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Dr. Stone #24 – Ender Geister #3 – Shangri-La Frontier #8

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Retour des fournées manga avec aujourd’hui une salve Glénat très grand public!

bsic journalismMerci aux éditions Glénat pour leur confiance.

  • Dr. Stone #24 (Boichi, Inagaki/Glénat) – 2023, 208p.

dr_stone_-_tome_24_-_gl_natA deux tomes de la conclusion (qui laisse de plus en plus anticiper un prochain cycle…) on accélère puisque la société scientifique parcourt le monde pendant dix ans afin de récolter les matières premières nécessaires à la fabrication d’une fusée et à ce qui permettra à un équipage de se poser sur la Lune. Gros changement d’échelle puisque jusqu’ici, malgré des voyages trans-pacifique les auteurs n’étaient jamais rentré dans le détail du déroulement du temps.  Probablement pressés par la nécessité de conclure, Inagaki et Boichi avancent donc à un rythme inhabituel avec un saut technologique très important qui nous fait réaliser que malgré les incroyables inventions recréées jusque là on en était resté au stade du bricolage.

Du coup on se perd un peu (pour les moins scientifiques des lecteurs) avec des explications vaguement absconses sur les étapes de la réalisation d’un ordinateur, même si les auteurs évitent de multiplier les digressions qui auraient fini de nous perdre. Le volume n’en garde pas moins l’aspect d’un tome de transition qui n’a pas même abordé la question du scaphandre spatial. On remarquera au passage une nouvelle fois le scientisme bien peu écologique (et pour le coup assez hors sol à notre époque) qui promeut une science productiviste où il suffit d’engraisser la terre pour produire intensivement du riz sans que quiconque n’y trouve à redire. On objectera que dans le Monde de pierre la pression humaine a disparu mais pour un shonen de vulgarisation scientifique le message peut déranger… En attendant, on patiente jusqu’aux deux volumes de conclusion qu’on espère aussi bien huilés que le reste de la série.

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    • Ender Geister#3 (Yomoyama/Glénat) – 2023, 192p., 3/10 tomes parus.

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Après deux premiers volumes sortis simultanément et permettant de bien rentrer dans une « intrigue » fortement axée action, on part dans ce troisième tome pour un gros flashback destiné à nous expliquer un peu mieux qui est cet étonnant anti-héros imbattable au corps à corps mais qui a la fâcheuse manie de se métamorphoser en un démon mortel lorsqu’il… meurt. n part donc pour une plongée lovecraftienn dans les entrailles de l’Afrique au sein d’une sorte de temple maléfique qui va autoriser l’auteur à dessiner des soldats bad-ass et des bastons épiques, intérêt principal de la série.

Je reconnais que si en matière de gros boss, de combats hyper-dynamiques et de pépées aérées on est servi, on se demande comment l’auteur va tenir ce rythme pendant plus de dix tomes sans tomber dans les défauts d’un Dragonball aux combats éternels. Il y a pourtant jusqu’ici du style, un héros mystérieux et une approche série B de loisir totalement assumé qui fait plaisir à lire. Avec un peu plus d’application dans les dessins et un soupçon d’intrigue on a de très bonnes bases pour une excellente série inattendue.

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  • Shangri-la Frontier #8 (Katarina-Fuji/Glénat) – 2023, 192p., 8/13 volumes parus.

shangri-la_frontier_-_tome_08_-_glenatEpisode qui risque de marquer la fin de l’aventure pour moi avec un sur-place plaçant le héros dans une perspective de leveling qui montre que le manga tourne désormais en circuit fermé en oubliant ce qui a permis un plaisir de lecture jusqu’ici: une fuite en avant axée sur la découverte et extraordinairement lisible. Ce huitième volume perd les deux à la fois: la lisibilité avec cet affrontement contre les scorpions de quartz assez pauvres visuellement et la découverte qui se résume à quelques pages en fin d’album où l’on retrouve l’archéo-forgeronne qui va permettre à Sunraku d’arborer des artefacts de l’ère des Dieux. Au lieu de poursuivre cette unique révélation, voici le personnage qui quitte Shanfro pour se faire une petite escapade sur un jeu de Mechas. Aucun intérêt autre que de voir le dessinateur se faire plaisir sur de jolis designs SF. Si la technique reste de très bon niveau, on est clairement à l’étape où seuls les fans de jeux vidéo trouveront un sens à continuer leur lecture. DOmmage, Shangri-la Frontier aura tout de même été une sacrée surprise!

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***·BD·La trouvaille du vendredi·Rapidos·Rétro·Service Presse·Un auteur...

Dead Charlie

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BD de Thierry Labrosse
Auto édition (2027), 48p. One shot.

badge numeriqueLe Québécois Thierry Labrosse est un dessinateur trop rare! Apparu à l’orée des années 2000, en pleine gloire des éditions Soleil, la série Moréa qu’il a dessiné cinq tomes proposait une SF d’une technicité et d’une élégance rare pour un artiste autodidacte. Après ce partenariat avec Arleston il a tenté l’aventure solo chez Glénat où il a publié l’intéressant Ab Irato avant de continuer son émancipation des carcans de l’édition en auto-éditant pour les salons les trois tomes de sa série d’humour absurde Dead Charlie.

Thierry Labrosse, Dead Charlie - Péché Mignon - Œuvre originaleInspiré d’une tradition toute américaine dont le coquinou Frank Cho fut le parangon avec son Liberty Meadows, Labrosse met ainsi en scène un crane complètement barré (le fameux Charlie) qui cumule les catastrophes dans sa recherche d’amusement et de jolies filles, sous les regards mi-désabusés mi courroucés de sa femme, la sublime Baronne. Vous l’aurez compris, on nage bien en absurdie totale dans ces quelques pages NB qui font honneur au dessin et aux formes féminines dans des séquences en pleine page qui n’ont ni queue ni tête. L’auteur propose néanmoins dans ce troisième volume une simili histoire de confrontation spatiale « so-pulp » pour récupérer le chéri prisonnier d’amazones de Venus bien entendu d’une sexualité dévorante et extrêmement sexy.

Disponible en stock très limité, espérons que l’auteur propose prochainement des versions PDF pour permettre au plus grand nombre de profiter de son talent, en attendant, peut-être un nouveau projet BD un de ces quatre.

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La Frontière invisible

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BD de Benoit Peeters et François Schuiten
Casterman (2002-2004), env. 60p./album, diptyque.
L’histoire est d’abord parue en deux volumes avant de ressortir en un unique volume puis dans le quatrième tome de l’intégrale de la série

Dernier descendant d’une illustre dynastie, Roland de Cremer, jeune cartographe arrive au Centre de cartographie de Sodrovno-Voldachie. Là il va apprendre le métier au contact d’un maître de la tradition qui voit arriver une modernité menaçant l’art de la cartographie. Entre ses découvertes amoureuses et professionnelles, de Cremer va devoir se positionner lorsque le pouvoir militaire du maréchal Radisic décident de reprendre en main la direction du Centre…

Les cités obscures -8- La frontière invisible - 1Ma relecture de cet avant-dernier diptyque de la série est l’occasion de rappeler l’importance de la série des Cités obscures dans l’histoire de la BD franco-belge. Entamée en 1983 en feuilleton dans le magazine mythique (A suivre), la série compte onze albums dont le dernier paru en 2009 est probablement le dernier. Le dessinateur François Schuiten est le fils d’un réputé architecte bruxellois et son travail commencé dans les pages de Métal Hurlant se concentre dès le début sur les formes architecturales et les décors. Le scénariste Benoit Peeters est un éminent sémiologue, spécialiste de Tintin qui a autant écrit de livres sur le récit séquentiel que de scénarii de BD. Leur travail sur les Cités Obscures consiste en le développement d’un univers à la géographie partagé mais expérimentant de multiples formes tant graphiques (noir et blanc ou couleur), de format que s’étendant au-delà du cadre du neuvième art en se développant en expositions, musiques ou faux guide touristique aux Guides Michelin.

Se situant dans un univers à la temporalité technologique proche des années 1950 et parfois quasi-steampunk, La Frontière invisible raconte en deux tomes très différents la résistance de la tradition sur une science techniciste au service d’un pouvoir politique qui cherche à façonner les territoires pour confirmer son récit. Frontière Invisible (La) | François Schuiten & Benoît PeetersNotre héros est un naïf plutôt bien vu à son arrivée en raison de son nom glorieux, montrant le conservatisme de cette société. Désormais membre d’une illustre institution il devient ainsi un gardien du Temple en même temps qu’un rempart contre la modernité incarnée par des machines destinées à automatiser un art ancestral. Dans ce monde fantastique, outre les architectures démentielles qui sont un des plaisirs évident de la lecture, les travaux surréalistes participent à l’esthétique générale: ainsi les travaux cartographiques portent autant sur la reconstitution du territoire en une gigantesque maquette que sur des cartes traitant des comportements sociaux.

Alors que le premier tome déroule un récit linéaire de découverte de ce petit monde et de ses décors incroyables (où l’on n’oublie pas une certaine sensualité qui rappelle que Schuiten n’est pas qu’un dessinateur-architecte!), le second relate la fuite des deux héros dans des décors naturels et des tableaux allégoriques où la politique expansionniste de ce régime autoritaire nous explique le sens du titre et l’absurdité de la Frontière.

Frontière Invisible (La) | François Schuiten & Benoît PeetersÉtonnamment c’est plus le worldbuilding et sa cohérence qui fascinent dans cette BD sans doute un peu trop courte pour pouvoir développer réellement une intrigue géopolitique intéressante. On effleure donc simplement ce que l’on imagine des rivalités empruntées à l’Europe de l’Est en contexte de Guerre froide qui ne restent que des tableaux. De même sur l’histoire pourtant passionnante de ce Centre incarné par un dôme gigantesque renfermant une version miniature du territoire de la République mais qu’hormis la rivalité entre le patron et le jeune loup imposant ses machines, on ne fait que survoler. Archéologues, Schuiten et Peeters lancent des pistes, nous font découvrir au détour d’un couloir les caves de l’Institution, habitées d’animaux fantastiques dont on ne nous dira rien… Frustrant, comme une conclusion amère dont on ne sait que penser au-delà de l’idée que le rêve (y compris amoureux) doit guider le cartographe plus que sa mission.

Album tantôt fascinant tantôt décevant, La frontière invisible n’est semble t’il qu’une pierre de l’incroyable édifice des Cités Obscures, œuvre d’une époque, d’une génération, de ces Bourgeon, Bilal, Manara, Pratt, des artisans érudits dont les dessins très détaillés n’étaient que le véhicule pour des réflexions sociétales comme poétiques. Des albums intelligents et accessibles qu’il faut redécouvrir.

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Ender Geister, l’ultime exorciste #1-2

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Manga de Takashi Yomoyama

Glénat (2023) – 2018, 192p./volume, 2/7 volumes parus.

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Merci aux éditions Glénat pour leur confiance!

Le monde que nous connaissons est parcouru d’un voile qui cache des entités démoniaques un peu partout sur la planète. Chaque pays fait appel à des exorcistes, combattants rodés à l’extermination de ces créatures maléfiques. Lorsqu’un dangereux pilier de matière démoniaque apparait au Japon, l’organisation des exorcistes fait appel à Michael, le plus talentueux des chasseurs, mais aussi le plus dangereux…

Dans la foultitude de manga d’action mettant en scène des bastons décérébrées contre des démons, la nouveauté Glénat réussit le miracle de se sortir la tête de l’eau par son énergie communicative et des dessins tout à fait correctes. En déroulant ses deux premiers tomes (parus simultanément) le lecteur est plongé dans une frénésie d’action violente, vaguement ecchi et rehaussée de dialogues dont le second degré nous maintient dans un esprit ludique décérébré, coloré de références ciné éparpillées un peu partout, à commencer par les titres de chapitres.

Review: Tsui no Taimashi - Ender Geister- (new-ish manga w/black female  characters) | Lipstick AlleySans prétention l’auteur (dont c’est la première création hormis un hentai) se fait plaisir en suivant un héros extrêmement puissant dont le secret nous est dévoilé dès l’introduction: il s’agit semble t’il d’un démon contrôlé par un maitre exorciste et capable d’utiliser l’énergie démoniaque pour générer des armes et se régénérer lui-même. Hormis cette introduction et quelques éléments de background sur la mystérieuse organisation, pas le temps de souffler puisqu’on est envoyé sur le terrain bastonner du troll amateur de vierges dénudées, de sorcière volante tout aussi légèrement vêtue ou de minotaure colossal armé de hache… Entre démembrements et prétexte à mettre les nichons à nu pour un rien, on est clairement dans du gros Seinen de garçon prépubère. Présenté comme ça le manga ressemblerait plutôt à de la grosse conso mais je dois reconnaitre que l’ensemble est ficelé de manière à nous capter sans prendre le temps de refléchir et avec un plaisir non feint. Dosant habilement un design très réussi, méchants charismatiques et très puissants et une bonne dose d’humour, Yomoyama parvient à donner une cohérence à l’ensemble qui pose de très bonnes bases pour la suite.

Faisant parfaitement le job d’une introduction en posant suffisamment de mystère et de personnages pour donner envie de continuer, l’arrivée d’Ender Geister est pour moi parfaitement réussie.

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No future

La BD!
BD de Eric Corbeyran et Jef
Delcourt (2022), 117p., one shot

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bsic journalismMerci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

Halen Brennan est une mercenaire chargée d’effectuer les taches discrètes des multinationales. Sans foi ni loi, elle entame ainsi la recherche du voleur Jean-Claude Belmondeau pour la compagnie Stella, fleuron du tourisme spatial. Mais dans cette société matriarcale écolo-bobo les pratiques du Grand Capital restent les mêmes et Halen va bien entendu se faire doubler. Sauf qu’en bonne hétéro monogame nihiliste, Brennan faut pas la faire chier…

NO FUTURE (Éric Corbeyran / Jef) - Delcourt - SanctuaryAvec une productivité toujours impressionnante d’environ deux (gros) albums par an, Jef ne change pas une formule qu’il aime et en compagnie du vétéran scénariste du Chant des stryges nous propose un one-shot vitaminé qui va faire parler de lui. Car on peut accorder aux deux mâles blancs hétéro aux manettes le crédit d’assumer une BD coup de gueule qui risque de créer des remous dans le petit milieu culturel de la BD tout juste sorti de l’affaire Vivès. Entendons-nous: No future, sous son titre nihiliste qui représente les deux personnages (et globalement tous les personnages de Jef) est avant tout une série BD comme le dessinateur les a érigé en art, une SF pulp au scénario tout ce qu’il y a de plus convenu mais qui se démarque par un « montage » extrêmement efficace et une description graphique de notre futur proche assez impressionnante. On sent que le dessinateur se régale à multiplier ces plans urbains de circulation en apesanteur digne du Cinquième élément, Star-wars ou Valérian (ans le désordre) et je dois dire qu’on en prend plein les mirettes dans une technique hybride à la fois très old-school (on pense souvent à Jimenez) et au numérique fort discret. Sur ce plan un nous offre un véritable blockbuster comme on en voit finalement pas tant dans le neuvième art.

NO FUTURE (Éric Corbeyran / Jef) - Delcourt - SanctuaryLà où ça risque de faire crisser c’est dans la satire d’une société dystopique où une caricature de féminisme woke vegan bobo aurait pris le pouvoir sous une sorte de totalitarisme inversé qui voit les fumeurs boufeurs de barbaque et amateurs de bagnoles qui puent rangés dans les bas-fonds des cités connectées. En faisait de leurs deux héros des spécimen régressifs de notre société en transition, les auteurs prennent le risque que leur album soit pris au premier degré de la défense du virilisme qui nous rapprocherait des idées facho d’un Zemmour. Je ne connais pas les options politiques de Corbeyran et Jef mais personnellement j’ai choisi de prendre l’album pour ce qu’il était: une série B de dérision et aussi fine que les précédentes productions de Jef et que la filmographie d’un Quentin Tarantino. Si l’on s’abstient de tomber dans la suspicion généralisée ambiante il faut défendre le droit à la parodie, au mauvais gout et à la provocation. Quel que soit l’objectif visé (un petit ras le bol à certaines exagération de notre société?) il faut apprécier l’album tout à la fois pour son aspect couillu (dans le sens que vous voudrez) et pour le bel emballage SF certes peu original mais très bien emballé. Après tout un gros film aux personnages bleus est en train de casser la baraque avec un scénario de timbre poste, des plagiats éhontés et une naïveté confondante. Bon, je m’arrête là, je vais encore me faire des amis…

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Sanctuary (perfect) #1

La trouvaille+joaquim

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Manga de Sho Fumimura (« Buronson ») et Ryoichi Ikegami
Glénat (1990)/(2022), 460p, 1/6 tomes parus.

Sous l’appellation « Perfect » de l’éditeur se cache plus simplement une réédition intégrale regroupant deux tomes par volumes, sans ajout particulier ni retravaille du master vieilli. Glénat avait ouvert la publication en 1996 avant de l’abandonner au bout de deux tomes, les éditions Kobuto reprenant la série pour publier les douze volumes entre 2004 et 2005, introuvables désormais. Alors que Glénat republie le chef d’œuvre de Ikegami en apéritif à la nouveauté Trillion game (chronique demain), on peut gager que la ressortie de l’autre monument, Crying Freeman ne tardera pas, avec, espérons, un travail éditorial plus conséquent.

bsic journalismMerci aux  éditions Glénat pour leur confiance.

Asami et Hojo sont deux jeunes ambitieux. L’un officie dans l’ombre des politiciens, l’autre dans celle des Yakuza. Alors qu’une commissaire est nommée sur le territoire du second, elle va bientôt apprendre que beaucoup de choses relient les deux hommes…

CaptureRyoichi Ikegami est un des monstres sacrés du manga, notamment dans les années 80-90 où il officia sur les best-sellers Crying Freeman (avec le scénariste du mythique de Lone Wolf &Cub qui vient de ressortir en édition perfect), adapté au cinéma par Christophe Gans, et donc ce Sanctuary scénarisé l’auteur de Ken le survivant (Hokuto no Ken) qui accompagnera Ikegami sur la plupart de ses autres séries.

Ce qui marque immédiatement en ouvrant ce manga de Yakuza qui a probablement inspiré Boichi sur son Sun-ken Rock c’est le style graphique très crayonné où des éphèbes rivalisent d’intelligence et de détermination, l’un du côté des Yakuza, l’autre du côté politique, pour parvenir à leurs fins. Comme tout vieux film de Scorsese ou de John Woo (on est un peu entre les deux) les costards d’époque, les Mercedes et les coiffures vintage marquent leur temps et participent à l’atmosphère d’un Japon corrompu jusqu’à la moelle et écrasé par une classe de vieux mandarins que ces jeunes gens veulent bouter du pouvoir.

Et c’est là la modernité la plus notable dans le scénario: ces deux auteurs de quarante ans dynamitent la gérontocratie japonaise, comme Masamune Shirow et Katsuhiro Otomo dans leurs monuments Appleseed et Akira du reste. Alliant une radicalité dans la violence graphique (sexuelle comme physique) ils montrent un monde politique plus détestable encore que celui de la pègre en ce qu’il est réputé œuvrer au bien commun. Ici Capture1on achète les circonscriptions électorales à coup de millions et de grands « présidents » décident de tout entre jeux de jambes en l’air avec des gaminettes et parties de golf. Si le monde des Yakuza n’est guère reluisant, il semble moins pointé du doigt (qui reprocherait à des criminels leur manque de morale?).

Sur ce premier tome remarquable d’équilibre nous apprenons donc qu’un lien ancien existe entre ces deux impétrants et que la commissaire va être le grain de sable dans le plan parfaitement huilé du duo pour gravir le sommet et changer le monde. Résolument adulte, le scénario ne s’encombre pas de scories familiales et d’intrigues secondaires faciles. Dur tout en sachant être léger, Buronson et Ikegami dressent un tableau très réaliste d’une époque et de deux mondes qui semblent naviguer de concert au-dessus d’une société bien délaissée au regard des enjeux de pouvoir. Doté de personnages charismatiques, d’une narration millimétrée, d’action régulière et de dessins superbes (bien que mal mis en valeur par une technique d’impression d’époque), Sanctuary est un must-read qui n’a vraiment pas vieilli et montre pourquoi l’œuvre de Ryoichi Ikegami est majeur dans l’univers du manga.

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Ex-arm #14

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Manga de Shinya Komi et HiRock
Delcourt (2022), 232 p., série terminée.

Alors que la menace de Beta semblait éliminée définitivement, les armes lancées par les armées japonaises et américaines pour confiner le danger se retrouvent piratées. Les alliés d’Akira sont épuisés par tous ces affrontements et la capacité même du certeau de l’adolescent a atteint ses limites, alors que se profile rien de moins qu’un apocalypse nucléaire mondial…

badge numeriqueQuel final mes aïeux, et quelle montée en puissance pour cette série! Rembobinons un peu: En 2015 l’ancien assistant du grand Masakazu Katsura (qui partage avec l’auteur de DNA2 et Zetman) publiait un one-shot que l’éditeur Delcourt/Tonkam teasait avec le titre de la nouvelle de Philippe K.Dick à l’origine du film Blade Runner. Devant le succès le Ex-Arm 14 (par Shinya Komi et HiRock) Tome 14 de la série Ex-Armone-shot devenait l’année suivante une série qui s’achève donc au bout de quatorze volumes… pour ce premier arc, un nouveau (baptisé Ex-Arm EXA) venant de débuter avec la même équipe au Japon et devrait suivre très vite en France au vu de la réactivité de Delcourt sur cette série depuis le début. Tant mieux pour nous! Entre temps des romans et un Anime sont sortis, suivant le circuit classique des manga à succès.

Pourtant on peut dire que la mangasphère comme l’éditeur n’ont étonnamment jamais été en ébullition autour de cette série qui comporte certes des défauts mais que la qualité technique incroyable et les références rendent hautement sympathique. D’autant plus surprenant qu’avec cet habillage techno-robotique, militaire et sexy la série a tout pour plaire à un très large public.

CaptureSur un format idéal de moins de vingt tomes, la série aura su monter en puissance, débutant sur des sortes d’enquêtes solo à la Ghost in the shell pour installer progressivement son intrigue au long court ajoutant à chaque étape couche sur couche pour faire d’une gentille récréation une forme de tentative syncrétique d’hommage à toutes les meilleures références manga et SF des trente dernières années. Si Otomo et Shirow restent tout le long les grands mentors d’Ex-Arm, ce dernier volume tout orienté vers un chaos terroriste déclenché par des IA lorgne vers la radicalité folle d’Ajin et son inéluctable supériorité des méchants…

Ce qu’on aura pu reprocher à cette série c’est son inconstance, avec l’impression d’une construction progressive qui densifie et complexifie les thèmes de l’intrigue brique par brique. Ainsi sur les questions d’IA nous avons vu apparaître de l’espionnage, des manipulations financières et autres conflits géopolitiques, les questions familiales et les équilibres criminels de la pègre asiatique. Rarement les combats SF auront été si léchés dans un manga, ce qui me fait dire que techniquement  Ex-Arm apparaît aujourd’hui comme une des références en la matière, ayant su s’inspirer de Shirow pour le sublimer.Ex-Arm T. 14 - Par HiRock & Shin-ya Komi - Delcourt/Tonkam - ActuaBD

Il faudrait se replonger en détail sur l’ensemble des volumes pour tirer toutes les qualités de cet imparfait chef d’œuvre(?)… mais le mieux est de rattraper votre retard en enchaînant cette luxueuse enquête de l’unité anti ex-arm avant l’arrivée de la suite!

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***·BD·La trouvaille du vendredi·Rétro

L’assassin qu’elle mérite

La trouvaille+joaquim

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BD de Wilfried Lupano, Yannick Corboz et Catherine Moreau (coul.)
Vent d’ouest (2010-2016), 46p./album série terminée en quatre volumes.

Dans la Vienne impériale de 1900 l’ancien monde se fracasse sur le nouveau. Si l’oppression féodale a été remplacée par une Lutte des classes entre prolétariat et bourgeoisie fortunée, cette dernière est loin d’être homogène, certains de ses membres abhorrant le carcan moral que fait peser l’ordre établi sur l’humanité. Ainsi vont se retrouvés liés à la vie à la mort deux riches hédonistes décidés à s’encanailler en créant une oeuvre d’art vivante: un pauvre naïf qu’ils ambitionnent d’élever au rang de criminel ultime chargé d’abattre la société morale. Ils vont s’efforcer de créer l’assassin qu’elle mérite…

L'assassin qu'elle mérite - BD, informations, cotesÉtrange série que cette quadrilogie qui se découpe en réalité en deux diptyque en forme de deux lieux/époques. Formé à Emile Cohl et déjà très solide techniquement et doté des atouts techniques des artistes de l’animation, Yannick Corboz (auteur plus tard de la Brigade Verhoeven et dernièrement des Rivières du Passé chez Maghen) sort d’un diptyque avec le golden-boy d’alors, Wilfried Lupano tout juste auréolé du succès de sa série majeure, Alim le Tanneur. Déjà chez les deux auteurs ce besoin de politique, cet esprit contestataire d’un ordre établi, d’une morale religieuse ou sociale qu’ils veulent mettre à bas. Et l’on sent dans le duo Alec/Klement une part de l’esprit créatif qui transpire dans cette reconstitution des Vienne et Paris de la Belle-époque.

Difficile de résumer cette intrigue très tortueuse qui, si elle suit résolument l’itinéraire assez piteux du jeune Victor tombé dans les filets machiavéliques de Victor, ne fait pas de lui un héros pour autant, loin de là. Ici les personnages sont bien un prétexte pour dépeindre deux sociétés au bord de l’explosion et que personne ne veut vraiment défendre. Le traitement scénaristique est ainsi perturbant en ce qu’hormis peut-être Klément, l’ami victime repenti on a très peu de compassion ni pour Alec le manipulateur ni pour Victor la victime. Car s’il a découvert la belle vie des héritiers gavé de l’argent de son mécène, le jeune garçon enchaîne mauvaises rencontres sur mauvaises décisions et n’est même pas capable de devenir le terrible révolutionnaire que l’on imagine.

L'Assassin qu'elle mérite - BD, avis, informations, images, albums -  BDTheque.comWilfried Lupano nous avait déjà habitué au refus de la linéarité sur Alim le tanneur et poursuit ici sa construction chaotique au risque de perdre un peu le lecteur quand aux finalités de son projet. Le décors et les acteurs permettent bien très efficacement de nous décrire la Vienne impériale où la Police est principalement là pour protéger le mode de vie rapace des riches et où le vernis moral s’efface bien vite derrière le sexe et les pulsions. Mais faute de point d’accroche auquel s’identifier (un héros, un méchant) on écoute les analyses intéressantes tout en cherchant la route. C’est une approche que l’o peut qualifier de complexe, l’auteur refusant de donner le mode d’emploi de sa carte postale. Ainsi la rupture de mi-série voit disparaître Alec et l’intrigue se voit transposée à Paris autour de l’Exposition Universelle et d’un projet d’attentat anarchiste. Des personnages disparaissent, d’autres apparaissent sans que l’on se souvienne bien si on les a déjà vu ou non.

L'Assassin qu'elle mérite - BD, avis, informations, images, albums -  BDTheque.comGraphiquement parlant Corboz propose de belles mises en scène avec une évolution que la couleur n’aide pas. En changeant de coloriste sur chaque album, on sent que le dessinateur n’est pas totalement convaincu, lui qui maîtrise pourtant une belle palette sur ses dernières publications. Et si l’encrage est un peu grossier sur le premier volume ce sont surtout les couleurs qui semblent faites au numérique qui détonnent avec l’approche artisanale du trait et de l’ambiance. L’évolution graphique est ainsi palpable tout au long de la série (en mieux) et propose quelques très belles atmosphères impressionnistes qui collent parfaitement à l’époque.

Série insaisissable, ni pamphlet politique, ni carte postale ou chronique sociale, L’assassin qu’elle mérite est tout cela à la fois dans un mode déstructuré qui demandera un lâcher-prise au lecteur sans chercher un sens à tout cela. Pas le meilleur scénario de Wifried Lupano mais une belle découverte graphique d’un dessinateur assez rare et qui pourrait bien exploser au grand public au premier succès commercial.

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**·BD·Nouveau !

Convoi

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BD de Kevan Stevens et Jef
Soleil (2022), 114p., one-shot.

J’ai découvert Jef récemment, en 2021 sur son trip sous acide Gun crazy. Extrêmement productif il a remis le couvert en ce début d’année sur l’excellent Mezkal, accompagné déjà de Kevan Stevens. Chez Jef un album ça fait minimum cent pages. Et on ne peut pas dire qu’il chôme tant le découpage est travaillé et les cases fourmillant de détails. Pourtant il faut parfois savoir faire court, surtout quand le projet est simple.

Convoi (Jef)- ConvoiCar ce Convoi au titre aussi limpide que son pitch, se résume en une course folle à la sauce Mad Max Fury Road matinée de dialogues tarantinesques fatigués. Le chef d’oeuvre de George Miller a fortement inspiré la galaxie des artistes graphiques et on comprend bien que certains aient eu envie de se faire un petit plaisir coupable. Le problème c’est que dans un Mad Max l’épure scénaristique s’appuie sur une virtuosité graphique. Jef est un bon dessinateur, là n’est pas le problème. Mais son dessin rapide s’inscrit dans un univers personnel et peut devenir lassant sur des plans larges et des étendues grises désolées. Je ne sais pas quand a été réalisé cet album mais l’on sent un niveau d’implication bien moindre que sur le précédent Mezkal où l’émotionnel nous touchait malgré l’habillage défouloir.

De même, les dialogues à la cons à base de grossièretés et de bons mots ne font pas un album et finissent par devenir lassant en donnant l’impression d’avoir confié les textes à un collégien en rupture scolaire. L’esprit fou de cette France post-apo se reflète dans ces dialogues comme dans les trognes totalement débiles des marionnettes qui font office de personnages. En roue libre, les auteurs nous abreuvent de critiques tous azimut sur les exagérations de notre société en fin de cycle, du végétarisme aux interrogations sur le genre. En 2074 les pingouins parlent, les poissons fument, les frères Bogdonaff sont trois, l’héroïne porte le blouzon de Michael Jackson sur Thriller et Tortue Géniale dirige une place-forte en zone iradiée…

Illustrant la formule qu’un concept ne fait pas un scénario, les deux auteurs du Convoi échouent là où ils avaient réussi en début d’année pour une raison simple: Mezkal s’appuie sur un scénario habillé de WTF quand le convoi pose un WTF en se dispensant de scénario. Si vous voulez du délire lisez Gun Crazy, si vous voulez un film lisez Mezkal. Si vous êtes archi-doingues des Wasteland le Convoi peut se tenter. Pour les autres on attendra un projet plus solide.

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****·BD·Nouveau !·Rapidos

Shi #5: Black Friday

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BD de Zidrou et Homs
Dargaud (2022), 56 p., Second cycle.

Jay et Kita sont les ennemis publics numéro 1 de l’Empire. Après les évènements des docks que tout le monde semble pressé d’oublier, elles ont entrepris un militantisme radical (que la bourgeoisie victorienne appelle Terrorisme), bâtissant une organisation clandestine appuyée sur les gamins des rues. Mais la police de l’Impératrice n’a pas dit son dernier mot…

Black Friday (par Zidrou et José Homs) Tome 5 de la série ShiRetour de la grande série socio-politique avec un second cycle que l’on découvre, surpris, annoncé en deux albums seulement. Reprenant la construction temporelle complexe juxtaposant les époques sans véritables liens, Zidrou bascule ensuite dans un récit plus linéaire et accessible où l’on voit l’affrontement entre la naissance du mouvement des Suffragettes  et la société bourgeoise qui ne peut tolérer cette contestation de l’Ordre moral qui étouffe le royaume. Les lecteurs de la série retrouveront ainsi les séquences connues, à la fois radicales, intimistes, sexy et violentes. Et toujours ces planches sublimes où Josep Homs montre son art des visages.

L’itinéraire de Jay et Kita se croise donc avec un échange épistolaire original à travers les années avec la fille de Jay, sorte de fil rouge très ténu qui court depuis le début sans que l’on sache sur quoi il va déboucher. L’écho contemporain bascule cette fois dans les années soixante (on suppose) où un policier enquête sur une disparition qui le mène sur la piste des Mères en colère. Pas plus d’incidence que précédemment mais l’idée est bien de rappeler que les évènements du XIX° siècle débouchent sur un combat concret à travers les époques.

Avec la même élégance textuelle comme graphique, Shi continue son chemin avec brio et sans faiblir. On patiente jusqu’au prochain avec gourmandise!

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