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Frontier

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BD Guillaume Singelin.
Rue de Sèvres – Label 619 (2023), 190 p. One shot.

bsic journalismMerci aux éditions Rue de sèvres pour leur confiance!

image-10Guillaume Singelin avait marqué son monde en 2019 avec PTSD. Comme ce dernier et comme beaucoup d’albums du Label 619, très attachés à la forme, ce nouveau space-opera marque des points dès la prise en main avec une maquette classieuse avec un bandeau-logo à l’élégant design argenté. Le volume se termine par un passionnant carnet de work in progress des premiers concepts il y a dix ans jusqu’au projet final, doté d’explications sur l’évolution des personnages et de l’histoire. Une édition magnifique qui mérite un Calvin.

Alors que le système solaire a été colonisé, envoyant des humains sous contrat avec des compagnies capitalistes sur des astres terraformés ou des constructions spatiales aussi frustes que surpeuplées, trois individus contestataires et qui ne trouvent pas leur place vont se retrouver dans un objectif commun. Car dans ce monde anonyme et matérialiste, une utopie humaniste est peut-être encore possible…?

Plus discret que ses camarades Florent Maudoux ou Mathieu Bablet, Guillaume Singelin est pourtant selon moi le plus talentueux de l’équipe du Label 619 en matière de narration et d’accessibilité. Si ses deux comparses sont plus virtuose pour le premier et intello pour le second, leurs créations ont tendance à s’adresser à un public particulier en abordant des thèmes intéressants mais ciblés. Sur PTSD comme sur Frontier l’auteur parvient lui à nous offrir des œuvres au grand format qui se remarquent par leur immense lisibilité même si elles abordent des sujets personnels communs aux albums.

Sous l’habillage d’une version manga-SD de l’univers de Travis où le futur se décline en mode bricole et où les multinationales font la pluie et le beau temps, Singelin parvient à englober la problématique de la conquête spatiale dans d’impressionnantes largeurs tout en n’oubliant pas l’aspect loisir de la SF avec ses combats spatiaux, ses design futuristes d’engins et ses scènes épiques dignes des plus grands space-opera. L’inspiration évidente de cet album est bien évidemment le classique Planetes du japonais Yukimura dont le sujet des débits spatiaux parcours l’album. Mais loin de la redite, Guillaume Singelin ne tremble pas en assumant son style et ses propres thématiques, à commencer par un design des personnages auquel il faut s’habituer. Un peu comme pour Bablet mais en plus technique, ses personnages ronds, sans nez et aux extrémités minimalistes semblent issus d’un manga jeunesse. L’envie est exprimée dès la genèse du projet et heureusement s’oublie assez vite sous la précision du dessin, son dynamisme et la qualité des designs généraux. Pas évident de proposer une SF « réaliste » qui ne sombre pas dans la décharge permanente comme les films de Neill Blomkamp, pourtant l’auteur y parvient en extrapolant l’aspect des véhicules spatiaux actuels à l’échelle de FRONTIER (Guillaume Singelin) - Rue de Sèvres - Sanctuaryl’exploration du système solaire et des stations massives. On se retrouve ainsi avec des habitats permanents occupés par des natifs de l’espace incapables de subsister longtemps sur le plancher des vaches, une compression des espaces et une efficacité des systèmes où des câbles parcourent l’espace et où l’esthétique est bien loin d’un Star Trek.

Nous suivons les itinéraires des trois personnages vus en couverture qui vont rompre avec leur environnement « naturel » et se rejoindre par la force des choses autour d’un projet positif. Si la progression narrative est remarquablement équilibrée, on reste un poil frustré par la brièveté du passage de l’équipage de récupération. La suite est logique mais on a par moment l’impression que les différentes séquences s’enchaînent trop vite. On ne pourra décemment pas reprocher à l’auteur de n’avoir réalisé « que » deux-cent planches mais il est certain qu’un tiers de plus auraient encore prolongé le plaisir.

Rarement un projet de SF aura été si abouti en se permettant le luxe d’éviter les visuels mainstream. S’il est hasardeux de comparer un album tout juste sorti avec des classiques historiques, Frontier jouit des mêmes perfections qu’un certain Universal War one (avec un scénario moins virtuose tout de même) dans une sorte d’état de grâce qui confirme en Singelin un auteur majeur de la BD franco-belge.

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Plastok #1: L’empoisonnement

Premier tome de 72 planches de la série co-écrite par Maud Michel et Nicolas Signarbieux, dessinée par Nicolas Signabieux. Parution aux éditions Glénat le 15/02/2023.

Le plastique c’est fantastique

C’est bien connu, le genre humain tire sa prévalence et sa longévité d’une confiance-en-soi absolue. « Après nous, le Déluge ! » affirmaient justement deux de nos références en terme d’absolutisme. Et bien, non, figurez-vous que ce bon vieux Louis XV et Madame de Pompadour avaient tort. Après nous, le Plastique !

Longtemps après la mort du dernier représentant du genre Homo, subsisteront sur Terre une trace de notre passage. Je ne parle pas ici des bâtiments, des routes, ou des centrales nucléaires, mais d’une matière en apparence plus anodine, qui pourtant restera le seul témoignage de notre passage: le Plastok.

Le Plastok, c’est le nom donné à la matière divine, du point de vue des insectes qui ont survécu à la catastrophe qui a balayé le genre humain. Pour eux, les humains étaient des « dieux géants », aux motivations obscures. Autour de ces figures terrifiantes, une religion est née parmi les insectes, la « foi humanos », qui s’articule autour d’une prophétie messianique. Le ministère du culte est géré par une grande prétresse, sélectionnée parmi les coccinelles. Anasta CXV, la Grande prestresse actuelle, est vieillissante et sur le point de désigner celle qui lui succèdera parmi ses étudiantes. Bug, quant à lui, se contente de servir Anasta, considérant sa condition de puceron. Mais son quotidien servile sera bouleversé lorsque, au moment d’annoncer son successeur, Anasta est empoisonnée. Bug est accusé, et toutes les preuves sont contre lui. Comment s’en sortira le jeune puceron ? Et plus important, que fera-t-il du secret que lui a confié Anasta avant de succomber ?

Plastok nous plonge dans un univers d’insectes anthopomorphisés, comme le faisaient Fourmiz et 1001 Pattes. Utiliser des animaux anthropomorphes dans un récit est, par nature, un façon de se distancier des travers humains et de les dénoncer. Des Fables de La Fontaine à la Ferme des Animaux, en passant par les films d’animation susmentionnés, prêter des caractéristiques humaines et des défauts à des bêtes a toujours permis de s’en moquer. Dans cet album, les auteurs utilisent des thématiques écologiques et renversent les perspectives pour traiter de la ferveur religieuse et des intrigues qu’elle a générées au cours de notre histoire.

Il est intéressant d’ajouter à cette thématique un soupçon d’horreur cosmique, en commençant par déplacer le curseur. Si dans les histoires de Lovecraft, l’humain est peu de choses face à des créatures géantes issues des profondeurs du cosmos dont il ne peut saisir la magnitude ni les motivations, que représente alors l’humain pour des créatures minuscules, dont la compréhension du monde est si différente de la notre ?

Bien évidemment, ce premier tome ne peut s’éloigner de sa prémisse, car qui dit insectes dit également société hiérarchisée et division des tâches, ce qui, dans le cadre d’un récit contenant nécessairement un arc narratif pour son protagoniste, amène obligatoirement l’idée de déterminisme et de destinée (peut-on déroger à notre place dans le collectif ? peut-on s’élever dans la société en franchissant les barrières ?).

Le déroulé de l’ensemble reste classique et calqué sur les modèles du récit d’aventures, ainsi que celui du « héros injustement accusé qui doit s’innocenter ». On passe donc par la case « évasion spectaculaire », puis « rencontre avec un allié inattendu » et ainsi de suite.

Malgré cet aspect classique, le pitch est suffisamment intéressant pour donner envie de lire la suite, pour voir les secrets de ce monde révélés et le personnage principal sortir de son cocon, sans mauvais jeu de mot.

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Feroce #2

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BD de Gregorio Murio Harriet, Alex Macho et Ekaitz Elizondo (coul.)
Glénat (2023), 56p., série en cours, série finie en deux tomes.

image-5Merci aux éditions Glénat pour leur confiance.

Dans l’extrême-orient russe, au cœur de ces forêts enneigées loin de la civilisation, la loi et la morale sont des principes bien ténus. Dans ce paradis naturel une équipe de documentaristes arrive pour réaliser un film sur le Tigre de Sibérie. Entre l’animal sauvage, l’hostilité du climat et l’appétit des mafia sino-russes, qui est le plus dangereux?

Carnage (par Harriet Gregorio Muro, Alejandro Macho Andrès et EkaitzNous voici venir une nouvelle BD de l’autre eldorado de la BD, l’Espagne qui nous apporte quantité de talents rescapés de l’appel du comics. Avec Feroce (dont le premier tome a été chroniqué par Dahaka), le très talentueux Alex Macho propose avec ses collègues scénariste et coloristes (deux coloristes différents sur le diptyque, sans que cela se ressente, heureusement) un thriller naturaliste en deux temps. Alors que le premier volume sorti il y a dix-huit mois décrivait une affaire mafieuse parfois proche de l’univers de Tarantino, le second volume vire dans le survival brutal, à la limite du fantastique et du slasher dans une volonté de ne rien laisser aux personnages!

En ouvrant leur intrigue dans un contexte exotique original frisant le « Eastern » et en contextualisant de façon assez réaliste une réalité écologique dramatique, les auteurs posent une base que l’on avait envie de suivre et qui n’était pas loin du coup de cœur tant les splendides dessins nous faisaient voyager en plein cinéma. Sans que l’évolution ne soit brutale, il faut reconnaître que l’on change de registre ici puisque le tigre-démon devient une sorte de croque-mitaine où l’absurde n’est jamais loin dans l’énormité. Pourtant la maîtrise de la mise en scène cinématographique et des codes de l’épouvante font fonctionner la mécanique qui nous ferait presque sursauter à chaque page. En jouant avec des personnages-proies Macho et Harriet nous tiennent en haleine tant on n’imagine pas ce jeu de massacre si radical. Et comme tout bon « film » de genre, on ne saura jamais vraiment ce qu’était cet affreux tigre quasi-immortel…

Sans doute victime d’une trop modeste ambition et l’envie d’aller vite, Feroce réussit pleinement sa mission mais nous frustre un peu par sa brièveté et l’incapacité à vraiment développer toutes les interactions crapuleuses par manque de place. Le projet, ne serai-ce que par son originalité aurait mérité de prendre le temps de poser cet univers oriental situé à la croisée entre Corée du Nord, Chine et Russie. Nous aurions voulu en savoir plus sur l’affreuse cheffe de triade chinoise et sur cette héroïne semble-t’il inspirée « de faits réels ». On aurait voulu se documenter sur la réalité des mafias du bois. Bref, on en aurait voulu plus. Ce n’est pas un défaut mais plutôt le signe d’une BD de qualité qui en avait sous le coude.

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Renaissance #5: les hybrides

Série écrite par Fred Duval, dessinée par Emem, avec Fred Blanchard au design. Parution chez Dargaud le 16/09/2022.

Fermi bien vos gueules, les aliens !

Un jour, un gars très intelligent, Enrico Fermi, a levé la tête vers l’immensité du cosmos et s’est demandé: « pourquoi n’a-t-on encore jamais eu de contact avec une civilisation extraterrestre ? » Après tout, si l’on prend en compte le nombre incommensurable d’étoiles, qui sont autant de soleils susceptibles d’abriter la vie, comment se fait-il que nous n’ayons aucun contact avec d’autres espèces intelligentes ?

En résumant grossièrement, Fermi dégage plusieurs hypothèses, toutes aussi valables les unes que les autres: soit les humains sont la seule espèce intelligente de l’Univers, soit les distances séparant les étoiles sont infranchissables, soit nous n’intéressons pas les autres civilisations susceptibles de nous contacter (je passe sur la notion du Grand Filtre, qui n’a pas grand-chose à voir avec cet article).

Et bien figurez-vous que Fermi avait tort de se faire du mouron. Les extra-terrestres existent, et ils veulent du bien à l’Humanité. Débarqués sur Terre il y a maintenant vingt ans, les agents de la mission Renaissance ont extirpé notre espèce du marasme écologique dans lequel elle s’était embourbée. Cela ne se fit pas sans mal, évidemment, mais avec pas mal d’huile de coude, Swän, Sätie, Pablö et les autres sont parvenus à un résultat presque inespéré.

Aujourd’hui, il est temps pour l’Humanité de rejoindre le Complexe, la fédération intergalactique à l’origine de la mission Renaissance. Ainsi, un groupe de volontaires est missionné pour le premier saut interstellaire, mené par Pablö. Pendant ce temps, sur Terre, Swänn est aux prises avec les membres de Sui Juris, un groupuscule terroriste dont le but est de rendre aux humains l’autonomie qu’ils ont perdue à cause de Renaissance. Sätie, quant à elle, enquête sur une hybridation illégale entre extra-terrestres et humains.

La suite du second cycle de la série de Duval et Emem continue de frapper fort. Conjuguant multiples niveaux de lecture et mise en abîme des turpitudes humaines, les auteurs continuent de capitaliser sur un concept qui, sans être nécessairement inédit, reste novateur dans son approche et son traitement. Après un premier cycle mouvementé dans lequel l’enjeu premier était la survie de l’Humanité, les héros font désormais face à de tout autres périls, qui ne tarderont pas à se matérialiser, et qui sont d’ordre politique, éthique, voir existentiel.

Inutile d’en dire davantage, Renaissance prouve encore une fois que des bases solides donnent des séries qualitatives sur le long cours.

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Le monde sans fin

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BD de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici

Dargaud (2022), 191p., one-shot.

Le sujet climatique et le choix civilisationnel qui en découle alimentent un nombre croissant d’albums de BD et c’est une excellente chose. Tous n’ont pas la même qualité, tous n’ont pas les mêmes approches. Récemment Philippe Squarzoni a publié la suite de son ouvrage majeur sur le sujet (Saison brune). Il n’a pas l’expertise technique de Jean-Marc Jancovici mais adoptait une démarche citoyenne proche de celle de Blain, le dessinateur de l’album et auteur de l’excellent Quai d’Orsay. Si l’idée vulgarisatrice des deux ouvrages est très proche, ils restent très différents tant dans leur dessin (hyper-réaliste pour Squarzoni, cartoon pour Blain) comme dans leur discours.Le Monde sans fin », la BD qui alerte sur l'état de la planète - Elle

Phénomène d’édition, Le monde sans fin a pour très grand mérite d’avoir conquis un très large public malgré sa technicité et la rudesse de son signal d’alarme. Si vous avez quelques notions de chiffres de ventes dans l’édition française je vous la fait courte: si le secteur BD tire l’ensemble de l’édition de livres, le manga tire de très loin le secteur BD qui arrive à placer un Asterix, Blake et Mortimer ou Lucky Luke au sein d’un océan de Naruto, One-piece ou autre Mortelle Adèle. Et bien l’album de Jancovici et Blain a réussi l’incroyable pari de se hisser au même niveau de ventes que ces locomotives, avant les Musso, Werber et la ribambelle de prix littéraires! Cet immense succès permet ainsi à une large frange de français de lire des faits technico-scientifiques susceptibles de créer un électrochoc et leur faire changer leur optique sur notre mode de consommation suicidaire.

Brillant vulgarisateur, le polytechnicien Jancovici utilise le talent humoristique et illustratif de Christophe Blain pour rendre claire la montagne de chiffres et de comparatifs nécessaires pour comprendre l’échelle de notre problème. On sait combien une image vaut mieux qu’un beau discours, cette BD en est la parfaite démonstration. Et lorsque le propos rejoint le plaisir graphique d’une vraie BD que demander de plus?

Le monde sans fin - BD, informations, cotesLe problème repose sur l’honnêteté du projet. Sur les deux-tiers de l’album le constat est implacable, visant à démontrer d’une part le niveau du drame qui se joue et l’absence de véritable choix, d’autre part le lien de causalité entre la modernité, la consommation d’énergie et la pollution qui en découle, quelle que soit la source utilisée. Là où l’on tique c’est lorsqu’arrive la conclusion, aussi brutale que vite emmenée d’une pseudo évidence dans le choix du nucléaire pour résoudre cette équation. On ne peut nier que face au niveau de décroissance nécessaire pour revenir à une soutenabilité de notre consommation le sujet du nucléaire fasse partie du débat. Là où le bas blesse c’est en constatant la rapidité de l’argumentaire en mode CQFD concernant ce sous-thème hautement complexe au regard du très précis développement jusque là… qui donne sacrément l’impression que le magicien cherche à endormir son auditoire pour lui éviter d’aller chercher des failles dans le raisonnement. Mais surtout lorsque l’on réalise que l’activité militante de Jancovici est financée par des sociétés telles d’EDF, Bouygues, Vicat ou Vinci. En matière de Greenwashing on connait l’activité bien peu écologique de ces géants et l’on ne peut s’empêcher de penser au profile « super-ingénieur » très XX° siècle et EDF-compatible de l’auteur. Si les faits étaient assumés la BD pouvait parfaitement préciser ces éléments dans les premières pages où Jancovici est présenté comme un cow-boy rentre-dedans. Un oubli? Surement pas.

Il ressort donc de cet album une forme de nausée qui après une présentation implacable de la crise climatique qui se joue et qui vous apprend énormément de choses sur le plan technique et scientifique, donne le désagréable sentiment d’avoir été manipulé et transforme Le monde sans fin en une luxueuse, brillante et énorme plaquette de promotion d’EDF. Sur un débat si complexe qui engage notre pays pour le prochain siècle on ne peut se permettre de flou et de manipulation. Au final reste plus la manipulation que le remarquable travail de vulgarisation.

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No future

La BD!
BD de Eric Corbeyran et Jef
Delcourt (2022), 117p., one shot

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bsic journalismMerci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

Halen Brennan est une mercenaire chargée d’effectuer les taches discrètes des multinationales. Sans foi ni loi, elle entame ainsi la recherche du voleur Jean-Claude Belmondeau pour la compagnie Stella, fleuron du tourisme spatial. Mais dans cette société matriarcale écolo-bobo les pratiques du Grand Capital restent les mêmes et Halen va bien entendu se faire doubler. Sauf qu’en bonne hétéro monogame nihiliste, Brennan faut pas la faire chier…

NO FUTURE (Éric Corbeyran / Jef) - Delcourt - SanctuaryAvec une productivité toujours impressionnante d’environ deux (gros) albums par an, Jef ne change pas une formule qu’il aime et en compagnie du vétéran scénariste du Chant des stryges nous propose un one-shot vitaminé qui va faire parler de lui. Car on peut accorder aux deux mâles blancs hétéro aux manettes le crédit d’assumer une BD coup de gueule qui risque de créer des remous dans le petit milieu culturel de la BD tout juste sorti de l’affaire Vivès. Entendons-nous: No future, sous son titre nihiliste qui représente les deux personnages (et globalement tous les personnages de Jef) est avant tout une série BD comme le dessinateur les a érigé en art, une SF pulp au scénario tout ce qu’il y a de plus convenu mais qui se démarque par un « montage » extrêmement efficace et une description graphique de notre futur proche assez impressionnante. On sent que le dessinateur se régale à multiplier ces plans urbains de circulation en apesanteur digne du Cinquième élément, Star-wars ou Valérian (ans le désordre) et je dois dire qu’on en prend plein les mirettes dans une technique hybride à la fois très old-school (on pense souvent à Jimenez) et au numérique fort discret. Sur ce plan un nous offre un véritable blockbuster comme on en voit finalement pas tant dans le neuvième art.

NO FUTURE (Éric Corbeyran / Jef) - Delcourt - SanctuaryLà où ça risque de faire crisser c’est dans la satire d’une société dystopique où une caricature de féminisme woke vegan bobo aurait pris le pouvoir sous une sorte de totalitarisme inversé qui voit les fumeurs boufeurs de barbaque et amateurs de bagnoles qui puent rangés dans les bas-fonds des cités connectées. En faisait de leurs deux héros des spécimen régressifs de notre société en transition, les auteurs prennent le risque que leur album soit pris au premier degré de la défense du virilisme qui nous rapprocherait des idées facho d’un Zemmour. Je ne connais pas les options politiques de Corbeyran et Jef mais personnellement j’ai choisi de prendre l’album pour ce qu’il était: une série B de dérision et aussi fine que les précédentes productions de Jef et que la filmographie d’un Quentin Tarantino. Si l’on s’abstient de tomber dans la suspicion généralisée ambiante il faut défendre le droit à la parodie, au mauvais gout et à la provocation. Quel que soit l’objectif visé (un petit ras le bol à certaines exagération de notre société?) il faut apprécier l’album tout à la fois pour son aspect couillu (dans le sens que vous voudrez) et pour le bel emballage SF certes peu original mais très bien emballé. Après tout un gros film aux personnages bleus est en train de casser la baraque avec un scénario de timbre poste, des plagiats éhontés et une naïveté confondante. Bon, je m’arrête là, je vais encore me faire des amis…

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Les vieux Fourneaux #7: chauds comme le climat

La BD!
BD de Wilfried Lupano, Paul Cauuet ert Jerôme Maffre (coul.)
Dargaud (2022), série en cours, 54p./album.
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Dans une bonne histoire il faut toujours un adversaire redoutable. Garan-servier est depuis le début de la série cette incarnation d’un capitalisme prédateur et relié à toutes les péripéties du village de Montcoeur. Mais voilà que l’affreux en vient à casser sa pipe… ce qui déclenche un engrenage mortifère lorsque la marche immorale du monde vient se rappeler au souvenir de nos militants du troisième âge…

Les Vieux Fourneaux - Tome 7 - Les Vieux Fourneaux - Chauds comme le climat  - Wilfrid Lupano, Paul Cauuet - cartonné - Achat Livre | fnacLa question qui tourne autour de la série c’est sa durée de vie… et celle de ses personnages. Les auteurs nous ont déjà fait le coup plusieurs fois de la disparition d’un des protagonistes et l’on imagine mal les Vieux fourneaux continuer sans un membre du trio. Alors que la fille de Sophie grandit bien on voit passer le temps, qui indique que Lupano et Cauuet n’imaginent pas leur poule aux œufs d’or comme éternelle puisqu’ils choisi une trame non figée dans une bulle sans chronologie comme le sont certaines séries. Ainsi la disparition de Garan-Servier, évènement déclencheur de cet épisode est surtout un prétexte à la dénonciation du fascisme rampant qui gangrène les têtes d’une partie de la jeunesse française… et par incidence Montcoeuroise. Sous ce thème politique ce sont les péripéties plus classiques qui sont les plus efficaces pour nous faire rire toujours aussi franchement: ainsi la participation d’Antoine et Pierrot à une manif entre blackblocks et CRS, l’irruption rageuse de la redoutable Berthe dans un barbecue organisé par le maire et les truculents échanges de village ou de troquet qui permettent à Lupano de nous ravir de son magnifique sens du dialogue comme bon héritier d’Audiard.

Les vieux fourneaux est une BD militante grand public qui fait le même effet que l’écoute d’un album de Renaud. Notre époque désabusée d’un capitalisme triomphant qui ouvre la porte au fascisme a tendance à nous faire oublier que la culture et les loisirs culturels sont aussi un vecteur de combat pour dénoncer la résignation et rappeler qu’un autre monde est possible. A travers ses papy et notamment le génial Pierrot Wilfried Lupano nous bouscule par des vérités qu’il ne faut jamais se lasser de rappeler. La grande diversité de la galerie de personnages évite le manichéisme qui aurait perdu nombre de lecteurs. Cette série est toujours un grand plaisir BD, excellemment bien dessinée, prodigieusement écrite, une sorte d’Asterix du XXI° siècle, que l’on attend avec impatience et la garantie d’un entertainment à la française.

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Lombric

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BD de Mathieu Sapin, Patrick Pion et Cyrille Bertin.
Soleil (2022), 64p., one-shot, collection Métamorphose.

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bsic journalismMerci aux éditions Soleil pour leur fidélité.

Monseigneur crapaud est à la poursuite d’un dangereux criminel lorsqu’il rencontre le simplet mulot. Pendant ce temps une étrange créature s’éveille au monde. Innocent, Lombric réalise qu’il peut se transformer au contact de son environnement. Ces trois petits êtres vont voir leur destin se croiser dans la comédie du Monde…

Patrick Pion est un brillant représentant de l’école Lauffray, ayant participé à certains albums du Troisième Testament et de Prophet. Formé aux Arts décoratifs, il n’a pas encore la notoriété de ses confrères mais produit des images très poétiques et évocatrice avec une remarquable maîtrise de l’art séquentiel, parfaitement aidé par les pastelles du coloriste Cyrille Bertin.

Ce talent entre parfaitement dans l’esprit très « à l’ancienne » et travaillé de la collection Metamorphose. Si la prestigieuse collection a tendance à perdre sa garantie de qualité en multipliant les projets, ce Lombric à la lecture rapide est bien un hymne au dessin, à l’imaginaire et à l’histoire de la BD, lorsqu’il se réfère au mythique Vent dans les Saules et son tordant baron Tetard. Très peu de textes et une moyenne de quatre cases par pages permettent de prendre le temps de cette itinérance  en mode roman d’apprentissage pour ce Lombric qui passera du stade de larve à celui d’hominidé à mesure qu’il découvre le monde, qu’il soit végétal ou minéral et la violence de l’état de Nature jusqu’à la bêtise des êtres humains.

Fable orientée jeunesse qui a le mérite d’être fort agréable à l’œil et très rythmée (tant dans l’enchaînement que dans les quelques dialogues savoureux), l’album de Pion et Sapin est un fort bel objet qui se laisse découvrir sans trop d’explication sur son motif ni sa conclusion qui laisse interrogatif: sans indication de tomaison, la maquette laisse entendre un one-shot quand la fin tout à fait ouverte suppose une suite. Espérons que les ventes permettront aux auteurs de donner une prolongation aux aventures de leur petite créature au faciès aussi mignon qu’un Sylvain de Miyazaki.

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We Live

Premier tome de la série écrite et dessinée par Roy et Inaki Miranda. Parution initiale aux US chez Aftershock, publication en France chez 404 Comics le 03/02/2022.

Et si on partait ?

Au cas où on ne vous l’aurait pas déjà répété, la planète Terre est foutue. Pour de vrai. Après des millénaires d’anthropocène abusifs, notre monde nous a sorti un bon et gros middle finger, sous la forme de catastrophes naturelles, qui ont conduit à des guerres, puis à une mutation de toute la faune et la flore, partout à travers le globe, dont le seul et unique but était désormais d’étriper des humains. Jusqu’ici, il n’y avait que trois façons de mourir en masse, les épidémies, les guerres, ou les famines, il y a désormais des lions mutants.

Un peu comme un aristocrate qui vous propose un jus d’orange à la fin d’une exquise soirée, la Terre nous pousse donc discrètement vers la sortie, mais il n’est pas évident de trouer une planète aussi accueillante. Pas de souci, l’Humanité a trouvé une issue, ou plutôt, une issue de secours, sous la forme d’un message extraterrestre. Plus qu’un message, c’était une promesse, celle qu’un certain nombre d’élus serait évacués, pour peu qu’ils soient présents autour d’une balise à la fin d’un compte à rebours. Ces élus sont ceux et celles qui ont trouvé un bracelet spécial, issu d’une technologie extraterrestre, tous des enfants.

Depuis la mort de leurs parents, Tala veille du mieux qu’elle peut sur Hototo, son jeune frère espiègle et encore innocent malgré les horreurs qu’il a vécues. Lorsqu’elle a trouvé un des fameux bracelets, Tala n’a pas hésité une seule seconde et a l’a enfilé au bras de son frère, se sacrifiant ainsi pour lui offrir une vie meilleure, sur une planète lointaine.

Après avoir survécu à toutes sortes de dangers, il est temps pour le duo fraternel de tout quitter pour se mettre en route vers la balise la plus proche, situé dans une des 9 mégalopoles, derniers bastions humains sur une Terre devenue hostile au genre homo. Ce sera là une dangereuse odyssée pour Tala et son frère, car les obstacles sont nombreux et veulent généralement déchiqueter tout ce qui marche et parle dans leur champs de vision.

On l’a vu récemment avec No One’s Rose et d’autres sorties récentes, la thématique écologique, en plus d’être une urgence planétaire bien réelle, fournit une source actuelle et non négligeable d’inspiration pour la fiction, notamment pour le genre SF/Anticipation. Bien évidemment, les frères Miranda maîtrisent bien leurs codes narratifs, puisqu’avant d’être un énième récit de fin du monde, We Live compte avant tout l’histoire d’une fratrie, l’attrait du récit réside principalement dans les liens qui les unissent plutôt que dans le cadre post-apo, qui n’est finalement qu’un écrin pour l’évolution de ses personnages.

  • Les deux auteurs connaissent donc bien leur recette:
  • a) des personnages bien définis et pour lesquels les lecteurs ressentent de l’empathie: On ne peut que valider la cause de Tala, surtout lorsqu’on apprend qu’elle a privilégié la survie de son frère au détriment de la sienne.
  • b) un objectif simple avec des enjeux compréhensibles: survivre, ça reste, a priori, à la portée de tout le monde.
  • c) des obstacles de taille et un compte à rebours: comme on l’a dit, un environnement hostile rempli de monstres, pas évident à surmonter pour des enfants. Quant au compte à rebours, il est littéralement mentionné dans le récit puisque le duo n’a que quelques heures pour rejoindre le lieu d’extraction, sans quoi Hototo restera coincé sur une Terre mourante.

Le final fait basculer l’histoire du survival SF à un récit plus super-héroïque, ce qui est un peu désarmant il faut l’avouer, mais cela n’enlève rien à l’intérêt de l’album, et promet même une suite plutôt palpitante. Un des autres aspects questionnants est le caractère foisonnant de l’univers du récit, qui part dans plusieurs directions avec des animaux mutants, des zombies fongiques, des méchas, etc… Mettons-ça sur le compte d’un univers baroque, la richesse n’étant pas nécessairement un défaut. We Live est donc une quête initiatique bien construite, avec des personnages sympathiques, un univers violent mais poétique.

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No One’s Rose

Histoire complète en 160 pages, écrite par Emily Horn et Zac Thompson, dessinée par Alberto Albuquerque. Parution aux US chez Vault Comics, parution française avec le concours de Komics Initiative le 25/02/2022.

L’Arbre et la Vie

L’Homme le savait, et pourtant, l’Homme n’a rien fait. Lentement mais sûrement, l’Anthropocène aura détruit l’équilibre fragile de la nature, jusqu’à ce que cette dernière ne soit plus en mesure de sustenter la vie. Devenue inhospitalière, puis carrément hostile, la planète Terre a agonisé dans un dernier soubresaut qui promettait l’extinction du genre humain, mais aussi de toutes les autres formes de vie qui avaient passé des milliards d’année à s’adapter.

C’était sans compter sur l’ingéniosité humaine, qui ne réalise son potentiel que lorsqu’elle a atteint le précipice ou lorsqu’elle peut en retirer un gain immédiat. Les derniers scientifiques humains sont parvenus à maintenir la vie dans un périmètre restreint, une bulle hermétique dans laquelle le moindre atome d’oxygène ou la moindre molécule d’eau fait l’objet d’une attention particulière, un dôme où tout est recyclé de manière durable et où chacun à un rôle à jouer.

Ainsi, quelques dizaines de milliers d’humains ont survécu à l’apocalypse, a l’abri d’un microcosme qui représente tout ce que le genre humain aurait du faire depuis bien longtemps. Malheureusement, la survie de tous a toujours un prix, et elle ne peut se faire sans le sacrifice de quelques valeurs, et au passage, de quelques (milliers) de gens. Comme vous ne l’ignorez pas, la gestion durable de ressources (à savoir la raison d’être de la civilisation selon les anthropologues) entraîne nécessairement l’établissement d’une hiérarchie sociétale et d’un système normatif. C’est la raison pour laquelle les derniers humains de ce monde en décrépitude sont répartis en différentes castes: ceux qui travaillent en bas, dans les racines de l’arbre Branstokker, organisme génétiquement modifié pour assurer la subsistance des survivants, et l’élite qui vit sur la canopée, qui conçoit et maintient les systèmes de traitement et de gestion des ressources, et qui, accessoirement, vit dans l’opulence.

Tenn et Serenn Gavrillo sont deux frère et soeur, orphelin, qui travaillent dans des castes différentes. Alors que Serenn trime au service des élites, Tenn, elle, rêve d’un monde meilleur grâce la bio-ingénierie. Leur quotidien déjà difficile sera bouleversé lorsque le jeune homme va entraîner sa soeur à son insu dans un mouvement de révolte, organisé par les Drasils, un groupe de radicaux qui fomente des actions violentes au service de leur cause. Les Drasils, qui utilisent une forme de technologique impliquant une fusion avec des organismes fongiques, pensent que Branstokker est fichu et que quitter la zone verte est inéluctable.

Convaincu, comme les autres Drasils, que les autorités mentent, Sorenn compte se joindre au mouvement, quitte à s’aliéner son ambitieuse sœur.

No One’s Rose nous amène dans un futur post apocalyptique, sur un thème écologique fort pertinent. L’idée d’une dystopie écologique est très bien exploitée, avec de forts airs de Métropolis: un cité avancée centrée autour d’une machine (ici un arbre, autrement dit une machine biologique), des ouvriers exploités en bas et une élite détachée des réalités en haut.

A cela, ajoutez la débat sur l’intelligence artificielle (on peut dresser un parallèle avec la Gynoïde de Métropolis), la bioéthique, la manipulation des masses, une fresque familiale parcourue par des conflits de loyauté, et vous obtiendrez un récit engageant et cohérent, même s’il est avare en coups de théâtre. Côté narration, on a droit à des dialogues fournis, détaillés, mais on peut rester perplexe face à quelques transitions quelque peu abruptes entre les différentes scènes.

Rien que ne gâche la lecture cependant, surtout si l’on prend en compte la qualité des dessins et de la mise en couleur (assurée par Raul Angulo). Un dystopie émouvante prenant la forme d’un avertissement sur les abus de l’Homme, qui ne peut s’empêcher de se débattre avec lui-même, même au bord de l’abîme.