***·East & West·Jeunesse

Les Missions du GRRRR #2 Opération: le Feu au lac

Second volume de 160 pages, par Scott Magoon. Parution en France chez Albin Michel le 06/09/2023.

Kung Fu Mammouth

Le Groupe de Rangers à la Rescousse de la TeRRe reprend du service pour un second tome. Après avoir remis la main sur une corne de Licorne de Sibérie datant du pleistocène, aux propriétés régénératives, les animaux du GRRRR se sont défaits de l’influence néfaste de leur créateur, le Dr Z, dont les intentions étaient bien moins nobles que ne le laissait supposer son discours initial.

Voilà donc nos animaux pas-si-disparus libres de poursuivre leur destinée et leur mission de défense de l’environnement, avec en prime un nouveau membre. Mais comment faire sans l’infrastructure et les moyens du Dr Z ? Leur première idée est d’ouvrir un zoo pédagogique, avec une double intention: la première, celle de sensibiliser les foules sur le bien-être animal et le devenir de l’écologie; le seconde, capitaliser sur leur popularité afin de vendre des goodies et des photos, dans le but de financer leur infrastructure.

Cependant, ce choix n’est pas tout à fait du goût de Lug, le dernier des Mammouths Laineux, qui a vu sa famille périr dans un zoo lors d’un incendie lorsqu’il était enfant. Le valeureux pachiderme préfèrerait mille fois poursuivre ses missions de terrain, quitte à le faire sans argent. Et c’est d’ailleurs ce qu’il va faire, en quittant le groupe pour s’engager auprès des Paras du Feu, l’élite des pompiers que l’on parachute en plein coeur des incendies de forêts. Ce baptême du feu en Californie va confronter Lug à un mystérieux pyromane qui pourrait ne pas être étranger au GRRRR.

Scott Magoon poursuit le développement de son univers, dans lequel des animaux clonés et anthropomorphes issus d’espèces disparues font équipe pour éviter encore davantage d’extinctions. Le propos écologique est toujours présent, l’auteur substituant à la toundra sibérienne en pleine fonte les forêts californiennes transformées en brasier, comme c’est le cas chaque année dans le monde réel.

Alors que le tome 1 mettait le focus sur Scratch, le Tigre à dents de sabre, ce second volume se consacre à Lug et à son passé trouble. Les autres personnages sont encore en retrait, mais l’on gage que l’auteur aura à coeur de les développer dans les prochains volumes. L’action est présente tout au long de l’album, en alternance avec des passages plus pédagogiques, durant lesquels l’auteur explore le fonctionnement et les méthodes des pompiers parachutistes. Certaines séquences d’actions s’avèrent moins lisibles que les autres, comme la course-poursuite aérienne, mais rien qui vienne gâcher l’ensemble.

Comme pour le premier tome, l’album se termine par un cahier graphique et didactique présentant des espèces disparues, dans la continuité du concept initié par l’auteur.

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Les missions du GRRRR #1: Opération Corne de Licorne

Premier tome de 160 pages de la série écrite et dessinée par Scott Magoon, traduite et publiée en France chez Albin Michel le 22/03/2023.

La Ligue des Animaux Disparus

Le Groupe des Rangers à la Rescousse de la TeRRe, le GRRRR, est composé d’agents très spéciaux, chacun spécialisé dans un domaine. Scratch, le leader, est le stratège, tandis que Lug, le poids lourd, est aussi un pilote chevronné. Quito, est le savant du groupe, spécialisé en biologie et en climatologie. Martie, quant à elle, s’occupe de la reconnaissance et des communications.

Le GRRRR n’est cependant pas une banale équipe d’espionnage, puisque ses membres, au-delà d’être des agents entrainés, sont aussi des animaux anthropomorphes, et pas n’importe lesquels: ils représentent chacun une espèce disparue comme le Tigre à Dents de Sabre, le Mammouth Laineux, le Pigeon Voyageur et la Grenouille Venimeuse de Collin.

Réunis et financés par le mystérieux Dr Z, les membres du GRRRR accomplissent des missions mineures de surveillance et de récupération lorsqu’un jour, leur énigmatique commanditaire les envoie chercher un objet d’une importance capitale: une corne fossilisée ayant appartenue à la dernière Licorne de Sibérie, un animal presque légendaire, comme son nom le laisse supposer.

Il est donc temps pour nos héros de prouver leur valeur et leurs compétences à leur chaperon, en mettant la main sur la corne avant les innombrables chasseurs d’ivoire qui pullulent dans le permafrost sibérien, qui dégèle inexorablement du fait de l’exploitation forestière irraisonnée. De quoi se faire les dents pour nos héros pas-si-disparus !

Sorti discrètement l’an dernier, Les Missions du GRRRR (The Extincts en VO) mélange adroitement espionnage, aventure et écologie, pour un résultat étonnamment détonnant. L’idée de base, d’un groupe d’animaux supposés disparus luttant pour préserver une nature au bord du désastre, porte un symbole fort puisque l’Anthropocène a lui-même causé son lot d’extinctions.

L’intrigue en elle-même démarre sur les chapeaux de roue, mais elle met tout de même une petite vingtaine de page avant de trouver son ton définitif, car on ne sait initialement sur quel pied danser, en tant que lecteur, avec ces animaux anthropomorphes évoluant dans un monde d’humains et d’animaux « classiques ». Cependant, le rythme de croisière arrive assez rapidement, et les péripérites s’enchaînent de façon fluide, sans laisser de côté le propos écologique, ni les personnages, ce qui est une qualité à ne pas négliger.

Si la première partie se révèle plutôt classique dans son déroulement, avec investigations, recherches, infilitrations et courses-poursuites, c’est bien la seconde partie de l’album qui éveille vraiment l’intérêt, partie que l’on ne développera pas au risque de spoiler. L’album est bien estampillé jeunesse et conviendra à de jeunes lecteurs, mais demeure tous publics et est susceptible de faire le pont entre parents et enfants au sujet de certains sujets écologiques majeurs.

Petite surprise plus qu’agréable, Les Missions du GRRRR a vu sa série se poursuivre avec un second tome, paru en septembre dernier.

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Léonarde: La Barbe du Houéran

Récit complet en 80 pages, avec Isabelle Bauthian au scénario, AnneCatherine Ott au dessin, Tanja Wenish à la couleur. Parution chez Drakoo le 10/01/24.

Plus Bête(s), tu meurs

Léonarde est une intrépide jeune guerrière, formée au combat depuis le berceau par son père, Maître d’Armes du Château et ami proche du Roi. Malgré son tempéramment tout feu tout flamme, Léonarde ne pense pas comme tout le monde, notamment au sujet des Bêtes, les habitants de la Forêt qui enclave le Château.

Parmi ces animaux anthropomorphes, on trouve les Leus, le peuple loup, ainsi que les Goupils, le peuple renard, et aucun de ces peuples ne parvient à se comprendre, la faute à des langages radicalement différents. Au milieu de ces guerres de clans, certains croient encore en la légende du Houéran, géant gardien de la Fôret, dont il vaut mieux ne pas réveiller la colère en dégradant la forêt, et qui explique presque à lui seul la paix précaire qui règne depuis quelques années.

Lassée des escarmouches et de la crainte, Léonarde tente un rituel, supposé l’aider à parler aux Bêtes, qu’elle a volé dans la bibliothèque du prince Ogier. Ce rituel la transforme à son corps défendant en Goupile. Le seul souci, c’est qu’elle parle désormais le Goupil et plus l’humain ! Personne ne la reconnaît, pas même sa meilleure amie la princesse Eldorise. Chassée du château, Léonarde se retrouve prisonnière des Leus, ce qui sera le début de pérégrinations rocambolesques avec pour enjeu rien de moins que la paix du royaume.

Isabelle Bauthian est un nom connu, puisque nous l’avions déjà croisée chez Drakoo avec Dragon & Poisons, puis dans l’anthologie Midnight Order, et avant cela dans la collection Sirenes et Vikings.

L’auteure se saisit encore une fois d’un concept enlevé, inspiré d’une légende vosgienne et reprenant les codes de la Tour de Babel. Avec un soupçon de naïveté, l’intrigue instille l’idée que de l’incompréhension mutuelle naîssent nécessairement l’anathème et la guerre, ce à quoi l’héroïne tente justement de remédier.

Ce thème de la traductrice universelle en temps de guerre rappelle clairement la Malinche, personnage historique controversée dont Celle qui Parle retraçait justement la vie, en version jeunesse bien évidemment.

Ce concept de peuples qui s’affrontent sans se comprendre est justement mis en scène par l’auteure, qui alterne les points de vue lors d’une même scène pour figurer les différences de langages et la façon dont elles sont perçues. L’action et les péripéties, si elles ne sont pas follement originales, demeurent rythmées et ficelées par le thème central, le tout réhaussé par un humour à la Lanfeust, qui est désormais, on le sait, un humour à la Drakoo (en moins gaulois, il va sans dire).

On parlait plus haut de naïveté, mais il serait sans doute plus juste de parler d’optimisme ou de légèreté d’esprit, l’affilitation jeunesse de l’album éloignant nécessairement toute conclusion trop sombre ou trop réaliste. Nos chers jeunes lecteurs y trouveront donc un message inspirant, ainsi que des personnages allant à rebours des clichés sans trop en faire pour autant. On en veut pour exemple la protagoniste, qui allie vivacité d’esprit et talents de guerrière, ou la princesse Eldorise et son frère Ogier, qui apportent tous deux des nuances bienvenues à leurs archétypes réspectifs.

Coté graphique, Anne-Catherine Ott s’en sort avec les honneurs avec un dessin dynamique, des personnages expressifs mais également un découpage clair et aéré.

Léonarde réussit à mêler un thème sérieux et universel (les conflits, la haine entre les peuples) aux codes du récit jeunesse, le tout dans un univers dynamique et attrayant.

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Swamp Thing: Green Hell

Récit complet en 160 pages, écrit par Jeff Lemire et dessiné par Doug Mahnke. Parution chez Urban Comics dans la collection DC Black Label le 27/10/23.

Merci aux aditions Urban pour leur confiance.

L’Enfer, c’est Vert

Swamp Thing, créé en 1971 par Len Wein et Bernie Wrightson, est un personnage emblématique de DC Comics. Aussi connu sous le nom d’Alec Holland, il est souvent décrit comme un gardien de la Nature et un avatar de la Force Végétale, également nommée la Sève.

À l’origine, Alec Holland est un scientifique travaillant sur une formule révolutionnaire capable de régénérer les tissus végétaux. Cependant, un tragique accident de laboratoire le transforme en une créature mi-homme, mi-végétale. Abandonné et considéré comme une abomination, Alec trouve refuge dans les marais, où il devient Swamp Thing, la Chose des Marais.

Lorsque Alan Moore reprend les rênes de la série en 1983, les choses changent drastiquement pour Swamp Thing. En effet, l’auteur anglais étant encore peu connu à cette époque, il se voit confier pour ses premiers travaux américains une série en passe d’être annulée, et pour laquelle aucun contrôle exécutif ne fut exercé. C’est ce qui permit à Alan Moore de redéfinir en profondeur le personnage et son univers, entraînant un succès qui ne se démentira pas jusqu’à son départ de la série en 1987. Durant le run d’Alan Moore, Swamp Thing découvre qu’il n’a en réalité jamais été Alec Holland, mais plutôt une créature végétale persuadée de l’être. Tous les souvenirs du scientfique ne sont en fait que des copies qui ont imprégné la créature, son âme ayant été transportée au Paradis lors de l’explosion qui engendra Swamp Thing. Notre héros marécageux est en réalité l’Avatar de la Sève, une force primordiale représentant toute la vie végétale sur Terre, et dont la manifestation est un conclave nommé le Parlement des Arbres. On découvre ensuite dans la série l’existence du Sang, la manifestation de la vie biologique, ainsi que la Nécrose, qui représente la décomposition de toutes les formes de vie.

Il faut savoir que Swamp Thing est une pierre angulaire dans l’univers DC, et pas seulement du fait de son propos écologique. Si la série reste dans les mémoires, c’est notamment parcequ’elle a engendré le label Vertigo de DC, et que l’on y trouve les origines de John Constantine, alias Hellblazer, personnage populaire s’il en est.

Au fil des années, d’autres grands scénaristes de comics ont officié sur la série, parmi lesquels Grant Morrisson, Brian K. Vaughan, Mark Millar, Scott Snyder ou encore Charles Soule. C’est donc au tour de Jeff Lemire, prolifique et talentueux, de proposer sa version de la Chose des Marais, avec comme sceau d’approbation l’intégration de la mini-série au Black Label d’Urban Comics, déjà connu pour son panel généralement qualitatif.

Il est utile de rappeler que Jeff Lemire est déjà familier du personnage de Swamp Thing, pour avoir écrit la série Justice League Dark ainsi que la saga Rotworld en 2013, qui donnait la part belle au héros végétal. Dans Green Hell, nous débarquons dans un futur pas-si-futur-que-ça, dans lequel l’Humanité a été submergée par la montée des eaux, résultante de centaines d’années d’anthropocène destructrices. Donald fait partie des rares survivants, sur un des derniers ilots épargnés par la grande inondation. Avec sa fille Ronnie, il consacre ses journées à récupérer ce qu’il peut, tout ce qui peut permettre de tenir un jour de plus, sans perspective sérieuse d’avenir. Harcelée par des pillards, sa communauté oscille sans cesse au-dessus du précipice.

Ce que Donald ignore, c’est que la Sève, le Sang et la Nécrose se sont mis d’accord sur la nécessité de mettre un terme à l’agonie des derniers humains, afin de pouvoir recommencer un nouveau cycle de vie plus tard, avec n’importe quelle forme de vie qui s’extirperait des eaux dans quelques millions d’années. Les trois Parlements s’unissent donc pour créer un nouvel Avatar, afin d’exterminer les survivants. Bien évidemment, les humains ne sont pas de taille face à un tel monstre, qui ne pourrait être vaincu que par un être similaire. Mais le dernier Swamp Thing, Alec Holland, est mort il y a des décennies. Seulement, voilà, sur l’archipel, vit un ermite unique en son genre, un homme qui a connu Swamp Thing et qui serait à même de le ramener d’entre les morts une nouvelle fois, cette fois pour qu’il affronte la Sève au lieu de la servir aveuglément.

Ceux qui ont aimé les récits comme Old Man Logan (Mark Millar & Steve McNiven) ainsi que la frange horrifique de DC Comics trouveront leur compte dans cette nouvelle proposition de Jeff Lemire.

Outre l’aspect post-apocalyptique et crépusculaire, pour lequel l’auteur a développé un certain talent, on verse généreusement dans la thématique de la « Vengeance de Gaïa« , qui est encore plus pertinente aujourd’hui qu’elle ne l’était à l’époque de la création du personnage.

Sur le plan dramatique, il est toujours utile lors d’une suite de rendre son personnage principal obsolète en le confrontant à une version augmentée de lui-même, comme le T-800 face au T-1000 dans Terminator 2, ou encore Cain dans Robocp 2. Ce mécanisme, en plus de servir l’action et la mise en scène, renforce la tension dramatique autour du succès du héros dans sa mission.

On peut également compter sur Jeff Lemire pour étoffer et explorer ses personnages, qui ont ici tous droit à un traitement efficace et approfondi. Sur le plan graphique, grosse surprise de retrouver Doug Mahnke, vieux briscard des comics, qui avait commencé sa carrière chez Image Comics avec The Mask et Stormwatch PHD. Son style réaliste se rapproche de celui de Gary Frank, et met en avant l’aspect gore et violent voulu par le scénariste.

Swamp Thing Green Hell mérite un bon 4 Calvin, et aurait pu prétendre à un 5 Calvin avec quelques chapitres en plus qui auraient permis d’étoffer encore davantage l’intrigue.

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La dernière reine

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BD de Jean-Marc Rochette

Casterman (2022), 232p., one-shot.

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Dans les montagnes on n’aime pas les roux. Marqué dans son esprit par la mort du dernier ours du Vercors tué par la bêtise humaine, Etienne Roux se trouve marqué dans son corps au front de 14-18. Gueule cassé, colosse sans visage, il trouve l’amour d’une femme artiste, sculpteur qui façonne des prothèse aux mutilés de la Grande Guerre. Dans ses montagnes du Vercors ils trouvent la paix, la beauté la tranquillité d’une nature que la folie des hommes menace. Gardien d’un paradis perdu, Etienne Roux protègera la dernière reine des Alpes, quoi qu’il en coûte…

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Membre de la génération des grands auteurs de la BD franco-belge, ceux qui ont monté Metal Hurlant et occupé les pages de (A suivre), Jean-Marc Rochette marque depuis quelques années par ses albums sur la montagne, cette entrée des Alpes autour de Grenoble, le berceau de Glénat. Son chef d’œuvre adapté au cinéma, le Transperceneige marquait une évolution de son trait d’un style assez classique de la SF des années quatre-vingt vers une épure des encrages proche de l’abstraction.

https://www.francetvinfo.fr/pictures/c7Cn_vEDQz1D2M8Th4F_WphDY70/fit-in/720x/2022/12/07/6390d36ed7eb5_9782203208353-la-derniere-reine-p082-300.jpgGraphiquement Rochette n’est pas du tout ma tasse de thé. Trop sombre, trop estampé, pas assez concret dans le dessin. Ce magistral album déjà auréolé de pléthore de sélections et prix BD fait pourtant partie de ces occasions de sortir de sa zone de confort de lecteur BD en constatant l’évidence de la réussite (comme cela avait été le cas avec l’Age d’or par exemple). Car celui qui est capable de dessiner du cartoon comme du semi-réalisme justifie son épure par l’idée de l’évocation qui fait écho à la forme détruite du visage du héros comme à la sensation de l’artiste sculptant sa glaise et de ces paysages montagnards changeants au gré des lumières, des brumes et des ombres.

Sur le plan de l’écriture cet album est incontestablement une immense réussite (je ne serais pas en capacité de parler de chef d’œuvre puisque c’est le premier album de cet auteur que je lis). Par la simplicité de l’intrigue, en inscrivant sa petite histoire dans l’Histoire antédiluvienne jusqu’à l’Age de pierre pour La dernière Reine (Rochette) - BD, informations, cotesdécrire cette relation compliquée de l’humain avec sa nature tantôt hostile tantôt partagée, l’auteur touche juste et épure encore les sentiments. Ceux d’un homme simple, brisé, qui refuse l’oppression de cette civilisation qui ne sait que briser, qui rejette l’autre pour sa différence et à fortiori cette nature qu’il ne connaît plus. Loin d’être simpliste, l’histoire se concentre sur le cœur qui fait sens, celui des artistes qui cherchent la beauté ou le message, qui comprennent cette nature qui parle aux cœurs. Où l’on peut savourer les plus subtiles des repas dans une cabane en altitude en récoltant le fruit de la montagne et du troc et l’amour simple de la vie d’avant au pays de cocagne qui offre tout ce dont l’homme a besoin. Rochette a la grande intelligence de ne pas poser de pathos dégoulinant sur un destin tragique, celui d’un pauvre homme cassé par la guerre que l’on voit condamné à mort en introduction de l’album. L’histoire nous dira pourquoi et accentuera la force du La dernière reine – jean-marc rochette – bd – roman graphique – ours –  vercors – paris – gueule cassée – respect nature – animaux – ecologie –  troupeaux – haine homme – p.15 – Branchés Cultureportrait en rejetant tout attendu tragique. Car le drame n’est pas le propos de Rochette. Le drame est celui, intime, d’un enfant du Vercors dont l’immense résilience, celle de la roche, ne suffit pas à préserver ce paradis, cette paix si simple.

Si la pertinence du trait se rattache au projet sans contestation possible, il est pourtant dommage qu’une esthétique plus travaillée ne reflète cette paix de l’écriture. Les encres rageuses en clair-obscur dressent un monde qui semble n’être jamais sorti de Verdun. On en perd la pureté graphique qui aurait a mon sens renforcé ce grand album en le menant au chef d’œuvre. On n’en est pas loin. Chacun se fera son idée selon ses préférences graphiques, mais la Dernière reine est incontestablement un grand album qui mérite d’être lu.

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We Live

Premier tome de la série écrite et dessinée par Roy et Inaki Miranda. Parution initiale aux US chez Aftershock, publication en France chez 404 Comics le 03/02/2022.

Et si on partait ?

Au cas où on ne vous l’aurait pas déjà répété, la planète Terre est foutue. Pour de vrai. Après des millénaires d’anthropocène abusifs, notre monde nous a sorti un bon et gros middle finger, sous la forme de catastrophes naturelles, qui ont conduit à des guerres, puis à une mutation de toute la faune et la flore, partout à travers le globe, dont le seul et unique but était désormais d’étriper des humains. Jusqu’ici, il n’y avait que trois façons de mourir en masse, les épidémies, les guerres, ou les famines, il y a désormais des lions mutants.

Un peu comme un aristocrate qui vous propose un jus d’orange à la fin d’une exquise soirée, la Terre nous pousse donc discrètement vers la sortie, mais il n’est pas évident de trouer une planète aussi accueillante. Pas de souci, l’Humanité a trouvé une issue, ou plutôt, une issue de secours, sous la forme d’un message extraterrestre. Plus qu’un message, c’était une promesse, celle qu’un certain nombre d’élus serait évacués, pour peu qu’ils soient présents autour d’une balise à la fin d’un compte à rebours. Ces élus sont ceux et celles qui ont trouvé un bracelet spécial, issu d’une technologie extraterrestre, tous des enfants.

Depuis la mort de leurs parents, Tala veille du mieux qu’elle peut sur Hototo, son jeune frère espiègle et encore innocent malgré les horreurs qu’il a vécues. Lorsqu’elle a trouvé un des fameux bracelets, Tala n’a pas hésité une seule seconde et a l’a enfilé au bras de son frère, se sacrifiant ainsi pour lui offrir une vie meilleure, sur une planète lointaine.

Après avoir survécu à toutes sortes de dangers, il est temps pour le duo fraternel de tout quitter pour se mettre en route vers la balise la plus proche, situé dans une des 9 mégalopoles, derniers bastions humains sur une Terre devenue hostile au genre homo. Ce sera là une dangereuse odyssée pour Tala et son frère, car les obstacles sont nombreux et veulent généralement déchiqueter tout ce qui marche et parle dans leur champs de vision.

On l’a vu récemment avec No One’s Rose et d’autres sorties récentes, la thématique écologique, en plus d’être une urgence planétaire bien réelle, fournit une source actuelle et non négligeable d’inspiration pour la fiction, notamment pour le genre SF/Anticipation. Bien évidemment, les frères Miranda maîtrisent bien leurs codes narratifs, puisqu’avant d’être un énième récit de fin du monde, We Live compte avant tout l’histoire d’une fratrie, l’attrait du récit réside principalement dans les liens qui les unissent plutôt que dans le cadre post-apo, qui n’est finalement qu’un écrin pour l’évolution de ses personnages.

  • Les deux auteurs connaissent donc bien leur recette:
  • a) des personnages bien définis et pour lesquels les lecteurs ressentent de l’empathie: On ne peut que valider la cause de Tala, surtout lorsqu’on apprend qu’elle a privilégié la survie de son frère au détriment de la sienne.
  • b) un objectif simple avec des enjeux compréhensibles: survivre, ça reste, a priori, à la portée de tout le monde.
  • c) des obstacles de taille et un compte à rebours: comme on l’a dit, un environnement hostile rempli de monstres, pas évident à surmonter pour des enfants. Quant au compte à rebours, il est littéralement mentionné dans le récit puisque le duo n’a que quelques heures pour rejoindre le lieu d’extraction, sans quoi Hototo restera coincé sur une Terre mourante.

Le final fait basculer l’histoire du survival SF à un récit plus super-héroïque, ce qui est un peu désarmant il faut l’avouer, mais cela n’enlève rien à l’intérêt de l’album, et promet même une suite plutôt palpitante. Un des autres aspects questionnants est le caractère foisonnant de l’univers du récit, qui part dans plusieurs directions avec des animaux mutants, des zombies fongiques, des méchas, etc… Mettons-ça sur le compte d’un univers baroque, la richesse n’étant pas nécessairement un défaut. We Live est donc une quête initiatique bien construite, avec des personnages sympathiques, un univers violent mais poétique.

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No One’s Rose

Histoire complète en 160 pages, écrite par Emily Horn et Zac Thompson, dessinée par Alberto Albuquerque. Parution aux US chez Vault Comics, parution française avec le concours de Komics Initiative le 25/02/2022.

L’Arbre et la Vie

L’Homme le savait, et pourtant, l’Homme n’a rien fait. Lentement mais sûrement, l’Anthropocène aura détruit l’équilibre fragile de la nature, jusqu’à ce que cette dernière ne soit plus en mesure de sustenter la vie. Devenue inhospitalière, puis carrément hostile, la planète Terre a agonisé dans un dernier soubresaut qui promettait l’extinction du genre humain, mais aussi de toutes les autres formes de vie qui avaient passé des milliards d’année à s’adapter.

C’était sans compter sur l’ingéniosité humaine, qui ne réalise son potentiel que lorsqu’elle a atteint le précipice ou lorsqu’elle peut en retirer un gain immédiat. Les derniers scientifiques humains sont parvenus à maintenir la vie dans un périmètre restreint, une bulle hermétique dans laquelle le moindre atome d’oxygène ou la moindre molécule d’eau fait l’objet d’une attention particulière, un dôme où tout est recyclé de manière durable et où chacun à un rôle à jouer.

Ainsi, quelques dizaines de milliers d’humains ont survécu à l’apocalypse, a l’abri d’un microcosme qui représente tout ce que le genre humain aurait du faire depuis bien longtemps. Malheureusement, la survie de tous a toujours un prix, et elle ne peut se faire sans le sacrifice de quelques valeurs, et au passage, de quelques (milliers) de gens. Comme vous ne l’ignorez pas, la gestion durable de ressources (à savoir la raison d’être de la civilisation selon les anthropologues) entraîne nécessairement l’établissement d’une hiérarchie sociétale et d’un système normatif. C’est la raison pour laquelle les derniers humains de ce monde en décrépitude sont répartis en différentes castes: ceux qui travaillent en bas, dans les racines de l’arbre Branstokker, organisme génétiquement modifié pour assurer la subsistance des survivants, et l’élite qui vit sur la canopée, qui conçoit et maintient les systèmes de traitement et de gestion des ressources, et qui, accessoirement, vit dans l’opulence.

Tenn et Serenn Gavrillo sont deux frère et soeur, orphelin, qui travaillent dans des castes différentes. Alors que Serenn trime au service des élites, Tenn, elle, rêve d’un monde meilleur grâce la bio-ingénierie. Leur quotidien déjà difficile sera bouleversé lorsque le jeune homme va entraîner sa soeur à son insu dans un mouvement de révolte, organisé par les Drasils, un groupe de radicaux qui fomente des actions violentes au service de leur cause. Les Drasils, qui utilisent une forme de technologique impliquant une fusion avec des organismes fongiques, pensent que Branstokker est fichu et que quitter la zone verte est inéluctable.

Convaincu, comme les autres Drasils, que les autorités mentent, Sorenn compte se joindre au mouvement, quitte à s’aliéner son ambitieuse sœur.

No One’s Rose nous amène dans un futur post apocalyptique, sur un thème écologique fort pertinent. L’idée d’une dystopie écologique est très bien exploitée, avec de forts airs de Métropolis: un cité avancée centrée autour d’une machine (ici un arbre, autrement dit une machine biologique), des ouvriers exploités en bas et une élite détachée des réalités en haut.

A cela, ajoutez la débat sur l’intelligence artificielle (on peut dresser un parallèle avec la Gynoïde de Métropolis), la bioéthique, la manipulation des masses, une fresque familiale parcourue par des conflits de loyauté, et vous obtiendrez un récit engageant et cohérent, même s’il est avare en coups de théâtre. Côté narration, on a droit à des dialogues fournis, détaillés, mais on peut rester perplexe face à quelques transitions quelque peu abruptes entre les différentes scènes.

Rien que ne gâche la lecture cependant, surtout si l’on prend en compte la qualité des dessins et de la mise en couleur (assurée par Raul Angulo). Un dystopie émouvante prenant la forme d’un avertissement sur les abus de l’Homme, qui ne peut s’empêcher de se débattre avec lui-même, même au bord de l’abîme.

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Saison de sang

Titre original: Step by bloody step, écrit par Simon Spurrier et Matias Bergara, avec Mat Lopes aux couleurs. Parution aux US chez Image Comics, en France chez Dupuis le 17 juin 2022.

A chaque enfant son géant

Par un hiver glacial dans un monde inconnu, une enfant s’éveille. Elle est entre les mains d’un géant en armure, qui avance inexorablement en détruisant tous les obstacles qui se dressent sur leur route. Peu à peu, l’enfant grandit, et finit par quitter le cocon rassurant formé par les mains du géant pour marcher par elle-même, toujours dans le sillage de son protecteur.

Cependant, portée par la curiosité, l’enfant se laisse distraire et quitte le chemin. C’est alors que l’air s’anime autour d’elle pour former des créatures qui l’empêchent de quitter la route, des phénomènes contre lesquels même le puissant guerrier en armure ne peut rien. L’enfant doit donc avancer quoi qu’il arrive, et découvrira sur le chemin sa véritable destinée.

Aux US, Step by bloody step a fait une sortie remarquée chez Image Comics, et a atteint sa conclusion quelques semaines seulement avant sa publication française chez Dupuis. La particularité de ce roman graphique divisé en quatre chapitres est de ne contenir aucun dialogue.

En effet, on ne trouve en terme de texte, que de brèves introduction poétiques entre chaque partie, mais le corps de la BD en lui-même ne contient rien d’autre que les images, les quelques phylactères présents ne contenant de des glyphes inintelligibles. Le scénariste anglais Simon Spurrier, et le dessinateur uruguayen Matias Bergara , qui nous avait déjà bluffés avec Coda (voir aussi le nouveau Sandman pour Spurrier) font donc un pari osé, et relèvent ce défi narratif haut la main. L’auteur parvient en effet à immerger le lecteur sans user d’artifices littéraires, rien que par la force des images et des plans concoctés par l’artiste.

Les enjeux initiaux sont simples, puis gagnent progressivement en ampleur grâce à une caractérisation subtile des personnages principaux. Si vous consultez régulièrement le blog, alors vous aurez déjà entendu parler de la récurrence du duo enfant/badass en fiction, qui donne souvent la part belle aux histoires d’amitié, d’amour filial et de rédemption pour l’un ou l’autre membre du duo. Ici, avec le procédé choisi par l’auteur, le lecteur est tenu de se concentrer non plus sur les échanges verbaux mais sur les éléments de mise en scène, les regards et les actes des personnages, pour saisir la nature de leurs relations ainsi que leur évolution.

Si la partie narrative est impressionnante de maîtrise, la partie graphique est elle aussi à louer pour sa qualité. Matias Bergara fait preuve d’un talent incontestable de créateur d’univers. Les paysages sont tout simplement magnifiques et saisissants de beauté, la flore et la faune inventives, et les architectures, qui oscillent entre magie et technologie, rappellent Coda tout en se détachant néanmoins par un aspect plus brut.

La conclusion de l’album m’a rappelé celle du film mother! de Darren Aronofsky, en moins cruelle et plus poétique, évidemment, mais le parallèle allégorique et la thématique écologique et cyclique sont bel et bien communs.

Il résulte donc de la combinaison des savoir-faire de ces deux artisans de la narration un œuvre excellente, qui provoque des émotions authentiques par des procédés antédiluviens qui nous rappellent que la fiction et la narration sont au cœur de notre ADN humain. Et ça vaut bien 5 Calvin pour un candidat à l’album de l’année !

***·BD·Jeunesse·Service Presse

PUNCH! saison#1: dans la Nature

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BD collective.
Kinaye (2022), 144p., anthologie de 4 histoires.

Le très dynamique éditeur Kinaye, outre le fait d’avoir réussi à se maintenir malgré la difficulté de lancer de nouvelles maisons d’édition, malgré le COVID, croit lentement mais sûrement puisque après des sorties régulières de traductions de comics indé jeunesse depuis 2019, l’éditeur lançait en début d’année dernière une collection de créations originales franco-belges. Restant dans le champ jeunesse mais avec des formats courts souples rappelant les comics, l’éditeur propose à une jeune génération travaillant déjà dans le graphisme mais n’ayant pas ou peu publié de BD de se lancer sur des histoires courtes, avec une thématique par année. Le galop d’essai avait été proposé à Valentin Seiche sur The world qui avait soulevé un intérêt des chroniqueurs lors de sa sortie. En mars dernier est donc sortie l’intégrale de la première saison, qui permet de découvrir ces jolies créations dans un format BD broché plus classique, sur le thème de la Nature.

Merci aux éditions Kinaye pour leur confiance

Punch – Saison 1 – Tome 1 – Minimage – Yohan Sacré | 22h05 rue des DamesUnivers le plus construit du recueil, cette histoire prend un aspect très original pour un propos connu: deux peuples (les légumineuses et les puissants Mages) se détestent depuis la nuit des temps sans plus savoir pourquoi. Lorsqu’un bébé Mage est découvert par une bande de légumineuses, s’ensuit un périple plein d’aventure et de danger entre les racines de la forêt et les crocs du méchant loup Sport, jusques paye des Mages où ils vont braver le danger ennemi pour restituer un enfant à son peuple. Le ton est enfantin, le dessin simple mais très agréable sur des tons pastelle et l’idée des graines et racines crée une esthétique résolument originale. L’auteur maîtrise très bien son scénario pour une histoire qui ravira les plus jeunes.

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  • Moineau (Elsa Bordier/Sourya)

Punch! Saison 1 - Moineau - Editions KinayeLe duo a déjà travaillé ensemble chez Ankama sur l’anthologie Midnight tales. Abordant le thème de l’exclusion et de la différence, on suit une jeune fille à l’apparence différence des autres enfants, qui aime communier avec la nature et les animaux et se fait harceler pour cela. Plus proche des adultes que des enfants de son age, elle va apprendre à assumer sa différence en comprenant que la majorité de ceux qui la moquent sont craintifs de l’avenir et se contentent de suivre les rails tracés pour eux. Assumer ses choix différents est difficile et exige d’accepter de déranger le conformisme social, la différence menaçant la faiblesse des majorités en leur renvoyant un miroir de leurs propres lâchetés… Un très beau message

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  • Cratère (Mélanie Allag), 40p.

Cratère (par Mélanie Allag) Tome 3 de la série Punch ! présenteAventure post-apo la plus construite du recueil. Si le dessin enfantin ne m’attire guère, l’intrigue et la galerie de personnages permettent un récit complet qui ne laisse pas sur sa faim: sur une planète envahie par des insectes géants les humains se sont réfugiés dans des cratères protégés par des dômes géants. Là, entre deux expéditions guerrières à l’extérieur, des savants se livrent à des expériences sur des enfants afin de matérialiser leurs rêves, sorte de dimension parallèle. Jusqu’à ce que l’une d’eux décide de s’enfuir à l’extérieur et de révéler a réalité sur ces nuisibles. Les schémas sont classiques, l’interaction entre la bande de gamins fonctionne bien et les adultes sont archétypaux comme nécessaire. Pas révolutionnaire mais très solide histoire. Je salue toujours les tentatives de genre dans la BD jeunesse.

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Ma séquence préférée! Manifestement inspirée par l’esprit de l’Atelier des sorciers, l’autrice nous propose la très tendre insertion d’une jeune fée atypique (et un peu rebelle) au sein d’une équipe d’apprenties dirigées par l’impressionnante mais humaine Baba Yaga. Le graphisme est très maîtrisé, la colo superbe et on s’intéresse immédiatement à cette jeune magicienne qui refuse de dessiner les pentacles exigés par la corporation. L’histoire est très simple mais, portant sur les choix individuels, propose un joli message aux jeunes lecteurs et nous touche. Une autrice à surveiller sur un format plus long!

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***·BD

Féroce #1: Taïga de sang

Premier tome de 54 pages, écrit par Gregorio Harriet et dessiné par Alex Macho. Parution chez Glénat le 01/09/21.

Les dents de la neige et Faits d’Hiver

Janvier 2019. Au cœur des terres gelées de la taïga russe, un commerce tout particulier a cours, un commerce qui se fait au détriment de la nature et de la faune locale: celui du bois, qui engendre une déforestation aux proportions plus alarmantes encore que celle de la région amazonienne.

Victor et Nikolay sont deux gardes forestiers dépassés par ces événements. Impuissants à arrêter la coupe et l’exportation de bois, ils doivent se contenter d’observer sans pouvoir en référer à leur hiérarchie, qui se plie elle aussi aux exigences des multinationales sans pitié qui pillent le territoire. Kostya, le fils de Nikolay, est quant à lui contraint de travailler à la découpe faute de mieux. Pendant ce temps, Sabine Koditz, Kristin et Mark sont venus afin de tourner un documentaire sur les Tigres de Sibérie, dont l’habitat et la vie sont menacés par l’exploitation du bois. Sabine est bien connue dans le milieu de l’activisme écologique, puisque ses précédents documentaires ont mis à jour l’enrichissement illégal de certaines corporation, ce qui lui vaut bien sûr l’inimitié de gens toujours très puissants, et rancuniers.

Alors qu’elle s’installe pour débuter le tournage, Sabine ignore qu’elle est la cible de représailles, de la part d’un trafiquant russe et d’une PDG chinoise. Malheureusement, les choses vont tourner au bain de sang, lorsque le chasseur chargé d’abattre Sabine se laisse tenter par l’appât du gain et tire sur un tigre de Sibérie. Le fauve, blessé, n’aura alors plus qu’une idée en tête: se venger et reprendre le contrôle de son territoire dévasté par les humains.

Dans la taïga, personne ne vous entendra saigner

Comme il est coutume de le rappeler, toutes les bonnes histoires d’épouvante comportent trois composantes essentielles, qui font monter la tension et forment les bases d’un bon récit de genre.

Premièrement, un monstre. Il peut s’agir d’un requin (Dents de la Mer) ou un xénomorphe (Alien), ou toute autre entité maléfique, hostile, surnaturelle ou non.

Ensuite, la faute, ou le pêché, qui fait surgir ce monstre. Pour les Dents de la Mer, il s’agira du refus par le Maire de faire évacuer la station balnéaire, craignant les retombées économiques pour sa ville. Pour Alien, ce sera la naïveté de répondre à un signal de détresse qui n’en est pas un, puis la volonté d’étudier un organisme trop dangereux.

Et enfin, un lieu clos: une plage, un vaisseau spatial, une maison hantée, ou tout autre lieu dont on ne peut pas s’échapper facilement. Généralement, pour surmonter le Monstre, le protagoniste devra en premier lieu se confronter au pêché qui l’a fait surgir.

Pour ce premier tome de Féroce, on retrouve bien ces trois éléments fondamentaux: un tigre (monstre), attaque des gens prisonniers de la taïga gelée (lieu clos), pour se venger d’un contrebandier cupide (pêché). Cela promet donc un récit à sensations fortes, d’autant plus que l’histoire semble adaptée, selon l’éditeur, d’un fait divers similaire.

Le scénariste prend le temps de poser son cadre au cours de ce premier album. D’emblée, le contexte géopolitique est posé (mention spéciale et point bonus à l’auteur, qui évoque avec une étonnante clairvoyance le conflit russo-ukrainien) et avec, les enjeux écologiques et environnementaux. On pourrait reprocher des antagonistes trop caricaturaux, mais après tout, est-ce si éloigné de la réalité (encore une fois, l’actualité ne ménage pas ses efforts pour nous le prouver) ?

Grâce à l’écriture de Harriet, on a le loisir de s’attacher aux personnages, notamment le duo père/fils (ce qui tend à démontrer que les autres sont sacrifiables…les paris sont ouverts!), on se laisse happer par l’ambiance polaire et la tension croissante, à mesure que les pages défilent et que le tigre se fait désirer.

Graphiquement, Macho bombe le torse et produit des planches impeccables, tant sur les décors glacés, que pour les personnages, qui sont tous très bien caractérisés au travers du dessin, montrant ainsi la complémentarité de la narration.

Féroce est donc férocement à conseiller, car il parvient à mettre en avant une thématique écologique majeure tout en nous faisant craindre pour ses personnages.

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