***·BD·Nouveau !

Shibumi

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BD de Pat Perna et Jean-Baptiste Hostache..
Les Arènes (2022), 224 p. One shot.

Pays-Basque, années soixante-dix. Une jeune femme pourchassée par les assassins de la Mother Company vient chercher l’aide de Nicholaï Hel, assassin imparable et maître de Go. En passant sa porte elle ramène à celui qui avait réussi à se faire oublier toute l’âme noire de l’Amérique de l’après-guerre. Un conflit stratégique, moral et personnel…

https://www.actuabd.com/local/cache-vignettes/L720xH999/shib3-63d68.jpg?1664017880Adepte des récits historiques sur les personnages sombres Pat Perna ne choisit pas la facilité en adaptant l’inclassable roman Shibumi qui raconte autant l’action malfaisante et immorale des Etats-Unis de la Guerre Froide que l’itinéraire spirituel d’un assassin mystique. Adaptant visiblement avec fidélité l’ouvrage, le scénariste prend le risque de ne pas compenser le refus de l’action qui semble émaner de la source.

S’ouvrant comme une tonitruante histoire d’espionnage dystopique avec une scène introductive de massacre à l’aéroport de Rome, Shibumi nous présente immédiatement le contexte et l’adversaire: une tentaculaire World company avant l’heure qui synthétise tout le conspirationnisme issu des actions de la CIA pendant la Guerre Froide et l’essence capitaliste de la nation dont les intérêts économiques priment sur tout autre. Organisme tout puissant, la Mother company va jusqu’à contrer l’alliance idéologique historique des Etats-Unis avec Israël en acceptant d’éliminer le commando Kidon chargé par l’Etat juif de venger les victimes de Munich, afin de conserver les conditions pétrolières favorable de la part des Etats arabes. Sous le trait hyper-dynamique de Jean-Baptiste Hostache (que je découvre dans un style qui rappelle furieusement le Blain de Quai d’Orsay), l’album est découpé en trois parties à l’intérêt inégal mais aux planches toujours cinématographiques et élégantes.

https://www.actuabd.com/local/cache-vignettes/L720xH990/shib5-0dd23.jpg?1664017879La frustration vient d’une volonté d’intime qui coupe l’action et l’épique chaque fois qu’ils doivent survenir, proposant ainsi un surprenant ton à l’humour très efficace dans un habillage de James Bond. Beaucoup d’attendus seront alors déçus une fois le premier chapitre passé: la critique des barbouseries américaines ou la terrible vengeance du héros invincible laisseront ainsi la place à une séance de spéléologie ou à une soirée décalée dans le château de Hel. Déstabilisant mais pas ennuyeux pour autant, Shibumi se veut comme son personnage: iconoclaste, zen et décalé.

Très bien écrit et porté par des dessins qui font beaucoup au plaisir de lecture et donnent furieusement envie de découvrir les travaux précédents de Hostache, l’album ne donnera en revanche pas forcément envie de lire le roman dont il est issu malgré le très visible « adapté de… » en couverture, hormis pour les curieux. Des difficultés des adaptations qui posent toujours la question du degré de fidélité nécessaire. Shibumi au format BD reste cependant un intéressante surprise qui vous sortira des sentiers battus.

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***·BD·Littérature·Nouveau !·Service Presse

Dans l’ombre

Récit complet en 88 pages, adapté du roman de Gilles Boyer et d’Edouard Philippe. Philippe Pelaez signe le scénario, Cédrick Le Bihan les dessins. Parution chez Grand Angle, en partenariat avec les éditions JC Lattès, le 05/04/23.

Merci aux éditions Grand Angle pour leur confiance.

Cinquante Nuances d’éminence grise

Les arcanes du monde politique nourrissent bien souvent des fantasmes et des suspicions, d’autant plus aujourd’hui à cause de la défiance du peuple envers la classe politique. Perçue comme une élite qui se reproduit, cette dernière a engrangé suffisamment de scandales pour ternir durablement son image auprès des citoyens, si bien que de sauveurs providentiels, les hommes politiques se sont progressivement mûs en opportunistes magouilleurs, au mieux sournois et arrogants, au pire, corrompus et avides.

Quoi de mieux dans ce cas que deux hommes politiques pour livrer un aperçu des manœuvres et des enjeux de ce monde opaque ? C’est ce qu’ont fait Edouard Philippe, ancien Premier Ministre, et Gilles Boyer, député Européen, dans leur roman intitulé Dans l’Ombre, adapté ici dans l’art séquentiel que nous affectionnons.

Le protagoniste de cette histoire, dont le nom ne sera jamais révélé, est ce qu’on surnomme un « apparatchik », un agent au service exclusif d’un homme politique, en l’espèce un favori que l’on connaîtra simplement comme « Le Patron ». Chargé des basses besognes, des affaires courantes comme de la rédaction des discours ou l’organisation des meetings, l’apparatchik pave le chemin de son Patron vers la gloire, à savoir le Graal du fauteuil présidentiel.

Mais avant cela, le Patron a besoin de passer le premier obstacle de la Primaire du Parti, à l’issue de laquelle le candidat à la présidentielle sera désigné. Alors comme un petit écuyer avec son chevalier, notre héros s’agite dans tous les sens pour remplir les objectifs de son supérieur, qui en récolte ensuite les lauriers. Cependant, après sa victoire à la Primaire, l’apparatchik reçoit un mystérieux message qui laisse penser que l’élection aurait été truquée. Le danger potentiel représenté par cette information pousse notre agent de l’ombre à enquêter et activer son réseau pour protéger la carrière politique du Patron, tandis que l’élection présidentielle approche à grands pas. Ce faisant, il va naviguer parmi les requins, voler parmi les vautours, dans l’espoir de contrecarrer les plans de ses rivaux politiques.

Le premier constat que l’on peut faire après la lecture de Dans l’Ombre, est que les auteurs sont parvenus à dépeindre le milieu décrié de la politique, à le romancer sans le caricaturer. Évitant de verser dans le manichéisme, les personnages, bien que réduits à leur fonction, sont bien campés et illustrent adéquatement la thématique centrale, celle des compromis qu’exige l’ambition politique. L’intrigue ne se contente pas de singer les manœuvres politiques et injecte une dose de thriller, qui dépasse légèrement du cadre habituel des scandales politiques, sans tomber non plus dans l’invraisemblable.

L’absence de noms pour le protagoniste et son « Patron » laisse penser que les deux auteurs se seraient inspirés de personnages existants sans pouvoir se permettre de l’avouer, ou bien qu’ils ont souhaité que le lecteur puisse y coller le nom réel qui leur semblait le plus pertinent…

Côté graphique Cédrick Le Bihan, plutôt connu pour être de l’école Fluide Glacial, change ici sa proposition graphique et se met au service du scénario de Philippe Pelaez en adoptant un style très épuré.

Dans l’Ombre, dont l’adaptation en série TV devrait suivre prochainement, satisfera les amateurs d’intrigues politiques, et plus généralement, ceux qui sont curieux de connaître les coulisses du pouvoir en France.

***·Manga·Nouveau !·Service Presse

Fullmetal alchemist (perfect edition) #12-13-14

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Manga de Hiromu Arakawa
Kurokawa (2023) – Square Enix (2002), env. 300 p./volumes, 11/18 volumes parus dans cette édition.

bsic journalismMerci aux éditions Kurokawa pour leur confiance.

Attention spoilers!

Lire les volumes d’une série par vague a le grand mérite de permettre un certain recule et cet arc (qui commence donc au tome 11 de la Perfect edition et se termine par le 14) marque à la fois une grande accélération dans les révélations finales sur le Grand Plan des homonculus qui dirigent le pays et la confirmation du grand défaut de la scénariste Hiromu Arakawa depuis le début. FMA est incontestablement une des grandes saga du manga shonen (bien que je conteste régulièrement ce classement depuis le début de mes chroniques de la saga alchimique). Pourtant un étrange sentiment de longueurs s’insère systématiquement entre d’incroyables séquences d’action pure, de gros délires décalés ou d’espionnage millimétrique. L’origine du problème, que l’on observe ici de façon flagrante est une propension aux faux-rythme de l’autrice, qui quasi systématiquement coupe les séquences les plus brillantes par une rupture brutale, un changement de ton ou une ellipse béante. Cela crée de la frustration mais c’est un effet recherché probablement destiné à entretenir le suspens. Du fait de l’aspect tortueux et bien obscure de l’intrigue jusqu’ici et de la quantité de personnages, ce rythme erratique a tendance à complexifier la vision d’ensemble du lecteur.https://www.generationbd.com/images/FMA-13-00001_1000x716.jpg

Ceci étant dit, cet avant-dernier arc regorge de révélations majeures, nous dévoilant enfin l’objectif final des homonculus de Central City, mais aussi leur origine et le rôle du père des frères Elric. Tout se met en place pour l’affrontement final. Il était temps et ces évolutions confirment une difficulté à gérer le temps long pour l’autrice qui a gardé sous le coude nombre d’élément jusqu’à seulement quatre tomes de la conclusion. On ne va pas bouder notre plaisir puisque si l’affrontement de la forteresse de Briggs du tome 11 reste le point culminant de la saga, les suivants proposent également de belles séquences via l’antagoniste redoutable Kimblee, l’alchimiste écarlate, rencontré lors du génocide Ishval. Si les aller-retour des protagonistes restent parfois un peu confus, l’humour reste redoutable (avec, si je ne l’ai déjà dit, une des meilleures traductions que j’ai pu lire en manga, tout simplement!) et la menace des homonculus reste particulièrement menaçante. Avec mille et un personnages et une quantité de méchants sur-puissants on voit toujours difficilement comment les modestes héros vont bien parvenir à éviter l’apocalypse final annoncé. Pourtant…https://www.generationbd.com/images/FMA-13-00003_1000x734.jpgCes volumes vont nous apprendre enfin qui est Hohenheim, sa véritable puissance et son lien avec le père des homonculus. Alors que la redoutable sœur Armstrong apparaît un peu décevante, se limitant à l’interaction humoristique avec son frère, la fusion entre Lin et Greed est en revanche centrale et passionnante en ce qu’elle redonne un aspect héroïque à l’un des membres de la confrérie des Elric après que Scar semble avoir accepté de se joindre à eux. Ne renonçant devant aucune surprise, Arakawa va jusqu’à tuer Ed (ou presque) et nous montre enfin qu’un homoncule peut être détruit. Cela marque un tournant majeur en ce que pour la première fois (hormis les redoutables actes de rages de Scar) le camp des méchants se trouve menacé alors même que nous savons enfin contre quoi les héros se battent. Tout cela dans des séquences à la tension dramatique parfaitement menée et à l’originalité graphique sublime dans sa pureté d’encrage.

Avec ses défauts identifiés mais un univers d’une complexité incroyable, Hiromu Arakawa peut donc commencer à refermer ses portes, progressivement, maintenant que tous les acteurs semblent révélés. C’est donc une course contre la montre qui est entamée pour la Cinquième colonne de l’armée dirigée par Mustang comme pour les amis des frères Elric désormais réunis avec leur père. Ce qui est certain c’est que le final s’annonce grandiose!

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Merci au site GenerationBD pour ses scans de très bonne qualité!

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Thorgal saga #1: Adieu Aaricia

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BD de Robin Recht
Le Lombard(2023), 104p., One-shot.

L’album est paru en deux éditions simultanées: la classique ici chroniquée et la Collector, de plus grand format, numérotée et incluant un cahier graphique.

Aaricia n’est plus. L’âme sœur du héros le laisse telle une coquille vide dans un monde obscure. Tout à sa peine, Thorgal est abordé par son ennemi de toujours, le serpent Niddhog, qui lui propose d’utiliser son anneau Ouroboros pour retourner dans le passé afin d’y revoir sa dulcinée. Au bord de son existence le héros doute…

https://www.ligneclaire.info/wp-content/uploads/2023/02/Thorgal-Saga-6.jpegJe me faisais la réflexion que comme au cinéma, plus grand chose d’intéressant à se mettre sous la dent en Franco-belge depuis quelques temps hormis les nouveaux tomes de séries. Phénomène classique, évolution attendue qui n’exclut pas des pépites de temps à autre. Thorgal a toujours été pour moi la plus grande série, un miracle indépassable de la série (presque) parfaite et qui aurait sans doute dû s’arrêter il y a quelques années avec un peu de courage éditorial pour suivre les idées qu’a très certainement eu Jean Van Hamme pour finir en beauté. Bref, si vous avez lu les différents guides de lecture de la série parus sur le blog vous connaissez mon opinion. Je parlais de courage éditorial, on ne peut pas dire que l’idée d’une série de spin-off one-shot attribuée à de grands auteurs regorge de créativité. Aucun doute en revanche que l’éditeur saura attirer de très grands auteurs biberonnés aux aventures de l’enfant des Etoiles. On annonce déjà Fred Duval et Corentin Rouge sur le prochain titre, deux valeurs sures pour un probable chef d’œuvre.

Ce qui surprend le plus sur ce gros double-album, une fois passé le prologue magnifique et touchant, c’est le classicisme du récit, tant et si bien que l’on se prend à penser que l’on est en cours de lecture d’un album de la série mère. Car les voyages temporels ne sont pas totalement une nouveauté pour Thoral (le Maître des montagnes, la couronne d’Ogotaï,…). Robin Recht alimente ce classicisme jusque dans des dessins à la proximité troublante avec Rosinski, ce qui faut de Adieu Aaricia plus un hommage vibrant qu’une réinterprétation artistique. Certains pourront trouver que c’est un peu court pour justifier une nouvelle Thorgal : Adieu Aaricia, une saga qui débute brillamment -Comixtripaventure. Pour ma part, connaissant le travail d’une grande variété et très exigeant de Robin Recht j’ai su apprécier sa proposition comme un très bel album de Thorgal teinté dans sa seconde partie d’un surprenant soupçon de Mathieu Lauffray. Car la séquence barbare nous rapproche beaucoup de l’univers si reconnaissable de l’auteur de Long John Silver, dont Recht est un disciple.

Empruntant à des films sauvages tels que le 13° Guerrier ou le récent Northman, Adieu Aaricia sait créer d’intéressants personnages dont l’interaction nous frustre par sa brièveté. N’apportant au final rien de très nouveau aux chroniques de Thorgal Aegirson qui a tant vécu d’aventures, on ne sait si la conclusion bien sombre laisse présager des liens avec les séries principales (Thorgal se déclinant désormais en plusieurs trames) ou juste un tombé de rideau mélancolique. Si on imagine ce qu’un scénariste chevronné aurait pu tirer de la rencontre entre le jeune et le vieux Thorgal, Robin Recht propose donc un album graphiquement irréprochable, qui nous offre un pouce-café bienvenu pour tout nostalgique de l’ère Rosinski et nous ferait presque oublier l’origine commerciale du projet.

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Journal inquiet d’Istanbul #1/2

La BD!

BD d’Ersin Karabulut
Dargaud (2022), 133p. ; 1 volume paru. Comprend un cahier photos de l’auteur en fin d’ouvrage.

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image-10Ersin Karabulut est à Istanbul la star des fanzines et magasines de BD satiriques, tradition locale dans un pays tiraillé par une schizophrénie qui rappelle quelque part le contexte japonais. Ses premières publications chez nous sont le fait des éditions Fluide Glacial (désormais au sein du groupe Bamboo) sous la forme d’une traduction de ses Contes ordinaires en deux tomes, dont le second a été un coup de cœur de 2020. Retrouvant son très élégant dessin et l’alliance de réalisme et de caricatures grossières, Karabulut se met dans les pas de d’un Riad Satouf en publiant un projet original chez Dargaud, un journal autobiographique dans la veine de l’Arabe du futur, décrivant son arrivée dans le monde de la caricature politique en parallèle de la transformation de la nation turque en régime semi-autoritaire.

Ersin Karabulut dessine contre la tyrannie turqueAlors que les Contes étaient des historiettes tout droit sorties des équivalents turcs de Fluide, son nouveau projet est un véritable récit au long court qui confirme le talent de narrateur et la vision très fine de l’auteur sur son pays. On retrouve nombre de points communs entre la jeunesse de Sattouf au Moyen-Orient et celle de Karabulut dans une Turquie au commencement de sa migration islamiste, en rappelant le redoutable archaïsme de pensée dans lequel sont conservées ces populations par les régimes successifs. Sans tomber dans le digest historique de la nation turque, l’auteur fait preuve d’un grand sens de la didactique en expliquant de ses yeux d’enfant ce qu’était son pays, le rôle de l’Armée et des coups d’Etat réguliers pour rétablir une cohabitation entre frange religieuse et frange moderne de la population dans un contexte de Guerre froide où le paye d’Ataturc était à la croisée de deux (voir trois) mondes. On pense bien sur à la guerre civile algérienne, plus loin à la Révolution iranienne…

Journal inquiet d'Istanbul, premier volume passionnant de l'autobiographie  d'Ersin Karabulut, fer de lance de la rentrée 2022 de Dargaud sur Buzz,  insolite et cultureLe journal inquiet d’Istanbul décrit d’abord l’itinéraire mental classique d’un jeune garçon timide plus proche des BD que des humains. De ces récits on en a quantité sur les trois continents. Mais ce qui passionne, outre la mise en scène remarquable c’est le contexte socio-politique. D’Erdogan on entend régulièrement parler aux actualités. Peu se souviennent de son parcours et des menaces de charia qu’il faisait peser sur le pays à ses débuts, avant d’être emprisonné. Le Journal inquiet d’Istanbul c’est bien sur la spécificité de la capitale économique du pays dont la partie la plus occidentalisée se situe sur la rive européenne. C’est aussi le récit de la victoire historique de la partie conservatrice et religieuse (pour ne pas dire intégriste) de la population, de la rupture d’un équilibre qui a permis à la Nation de perdurer depuis la chute de l’empire, un empire particulier par la multitude de minorités tolérées sous la coupe du Sultan. On voit le jeune Ersin se séparer progressivement du cadre mental inquiet de ses parents, enseignants laïcs traumatisés par les premiers heures avec les mafia islamistes et convaincus qu’il ne fallait pas faire de bruit pour ne pas s’attirer les foudre des méchants. L’auteur va au contraire https://www.actuabd.com/local/cache-vignettes/L720xH459/journal_inquiet_case_3-7693a.jpg?1666105432s’émanciper via le dessin, vecteur qui lui permet de découvrir l’autre monde turc, celui qui lui correspond et qu’il ne connaissait pas.

Le Journal c’est aussi le bel âge où tout est possible, du succès populaire, auprès des filles et des petites trahisons que l’égo entraine. C’est un récit passionnant de bout en bout, graphiquement très varié et qui parlera à tout un chacun via les découvertes de l’adolescence. Un album parfaitement équilibré et qui devrait trouver un large public sans difficulté.

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Les vieux Fourneaux #7: chauds comme le climat

La BD!
BD de Wilfried Lupano, Paul Cauuet ert Jerôme Maffre (coul.)
Dargaud (2022), série en cours, 54p./album.
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Dans une bonne histoire il faut toujours un adversaire redoutable. Garan-servier est depuis le début de la série cette incarnation d’un capitalisme prédateur et relié à toutes les péripéties du village de Montcoeur. Mais voilà que l’affreux en vient à casser sa pipe… ce qui déclenche un engrenage mortifère lorsque la marche immorale du monde vient se rappeler au souvenir de nos militants du troisième âge…

Les Vieux Fourneaux - Tome 7 - Les Vieux Fourneaux - Chauds comme le climat  - Wilfrid Lupano, Paul Cauuet - cartonné - Achat Livre | fnacLa question qui tourne autour de la série c’est sa durée de vie… et celle de ses personnages. Les auteurs nous ont déjà fait le coup plusieurs fois de la disparition d’un des protagonistes et l’on imagine mal les Vieux fourneaux continuer sans un membre du trio. Alors que la fille de Sophie grandit bien on voit passer le temps, qui indique que Lupano et Cauuet n’imaginent pas leur poule aux œufs d’or comme éternelle puisqu’ils choisi une trame non figée dans une bulle sans chronologie comme le sont certaines séries. Ainsi la disparition de Garan-Servier, évènement déclencheur de cet épisode est surtout un prétexte à la dénonciation du fascisme rampant qui gangrène les têtes d’une partie de la jeunesse française… et par incidence Montcoeuroise. Sous ce thème politique ce sont les péripéties plus classiques qui sont les plus efficaces pour nous faire rire toujours aussi franchement: ainsi la participation d’Antoine et Pierrot à une manif entre blackblocks et CRS, l’irruption rageuse de la redoutable Berthe dans un barbecue organisé par le maire et les truculents échanges de village ou de troquet qui permettent à Lupano de nous ravir de son magnifique sens du dialogue comme bon héritier d’Audiard.

Les vieux fourneaux est une BD militante grand public qui fait le même effet que l’écoute d’un album de Renaud. Notre époque désabusée d’un capitalisme triomphant qui ouvre la porte au fascisme a tendance à nous faire oublier que la culture et les loisirs culturels sont aussi un vecteur de combat pour dénoncer la résignation et rappeler qu’un autre monde est possible. A travers ses papy et notamment le génial Pierrot Wilfried Lupano nous bouscule par des vérités qu’il ne faut jamais se lasser de rappeler. La grande diversité de la galerie de personnages évite le manichéisme qui aurait perdu nombre de lecteurs. Cette série est toujours un grand plaisir BD, excellemment bien dessinée, prodigieusement écrite, une sorte d’Asterix du XXI° siècle, que l’on attend avec impatience et la garantie d’un entertainment à la française.

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Le sang des cerises 2/2

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BD de François Bourgeon
Delcourt (2022), Série Les passagers du vent complète en 3 cycles de 9 tomes.

image-5Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

Les passagers du vent est une des séries les plus iconiques de la BD franco-belge, quarante-ans de BD qui s’achèvent avec ce dernier volume du troisième cycle ou plutôt de la seconde époque, dédiée à Zabo, la petite-fille de l’héroïne apparue dans les pages de la revue (A suivre) en 1980. Pour les lecteurs qui découvrent cette série à l’imagerie datée, c’est un peu comme de voir s’achever Corto Maltese ou DragonBall…

https://www.ligneclaire.info/wp-content/uploads/2022/11/PASSAGERS_DU_VENT09_11-scaled.jpgLa narration de François Bourgeon, sans doute un des auteurs les plus entiers et exigeants de ce média, a toujours été complexe, non linéaire et à la chronologie variable. Il en est de même sur cet ultime volume qui a tendance à s’étirer un tantinet dans le journal des années de déportation de Zabo (rebaptisée Clara pour des raisons que vous découvrirez dans la lecture) en Nouvelle Calédonie. S’ouvrant un instant après la clôture du premier tome du Sang des cerises, l’album suit le récit par Clara à Klervi de son histoire américaine en Louisiane (les deux tomes de La petite-fille bois-caïman) jusqu’à leur rencontre à l’enterrement de Jules Vallès. Les trois-quart de la BD suivent donc ce récit dense, détaillé, émouvant et dur, avant d’ouvrir des perspectives sur la vie retrouvée des deux femmes liées par le destin. Si Bourgeon est un très grand dialoguiste et scénariste, ses choix de construction ne facilitent pas le suivi qui nous basculent vingt ans d’un côté et vingt de l’autre, ce qui incite vivement à réviser le tome précédent, voir l’ensemble des aventures de Zabo.

Le cœur de ce récit porte donc sur les crimes des versaillais et la féroce répression bourgeoise sur les communards qui accompagne la naissance de l’empire colonial de la République, dont la crudité connue de Bourgeon n’oublie pas de nous rappeler en ces temps de nostalgie réactionnaire combien il s’est agit avant tout de formidables débouchés financiers pour le capitalisme napoléonien et d’un moyen de répression pour les prisonniers politiques comme d’assouvissements primaires de domination raciste pour une armée biberonnée tout au cours du XX° siècle. En se contentant de séquences décousues l’auteur montre de façon un peu erratique combien Zabo a vécu dans sa chair les exactions sur ordre de la soldatesque versaillaise qui n’a pas hésité à passer par la baïonnette femmes et enfants. Perdant le même jour son mari et son bébé, la jeune femme se voit déportée en compagnie de Louise Michel après de nombreux mois en détention chez les bonnes sœurs. Ayant perdu le gout de vivre, il lui faudra tout le soutien de cette figure historique, toute l’humanité de ses sœurs de combat et tout l’amour de Lukaz qui viendra la sauver aux antipodes après l’amnistie générale. On découvre ainsi une longue chronique de cet enfermement, des débats philosophique de haut niveau des déportés, comme la réalité des colonies où vaincus algériens rencontrent vaincus parisiens.

D’un construction étrange, cet album nous touche surtout sur les séquences « récentes » autour du duo Clara/Klervi, l’auteur reformant son duo de toujours, la blonde et la brune, dans un amour des femmes qui semblent les seules capables de dépasser l’animalité du genre humain. Cherchant à boucler la boucle de sa saga, il retourne en Bretagne, pays qu’il connaît si bien, dont il aime tant dessiner les landes (tellement qu’il confond par moments les paysages calédoniens et ceux de sa terre d’adoption), dans une fort réussie pirouette où l’amour (simple) triomphe. Un optimisme après tant d’horreurs, qui fait de cette conclusion une semi-réussite qui ne comblera pas l’incertitude de cette seconde époque où Bourgeon aura dessiné au gré du vent sans toujours de ligne directrice semble t’il, mais toujours avec une immense science de la BD. Les passagers du vent s’achèvent donc en demi-teinte, en constatant qu’ils auraient pu en rester à la vie d’Isa mais qu’il aurait été dommage de se priver de la vision de ce maître sur une période fondatrice de notre histoire républicaine que tout un chacun devrait prendre le temps d’étudier.

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***·BD·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Les 5 terres #9

La BD!
 
BD de David Chauvel, Jerome Lereculey et collectif
Delcourt (2022), 56p., série en cours, 1 cycle achevé, 3 tomes parus sur le second cycle
Série prévue en 5×6 tomes.

bsic journalismMerci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

Lorsque l’on referme cette mi-temps de la seconde saison des 5 Terres on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Le plein c’est le constat que le second épisode a marqué un surplace inutile qui a créé de l’inquiétude en empêchant le rythme de s’installer. Le vide c’est qu’hormis le potentiellement cataclysmique cliffhanger du texte final on reste dans de la petite histoire qui peine à faire des cahots mafieux du clan du Sistre un équivalent des Peaky Blinders…

Les 5 Terres tome 9 - "Ton Rire Intérieur" - Bubble BD, Comics et MangasCar après avoir fait une croix sur l’hypothèse d’intrigue politique à la Cour de Lys on a désormais compris que ce cycle visait à développer les arcanes des mafias du monde des singes, dans une variation du monde de Scorsese ou des films policiers. On accroche avec certains personnages comme le commissaire Shin que l’on lie volontiers avec les forfaits des clans. Beaucoup moins avec les amours blessées de Kéona au Château, qui font allègrement bailler, et jusqu’à la chute de ce tome donc, on attendait plutôt la disparition définitive des archéologues à la recherche de leur Cité. Mais tout l’art des scénariste de cet immense projet c’est de tisser des liens pour plus tard. Au risque de se tirer une balle dans le pied en temporisant trop par peur de reproduire le cycle infernal si addictif du premier cycle.

Ce troisième tome permet donc de refermer certaines portes bien trop longtemps laissées entrouvertes (on ne sait pourquoi) et de solidifier la stature de certains personnages dont cette Alissa dont on a jusqu’ici le plus grand mal à faire notre héroïne. Heureusement les fils commencent à se relier autour du conflit mafieux avec un élargissement salutaire de l’univers de ce cycle qui donne beaucoup de possibilités dans les relations « politiques » du Sistre. On semble reprendre pied donc, encore loin du stress d’Angléon mais avec bien plus d’intérêt que la crainte dans laquelle le second opus nous avait laissé. Haut les cœurs, la passion n’est plus vraiment là mais rien n’est perdu, en un basculement la bande à Chauvel peut ramener soudain ces 5 Terres au niveau qu’elles ont quitté. Et cette mystérieuse Cité de Barkhane pourrait bien être ce basculement qui aura un peu trop tardé… suite en février prochain…

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****·BD·La trouvaille du vendredi·Nouveau !·Rétro·Service Presse

Sanctuary (perfect) #1

La trouvaille+joaquim

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Manga de Sho Fumimura (« Buronson ») et Ryoichi Ikegami
Glénat (1990)/(2022), 460p, 1/6 tomes parus.

Sous l’appellation « Perfect » de l’éditeur se cache plus simplement une réédition intégrale regroupant deux tomes par volumes, sans ajout particulier ni retravaille du master vieilli. Glénat avait ouvert la publication en 1996 avant de l’abandonner au bout de deux tomes, les éditions Kobuto reprenant la série pour publier les douze volumes entre 2004 et 2005, introuvables désormais. Alors que Glénat republie le chef d’œuvre de Ikegami en apéritif à la nouveauté Trillion game (chronique demain), on peut gager que la ressortie de l’autre monument, Crying Freeman ne tardera pas, avec, espérons, un travail éditorial plus conséquent.

bsic journalismMerci aux  éditions Glénat pour leur confiance.

Asami et Hojo sont deux jeunes ambitieux. L’un officie dans l’ombre des politiciens, l’autre dans celle des Yakuza. Alors qu’une commissaire est nommée sur le territoire du second, elle va bientôt apprendre que beaucoup de choses relient les deux hommes…

CaptureRyoichi Ikegami est un des monstres sacrés du manga, notamment dans les années 80-90 où il officia sur les best-sellers Crying Freeman (avec le scénariste du mythique de Lone Wolf &Cub qui vient de ressortir en édition perfect), adapté au cinéma par Christophe Gans, et donc ce Sanctuary scénarisé l’auteur de Ken le survivant (Hokuto no Ken) qui accompagnera Ikegami sur la plupart de ses autres séries.

Ce qui marque immédiatement en ouvrant ce manga de Yakuza qui a probablement inspiré Boichi sur son Sun-ken Rock c’est le style graphique très crayonné où des éphèbes rivalisent d’intelligence et de détermination, l’un du côté des Yakuza, l’autre du côté politique, pour parvenir à leurs fins. Comme tout vieux film de Scorsese ou de John Woo (on est un peu entre les deux) les costards d’époque, les Mercedes et les coiffures vintage marquent leur temps et participent à l’atmosphère d’un Japon corrompu jusqu’à la moelle et écrasé par une classe de vieux mandarins que ces jeunes gens veulent bouter du pouvoir.

Et c’est là la modernité la plus notable dans le scénario: ces deux auteurs de quarante ans dynamitent la gérontocratie japonaise, comme Masamune Shirow et Katsuhiro Otomo dans leurs monuments Appleseed et Akira du reste. Alliant une radicalité dans la violence graphique (sexuelle comme physique) ils montrent un monde politique plus détestable encore que celui de la pègre en ce qu’il est réputé œuvrer au bien commun. Ici Capture1on achète les circonscriptions électorales à coup de millions et de grands « présidents » décident de tout entre jeux de jambes en l’air avec des gaminettes et parties de golf. Si le monde des Yakuza n’est guère reluisant, il semble moins pointé du doigt (qui reprocherait à des criminels leur manque de morale?).

Sur ce premier tome remarquable d’équilibre nous apprenons donc qu’un lien ancien existe entre ces deux impétrants et que la commissaire va être le grain de sable dans le plan parfaitement huilé du duo pour gravir le sommet et changer le monde. Résolument adulte, le scénario ne s’encombre pas de scories familiales et d’intrigues secondaires faciles. Dur tout en sachant être léger, Buronson et Ikegami dressent un tableau très réaliste d’une époque et de deux mondes qui semblent naviguer de concert au-dessus d’une société bien délaissée au regard des enjeux de pouvoir. Doté de personnages charismatiques, d’une narration millimétrée, d’action régulière et de dessins superbes (bien que mal mis en valeur par une technique d’impression d’époque), Sanctuary est un must-read qui n’a vraiment pas vieilli et montre pourquoi l’œuvre de Ryoichi Ikegami est majeur dans l’univers du manga.

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****·BD·Nouveau !·Service Presse

Astra saga #2

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BD de Philippe Ogaki et collectif.
Delcourt (2022), 54p., série en cours, 2/7 tomes parus.

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bsic journalismMerci aux éditions Delcourt pour leur confiance!

L’an dernier l’auteur des Mythics marquait les esprits avec le premier tome d’une trilogie SF très ambitieuse transposant dans le futur les mythes nordiques et l’esthétique napoléonienne impériale.

Astra Saga (tome 2) - (Philippe Ogaki) - Science-fiction [BULLES EN VRAC,  une librairie du réseau Canal BD]Si le premier volume cochait toutes les cases grâce notamment à une lisibilité scénaristique et une gestion de l’action parfaitement calibrée, le second tome a tendance à nous perdre à force d’aller-retours temporels. Prenant la forme d’un gros flashback nous menant à la grosse bataille spatiale qui ouvre le premier volume, la concentration demandée pour suivre les personnages, resituer leurs raisonnements et interactions (jusqu’à nous envoyer le méchant tantôt casqué tantôt découvert au point que l’on ne sait plus si son statut a été officiellement révélé ou non…) est assez fatigante. Le principe de l’épisode rétroactif est connu et fonctionne, pour peu qu’il ait sa propre linéarité. Ici on a le sentiment d’être dans une Inception, avec plusieurs trames temporelles. Était-ce volontaire dans une optique de retranscrire une relativité du temps liée à la structure de l’Espace-Temps très particulière de ce monde? Toujours est-il que cela complique la lecture pour pas grande chose et fait perdre de vue les grandes qualités par ailleurs de cette série.

Astra Saga tome 2 - BDfugue.comCar techniquement on reste sur le très haut niveau du volume précédent, avec cette envie évidente de batailles navales stratégiques qui flattent les rétines et restent faciles à suivre malgré la quantité d’éléments à l’image. Petite frustration concernant les adversaires: le noble séide de la créature antédiluvienne peine à apparaître et l’adversaire impérial inspiré des Ottomans n’est visible que via quelques soldats et vaisseaux. L’esthétique aurait mérité d’être transposée en SF et l’on aurait aimé voir des joutes politiques du côté des adversaires. Passons.

Ce volume suit donc ce héros bleu qui gravit les échelons de l’armée grâce à des capacités qui semblent lui permettre de résister à l' »épice » de ce monde, ce fluide issu de dépouilles antiques, ce sang qui donne son titre à l’album. Astra Saga T02 de Agnès Loup, Philippe Ogaki, Sanoe, Arturo Perez orts,  Guduf - Album | Editions DelcourtAlors que l’on découvre la source de ce fluide on est surpris par un scénario pas si manichéen lorsqu’il semble indiquer que cette guerre ancestrale qui a donné naissance au monde actuel ne s’est peut-être pas déroulée pour les raisons invoquées et suivant le déroulé connu… De quoi titiller notre curiosité plus loin dans l’idée d’une révélation sur la source des Mythes, sujet toujours passionnant. Heureusement, l’auteur indique un projet en sept tomes, ce qui laisse du temps pour recadrer un peu ces quelques réglages et surtout développer un univers foisonnant au potentiel énorme.

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