeux étant finalement aussi élevés pour Jonathan qu’ils ne le sont pour Edward.

Ces 13 heures 17 minutes dans la vie de Jonathan Lassiter sont une bonne surprise, dans laquelle Eric Stalner peut montrer l’étendue de son expérience et de sa maîtrise de la narration visuelle.

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Arsène Lupin contre Sherlock Holmes 2/2

Second volume du diptyque écrit par Jérôme Félix et dessiné par Alain Janolle. Parution chez Grand Angle le 31 mai 2023.

Ça va te coûter Sherlock

Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur, et Sherlock Holmes, le plus grand détective du monde, se livrent depuis des années une guerre sans merci. Leur rivalité a culminé lors d’une nuit décisive durant laquelle Holmes, déterminé à appréhender le seul homme capable de le surpasser, tua par accident Raymonde, l’épouse de Lupin.

Quelques années plus tard, alors que le détective de Baker Street s’est retiré du monde, Lupin met de côté ses cambriolages pour percer le secret d’un vieil alchimiste, qui avant de mourir, aurait découvert le secret de la transmutation du plomb en or. L’as du déguisement se fait alors passer pour un Holmes sous couverture pour mener son enquête auprès des deux filles de l’alchimiste, sans ignorer toutefois que ce secret va attirer bien des convoitises, sans compter sur la revanche de Holmes lui-même.

Après quelques aléas de caractérisation dans le premier volume, les deux légendes sont de retour dans la conclusion du duel. Cette fois moins de fausses notes, l’auteur se concentrant sur la rivalité entre les deux adversaires et sur leurs motivations. La conclusion de l’enquête s’avère assez satisfaisante, de même que la fin de l’affrontement entre Holmes et Lupin, qui contient son lot d’émotion et une belle leçon sur le prix de la rancune.

Dans la continuité du précédent volume, et pris dans son ensemble le diptyque affiche une bonne qualité et se lit agréablement, ce qui va en faveur d’un 3 Calvin.

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Everything

Histoire complète en 264 pages, écrite par Christopher Cantwell et dessinée par I.N.J. Culbard. Parution aux US chez Berger Books, label de Darkhorse Comics. Publication en France chez 404 Comics.

Posséder ou ne pas posséder, telle est la question

La petite bourgade de Holland, dans la Michigan, s’apprête à vivre à son tour la révolution consumériste, grâce à l’ouverture du flambant neuf centre commercial Everything. Qu’y trouve-t-on ? Absolument TOUT ! Tout ce qui peut ravir l’imagination et les sens de tous ses clients potentiels, quel que soit l’âge, le genre ou la classe sociale. L’architecture est moderne, le personnel accueillant, il ne reste donc plus aux habitants d’Holland qu’à aller flâner et se perdre dans les interminables rayons de ce mall cyclopéen.

Comme l’ensemble des habitants, Eberhard Friendly, conseiller municipal, se réjouit de l’ouverture du magasin, y voyant une opportunité de dynamiser sa commune. Lori Dunbar, quant à elle, est enlisée dans un spleen existentiel dont elle ne parvient pas à s’extirper. Le bonheur préfabriqué promis par Everything représente peut-être pour Lori la chance de guérir enfin de son mal-être. Ce n’est pas la même chose pour Rick Oppstein, dont la boutique Sounds Good Stéréo est mise en danger par l’offre pléthorique d’Everything.

Bientôt, les allées du centre commercial sont bondées, emplies d’une marée humaine avide de consommation. Sous l’oeil acéré de Shirley, la directrice du magasin, toute l’équipe s’affaire pour satisfaire les hordes de clients, car après tout, c’est la raison d’être d’Everything ! Malheureusement, tout n’est pas aussi transparent que ça, car dans les coulisses du magasin, se joue quelque chose qui dépasse les petites destinées personnelles, et qui engendre des tragédies comme des suicides, des combustions spontanées, des tumeurs au cerveau…et des érections involontaires.

Et si le bonheur était à portée de main pour tous ? Et si, en accaparant des objets manufacturés, vous pouviez laisser de côté vos tourments intérieurs et atteindre la félicité ? Combler le vide spirituel par une abondance matérielle, cela ressemble à s’y méprendre aux promesses de la société de consommation, qui nous fait croire que la possession de biens nous définit en tant qu’individus (il n’y a qu’à décortiquer les pubs de voiture ou de téléphones pour s’en convaincre).

Everything revient dans la décennie qui a vu fleurir les centres commerciaux aux USA, et livre une satire du modèle capitaliste à la sauce surréaliste. L’ambiance décalée accroche le lecteur dès le premier chapitre, en instillant un malaise et un mystère savamment dosés. Le ton est acerbe, ciselé, et l’intrigue offre plusieurs niveaux de lecture.

Après une première partie qui emprunte bien sûr aux œuvres de David Lynch (sans pour autant être absconse), le scénario de Cantwell bouscule les genres en usant de ficelles que Lovecraft et autres Carpenter n’aurait pas reniées. Ce basculement, loin d’être déstabilisant, offre de nouvelles clés de compréhension de l’intrigue et redynamise le récit, dont la tension va crescendo jusqu’à un final à la fois déjanté et cohérent.

Côté graphique, I.N.J Culbard fait encore une fois la démonstration de son talent, grâce à un trait épuré proche de la ligne claire. On retiendra également l’importance de la mise en couleur, qui a une signification et un impact déterminants dans le récit.

L’aspect éditorial n’est pas en reste non plus, car 404 met une fois de plus un grand soin dans la fabrication de ses livres, avec en l’espèce une couverture et un dos toilés, qui mettent en valeur une couverture poétiquement complexe.

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Jurassic League

Récit complet en 144 pages, écrit par Daniel Warren Johnson et dessiné par Juan Gedeon. Parution en France chez Urban Comics le 05/05/2023.

Paléo-Héros

Bien avant que l’Homme ne devienne l’espèce dominante sur Terre, la survie n’était conditionnée que par une seule règle, un mantra universel qu’aucune créature foulant le sol ne pouvait ignorer: manger ou être mangé. C’est un principe qui a guidé les dinosaures durant les millions d’années que dura leur règne. Alors que les primates sont finalement devenus des hommes, cette version de la Terre n’a pas fait disparaitre totalement les reptiles géants, bien au contraire: elle a permis à certains d’entre eux d’évoluer, pour adopter une forme bipède humanoïde.

Ainsi, un jeune Allosaure humanoïde voit un jour ses parents dévorés dans une allée sombre-excusez-moi, dans une sombre clairière de Gotham City, et décide de combattre la cruauté en devenant Bat-Dino. Sur son île, une jeune Tricératops décide d’endosser le costume de Wonderdon afin de défendre la paix, tandis que Supersaure défend les humains qui l’ont adopté. Ce trio va se réunir afin de défendre la planète de Darkyloseid, seigneur reptilien qui a déjà écrasé de nombreux mondes sous son talon.

Connu pour sa revisite de Wonder-Woman, Daniel Warren Johnson s’empare d’un pitch encore plus délirant avec ce Jurassic League. Vous l’aurez compris, chaque membre de la célèbre Ligue de Justice subit une transformation reptilienne en adéquation avec son caractère. Superman devient Supersaure, reflétant ainsi le pacifisme et la force tranquille des sauropodes. Le choix du Tricératops pour Wonder Woman est également bien réfléchi, ces derniers étant herbivores et donc plutôt pacifiques, mais capables d’en remontrer aux plus féroces prédateurs. Faire de Batman un allosaure peut sembler surprenant au premier abord, mais il faut savoir que ces derniers étaient parmi les plus agiles des théropodes et plutôt effrayant, ce qui sied plutôt bien à notre chauve-souris favorite. On peut également trouver une symbolique assez cohérente dans la transformation de Flash en vélociraptor, ou d’Aquaman en Baryonyx, un dinosaure amphibie.

En revanche, il ne faut pas chercher dans cette Jurassic League un semblant de vérité scientifique, étant donné que le récit fait cohabiter Dinosaures et Homo Sapiens. On peut néanmoins compter sur la patte toute particulière de Danniel Warren Johnson pour insuffler une coolitude absolue à un pitch qui aurait très facilement tomber dans le ridicule. Sans pour autant tourner son concept en dérision, l’auteur (secondé par le dessinateur au scénario), nous entraine dans une aventure courte et sans temps mort, emplie de diverses références.

Étant donné le contexte, le récit ne prend par contre pas la peine de faire dans la subtilité vis à vis de l’antagoniste, dont le portrait est rapidement brossé, avec manichéisme comme il est coutume dans ce type d’histoire.

Si Jurassic League se démarque, c’est aussi et surtout par sa qualité graphique. Juan Gedeon fait des débuts fracassants en livrant une performance brute et sans concession, très fun dans ses designs ainsi que dans le découpage des planches.On peut dire qu’on retrouve dans son dessin le même enthousiasme que dans ceux de Johnson, qui intervient quant à lui sur les couvertures. Malgré une fin un peu rapide, l’album se lit avec plaisir de bout en bout, et pourra être apprécié même si vous ne connaissez que vaguement la Justice League et que vous avez oublié votre encyclopédie des dinosaures.

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DC vs Vampires #1: Invasion

Mini-série en trois volumes, écrite par James Tynion IV et Matthew Rosenberg, dessinée par Otto Schmidt.

Merci aux éditions Urban pour leur confiance.

Mordez-les tous

Nous avions eu les zombies chez Marvel, puis les zombies chez DC, il y a maintenant les vampires chez DC, parce qu’après tout, pourquoi pas ?

Tout commence lorsque un étranger se présente aux portes du Hall de Justice. Accueilli par Green Lantern, l’homme s’avère être un vampire, venu avertir les héros d’un danger qui menace l’ensemble de l’Humanité, un danger qui a des crocs acérés et qui ne prospère qu’à la faveur de la nuit. Ainsi, Green Lantern apprend que les vampires, que l’on croyait relégués au rang de légendes, complotent contre les mortels et s’apprêtent à prendre le pouvoir. Pire encore, ils auraient infiltré les rangs des méta-humains. Chaque super-héros ou super-vilain est donc susceptible d’être un vampire, au service d’un mystérieux seigneur, qui prépare son arrivée au pouvoir. A qui se fier ? Qui parmi les héros a basculé dans le camp des suceurs de sang ?

Comme nous l’évoquions dans d’autres articles, les Elseworlds (l’équivalent des What If ? chez Marvel) sont l’occasion d’explorer des histoires au déroulement radical loin de la pression liée à la sacro-sainte continuité de l’univers principal. Ce procédé donne davantage de liberté aux auteurs, qui peuvent ainsi livrer leur version « définitive » de certains personnages ou de certains concepts, sans être entravé.

Ainsi dans les Elseworlds, on compte quelques histoires passionnantes comme Superman Red Son, Batman White Knight et ses suites, et plus généralement, l’ensemble des parutions du Black Label.

Ici, l’invasion des vampires peut paraitre absurde sur le papier, ou en tous cas digne d’une petite « levée des yeux au ciel ». Et pourtant, James Tynion parvient à s’emparer du concept (il faut lui reconnaitre une certaine maitrise du genre) pour livrer un scénario attractif, à un rythme très prenant.

En effet, dès l’introduction, on est happé par l’intrigue, qui s’inspire fortement de classiques du genre paranoïaque comme L’Invasion des Profanateurs, ou encore Secret Invasion. L’aspect whodunit et la tension croissante font donc tout l’intérêt de ce premier volume conspirationniste, pour le plus grand plaisir des fans. Bien évidemment, il est inutile d’être un lecteur assidu de DC pour apprécier cette mini-série, il faut simplement ne pas trop s’attacher aux personnages…

Bien sûr, on peut interroger certains éléments de l’intrigue, comme l’effet du vampirisme sur la personnalité des héros infectés. S’il est plus simple de saisir le concept avec la zombification, le vampirisme semble plus aléatoire, en tous cas ses effets sur la moralité. Par exemple, certains héros dont la volonté est la marque de fabrique cèdent instantanément à la corruption morale, tandis que d’autres héros plus borderline, semblent en capacité d’y résister. Qu’est-ce qui fait qu’un héros, qui a été du côté du bien durant toute sa vie, se dit soudainement, après avoir été mordu, que l’avenir appartient aux suceurs de sang, plutôt que d’être horrifié par ce qu’il est devenu ?

On aurait aimé que cette question soit davantage creusée, mais le plaisir de lecture est là malgré tout. Sur le plan graphique, Otto Schmidt donne à voir un trait anguleux et des couleurs dynamiques, qui tranchent avec l’ambiance paranoïaque et le côté « tout-le-monde-peut-mourir-à-tout-moment ».

La suite sera intitulée « All Out War« , il faudra donc troquer les soupçons et l’angoisse contre une bonne grosse baston à coups de pieux et d’eau bénite. Qui survivra ?

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Le Mythe de l’Ossuaire, première partie

Série anthologique créée par Jeff Lemire (scénario) et Andréa Sorrentino (dessin). Parution chez Urban Comics le 21/04/2023.

Merci aux éditions Urban pour leur confiance.

Lemire fais-moi peur

L’auteur Jeff Lemire, connu pour un certain nombre de séries comme Sweet Tooth, Gideon Falls, Black Hammer, ou plus récemment Primordial et Little Monsters, revient en avril avec pas moins de deux sorties simultanées, se déroulant dans le même univers.

Dans Le Passage, nous croisons tout d’abord la route d’un auteur anonyme, qui s’isole afin de terminer son roman tout en faisant le point sur sa vie (tiens, tiens, ça me rappelle le pitch d’un roman/film, ne manque plus que l’hôtel hanté). Sur place, il va être harcelé par la personnification de ses pêchés et de ses doutes, une silhouette inquiétante qui va le faire douté de la réalité. Le second chapitre nous propulse dans une autre histoire, celle de John Reed, jeune géologue qui peine à gérer ses traumatismes d’enfance. Reed débarque sur une petite île, sur laquelle se tient un phare gardé par la vieille et amère Sally. Sally l’a fait venir pour inspecter une cavité, un trou à la profondeur difficilement mesurable, qui serait apparu spontanément. Le jeune géologue va devoir l’inspecter et déterminer non pas d’où vient ce trou, mais où il mène. Et la réponse risque de ne pas lui plaire.

Lemire nous plonge encore une fois dans l’horreur surréaliste, aidé en cela par l’ambiance glauque et oppressante dont Andréa Sorrentino a le secret. Le pitch nous rappelle forcément The Lighthouse, de Robert Eggers, dans lequel un protagoniste candide mais cachant de lourds secrets arrive sur un phare gardé par une personne plus âgée et elle aussi pleine de noirs secrets. Les lieux isolés sont bien souvent du pain béni pour les récits d’épouvante, surtout lorsque lesdits lieux manifestent une personnalité propre et un agenda hostile. Ajoutez à cela la primale terreur provoquée par les profondeurs marines, la claustrophobie engendrée par les espaces contigüs (le trou), et vous avez les ingrédients d’un récit d’horreur efficace et bien mené.

L’angoisse monte aussi d’un cran grâce au mystère qu’entretient l’auteur sur son univers et sur les motivations réelles des personnages, ainsi que sur l’origine ou la raison d’être de son Passage éponyme. Les pleines-pages d’Andrea Sorrentino ne faillissent pas à leur réputation et y sont pour beaucoup dans le succès de ce premier chapitre du Mythe de l’Ossuaire.

Dans Des Milliers de Plumes Noires, nous faisons la rencontre de Trish et Jackie, deux amies d’enfance aux caractères opposés mais complémentaires. Unies depuis toujours par la passion des jeux de rôle et des mondes imaginaires, les deux amies commencent par échanger sur leurs préférences littéraires, avant de se consacrer à l’écriture de leur propre jeu de rôle.

Plongées dans leur univers privilégié, les deux enfants, qui deviennent bien vite adolescentes, maitrisent tout et imaginent tout jusqu’au moindre détail. Elles passent le plus clair de leur temps chez Jackie, dans la peau de leurs avatars de JDR, à savoir une farouche guerrière pour Jackie et une habile magicienne pour Trish. Cependant, les années passent, et les centres d’intérêts de Jackie changent. Trish, plus introvertie, ne partage pas le gout de son amie pour les fêtes et les soirées alcoolisées entre copains. Au contraire, tout ce qu’elle a toujours voulu, c’est rester avec Jackie, à jouer à leur jeu favori et traquer Corvus le Roi des Corbeaux.

Un soir, alors qu’elle est de sortie, l’extravertie Jackie disparait sans laisser de traces. Après une année de recherches, elle est présumée morte, et le coupable échappe à la Justice. Trish, privée de sa moitié, quitte la ville pour refaire sa vie loin de ses douloureux souvenirs. Elle termine ses études puis devient autrice à succès, mais quelque chose la relie toujours au souvenir de Jackie, et aux regrets qu’elle entretient, de n’avoir pas été là pour la sauver. Mais l’aurait-elle pu ? Quel rôle a véritablement joué Trish dans la disparition de Jackie ? Et si… le Roi des Corbeaux y était pour quelque chose ?

Après l’introduction que constituait Le Passage, on a ici la sensation d’entrer dans le vif du sujet de ce fameux Mythe de l’Ossuaire. Une pagination plus généreuse permet à l’auteur de fouiller ses personnages, leurs psychologies et leurs relations, pour nous impliquer davantage encore dans leur sombre destinée. Malgré la chape de mystère qui est encore posée sur l’intrigue générale, on commence déjà à repérer quelques indices ça et là nous reliant au précédent volume.

Comme il l’a déjà fait dans certaines de ses œuvres antérieures, l’auteur s’amuse ici à brouiller la frontière entre fiction et réalité, plongeant ainsi dans les affres d’un multivers malveillant et en même temps très cohérent. Lemire semble partir du principe que si une infinité de réalités existent simultanément, alors tout ce que nous pouvons créer de fictionnel ne l’est pas vraiment et existe nécessairement déjà, ce qui est une idée simple mais prompte à créer un malaise existentiel.

En refermant ce tome, magnifiquement illustré par Sorrentino (qui est ici capable de changer de style en fonction des époques et des mondes représentés), on est à la fois terrifié et intrigué par ce que nous réserve l’auteur pour la suite.

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Nero #1: Obscurci est le Soleil, ternes sont les étoiles

Premier tome de 122 pages, de la série écrite par Emiliano et Matteo Mammucari, avec Emiliano Mammucari et Alessio Avallone au dessin. Parution initiale en Italie, publication en France chez Dupuis le 03/02/2023.

Regards Croisés et djinns trop serrés

En l’an 551 de l’Hégire, soit en 1173, le Moyen-Orient se remet à peine de la Deuxième Croisade, et s’apprête à en vivre une Troisième. Le guerrier arabe Nero n’abandonne pas pour autant la lutte contre les croisés francs. Réputé pour sa férocité, il est craint autant par les croisés qu’il passe régulièrement par le fil de l’épée que par ses propres alliés, qui voient en sa férocité et son manque de discipline un défaut potentiellement fatal.

Nero n’en a cure, et se jette à corps perdu dans la bataille, mû par une rage inextinguible qui lui vient d’un traumatisme d’enfance. En effet, avant qu’il n’atteigne l’âge d’homme, son père a cherché à le sacrifier façon Aïd-El-Kébir, durant un obscur rituel visant à libérer une créature antédiluvienne, avant de succomber avec ses ouailles.

Lors d’une bataille, Nero, gouverné par sa haine, rompt les rangs pour plonger toujours plus profond dans la rage et l’hystérie de la guerre. Mais son arrogance et son impétuosité lui jouent des tours, lorsqu’il est piégé par un croisé qui abat son cheval et s’apprête à l’embrocher. Nero est sauvé in extremis par un autre chevalier croisé au visage recouvert par un heaume, qui le fait prisonnier et lui propose un étrange marché.

Le mystérieux chevalier franc semblent connaître notre guerrier bien plus qu’il ne devrait. Il est au courant pour le rituel avorté, et souhaite se rendre dans la grotte où il a eu lieu afin de l’achever. Selon lui, un ange y est retenu prisonnier, et quiconque le libère voit son voeu le plus cher exaucé. Nero, lui, connaît la vérité. Ce n’est pas un ange qui se cache dans cette grotte, mais une créature plus ancienne et plus retorse que ce que le franc est capable d’imaginer.

Pour Nero, son rôle est clair: il doit empêcher quiconque de libérer le mal enfoui dans cette montagne, quel qu’en soit le coût. Mais l’itinéraire des deux ennemis va, par la force du contexte, prendre des détours inattendus, car d’autres personnes convoitent le pouvoir de la créature, en premier lieu le Cadi, oncle de Nero et dirigeant du dernier bastion qui s’apprête à tomber aux mains des chrétiens, et qui aurait bien besoin d’un petit coup de pouce magique pour sauver sa citadelle.

Nero est une série italienne créée en 2021. Elle donne la part belle au grand spectacle et à l’action, sur fond de croisades et de rituels magiques. L’ambiance fait clairement penser au premier Assassin’s Creed, en premier lieu car les deux récits prennent place durant les Croisades en se plaçant du coté arabe, et en second lieu car les deux franchises mettent en scène un héros charismatique qui paie le prix de son arrogance et de son impétuosité tandis qu’il cherche la source d’un pouvoir magique qui pourrait modifier le cours du conflit.

Nero ajoute cependant un ressort différent, celui de la collaboration forcée entre deux personnages que tout oppose. Ce premier volume est divisé en deux actes comprenant leus lot de péripéties, menées tambours battants. Il est à noter que les deux actes sont dessinés par deux artistes différents, qui parviennent à homogénéiser leur style de façon plutôt remarquable.

Un lore fascinant dans un contexte historique qui l’est tout autant, un personnage charismatique et de l’action à foison, Nero aura tout pour plaire aux amateurs de récits fantastico-historiques. Et c’est un coup de coeur !

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BRZRKR #1

Premier tome de 103 pages, de la série créée par Keanu Reeves, co-écrite par Matt Kindt et dessinée par Ron Garney. Parution aux US chez BOOM! Studios, publication en France chez Delcourt le 15/03/2023.

Berzerker au grand Coeur

L’homme qui se fait appeler B. n’en est pas vraiment un. Doté depuis sa naissance de pouvoirs surhumains, il parcourt les âges, incapable de mourir et mû par une soif inextinguible de combats. Il serait d’ailleurs plus juste de parler de boucheries, car lorsque Berzerker se bat, il laisse généralement dans son sillage des guerriers en confettis avec supplément hémoblogine.

« –Monsieur, qu’est-ce qui vous a traversé la tête au moment de mourir ? » « –Euh, comment vous dire... »

Lassé de cette vie de violence mais incapable de s’arrêter, B. a passé un marché avec le gouvernement américain. En échange de bons et brutaux services, l’Oncle Sam s’est engagé à trouver par tous moyens une méthode pour permettre à B. de mettre fin à son immortalité. Non pas que B. envisage nécessairement de mettre fin à ses jours, mais il souhaite au moins avoir la possibilité de mourir, un don qu’il juge précieux après ces milliers d’années passées à commettre des massacres.

Accompagné par une thérapeute, B. explore ses souvenirs, perdus dans les brumes du temps, afin de percer le secret de ses origines et de ses pouvoirs surnaturels.

….

Voilà, c’est à peu-près tout pour le moment.

Si vous vous êtes intéressé de près ou de loin à la pop-culture ces 25 dernières années, alors vous avez forcément entendu parler de Keanu Reeves. Ce comédien, connu notamment pour certains de ses rôles iconiques, est généralement très apprécié pour son humilité, son introversion et son altruisme. Après avoir fait une incursion dans le monde des jeux vidéos (Cyberpunk 2077), il s’essaie cette fois à la bande dessinée, épaulé par Matt Kindt, auteur prolifique et talentueux que l’on a déjà pu lire dans Black Badge, Folklords, Ether, ou encore Mind MGMT et Deparment H.

Après une campagne Kickstarter qui a marché du tonnerre, le duo s’est octroyé les services de Ron Garney pour créer cette histoire en douze chapitres, dont l’adaptation sur Netflix n’a pas tardé à être annoncée, avec Keanu Reeves dans le rôle-titre. C’est d’ailleurs l’acteur qui prête ses traits au personnage de la BD, faisant de cet album une sorte de mise en bouche ou de préquelle.

On ne va pas se mentir, BRZRKR, malgré son titre hyper-cool et stylisé, est un récit plutôt stéréotypé. Le personnage mystérieux, violent, invincible et légèrement oublieux de son passé ne peut que nous rappeler certains badass bien connus comme Wolverine, auquel B. emprunte même son pouvoir de régénération. L’immortel lassé de la vie est également un thème récurrent dans ce genre de récit, on pense notamment à The Old Guard, qui met également en scène des guerriers antédiluviens blasés par l’éternité (et une autre BD adaptée sur Netflix!), ou au Higlander qui ne veut plus de cette vie éternelle après avoir vu mourir tous ceux qu’il aimait.

L’intrigue n’en est encore qu’à ses balbutiements, si bien que la direction que va prendre le récit dans son deuxième tome est encore un peu floue à ce stade. Il n’en demeure pas moins que l’action est omniprésente. Les scènes de combat sont ultra-gores, avec têtes réduites en bouillie, machoires arrachées, bras et jambes qui volent dans tous les sens après avoir été séparés de leurs propriétaires. Néanmoins, elles s’avèrent répétitives, puisque malgré les flash-backs dans le passé du personnage, elles se résument toujours à la même chose, à ceci-près que les armes changent en fonction des époques. Le Berzerker n’ayant pas encore rencontré de défi physique à affronter, les combats qui se succèdent peuvent donc se révéler un peu ennuyeux, consistant uniquement en un sosie de notre Keanu adoré qui déchiquette des soldats anonymes en carton-pâte.

On demande donc à en voir davantage dans la suite, avec une attente particulière sur le développement émotionnel du protagoniste et les révélations sur ses origines, sans oublier, bien sûr, des scènes d’action un tantinnet plus originales. On met trois Calvin pour le capital sympathie de Keanu, le dessin de Ron Garney et le mystère autour de la résolution de l’histoire.

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Suicide Squad: Blaze

Histoire complète en 168 pages, écrite par Simon Spurrier et dessinée par Aaron Campbell, avec Jordie Bellaire aux couleurs. Publication en France chez Urban Comics le 17/02/2023 dans la collection Black Label.

Merci aux éditions Urban pour leur confiance

Les pieds nique-les

Le Suicide Squad est, comme son nom l’indique, un escadron secret dédié aux missions suicide. Composé de divers super-criminels que l’on a contraint ou influencé, le groupe est envoyé sur le terrain pour mener des missions dangereuses, avec un collier électrique et une bombe implantée dans le corps, en guise de moyens de coercition.

Le taux de mortalité étant par nature très élevé, le casting change régulièrement, aucun de ses membres n’ayant la garantie de revenir vivant d’une mission. Ainsi, Peacemaker, Captain Boomerang, Harley Quinn et King Shark sont les seuls membres actifs de l’escadron lorsque survient une nouvelle menace. En effet, un méta-humain extrêmement puissant, du niveau de Superman, enlève puis massacre des innocents, quotidiennement et partout dans le monde. La Ligue de Justice, parangon de la puissance et du Bien, est évidemment dépassée et ne parvient pas à mettre la main sur ce tueur insaisissable.

Amanda Waller, directrice du programme, met donc en branle son équipe de psychopathes pour traquer discrètement cette menace. Pour augmenter ses chances de succès, Waller sort l’artillerie lourde, à savoir une arme secrète expérimentale nommée le Brasier, une sorte de composé qui octroie de formidables pouvoirs au prix d’une espérance de vie plus que limitée. Confrontée au refus de ses hommes de se prêter au jeu de l’expérience, Waller fait appel à d’autres cobayes sacrifiables, des prisonniers lambdas qui attendent dans le couloir de la mort de la prison de Belle Reve ou qui ont pris perpète.

Ainsi, Mike, le protagoniste, Lucille, Boris, Tanya et Xavi sont sélectionnés pour participer au programme et rejoindre le Suicide Squad. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il ne leur reste que 3 mois à vivre, et qu’il vont devoir affronter un monstre qui a sans doute déjà terrassé Superman. La cerise sur le gâteau, c’est qu’on ignore de quoi est fait le Brasier exactement, mais on sait qu’il a un lien avec le tueur.

A l’aise, Blaze

L’auteur Simon Spurrier nous a à ce jour régalés avec plusieurs pépites, telles que Coda, Sandman The Dreaming, ou encore Saison de Sang. Le voir s’attaquer au concept de Suicide Squad, dans le sillage du dernier film de James Gunn, avait donc tout du succès garanti. La déception est donc d’autant plus grande que ce n’est pas le cas ici.

Malgré un ton impertinent et une narration amèrement cynique, l’auteur ne parvient pas à nous émouvoir autant que sur ses précédentes productions, la faute sans doute à un casting maladroitement ficelé ou des thématiques trop absconses. Difficile en effet de sympathiser avec l’ensemble des nouveaux venus, dont le sort nous est finalement plutôt indifférent à la lecture, alors que l’argument de vente principal de Suicide Squad est de parvenir à nous attacher à des personnages antipathiques, des anti-héros, qui meurent en masse et souvent de façon abjecte.

Le contrat n’est donc pas rempli ici, puisqu’au fur et à mesure d’une traque emplie de longueurs, de facilités et d’invraisemblances, les personnages meurent sans impact émotionnel particulier. La relation entre les membres du Squad et les nouveaux venus n’est pas non plus source d’amusement ou de développement, alors que l’auteur tenait là une manne scénaristique intéressante.

Côté graphique, Aaron Campbell, qui nous avait montré toute sa maîtrise du genre horrifique avec Infidel, livre des planches avec son style photoréaliste très reconnaissable. Mais la qualité du trait ne fait pas tout, et la colorisation de Jordie Bellaire (vue aussi The Nice House on the Lake) peine à masquer la confusion qui règne dans les scènes d’action, qui sont, en majorité, franchement illisibles.

C’est donc l’accumulation de ces défauts qui fait descendre son Suicide Squad Blaze de son piédestal et c’est bien dommage.

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Dans l’ombre

Récit complet en 88 pages, adapté du roman de Gilles Boyer et d’Edouard Philippe. Philippe Pelaez signe le scénario, Cédrick Le Bihan les dessins. Parution chez Grand Angle, en partenariat avec les éditions JC Lattès, le 05/04/23.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

Cinquante Nuances d’éminence grise

Les arcanes du monde politique nourrissent bien souvent des fantasmes et des suspicions, d’autant plus aujourd’hui à cause de la défiance du peuple envers la classe politique. Perçue comme une élite qui se reproduit, cette dernière a engrangé suffisamment de scandales pour ternir durablement son image auprès des citoyens, si bien que de sauveurs providentiels, les hommes politiques se sont progressivement mûs en opportunistes magouilleurs, au mieux sournois et arrogants, au pire, corrompus et avides.

Quoi de mieux dans ce cas que deux hommes politiques pour livrer un aperçu des manœuvres et des enjeux de ce monde opaque ? C’est ce qu’ont fait Edouard Philippe, ancien Premier Ministre, et Gilles Boyer, député Européen, dans leur roman intitulé Dans l’Ombre, adapté ici dans l’art séquentiel que nous affectionnons.

Le protagoniste de cette histoire, dont le nom ne sera jamais révélé, est ce qu’on surnomme un « apparatchik », un agent au service exclusif d’un homme politique, en l’espèce un favori que l’on connaîtra simplement comme « Le Patron ». Chargé des basses besognes, des affaires courantes comme de la rédaction des discours ou l’organisation des meetings, l’apparatchik pave le chemin de son Patron vers la gloire, à savoir le Graal du fauteuil présidentiel.

Mais avant cela, le Patron a besoin de passer le premier obstacle de la Primaire du Parti, à l’issue de laquelle le candidat à la présidentielle sera désigné. Alors comme un petit écuyer avec son chevalier, notre héros s’agite dans tous les sens pour remplir les objectifs de son supérieur, qui en récolte ensuite les lauriers. Cependant, après sa victoire à la Primaire, l’apparatchik reçoit un mystérieux message qui laisse penser que l’élection aurait été truquée. Le danger potentiel représenté par cette information pousse notre agent de l’ombre à enquêter et activer son réseau pour protéger la carrière politique du Patron, tandis que l’élection présidentielle approche à grands pas. Ce faisant, il va naviguer parmi les requins, voler parmi les vautours, dans l’espoir de contrecarrer les plans de ses rivaux politiques.

Le premier constat que l’on peut faire après la lecture de Dans l’Ombre, est que les auteurs sont parvenus à dépeindre le milieu décrié de la politique, à le romancer sans le caricaturer. Évitant de verser dans le manichéisme, les personnages, bien que réduits à leur fonction, sont bien campés et illustrent adéquatement la thématique centrale, celle des compromis qu’exige l’ambition politique. L’intrigue ne se contente pas de singer les manœuvres politiques et injecte une dose de thriller, qui dépasse légèrement du cadre habituel des scandales politiques, sans tomber non plus dans l’invraisemblable.

L’absence de noms pour le protagoniste et son « Patron » laisse penser que les deux auteurs se seraient inspirés de personnages existants sans pouvoir se permettre de l’avouer, ou bien qu’ils ont souhaité que le lecteur puisse y coller le nom réel qui leur semblait le plus pertinent…

Côté graphique Cédrick Le Bihan, plutôt connu pour être de l’école Fluide Glacial, change ici sa proposition graphique et se met au service du scénario de Philippe Pelaez en adoptant un style très épuré.

Dans l’Ombre, dont l’adaptation en série TV devrait suivre prochainement, satisfera les amateurs d’intrigues politiques, et plus généralement, ceux qui sont curieux de connaître les coulisses du pouvoir en France.