BD Guillaume Singelin.
Rue de Sèvres – Label 619 (2023), 190 p. One shot.
Merci aux éditions Rue de sèvres pour leur confiance!
Guillaume Singelin avait marqué son monde en 2019 avec PTSD. Comme ce dernier et comme beaucoup d’albums du Label 619, très attachés à la forme, ce nouveau space-opera marque des points dès la prise en main avec une maquette classieuse avec un bandeau-logo à l’élégant design argenté. Le volume se termine par un passionnant carnet de work in progress des premiers concepts il y a dix ans jusqu’au projet final, doté d’explications sur l’évolution des personnages et de l’histoire. Une édition magnifique qui mérite un Calvin.
Alors que le système solaire a été colonisé, envoyant des humains sous contrat avec des compagnies capitalistes sur des astres terraformés ou des constructions spatiales aussi frustes que surpeuplées, trois individus contestataires et qui ne trouvent pas leur place vont se retrouver dans un objectif commun. Car dans ce monde anonyme et matérialiste, une utopie humaniste est peut-être encore possible…?
Plus discret que ses camarades Florent Maudoux ou Mathieu Bablet, Guillaume Singelin est pourtant selon moi le plus talentueux de l’équipe du Label 619 en matière de narration et d’accessibilité. Si ses deux comparses sont plus virtuose pour le premier et intello pour le second, leurs créations ont tendance à s’adresser à un public particulier en abordant des thèmes intéressants mais ciblés. Sur PTSD comme sur Frontier l’auteur parvient lui à nous offrir des œuvres au grand format qui se remarquent par leur immense lisibilité même si elles abordent des sujets personnels communs aux albums.
Sous l’habillage d’une version manga-SD de l’univers de Travis où le futur se décline en mode bricole et où les multinationales font la pluie et le beau temps, Singelin parvient à englober la problématique de la conquête spatiale dans d’impressionnantes largeurs tout en n’oubliant pas l’aspect loisir de la SF avec ses combats spatiaux, ses design futuristes d’engins et ses scènes épiques dignes des plus grands space-opera. L’inspiration évidente de cet album est bien évidemment le classique Planetes du japonais Yukimura dont le sujet des débits spatiaux parcours l’album. Mais loin de la redite, Guillaume Singelin ne tremble pas en assumant son style et ses propres thématiques, à commencer par un design des personnages auquel il faut s’habituer. Un peu comme pour Bablet mais en plus technique, ses personnages ronds, sans nez et aux extrémités minimalistes semblent issus d’un manga jeunesse. L’envie est exprimée dès la genèse du projet et heureusement s’oublie assez vite sous la précision du dessin, son dynamisme et la qualité des designs généraux. Pas évident de proposer une SF « réaliste » qui ne sombre pas dans la décharge permanente comme les films de Neill Blomkamp, pourtant l’auteur y parvient en extrapolant l’aspect des véhicules spatiaux actuels à l’échelle de l’exploration du système solaire et des stations massives. On se retrouve ainsi avec des habitats permanents occupés par des natifs de l’espace incapables de subsister longtemps sur le plancher des vaches, une compression des espaces et une efficacité des systèmes où des câbles parcourent l’espace et où l’esthétique est bien loin d’un Star Trek.
Nous suivons les itinéraires des trois personnages vus en couverture qui vont rompre avec leur environnement « naturel » et se rejoindre par la force des choses autour d’un projet positif. Si la progression narrative est remarquablement équilibrée, on reste un poil frustré par la brièveté du passage de l’équipage de récupération. La suite est logique mais on a par moment l’impression que les différentes séquences s’enchaînent trop vite. On ne pourra décemment pas reprocher à l’auteur de n’avoir réalisé « que » deux-cent planches mais il est certain qu’un tiers de plus auraient encore prolongé le plaisir.
Rarement un projet de SF aura été si abouti en se permettant le luxe d’éviter les visuels mainstream. S’il est hasardeux de comparer un album tout juste sorti avec des classiques historiques, Frontier jouit des mêmes perfections qu’un certain Universal War one (avec un scénario moins virtuose tout de même) dans une sorte d’état de grâce qui confirme en Singelin un auteur majeur de la BD franco-belge.