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Les cœurs de ferraille #1: Debry, Cyrano et moi.

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BD de BéKa, José-Luis Munuera et Sedyas (coul.)

Dupuis (2022), 68p., série anthologique en cours.

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Iséa est une rếveuse qui compense l’absence d’amour de sa mère par la tendresse de sa nourrice Debry et ses relations numériques. Mais lorsque sa génitrice décide de renvoyer le robot qui l’a élevée elle se retrouve obligée de s’allier avec un jeune garçon pour la retrouver. Un voyage au cœur de l’injustice de cette société qui a fait des serviables assistants robots de véritables esclaves…

mediathequeJosé Luis Munuera promène son talent cartoonesque sur la BD franco-belge depuis maintenant trente ans en compagnie de Joan Sfar, et JD Morvan, ayant endossé l’immense responsabilité de reprendre Spirou sur quatre albums après l’indépassable ère Tom&Janry. Depuis quelques années il semble s’orienter vers une esthétique rétro, adaptant des classiques de la littérature (Bartleby de Melville puis cette année Un chant de Noël de Dickens) avec une esthétique plus réaliste. A la manière d’un Umberto Ramos l’auteur semble tiraillé entre des racines cartoon marquées et une envie de textures et d’histoires plus sombres.

https://www.actuabd.com/local/cache-vignettes/L720xH1024/bek16-9b259.jpg?1656939955Avec un deuxième album cette année, il s’engage sur une anthologie d’histoires one-shot sur le thème des robots dans une ambiance rétro-futuriste en compagnie du duo de scénaristes BéKa. Outre la qualité indéniable des dessins (et des couleurs/textures) c’est l’analogie entre ce monde classique habité de technologies poussées et les Etats-Unis esclavagistes du début du vingtième siècle qui intéresse. En transformant les esclaves noirs en robots les auteurs parlent subtilement des problématiques d’alors, de cette proximité avec des serviteurs et nourrices de l’autre couleur, considérés dans la famille mais pas dans la société, de ces réseaux d’esclaves en fuite, des collaborateurs noirs qui virent dans le service aux maitres un moindre mal à leur condition, mais aussi de thématiques plus modernes comme la place des femmes ou l’émancipation par la culture et l’imaginaire.

Au sortir de cette histoire simple de poursuite on a le sentiment d’avoir passé un agréable moment sur un travail solide bien qu’il manque sans doute un peu d’ambition, notamment dans la justification du thème SF. Il faudra voir après plusieurs albums si la série permet de donner un intérêt plus large sur des albums dont la tonalité jeunesse peut se discuter. En attendant on savoure une intelligente parabole et des planches si agréables.

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L’homme qui corrompit Hadleyburg

Histoire complète de 88 pages écrite et dessinée par Wander Antunes, d’après la nouvelle de Mark Twain. Parution aux éditions de La Boîte à Bulles le 17/08/2022.

Un plat servi très froid…

La petite ville d’Hadleyburg se targue d’être la plus honnête d’Amérique. A ses portes, trône une ostensible pancarte qui en atteste, comme pour narguer les visiteurs et les villes voisines qui ne pourraient espérer atteindre un tel parangon de vertu, quels que soient leurs efforts.

Ce que les habitants ignorent, c’est qu’un inconnu, autrefois lésé par un notable d’Hadleyburg, est revenu avec en tête une terrible vengeance, qui ne fera pas couler le sang, mais qui ruinera ce que cette ville hypocrite a de plus précieux: sa réputation.

L’anonyme revanchard débarque, par une nuit orageuse, avec un sac contenant une récompense de 40 000 dollars. Cette petite fortune n’est destinée qu’à une seule personne: le bon samaritain qui, des années auparavant, lui avait porté secours en lui offrant 20 billets ainsi qu’une phrase d’encouragement. Afin de pouvoir prétendre aux 40000 dollars, ledit samaritain n’a qu’à prononcer la fameuse phrase, qui est inscrite dans une enveloppe scellée qui accompagne le magot.

…et avec beaucoup de billets.

Une fois sa requête exposée aux Richards, l’inconnu se volatilise, laissant les graines du doute et de l’avarice germer au sein de cette ville prétendument parfaite. Après que les Richards aient vaincu la tentation de s’emparer du magot à l’insu de tous, chacun va ensuite fouiller les recoins de sa mémoire pour tenter de percer le mystère, se considérant suffisamment vertueux pour être le fameux samaritain… Puis, à défaut de retrouver avec certitude la bonne phrase, chacun des notables va manigancer, espérant mettre la main sur le pactole au détriment des autres. S’enrichir tout en prouvant que son patelin est bel et bien le plus vertueux, qui s’en priverait ?

Wander Antunes, auteur brésilien prolifique mais encore assez méconnu en France, reprend un nouvelle de Mark Twain, qui se veut une réécriture du mythe de la tentation mettant en abîme le sentiment de supériorité et la bienpensance américaine. Cette nouvelle phare du père de Tom Sawyer n’a étonnamment pas connu beaucoup d’adaptation au fil des années, encore moins en BD. Cet album sort donc du lot, non seulement par sa rareté en tant qu’adaptation, mais également par la qualité de sa narration, qui n’épargne rien aux WASP contemporains de Twain.

Le vernis de vertu qui recouvre la civilisation et la facilité avec laquelle il se craquelle seront toujours une source inépuisable d’inspiration pour les auteurs. Voir donc les habitants d’Hadleyburg s’enfoncer dans le mensonge en étant persuadés de remporter le gros-lot a quelque chose de satisfaisant, voire même de libérateur, pour le lecteur, qui tourne les pages avec un petit sourire satisfait, protégé par l’ironie dramatique qui lui garantit qu’il sait quelque chose que les personnages ignorent.

Mais ne vous y trompez pas, chers lecteurs et lectrices: l’ironie dramatique n’est qu’une illusion. Nous sommes tous des habitants d’Hadleyburg: nous nous considérons tous, pour la grande majorité en tous cas, comme des personnes décentes, guidées par une idée instinctive du bien et de la vertu. Mais lorsque la vie abat ses cartes, lorsque les choses se gâtent et mettent à l’épreuve nos principes, combien d’entre-nous agiront en accord avec ces fameux principes ?

Le vice, l’avarice, l’individualisme, ne sont peut-être finalement que la matière noire ou l’espace entre les atomes, qui régissent la physique de l’esprit humain, invisibles mais pourtant prépondérants. Et c’est sans doute là aussi le génie de Mark Twain, d’avoir entrevu si tôt cette vérité.

Coté graphique, Wander Antunes s’en sort admirablement, maîtrisant les aplats de couleur qui reflètent la dégradation de la réputation d’Hadleyburg au fur et à mesure de l’album. Avis également aux amateurs de Twain, car certains de ses personnages phares se sont invités dans l’album, donnant ainsi une portée supplémentaire à son message.

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Le Bossu de Montfaucon

Premier tome de 56 pages de la série écrite par Philippe Pelaez et dessinée par Eric Stalner. Parution le 23/02/22 aux éditions Grand Angle.

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Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance!

Ça bosse dur

Fin du XVe siècle, le royaume de France est en proie au déchirement et aux querelles de pouvoir. Suite au trépas de Louis XI, c’est son fils, Charles VIII, qui hérite de la couronne. Mais son jeune âge l’empêche de régner, aussi, c’est à sa sœur Anne de Baujeu, que l’on confie la régence du royaume, jusqu’à la majorité du nouveau roi. Tout comme son père, Anne de Baujeu est retorse, perfide, et adepte des manoeuvres les plus fourbes. Sa régence n’augure donc rien de bon pour la France.

Toutefois, Louis II d’Orléans, prince de sang et second prétendant au trône après Charles, n’entend pas rester sur la touche. Exilé, il se réfugie en Bretagne, d’où il prépare son plan ambitieux pour monter enfin sur le trône. Ce que Louis ignore encore, c’est que ses rêves de conquête du trône en toute légitimité vont être broyés, tués dans l’oeuf par sa rivale Anne. En effet, Louis d’Orléans reçoit la visite impromptue d’un homme, Pierre d’Armagnac, dit le Bâtard, qui dit avoir connaissance d’un document prouvant que Louis ne peut légitimement prétendre au trône.

Quand t’as pas d’amis, prends un mâchicoulis.

Fait notable, Pierre est accompagné par un bossu, dont la difformité dissimule un cœur d’or, et que l’on a déjà vu arpenter les anfractuosités de Notre-Dame-de-Paris, un certain…Quasimodo.

Pierre et Quasimodo vont donc se lancer à la recherche du fameux document, mais vont devoir pour cela devancer Axel Lochlain, redoutable assassin à la solde des Beaujeu. Quelles sont les motivations réelles du Bâtard ? Et l’ambitieux Louis d’Orléans vaut-il la peine pour nos héros de risquer ainsi leurs vies ?

Big Bosse

Après le très bon Pinard de Guerre, nous retrouvons Philippe Pelaez aux commandes d’un récit de cape et d’épées sur fond historique, qui s’amuse à reprendre la fin de Notre Dame de Paris de Victor Hugo. Si le roman unit tragiquement Quasimodo et Esméralda dans la mort, ici, Pierre retrouve le bossu endeuillé juste avant qu’il n’expire aux côtés de sa bien-aimée, et le recueille ainsi pour tirer avantage de sa force prodigieuse.

La suite n’a cependant pas grand chose de romanesque puisque l’intrigue reprend les événements historiques de la Guerre folle. Le travail de documentation est donc palpable et profite même de l’excellente écriture de Philippe Pelaez, qui livre une fois de plus une prose maîtrisée. S’il faut du temps pour appréhender les nombreux personnages et leurs rôles respectifs, on apprécie toutefois rapidement les méandres de l’intrigue politique qui n’a rien à envier à GOT. Comme quoi, la réalité a souvent ce qu’il faut pour dépasser la fiction, surtout si l’on y ajoute de la fiction !

Pour le moment, il est difficile de juger de l’impact de l’emprunt à Victor Hugo, pour une série qui aurait très bien pu se contenter de coller à la vérité historique. Mais gageons que la plus-value de Quasimodo se fera sentir dès le second tome.

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Le Dernier Livre

La BD!

Histoire complète en 72 pages écrite par François Durpaire et dessinée par Brice Bingono. Parution le 24/11/21 aux éditions Glénat.

Du pain, des virus et des jeux

Dans un futur pas si éloigné, une virulente pandémie a forcé les sociétés modernes à se réinventer et à proscrire autant que possible les contacts entre individus. S’en sont suivis une passation de pouvoir et un changement de régime, qui ont vu les géants du numérique s’emparer des principes de la démocratie.

Comme pour tout régime non-démocratique et autoritaire, l’accès au savoir a très vite été identifié comme antithétique, voire dangereux, car il favorise l’esprit critique et ne correspond plus à la consommation de masse qui est aujourd’hui la colonne vertébrale de nos sociétés. C’est donc tout naturellement que les écoles sont fermées, au profit d’une digitalisation du savoir. Les livres sont bannis, les librairies et le secteur du livre sont également prohibés, et le nouveau régime va même jusqu’à concevoir un nouveau langage à visée universelle.

Tout ceci est bien entendu appuyé par un état-policier. Tous les contrevenants qui conservent et utilisent encore des livres sont violemment traqués et punis, et la culture elle-même fait l’objet d’une censure, opérée à l’aune des objectifs mercantiles du nouveau gouvernement.

Car les seuls rassemblements permis sont dans les centres commerciaux, où les individus sont abreuvés de contenus digitaux prédigérés pour eux.

La jeune Héliade est née dans ce monde, qui n’a pas mis longtemps à sombrer dans l’obscurantisme et la violence. Ses parents se sentent impuissants à lui épargner cette mise à mort collective de l’esprit et de la culture, et font ce qu’ils peuvent pour préserver le peu qu’il leur reste de liberté de penser. Mais un beau jour, Héliade est enlevée en plein centre commercial, par un homme portant un masque à l’effigie de Victor Hugo. C’est le début d’un chassé-croisé risqué entre les résistants du livre et ses farouches opposants.

Fahrenheit 1984

François Durpaire, déjà auteur de la trilogie La Présidente, éditée aux Arènes, est un universitaire régulièrement aperçu à la télévision en tant que consultant expert des questions politiques et culturelles aux Etats-Unis. Il érige ici un récit fortement influencé par l’actualité récente, auquel il mêle des thématiques dystopiques bien connues et issues de la littérature américaine du XXe siècle.

En effet, l’idée des autodafés à grande échelle, en plus d’appartenir à l’Histoire, était déjà évoquée dans des œuvres telles que Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. L’œuvre est d’ailleurs elle-même référencée dans l’album, dans une scène où l’un des personnages note la similarité des situations. La comparaison peut aller plus loin, puisque, comme dans le célèbre roman, les résistants qui étudient encore les livres s’éveillent à l’idée que le livre vit encore en eux, quand bien même la dernière copie qui en subsistait a été brûlée.

L’autre source d’inspiration pourrait être 1984, qui s’est d’ailleurs payé plusieurs adaptations BD l’an passé. La surveillance de masse, la novlangue et la double-pensée ont clairement guidé le scénariste dans l’élaboration de son univers post-pandémie.

Néanmoins, si l’on peut accorder à cet album un poésie et un lyrisme maitrisés, il n’en demeure pas moins que les ressorts dramatiques qui en ressortent paraissent plats. Les personnages en eux-mêmes ne sont pas idéalement creusés, et on constate avec étonnement que le cœur de l’album, soit 24 pages, correspond à une seule scène, un échange entre une professeure et ses élèves retraçant amoureusement l’histoire du livre et de l’écriture.

Ceci laisse donc peu de place aux ressorts dramatiques, même si la conclusion, certes confondante de naïveté et d’optimisme, s’avère cohérente avec l’ensemble du récit. C’est ce qui fait que le Dernier Livre est moins un thriller d’anticipation dystopique (comme promis par la quatrième de couverture) qu’un vibrant hommage au prodige de l’écrit et du savoir (ce qui est tout naturel venant d’un universitaire engagé).

La partie graphique, quant à elle, est tout à fait sublime, grâce au talent de Brice Bingono, qui livre de superbes planches dans la lignée d’un Travis Charest.

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*****·BD·La trouvaille du vendredi·Rétro

Le port des marins perdus

BD Teresa Radice et Stefano Turconi
Glénat (2016), 294p., one-shot.

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mediathequeCoup de coeur! (1)Un matin d’été sur une plage ensoleillée du Siam, un jeune homme est recraché de la mer. Recueilli par l’équipage de l’Explorer, navire de la Compagnie des Indes orientales, il n’a d’autre souvenir que son nom. Pourtant ses talents de marin et sa grandeur d’âme surprennent les hommes, surtout pour un si jeune garçon. De retour au pays, Abel sera pris sous l’aile protectrice du capitaine Roberts où il entamera un long périple sur les eaux comme dans son cœur, pour comprendre qui il est, quel est son rôle dans ce théâtre étrange de la vie. Un aventure au bout de l’âme, jusqu’au mystérieux Port des marins perdus…

Amazon.fr - Le Port des Marins Perdus - Radice, Teresa, Turconi, Stefano -  LivresJ’ai découvert ce couple d’auteurs (elle écrit, lui dessine) lors de mon unique voyage à Angoulême et obtint une très jolie dédicace sur la série jeunesse Violette autour du monde. Les jolis crayonnés et l’intelligence des scénarios mêlant relations humaines, culture et poésie naturelle m’avaient bien plus et j’avais très envie de me plonger dans ce gros one-shot sorti juste après et salué largement par la critique. Alors que le couple a sorti (l’an dernier) un spin off, les filles des marins perdus, je peux enfin parler de cette aventure en grand format qui rejoints le panthéon des albums exceptionnels! Le chef d’œuvre de la carrière des auteurs, qui sont retournés depuis dans le registre jeunesse auquel se prête très bien les dessins de Stefano Turconi.

Le dessin d’abord, qui est un parti pris radical, pour des raisons autant pratiques qu’esthétiques. Etant donné le pavé de trois-cent pages, il est compréhensible que l’absence totale d’encrage (comme le fait Alex Alice avec talent depuis le début de sa saga steampunk Le Chateau des Etoiles) fait gagner un temps gigantesque au dessinateur sans avoir à passer cinq ans sur son projet. Etant données les compétences techniques de l’artiste ce choix permet aussi une spontanéité et une élégance qui siéent totalement à l’ambiance Le Port des Marins Perdus, envoûtante course au largevaporeuse qui enrobe cette saga semi-mystique. Pour qui apprécie les carnets bonus en fin de certains albums, les sketchbooks et autres croquis préparatoires publiés sur les réseaux sociaux de nos dessinateurs préférés, ce volume est un enchantement de la première à la dernière page, qui montre tout ce qu’on est capable de produire avec une simple mine de plomb, de l’absolue finesse à des transparence qui nécessitent habituellement des effets spéciaux de colorisation. Avec l’outil du pauvre il arrive ainsi bien mieux à produire un univers précis et évocateur qu’avec deux étapes supplémentaires. Cela fait ainsi réfléchir à la norme du dessin de BD qui exige habituellement le passage par l’encrage (qui souvent dégrade la finesse du dessin) puis par la couleur. Assez fréquents sont les albums en noir et blanc, beaucoup plus rares les albums entièrement crayonnés… et encore plus avec un rendu aussi fini.

Le texte totalement inspiré de Teresa Radice n’est pas en reste puisque (a priori directement en français car il n’est pas indiqué de traducteur), souvent en narration, il parvient à nous immerger tant dans un champ lexical de marine et son vocabulaire si particulier que dans une poésie de l’amour, du voyage et du lien, tout à référençant fortement son récit d’une somme d’auteurs et d’ouvrages de la littérature classique anglaise quand ce ne sont pas des chants de marins qui viennent habiller les planches. De la première page à la dernière, Radice construit son récit comme une pièce de théâtre ou comme un film, jouant sur les enchaînements de parties, jusqu’à un « générique » de fin qui prolonge le plaisir avec son épilogue tardif.

C'est pas les hommes qui prennent la mer... / Le Port des Marins Perdus Vs.  Master and Commander - Conseils d'écoutes musicales pour Bandes DessinéesIl y a une humanité folle dans ce récit construit sur un faux-semblant qui nous fait rencontrer Abel, puis le capitaine Roberts, puis les filles du héros disparu, avant de glisser sur le cœur de l’ouvrage, cet amour impossible entre le vaillant capitaine MacLeod, sorte de double du capitaine Stevenson (nom très référencé bien entendu) et de la prostituée Rebecca. Il y a ainsi deux parties dans cette grande saga qui utilise une once de fantastique pour interroger philosophiquement sur le sens de la vie et comme dans les histoires de vampires, permet d’aller à l’essence du lien et de l’amour entre deux êtres. Il y a du drame, des morts et de l’aventure dans Le port des marins perdus qui est aussi une vraie histoire de pirates. Mais le texte est tellement intelligent, tellement nostalgique et les visages si mélancoliques que l’on est pris tout le long dans une sorte de torpeur émouvante en nous prenant d’affection pour ces trois belles âmes que sont Abel, Rebecca et Nat’ MacLeod.

Rappelant par moment la perfection d’un Malgré tout dans son alliance symbiotique du texte, de la construction et de l’image, Le port des marins perdus est de ces ouvrages que l’on veut choyer d’une belle place dans sa bibliothèque, que l’on parcourt ensuite avec l’amour de feuilleter ses superbes dessins  avec l’envie d’y replonger, un peu, juste ce qu’il faut entre le souvenir et le regard. Un album qu’il faut lire dans sa vie de lecteur.

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****·BD·La trouvaille du vendredi·Littérature·Rétro·Un auteur...

Page noire

BD de Frank Giroud, Denis Lapière, Ralph Meyer et Caroline Delabie (coul.)
Futuropolis (2010), 102 p., one-shot.

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Kerry Stevens est une critique littéraire débordant d’ambition, déterminée à bousculer son destin vers la gloire. Pour cela elle est déterminée à dénicher le grand romancier Carson MacNeal, qui vent des millions de volumes mais que personne n’a jamais vu et qui ne donne jamais d’interviews. Loin de là Afia se bat avec sa mémoire torturée, traumatisée par son passé et tombée dans la spirale de la drogue et la prostitution… Rien ne relie ces deux personnes. Leur itinéraire va pourtant converger vers ce Carson MacNeal qui semble aimanter bien des intérêts…

Amazon.fr - Page Noire - Frank Giroud, Denis Lapierre, Caroline Delabie,  Ralph Meyer - LivresAvant Undertaker (la série qui l’a consacré et dont le dernier volume vient de sortir –  chronique la semaine prochaine ) et après Berceuse assassine (celle qui l’a révélé, avec le défunt Tome, scénariste mythique des meilleurs Spirou!), Ralph Meyer avait réalisé cet étonnant polar entièrement construit dans une mise en abyme vertigineuse entre récit et fiction, auteur et création… Meyer n’est pas encore une star mais participe déjà à de gros projets, notamment le premier XIII mystery où il rencontre Dorison, son futur scénariste sur Asgard et Undertaker donc.

Alternant deux récits qui vont progressivement converger, Meyer et sa coloriste attitrée Caroline Delabie proposent deux univers graphiques tranchés: le premier encré dans le style habituel du dessinateur et colorisé en palette bleutée, le second en couleur directe, peu encré et habillé de rouge-rosé… avant de converger dans un croisement très discret et révélateur, entre ces deux styles. Etonnant! Joignant le graphisme à l’écriture sophistiquée des deux scénaristes chevronnés Lapière et Giroud, les planches nous font ainsi suivre deux jeunes femmes qui ne semblent reliées en rien, l’une aux Etats-Unis, l’autre que l’on imagine en France, l’une mordant la vie avec morgue, l’autre détruite et acceptant difficilement de l’aide. Un peu perdu (moins que chez Urasawa…) mais acceptant de suivre deux récits juxtaposés, on comprend que le fil conducteur est bien l’histoire de la blonde Kerry. Parvenant un peu trop facilement à ses fins, on commence alors à plonger dans le texte lui-même. Dès les premières pages de l’album on nous insère des vues du roman en cours de Carson MacNeal qui nous font progressivement douter de la frontière entre fiction et réalité. Comme au cinéma, tout le plaisir de l’image est de la rendre mensongère, laissant le lecteur se débattre entre ce qui est vrai, ce qui est fictif, la narration principale et la secondaire… On prend alors plaisir à voir s’entrecroiser ces trois personnages en doutant toujours de quel récit s’insère dans quel autre, en rejoignant les effets du polar où l’auteur s’amuse à laisser son lecteur se construire des scénarii. On est ainsi par moment proche de l’atmosphère des Nymphéas noirs où époques et réalité s’enchevêtrent brillamment.

Page noire » par Meyer, Giroud et Lapière | BDZoom.comA ce récit dans le récit les auteurs approfondissent l’immersion en nous faisant pénétrer dans le processus créatif, partiellement autobiographique comme souvent, du romancier. Par les yeux de Kerry on observe l’homme derrière le nom, ce qui inspire, les fulgurances nocturnes et finalement l’interrogation sur l’invention créative en nous posant la question: toute invention n’est-elle pas directement inspirée par l’expérience de son auteur, que ce soit ses lectures, rencontres, sa propre vie? L’expérience est passionnante et personnellement je n’avais jamais lu de BD aussi bien pensée sur le travail d’auteur, sachant allier un vrai polar avec une expression des créateurs sur leur propre travail. Comme je le dis souvent sur ce blog, il est important pour que la BD puisse rester un média artistique, que ses lecteurs se questionnent sur ce qu’ils lisent et ne se contentent pas de consommation simple et infinie. Comme support grand public le neuvième art rejoint les éternels questionnements du cinéma entre art et entertainment consumériste. Des albums comme Page noir, en sachant proposer une vraie histoire littéraire immersive qui joue sur les récits tout en s’interrogeant, associe le ludique et le réflexif. L’alchimie que tout amateur de BD recherche?

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Moby Dick

Roman graphique de 44 pages de Bill Sienkiewicz, adapté du roman d’Herman Melville. Parution le 03/02/2021 aux éditions Delcourt. One-shot.

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Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

C’est pas l’Homme qui prend la Mer

On ne présente plus Moby Dick, roman de 1851 de plus de 600 pages écrit par Herman Melville (l’ancêtre du musicien Moby !). Généralement considérée comme l’une des œuvres majeures de la littérature américaine, elle raconte avec force détails le parcours d’Ismaël, jeune marin embarqué sur le baleinier Pequod. Tyrannisé par le Capitaine Achab, l’équipage du Péquod est lancé à la poursuite de Moby Dick, un fameux cachalot albinos connu pour sa férocité, dont Achab désire se venger. Le capitaine, unijambiste depuis sa dernière escarmouche avec la bête, est prisonnier de son obsession, et va entraîner son équipage dans un périple dont tous ne sortiront pas indemnes.

L’une des caractéristiques de Moby Dick est sa forte documentation, qui lui donne une authenticité rarement égalée depuis. En effet, le roman regorge d’éléments techniques sur la navigation et la chasse à la baleine, démontrant ainsi toute l’implication de Melville dans la rédaction de son roman.

Moby Dick fourmille également de symboles forts, qui furent repris de nombreuses fois depuis. La farouche baleine est vue par non pas comme un simple animal, mais comme une force de la Nature, une sorte de rétribution divine et insondable, qui n’est d’ailleurs jamais surmontée dans le roman. On trouve également dans le récit de profondes réflexions sur la nature du Bien et du Mal, et l’on ne compte plus non plus les références bibliques.

Chasse mortelle

Avec cette adaptation, Bill Sienkiewicz réussit l’exploit de condenser le roman-fleuve tout en conservant sa cohérence. Pour ce faire, l’auteur brise les codes narratifs pour mieux s’affranchir de carcans qui l’auraient desservi pour adapter ce classique hors-norme. Son trait tantôt réaliste, tantôt onirique fait de chaque planche un véritable tableau, un régal pour les yeux. La narration est tout de même très dense, l’album sera donc à conseiller aux lecteurs rompus aux textes prolifiques.

L’auteur privilégie la vengeance d’Achab, sans s’attarder outre-mesure sur les techniques de chasse des baleiniers, renforçant ainsi la cohérence thématique. Sienkiewicz nous rappelle que chez Achab, la vengeance a eu raison de la raison elle-même, et que celui qui combat des monstres doit, bien souvent, s’attendre à en devenir un lui-même.

Un classique intemporel à découvrir !

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Maudit sois-tu #2: Moreau

La BD!

BD de Philippe Pelaez et Calros Puerta
Ankama (2021), 53 p., série en 3volumes.

bsic journalismMerci aux éditions Ankama pour leur confiance.

Comme le premier tome l’ouvrage se conclut par un important cahier documentaire revenant (iconographie de films et romans à l’appui) sur le contexte littéraire du roman gothique qui a inspiré ce projet. C’est bien écrit, documenté, intelligent. En fin d’album les premières pages de l’ultime opus Shelley sont présentées. Un calvin pour cette très belle édition.

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Un siècle et demi avant les évènements du premier volume, les premiers Zaroff et Moreau convient un aréopage de beaux esprits des lettres et des sciences dans un manoir afin de découvrir et célébrer le grand œuvre du savant. Bientôt Charles Darwin, Marie Shelley, Emily Brontë et Richard Burton vont découvrir un jeu de faux-semblants et l’abomination d’un savant fou recherchant l’adoubement de ses pairs…

Philippe Pelaez est un auteur exigeant. Maniant ses textes et dialogues avec aisance, il souhaite avec la trilogie Maudit sois-tu proposer une résurrection du genre du cinéma d’horreur gothique en format BD. A ce titre la technique hyper-réaliste de Carlos Puerta, si elle a ses amateurs comme ses détracteurs, s’avère tout à fait pertinente en nous plongeant dans des images qui semblent souvent extraites d’un film… qui n’existe pas. Les deux créateurs se rejoignent sur cet esprit intellectuel et hyper-référencé de leur série où sont abordés les détails des vies des Charles Darwin, Emily Brontë ou Mary Shelley, cette dernière étant le véritable cœur de l’intrigue à mesure que l’on remonte le temps.

wp-1611252482880.jpgSi le premier volume reprenait un schéma archétypal de la chasse à l’homme sur fonds d’expérience contre nature, cet épisode intermédiaire reprend peu ou prou la même structure et les mêmes personnages dans un parallèle intrigant. Le risque de la redite était réel mais Pelaez sait par un pas de côté dans ce XIX° victorien en diable relancer sa machine au travers de cette intrigue familiale autour de Shelley. Imperceptiblement il fait ainsi glisser le curseur du personnage de Zaroff à celui de Shelley. Ces deux-là et Moreau sont intimement liés et nous saurons comment sur le troisième et dernier volume. Si le duo de fous du premier volume citait l’origine de leur vengeance (que nous allons donc voir ici), ils ne disaient rien de la genèse dramatique liée à Lord Shelley (auteur du poème Ozymandias qui inspira Alan Moore pour Watchmen) et au mythe de Frankenstein… que la romancière et épouse Mary n’a pas déniché toute seule. Au travers de cette inter-influence monstrueuse du chasseur et du savant fou dans la BD c’est un écho à la collaboration artistique intense qui donna naissance au genre littéraire fantastique de monstres sur une courte période, entre Lord Byron, Polidori, Shelley, Welles et Stoker. Ce contexte hyper-référencé est très intéressant même s’il étouffe un peu le fil de la narration, pourtant aussi simple que dans le premier tome. Faute d’une grosse culture personnelle, malgré les notes de bas de page destinées à faciliter la lecture, une partie de l’intérêt de ce volume nécessitera quelques visites à wikipedia. Rien d’éreintant et on remercie le scénariste de nous inciter de la sorte à se cultiver!

wp-1611253018201.jpgComme précédemment l’histoire est basée sur les personnages, réels donc, dont Richard Francis Burton, le fantasque aventurier, est de loin le plus intéressant, comme moule historique de tous les héros d’aventure imaginaires. Les autres personnages apparaissent un peu courts entre le duo monstrueux et ce mâle iconoclaste qui est dans tous les morceaux de bravoure de l’album. L’avantage de cette transposition en BD des schémas des films de la Hammer est que ce sont les apparitions monstrueuses et l’action qui sont attendus et que personne n’attend de vraisemblance. Les débats intellectuels sur la Création et la place démiurges de l’homme grâce à la science ne sont pas inintéressantes mais simplement déjà vus.

Dans toute série le second tome est le plus compliqué. La structure ternaire à rebours créée par Philippe Pelaez a l’avantage de jouer sur la redite tout en faisant de ce tome une porte vers l’origine. Comme hommage au roman gothique et aux films de monstres Moreau est une réussite qui parvient sans trop de casse à lier un grand nombre d’envies pour nous plonger dans un XIX° siècle effrayant et fascinant. L’aspect grandiloquant, le graphisme sans compromis de Puerta et une certaine redite narrative freinent un plein enthousiasme mais n’en donnent pas moins envie de poursuivre l’aventure jusqu’au début-conclusion sur Shelley, à paraître en fin d’année.

**·BD·Manga·Rapidos

City Hall #6

Manga de Guillaume Lapeyre et Rémi Guérin
Ankama (2012-2015) 7 volumes (série finie).

Couverture de City Hall -6- Tome 6

Un billet sur le premier cycle (tomes 1-3) a été publié sur le blog, ainsi qu’un rapidos sur les tomes 4 et une BD de la semaine pour l’excellent tome 5.

La quête se poursuit alors que Jules Verne a rencontré Nikola Tesla, seul capable d’activer la porte vers le Monde à l’envers. Le volume se structure sur le conflit (historique) entre Tesla et Edison et voit l’intervention de HP Lovecraft, maîtrisant le voyage entre les dimensions et envoyé par le président des États-Unis Abraham Lincoln. Des conflits cachés entre les personnages apparaissent et la fine équipe va bientôt embarquer sur le plus réputé des submersibles, pour l’ultime voyage.

Clairement ce volume n’est pas le meilleur. La faute aux nombreux sauts temporels qui cassent un récit déjà souvent verbeux. Le design général est un ton en dessous, moins de personnages interviennent et les découvertes sont moins nombreuses que d’habitude. On a le sentiment que les auteurs ne se sont pas lâchés, dans un entre deux avec un tome 5 vraiment excellent et un final pour lequel ils se sont peut-être préservés…

 

****·BD·Manga·Mercredi BD

City Hall #5

Manga de Guillaume Lapeyre et Rémi Guérin
Ankama (2012-2015) 7 volumes (série finie).

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Un billet sur le premier cycle (tomes 1-3) a été publié sur le blog, ainsi qu’un rapidos sur le tome 4 pour comprendre le concept de la série.

Je fais une petite entorse en publiant un manga (normalement réservé au lundi) et un volume de série en cours. Ceci car ce volume 5 est vraiment une très grosse surprise et atteint  une qualité digne d’un album one-shot justifiant une BD de la semaine…

Dans cette série Steampunk de style Manga, entre humour et action et caractérisée par un rythme effréné (qui peut parfois épuiser le lecteur!), Jules Verne accompagné d’Arthur Conan Doyle et d’une agent spéciale envoyée en Europe par par Eliott Ness se retrouvent à Paris à la recherche du texte descriptif du méchant Black Fowl afin de sauver son père. Le tome commence directement dans le Monde à l’Envers, de l’autre côté du Miroir (le monde d’Alice au pays des Merveilles) où le Chat de Cheshire soumet Houdini (envoyé là par son double maléfique) à des énigmes redoutables. L’histoire progresse ainsi en parallèle entre les mésaventures de Houdini qui rencontrera le créateur de ce monde parallèle, Lewis Caroll, et les héros qui sont eux recueillis par un Victor Hugo membre d’une  résistance occulte comprenant rien de moins que Maupassant, Agatha Cristie, Edgar Poe, Tolkien et Maurice Leblanc (Arsène Lupin)… ouf!

Résultat de recherche d'images pour "city hall 5 lapeyre"Vous l’aurez compris, la grande force de cette série est l’extraordinaire imagination et le patchwork cohérent qu’ont réussi à créer les auteurs autour de ce monde où le papier permet de générer une réalité par sa simple description. Sortes de sorciers dotés de crayons à la place de baguettes, les personnages sont tous des figures de l’histoire littéraire  (mais également Lincoln, Graham Bell, Malcolm X,…). Le concept est extrêmement audacieux et excitant et si les premiers volumes souffraient de quelques défauts de jeunesse, les auteurs atteignent ici pleine maturité de leur récit. On reste dans du manga ce qui implique une relation entre les personnages un peu manichéenne, des dialogues un peu ado et des découpages où le rythme est la vertu cardinale. Mais l’ensemble reste assez lisible et surtout le design général est vraiment alléchant. L’ambiance steampunk laisse le champ libre à toutes les possibilités scénaristiques concernant des innovations technologiques à vapeur (les auteurs s’inspirent des découvertes récentes… à la sauce Révolution industrielle). Les grande auteurs, tous dotés d’une créature imaginaire issue de leurs crayons sont dessinés de façon totalement libre et fantasmée, comme des héros de jeux-vidéo. Les conspirations, agences secrètes et histoire occulte foisonnent dans cet univers, si bien que malgré la grosse pagination, on trouverait presque que tout va trop vite et l’on souhaiterait que la série continue (elle s’achève au septième tome). Ce volume comporte plus de découvertes que d’action mais reste sur un très bon équilibre entre les dialogues too-much de Jules Verne, l’univers fantasmagorique de l’autre côté du miroir (même la Reine de cœur apparaît!) et la confrérie occulte de Victor Hugo.

Image associéeC’est plein, ça déborde de cœur et d’envie de la part des auteurs (comme cette double illustration en transparence!) qui ont voulu mettre tout leur amour des imaginaires dans leur création et je vous invite vraiment à découvrir ce très bon manga français (surtout si vous n’êtes pas férus de manga) qui fait de la littérature classique un monde d’action, d’énigmes et d’aventure!

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Cet article fait partie de la sélection de22528386_10214366222135333_4986145698353215442_n, cette semaine hébergée chez Mille et une frasque.