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The Nice House on the Lake #2

Deuxième tome de 190 pages, de la série de James Tynion IV et Alvaro Martinez Bueno. Parution chez Urban Comics dans la collection Black Label le 31/03/23.

Merci aux éditions Urban pour leur confiance.

Les copains d’abord

La présente chronique risque de vous gâcher le plaisir de lecture si vous n’avez pas lu le premier tome. SPOILER A L’HORIZON !

Dans le premier tome, nous faisions la connaissance de Walter, trentenaire dévoué qui emmenait ses amis en villégiature dans une sublime propriété au bord d’un lac dans le Wisconsin, avec quelques règles maisons dont il a le secret. Ainsi, Rick est le Pianiste, Naya la Médecin, Sarah la Consultante, Arturo l’Acupuncteur, Sam le Reporter, Véronica la Scientifique, Molly la Comptable, David le Comique, Norah l’Autrice; et Ryan l’Artiste.

Bien vite, les vacances de rêve prennent une tournure cauchemardesque lorsque Walter révèle sa vraie nature: il n’est pas humain, et appartient à une civilisation extraterrestre dont le but est l’extermination de la vie sur Terre. Cependant, Walter avait pour mission de préserver un échantillon représentatif du genre humain, afin que ses supérieurs puissent juger de la valeur de notre espèce. Après des années vécues dans la peau d’un humain, ce sont ces dix personnes aux personnalités et aux rôles disparates que Walter a décidé de sauver de l’apocalypse.

Nos rescapés apprennent donc la terrible nouvelle: partout sur la planète, les flammes ravagent les villes et consument les gens, sans faire de distinction. Piégés dans cet endroit idyllique où tous leurs besoins et désirs peuvent être comblés, nos héros encaissent le choc de la nouvelle et se posent bien vite une question cruciale: doivent-ils se résigner à leur sort, victimes malgré eux de la bienveillance de Walter, où chercher un moyen de s’échapper ?

Le premier tome de TNHOTL était un coup de coeur immédiat, confirmé par ce second tome. L’écriture inventive de James Tynion IV permet de créer des situations originales et des rebondissements accrocheurs qui ne sont pas visibles à plusieurs kilomètres. Malgré la multiplicité des personnages, il demeure facile de s’y attacher, chacun d’entre eux ayant une personnalité distincte et reconnaissable. L’auteur a choisi un format plutôt singulier pour chacun de ses douze chapitres, qui s’ouvrent sur un flash-forward d’un futur apocalyptique (possiblement les ruines de la Maison) dans lequel un des personnages brise la quatrième mur pour nous narrer sa première rencontre avec Walter, avant de basculer sur un flash-back montrant un moment significatif du personnage avec Walter. Ce paradigme est finalement renversé dans le dernier chapitre, pour une raison qui apparaîtra à la lecture.

L’écriture est telle qu’il s’avèrest plutôt difficile de ne pas ressentir d’empathie envers le personnage de Walter malgré son statut d’antagoniste. Sincère dans ses émotions mais contraint de faire des choses qu’il réprouve, on le sent partagé entre son affection pour ses amis et l’inéluctabilité des actions entreprises par son espèce, ce qui renforce sa profondeur. Lors des flash-back, l’ironie dramatique bat son plein car chaque mot, chaque attitude de Walter peut prendre un double-sens et nous éclairer sur son dilemme.

La fin de ce second volume augure cependant un autre cycle, avec de nouveaux enjeux dramatiques et des perspectives de narration plus qu’intéressantes. Côté graphique, Alvaro Martinez Bueno nous cause encore une fois un décollement de rétine, son talent étant encore accentué par la mise en couleur tranchée de Jordie Bellaire.

The Nice House on the Lake est résolument une des meilleures séries de ce début d’année, à lire sans hésiter !

****·BD·Littérature

T’Zée, une tragédie africaine

Récit complet en 144 pages, écrit par Apollo, dessiné par Brüno et mis en couleurs par Laurence Croix. Parution chez Dargaud le 06/05/22.

Le retour du Roi

Après des années passées à l’étranger, Hippolyte revient dans son pays natal, en proie à une grave crise. Son père, T’Zée, tyran cruel depuis des décennies, a été destitué par les rebelles, et il est présumé mort. Retranché à Gbado, dans l’extravagant palais construit par T’Zée au fond de la jungle, l’introverti et flegmatique Hippolyte pondère son avenir, alors que les rebelles se rapprochent pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’héritage du despote.

Pendant ce temps, Bobbi, la jeune épouse de T’Zée, ne sait plus comment taire les sentiments qu’elle nourrit envers Hippolyte, alors même que le seul obstacle qui se dressait entre eux est désormais écarté. Durant toutes ces années, Bobbi s’est évertuée à jouer un rôle, celui de la marâtre insupportable, afin de parfaire sa mascarade. La jeune femme n’a donc que faire que les fondations du pays volent en éclats, ou que sa vie soit menacée par les rebelles. Tout ce qu’elle souhaite, c’est retrouver Hippolyte pour lui avouer enfin ce qu’elle ressent pour lui. Mais le destin permettra-t-il à un amour si coupable de s’épanouir ?

T’Zée s’inspire de la tragédie Phèdre de Jean Racine. Métamorphosant le contexte pour le resituer dans l’Afrique post-coloniale, l’auteur se joue du mythe pour mieux se le réapproprier. Car si la tragédie en tant que genre, suppose des personnages bernés par le destin et mis face à des choix impossibles qui précipitent leur chute, alors l’Afrique est bien une des grandes tragédies de l’Histoire contemporaine.

Si la Phèdre de Racine était dévorée par la jalousie et le ressentiment, Bobbi, elle, n’est finalement pas tant le jouet de ses pulsions que le produit d’une ère post-coloniale, qui a ouvert la voie à des guerres civiles, des administrations ad hoc, corrompues et impropres à diriger des pays laissés exsangues par l’Occident.

Dans cette nouvelle version, il est d’ailleurs difficile de savoir qui, de Bobbi ou Hippolyte, tient lieu de protagoniste, tant les deux sont ballottés par les événements et par cette crise politique et humaine qui rend incertain l’avenir du pays. Bobbi semble cependant tirer son épingle du jeu, en tenant les rênes de ce qu’il reste du régime de T’Zée, tandis qu’Hippolyte tient lieu de protagoniste beaucoup plus passif, car longtemps tenu à l’écart des affaires familiales par un père autoritaire qui le jugeait faible.

Au-délà de l’adaptation de la pièce de Racine, on voit donc bien que c’est le contexte africain qui tenait à cœur les auteurs, comme nous l’explique finalement la post-face du scénariste. La conjugaison de l’écriture d’Apollo et du dessin de Brüno fonctionne parfaitement, ce qui laisse transparaître dans chaque planche une ambiance crépusculaire et une amertume lancinante, qui mène cette tragédie moderne jusqu’à sa conclusion logique.

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Lore Olympus #3

Troisième volume issu de la retranscription sous format papier du webtoon créé par Rachel Smythe. Parution en France chez Hugo BD le 03/11/2022.

Merci aux éditions Hugo BD pour leur confiance.

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Si vous lisez Lore Olympus, alors vous connaissez la vérité: Non, Perséphone n’a pas été enlevée par Hadès aux Enfers ! Il s’agissait en fait d’une méprise, issue des machinations perfides d’Aphrodite. La jeune déesse débutante est tombée amoureuse du dieu des Enfers, et ce dernier, homme d’affaire introverti plutôt que cruel tyran, aimerait bien réciproquer cet amour mais se trouve coincé par les convenances olympiennes, et par sa relation toxique avec une autre nymphe.

Voilà le pitch de Lore Olympus, phénomène de la plateforme webtoon désormais édité en format papier. Après deux tomes passés à jouer au chat et à la souris, Hadès et Perséphone ont enfin l’opportunité de se retrouver, mais bien évidemment, un tel amour se doit, pour exister et trouver grâce aux yeux des lecteurs, de surmonter de grands obstacles.

Le premier d’entre eux, et pas des moindres, est la différence d’âge entre le roi des Enfers et la jeune déesse du Printemps. Bien qu’immortelle, Perséphone n’est encore âgée que de 19 ans, ce qui rendrait une liaison avec Hadès, qui a soufflé ses 2000 bougies, moralement répréhensible (vous connaissez l’équation « divisé par deux + 7 » ?). En second lieu, la disponibilité d’Hadès, qui subit depuis pas mal de temps une liaison peu épanouissante, voire carrément toxique, avec la nymphe Menthé, qui se sert de lui comme d’une éponge émotionnelle. Vampirisé par Menthé, Hadès nourrit donc des doutes, et a fait le choix, dans le volume 2, de garder ses distances avec Perséphone, ce qui a permis à la nymphe toxique d’officialiser sa liaison.

Heureusement, Perspéhone a obtenu un stage chez Enfers et Cie, ce qui lui permet de rester dans l’entourage d’Hadès. Menthé, évidemment, ne voit pas cette incursion d’un bon œil, et va faire tout ce qui est en son pouvoir pour garder la mainmise sur le roi des Enfers. Perséphone et Hadès doivent aussi gérer les répercussions des révélations faites par la presse à scandales olympienne, qui a publié des clichés des deux comparses.

De son côté, Perséphone est pressée, voire étouffée, par les exigences de sa mère Déméter, qui tente de garder le contrôle sur elle par peur de ce qui pourrait lui arriver. Ce que Déméter ignore, c’est que le pire est déjà arrivé, car Apollon, s’est déjà sexuellement imposé à Perséphone, qui ne sait que faire de ce secret qu’elle trouve honteux.

Comme nous l’avions vu précédemment, Lore Olympus entraine ses lecteurs dans un marathon visant à déployer sa romance entre Perséphone et Hadès, mais un lecteur/lectrice qui serait né(e) avant 2000 pourrait commencer à trouver cela lassant, au bout des 600+ pages que compte à ce jour la version papier.

Comme évoqué plus haut, l’histoire d’amour contrarié entre les deutéragonistes se doit d’affronter des complications pour trouver valeur à nos yeux, mais on ne peut pas se départir tout à fait de la sensation de patinage de l’intrigue. On ne fait pas du sur-place non plus, puisque ce volume 3 comprend quelques révélations et avancées significatives, dont on attend les répercussions dans le quatrième volume.

S’agissant des archétypes que l’on évoquait dans la chronique du premier volume, on les retrouve là-encore, avec une jeune femme idéalisée, confrontée à l’aliénation d’une société qui ne souhaite que la contrôler, et dont le but sera de prendre en main son destin et conquérir le bellâtre. Côté masculin, on note également la présence des archétypes, avec l’homme de pouvoir (donc attrayant), beau et mystérieux, introverti et tourmenté, et qui va, grâce à l’intervention de la Fille dans sa vie, réaliser qu’il doit se débarrasser de ses entraves et vivre sa vie pleinement.

Là où LO frappe fort sur ce tome 3, c’es sur son traitement de la thématique du viol et du rapport masculin à la notion de consentement. Il ne semble pas anodin que ce soit Apollon, dans cette version, qui prenne de force la virginité de Perséphone: un homme superficiel, fourbe, égocentré, qui ne prend en compte que la satisfaction immédiate de ses désirs, et qui n’est pas accoutumé à la négative lorsqu’il en formule un. De façon assez ironique, mais finalement assez logique, c’est Eros, un autre homme, dont on comprend que son caractère a été façonné par sa mère Aphrodite, plus ouvert et en phase avec ses émotions, plus détâché du cliché de la virilité et de la toxicité qu’elle peut contenir, qui la comprend et la console.

Conclusion: Malgré quelques longueurs dues au format, Lore Olympus continue d’explorer des problématiques de société, sous un enrobage pop et mythologique.

***·East & West·Numérique·Service Presse

Lore Olympus #2

Deuxième volume de 375 pages, issu du webtoon de Rachel Smythe. Parution en France chez Hugo BD le 07/07/2022.

Merci aux éditions Hugo BD pour leur confiance.

Amour, Gloire & Persé

Lore Olympus, c’est le webcomic phénomène de Rachel Smythe, dans lequel elle modernise le mythe de l’enlèvement de Perséphone. L’adaptation est plutôt libre, car on se rend vite compte que l’autrice s’éloigne franchement du mythe classique pour emprunter sa propre voie.

Initialement, Perséphone est enlevée par Hadès, au grand dam de sa mère Déméter, qui, pour contraindre Zeus à prendre parti contre son frère, provoque famine et calamités, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé entre Zeus, Déméter et Hadès: Déméter pourra retrouver sa fille six mois par an, qui correspondent au printemps et à l’été, avant de retourner auprès de son époux, provoquant ainsi l’automne puis l’hiver.

On peut donc dire que le mythe initial évoque la séparation, la puissance de l’amour maternel, mais également l’aliénation qui frappe les jeunes femmes, qui une fois devenues nubiles, perdent la maîtrise de leur destin. Dans Lore Olympus, en revanche, le focus est mis sur l’histoire d’amour naissante entre Perséphone et Hadès (selon des archétypes que nous avons étudié dans l’article consacré au précédent volume). Le roi des Enfers y est dépeint comme un pdg introverti, aisément manipulable mais bien intentionné, qui a du mal à se remettre d’une relation toxique, tandis que Perséphone est une jeune adulte écrasée par le poids de l’amour maternel et luttant pour se soustraire à la convoitise des autres dieux olympiens.

Notons également que l’autrice a du s’éloigner sensiblement des mythes originaux, afin d’éviter de dépeindre des relations incestueuses (Perséphone étant le fille de Zeus dans le mythe, cela fait d’elle la nièce d’Hades, pas étonnant que ce point ait été écarté, n’en déplaise aux amateurs).

On retrouve donc des thématiques actuelles dans un enrobage mythologique, calibré pour un public jeune. Harcèlement moral, sexuel, slut-shaming, le package y est, le tout bien exacerbé par l’angoisse existentielle propre aux millenials.

L’exemple le plus frappant est la romance destructrice entre Hades et Menthé, où l’on s’aperçoit que Menthé, qui se montre pourtant odieuse, manipulatrice et maltraitante avec Hades, est en fin de compte tout aussi dépendante émotionnellement, et criblée d’insécurités.

Sur un plan plus large, on appréciera l’élargissement du casting avec l’ajout de quelques personnages secondaires sympathiques, qui viennent quelque peu rééquilibrer la balance. Je pense notamment à Hécate, confidente fiable et collaboratrice d’Hadès, qui vient contrebalancer les fourberies d’Aphrodite et les frasques méprisables d’Appolon.

La série s’installe donc sur la longueur pour devenir un soap, qui compte à ce jour pas moins de 231 épisodes, ce qui promet encore quelques gros pavés de romance mythologique à la sauce millenial.

****·BD·Nouveau !

La dernière reine

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BD de Jean-Marc Rochette

Casterman (2022), 232p., one-shot.

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Dans les montagnes on n’aime pas les roux. Marqué dans son esprit par la mort du dernier ours du Vercors tué par la bêtise humaine, Etienne Roux se trouve marqué dans son corps au front de 14-18. Gueule cassé, colosse sans visage, il trouve l’amour d’une femme artiste, sculpteur qui façonne des prothèse aux mutilés de la Grande Guerre. Dans ses montagnes du Vercors ils trouvent la paix, la beauté la tranquillité d’une nature que la folie des hommes menace. Gardien d’un paradis perdu, Etienne Roux protègera la dernière reine des Alpes, quoi qu’il en coûte…

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Membre de la génération des grands auteurs de la BD franco-belge, ceux qui ont monté Metal Hurlant et occupé les pages de (A suivre), Jean-Marc Rochette marque depuis quelques années par ses albums sur la montagne, cette entrée des Alpes autour de Grenoble, le berceau de Glénat. Son chef d’œuvre adapté au cinéma, le Transperceneige marquait une évolution de son trait d’un style assez classique de la SF des années quatre-vingt vers une épure des encrages proche de l’abstraction.

https://www.francetvinfo.fr/pictures/c7Cn_vEDQz1D2M8Th4F_WphDY70/fit-in/720x/2022/12/07/6390d36ed7eb5_9782203208353-la-derniere-reine-p082-300.jpgGraphiquement Rochette n’est pas du tout ma tasse de thé. Trop sombre, trop estampé, pas assez concret dans le dessin. Ce magistral album déjà auréolé de pléthore de sélections et prix BD fait pourtant partie de ces occasions de sortir de sa zone de confort de lecteur BD en constatant l’évidence de la réussite (comme cela avait été le cas avec l’Age d’or par exemple). Car celui qui est capable de dessiner du cartoon comme du semi-réalisme justifie son épure par l’idée de l’évocation qui fait écho à la forme détruite du visage du héros comme à la sensation de l’artiste sculptant sa glaise et de ces paysages montagnards changeants au gré des lumières, des brumes et des ombres.

Sur le plan de l’écriture cet album est incontestablement une immense réussite (je ne serais pas en capacité de parler de chef d’œuvre puisque c’est le premier album de cet auteur que je lis). Par la simplicité de l’intrigue, en inscrivant sa petite histoire dans l’Histoire antédiluvienne jusqu’à l’Age de pierre pour La dernière Reine (Rochette) - BD, informations, cotesdécrire cette relation compliquée de l’humain avec sa nature tantôt hostile tantôt partagée, l’auteur touche juste et épure encore les sentiments. Ceux d’un homme simple, brisé, qui refuse l’oppression de cette civilisation qui ne sait que briser, qui rejette l’autre pour sa différence et à fortiori cette nature qu’il ne connaît plus. Loin d’être simpliste, l’histoire se concentre sur le cœur qui fait sens, celui des artistes qui cherchent la beauté ou le message, qui comprennent cette nature qui parle aux cœurs. Où l’on peut savourer les plus subtiles des repas dans une cabane en altitude en récoltant le fruit de la montagne et du troc et l’amour simple de la vie d’avant au pays de cocagne qui offre tout ce dont l’homme a besoin. Rochette a la grande intelligence de ne pas poser de pathos dégoulinant sur un destin tragique, celui d’un pauvre homme cassé par la guerre que l’on voit condamné à mort en introduction de l’album. L’histoire nous dira pourquoi et accentuera la force du La dernière reine – jean-marc rochette – bd – roman graphique – ours –  vercors – paris – gueule cassée – respect nature – animaux – ecologie –  troupeaux – haine homme – p.15 – Branchés Cultureportrait en rejetant tout attendu tragique. Car le drame n’est pas le propos de Rochette. Le drame est celui, intime, d’un enfant du Vercors dont l’immense résilience, celle de la roche, ne suffit pas à préserver ce paradis, cette paix si simple.

Si la pertinence du trait se rattache au projet sans contestation possible, il est pourtant dommage qu’une esthétique plus travaillée ne reflète cette paix de l’écriture. Les encres rageuses en clair-obscur dressent un monde qui semble n’être jamais sorti de Verdun. On en perd la pureté graphique qui aurait a mon sens renforcé ce grand album en le menant au chef d’œuvre. On n’en est pas loin. Chacun se fera son idée selon ses préférences graphiques, mais la Dernière reine est incontestablement un grand album qui mérite d’être lu.

***·BD·Jeunesse·Nouveau !

La Chevaleresse

Récit complet d’Elsa Bordier (scénario), et Titouan Beaulin (dessin). Parution le 15/09/22 aux éditions Jungle, collection Ramdam.

Mulan en côte de mailles

La vie n’est pas simple pour Héloïse. Ou du moins, la vie d’Héloïse n’est pas tout à fait ce dont elle rêve. Si son quotidien ne reflète ni ses impétueuses aspirations ni son caractère de feu, c’est principalement à cause de la société patricarcale et belliqueuse dans laquelle elle vit.

Car oui, chers lecteurs de l’Etagère: le Moyen-Âge, ce ne sont que des ponts-levis, des troubadours et la Peste Noire. C’est aussi une hiérarchie sociétale verticale, qui impose aux individus une place prédéterminée qui ne peut souffrir aucune exception.

Pour Héloïse, cela se manifeste par la désapprobation de ses parents, qui ne souhaient pour elle qu’un mariage avantageux afin qu’elle perpétue la noble lignée. Ce qui signifie que plutôt que d’apprendre à se battre, comme elle le souhaite si ardemment, elle doit se contenter de la broderie et d’autres activités insignifiantes à ses yeux mais normalement dévolues aux femmes. Qu’à celà ne tienne, notre jeune fille en mal d’aventures va apprendre à se battre, par mimétisme, en observant les garçons lors de leurs entrainements. Quelques temps plus tard, c’est le Maître d’Armes en personne qui l’entraînera, en secret, bien sûr, jusqu’à faire d’Héloise une combattante virtuose.

Un jour, alors que la nécessité du mariage pèse de plus en plus lourd sur ses épaules, Héloise fait la rencontre d’Armand, noble comme elle, avec qui elle partage le sentiment d’être étouffée par la société. Armand n’aime ni la violence des combats, ni les armures que son père espère lui faire porter, et préfèrerait passer son temps à parfaire son art du dessin. Alors Héloïse a une idée: s’ils se fiancent, ils pourront alors s’associer pour donner satisfaction à leur deux familles, au prix d’une supercherie très simple.

Héloise n’a qu’à se faire passer pour Armand en revêtant son armure lors des entrainements et des joutes, lui épargnant ainsi l’harassement qu’il redoute tout en permettant à la jeune femme de croiser le fer comme elle l’a toujours voulu. Bien vite, la réputation d’Armand s’étend rapidement, si bien qu’un jour, un émissaire du Roi vient au chateau, pour le recruter dans sa campagne militaire contre un Baron rebelle. Armand n’a pas le choix: il doit partir faire la guerre, lui qui n’a jamais tenu une épée de sa vie.

Héloise s’en veut terriblement: elle a provoqué la perte de son meilleur ami, par pur égoïsme. Pour le sauver, il ne lui reste plus qu’à fausser compagnie à ses parents et rattraper la garnison, pour enfiler une nouvelle fois l’armure et faire parler ses talents. Mais le chemin sera long et semé d’embûches pour le petite comtesse qui n’a jamais mis les pieds hors de son château !

Comme le laisse deviner son titre, La Chevaleresse est un album féministe, mettant en scène une héroïne impétueuse face aux carcans patriarcaux qui veulent la cantonner à une place bien précise sans lui laisser l’opportunité d’exploiter son potentiel.

Malgré le contexte médiéval, on peut dire sans se tromper que le message véhiculé par Elsa Bordier porte une marque intemporelle, puisqu’elle parle d’accomplissement personnel, d’amitié, et d’amour. Il est donc aisé de transposer les difficultés vécues par Héloise au monde moderne, ce qui ajoute à l’accessibilité de l’intrigue. L’idée de base rappelle d’ailleurs d’autres oeuvres comme Mulan, lorsque la jeune fille s’entraîne par mimétisme, ou encore Wonder Woman (le film) lorsque le jeune Diana est entrainée en secret par sa tante à l’insu de sa mère autoritaire. Si on cherche bien, on peut même faire le parralèle avec Patrocle, le cousin d’Achilles, qui revêt son armure pour aller se battre à sa place lors de la Guerre de Troie.

La scénariste ne se contente pas d’un récit féministe qui mettrait en avant la bravoure et le courage féminins, elle habille également son récit d’une réflexion sur la guerre et la violence, ce qui est souvent le cas dans ce type d’oeuvre. En effet, lorsque l’on veut mettre en avant les qualités intrinsèques du Féminin , il n’y a rien de plus aisé que de le placer en contraste avec les défauts notoires du Masculin, à savoir la violence. L’auteure parvient à faire exister ses personnages tour à tour sans déséquilibre, créant des relations engageantes et crédibles.

Coté graphique, la trait de Titouan Beaulin, dont c’est le premier album, rest naïf, avec un côté hésitant, mais il sied bien au contexte médiéval et au ton de l’album.

J’ai néanmoins une réserve sur la résolution de l’intrigue [ATTENTION SPOILER !]

Une fois la fameuse bataille terminée, Héloise, blessée, retrouve sa compagne Isaure et Armand. Héloise a sauvé le Roi d’une mort certaine, mais a pu constater que son désir d’aventures était assez éloigné des réalités de la guerre. Armand, quant à lui, décide qu’on doit lui couper un pouce, afin de maintenir la mascarade et être certain d’être renvoyé chez lui.

Une fois la besogne accomplie, Armand revient au camp, et constate que le départ précipité du Roi a laissé l’armée en pleine débâcle, et que beaucoup de soldats sont rentrés chez eux. Il est lui-même remercié, ce qui à mon sens, rend le sacrifice du pouce totalement inutile, puisqu’Armand aurait de toute façon été renvoyé… A moins qu’Armand ait vu sur le long terme et qu’il ait souhaité s’assurer qu’on ne lui demanderait plus jamais de porter une épée, auquel cas il lui aurait suffit de simuler une claudication…

Il n’en demeure pas moins que la Chevaleresse est un bel album jeunesse, traitant de sujets d’actualité par le prisme médiéval.

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House of Slaughter #1: La marque du Boucher

Premier tome de 144 pages de la série écrite par James Tynion IV et Tate Brombal, et dessinée par Chris Shehan. Parution en France chez Urban comics le 24/06/22.

James Tynion IV lauréat du Eisner 2022 du meilleur scénariste.

Merci aux éditions Urban pour leur confiance.

Une formation qui tue

Enfant, vous vous pensiez à l’abri du danger, bien au chaud sous votre couette, alors que vous lisiez ou racontiez des histoires effrayantes de monstres et de créatures voraces qui se cachent sous les lits des marmots avant de les dévorer. Et bien vous savez quoi ? Les monstres existent bel et bien, ils ont effectivement un appétit vorace et font de nombreuses victimes à travers le monde, depuis la nuit des temps.

Ces êtres étant invisibles pour le commun des mortels, exceptés les enfants, ces disparitions sont expliquées maladroitement la plupart du temps. Mais pour l’essentiel, elles font l’objet d’une omerta savamment orchestrée par l’Ordre de Saint-Georges, une antique confrérie dédiée à la traque et à l’extermination des monstres. Rien ne doit filtrer sur la vérité. Et lorsque l’Ordre remet de l’ordre, ce n’est pas façon Men In Black mais plutôt genre sac-sur-la-tête-et-exécution-discrète-au-fond-des-bois.

L’histoire débute à Archer’s Peak, dans le Wisconsin. Erica Slaughter, jeune chasseuse impétueuse, est envoyée pour éliminer un oscuratype qui a déjà fait de nombreuses victimes. Les choses dégénèrent quelque peu durant la chasse, la subtilité n’étant pas le fort d’Erica. L’Ordre envoie donc le mentor de la jeune chasseuse, Aaron Slaughter, pour gérer la situation et éviter tout débordement. Dandy arrogant, voire pédant, Aaron n’est clairement pas un homme d’action, ni même un chasseur efficace. Mais le reste appartient à l’histoire de Something is killing the children, excellente série que l’on ne saurait trop recommander.

Ce qui nous intéresse ici est un préquel racontant la jeunesse d’Aaron Slaughter, principalement sa formation de chasseur de monstres au sein de la Loge du Massacre.

Personnage énigmatique dans la série principale, Aaron Slaughter nous est ici décrit comme un jeune homme sensible, rendu solitaire par son intelligence, qui le démarque des autres chasseurs. Comme l’ensemble des jeunes recrues de la Loge, Aaron est un orphelin, recueilli par l’ordre qui lui offre un foyer en échange d’une vie dévouée à la chasse.

Notre jeune chasseur, n’ose pas se l’avouer, mais il rêve de bien d’autres choses que de traquer des créatures sanguinaires et mortelles. Toutefois, il sait aussi qu’intégrer l’Ordre est un point de non-retour, une ligne qu’on ne franchit qu’une fois. En effet, comment mener une vie normale lorsqu’on connaît la vérité ? Comment ignorer les cris des enfants à peine couverts par les rugissements des monstres ?

Alors Aaron poursuit sa formation, sous la houlette de Jessica et de Cécilia, tant bien que mal. Étant l’un des derniers masques noirs de la Loge, Aaron doit frayer avec les sociopathes qui constituent les rangs des masques blancs, des chasseurs puissants mais insensibles la violence du monde dans lequel ils évoluent. L’arrivée de Jace, une jeune recrue de la maison du Boucher, succursale de la Nouvelle-Orléans, va venir bousculer le quotidien d’Aaron. Leur rivalité initiale va vite se transformer en romance, mais malheureusement pour eux, l’amour n’est pas toléré au sein de l’ordre, tout simplement car il ne permet pas de tuer des monstres. Que feront Jace et Aaron face au carcan de l’institution millénaire ?

Les fans de Something is killing the children n’attendaient pas nécessairement de spin-off, encore moins centré sur Aaron Slaughter. Mais il faut bien avouer que cette fenêtre ouverte par les auteurs sur les pratiques de l’Ordre est toujours bonne à prendre, puisqu’il enrichit l’univers principal tout en donnant une nouvelle perspective sur un personnage charismatique.

Prise à part, l’histoire conserve de l’intérêt puisqu’elle nous narre les tribulations d’un jeune à part, aux prises avec un environnement hostile qui souhaite étouffer un amour naissant. Les outsiders ont presque toujours l’assentiment et la sympathie du lecteur,encore plus lorsque l’amour est en jeu. House of Slaughter concilie donc exploration d’univers et intrigue de qualité, en maintenant le lecteur en haleine grâce à des flashbacks et des ellipses correctement distillés. Il est difficile d’en dire davantage sans spoiler la série principale (qui encore une fois, mérite vraiment le détour !), donc il reviendra aux curieux de se forger un avis !

**·Comics·East & West·Nouveau !

Invisible Kingdom #3: les confins du monde

East and west

Dernier tome de la série écrite par G.Willow Wilson et dessiné par Christian Ward. Parution en France chez Hicomics le 17/11/2021.

A-foi-fée de pouvoir

Dans le tome 1 et le tome 2, nous faisions la connaissance de Vess, une jeune rooliane qui, poussée par sa foi, s’engageait sur la voie du Sentier, que propose la grande congrégations des Non-Uns, adeptes de l’église de la Renonciation.

Dans tout le système solaire, la Renonciation fait face à la toute puissante Lux, une corporation industrielle et commerciale qui livre ses produits sans délais à travers le cosmos. Entre détachement spirituel et attachement matériel, les habitants du système doivent choisir, mais ce qu’ils ignorent, Vess comprise, c’est que ces deux entités ne sont que les deux faces d’une même pièce, deux conspirateurs qui feignent l’antagonisme pour mieux manipuler les foules.

Après avoir compris cela, Vess se voit traquée par la Renonciation et par Lux, et se voit contrainte de fuir, à bord du Sundog, le vaisseau brinquebalant de Grix, une livreuse Lux qui ne s’en laisse pas conter. Aidée de son équipage, Grix tente d’abord de se débarrasser de cet encombrant paquet, avant de s’apercevoir que la jeune prêtresse dit vrai. N’écoutant que son courage, Grix décide alors de soutenir Vess et choisit de révéler la vérité à tout le système, s’attirant les foudres des deux géants.

Toutefois, nos rebelles se retrouvent le bec dans l’eau, poursuivies de toutes part sans pour autant avoir provoqué le raz-de-marée escompté. Que faudra-t-il faire pour éveiller les consciences ?

Alors qu’elle échappent in extremis au Point de Non Retour, Vess et Grix sont abordées par une frange extrémiste de la Renonciation, les soeurs de la Résurrection, qui semble bien décidée à nettoyer toute cette corruption par le feu. Littéralement. Vess est désormais contrainte de choisir entre sa foi envers le Sentier et son amour récent pour Grix.

Invisible Kingdom avait tous les atouts de son côté pour être une excellente série. Un univers riche et attractif, des thématiques actuelles et puissantes, telles que l’autodétermination, la lutte contre le consumérisme, la Vérité, la Foi, et l’Amour. Le premier tome exploitait très bien ces thématiques, avec une mise en place impeccable et un cliffhanger magistral dans le genre.

Cependant, le soufflet est quelque peu retombé avec le deuxième tome, qui plaçait les protagonistes dans une situation passive durant un temps suffisant pour laisser l’excitation retomber. Confrontées à des réalités cruelles, Grix et Vess ont du se compromettre pour atteindre leur but, permettant à leurs sentiments amoureux d’éclore, mais le tout paraissait déséquilibré, et il en résultait une perte d’élan.

Ce tome 3 poursuit dans la même veine, bien que le rythme reprenne de façon plus dynamique. On demeure sur une sensation de survol, de décousu, tant sur le traitement des personnages que sur la résolution de l’intrigue en elle-même. La question de la Foi est abordée, le dogme de la Renonciation paraît finalement bien abscons, assez fade le plus souvent, surtout dans la bouche du grand gourou dont Vess fait la rencontre dans ce tome.

Quant à la romance entre Grix et Vess, elle n’est pas à jeter mais semble écrite avec les yeux trempés dans la mélasse, à base de « je-me-sens-abandonnée-mais-je-me-sacrifie-quand-même-par-amour », et autres joyeusetés du même acabit. Quant à l’aspect révolutionnaire, on a bien sûr droit à la scène du réveil des consciences, mais l’intrigue s’est trop dispersée entre temps pour que l’on en saisisse toute la portée à ce moment-là.

Vous l’aurez donc compris, je n’ai pas été convaincu par l’ensemble de la trilogie, malgré un excellent premier tome qui semait les graines de l’excellence, sans les arroser suffisamment sur les deux tomes suivants.

****·Comics·East & West·Nouveau !·Numérique

Lore Olympus

Premier tome de 378 pages de la série écrite et dessinée par Rachel Smythe. Parution initiale sur la plateforme Webtoon, publication en format papier chez Hugo BD le 06/01/22.

Meilleur webcomic 2022 aux Eisner awards

Cinquante nuances de mythes

Les mythes grecs, sur l’Étagère, ça nous connaît. Alors autant vous dire que lorsque le phénomène de la plateforme Webtoon, Lore Olympus (les Traditions d’Olympus en VF) est paru en version papier (oui, on est vieux jeu sur l’Étagère), difficile de passer à coté.

Pour ceux qui n’y sont pas familiers, Webtoon est une plateforme de lecture de BD, dont la particularité est de proposer une lecture défilante, de haut en bas (on appelle ça du scrolling, d’après mes sources bien renseignées). La transposition en format classique n’a donc pas du être aisée, ne serait-ce que vis à vis du découpage, puisque en Webtoon, point de pages.

Lore Olympus, de quoi ça parle ? Tout simplement du mythe de Perséphone, la déesse du Printemps qui a été initialement enlevée par le roi des enfers Hadès, et qui l’a épousé sans qu’on lui demande trop son avis. Après un accord passé avec Hadès, Perséphone a gagné le droit de retourner à la surface la moitié de l’année pour y retrouver sa mère Déméter, ce qui explique selon les grecs anciens le cycle des saisons, puisque l’Hiver s’installe dès que la déesse du Printemps retourne en enfer.

Ici, le contexte crée par Rachel Smythe est résolument modernisé, puisque ses olympiens vivent dans un monde moderne, luxueux et glamour. La jeune Perséphone, préservée par sa mère jusqu’à l’étouffement, vit quelque peu éloignée de ses cousins divins. Mais un soir, alors que Déméter a consenti à lui lâcher la bride, elle se rend à une soirée olympienne et fait la rencontre d’un dieu ténébreux, le sulfureux Hadès.

Victime des malversations d’Aphrodite, qui ne supporte pas d’être éclipsée, même aux yeux d’Hadès que tout le monde déteste, Perséphone se retrouve droguée, puis cachée dans la voiture du roi des enfers, et se réveille hagarde dans son domaine, à la grande surprise des deux. Bien heureusement, Hadès se révèle être une personne décente et traite son hôte involontaire avec tous les égards, mais cela n’empêche pas ce quiproquo de créer une étincelle entre eux.

Bien évidemment, les choses ne seront pas aussi simples, puisqu’entre les malentendus, les appréhensions de chacun et le monde des olympiens fait de paraître et de faix semblants, les deux amoureux vont devoir surmonter bien des obstacles.

Love story infernale

A première vue, il semble aisé d’identifier les clefs du succès monumental (dans les 75 millions de vue sur WT) de Lore Olympus. En premier lieu, sa protagoniste, Perséphone, mue en une jeune fille naïve muselée par l’Institution, matérialisée par sa mère, mais également par les autres dieux. De lourdes attentes pèsent sur elles, alors qu’elle ne souhaite que vivre sa vie, comme elle l’entend. Pleine de doute et peu assurée, c’est une base solide à laquelle une grande partie du lectorat peut s’identifier ou en tous cas s’attacher.

En second lieu, la romance en elle-même, qui inclue tous les éléments-clefs de l’histoire d’amour telle qu’elle est fantasmée depuis la nuit des temps: une jeune femme innocente (Belle, Anastasia Steele, Bella Swan, Esmeralda les exemples sont nombreux) fait la rencontre d’un Monstre (La Bête, Christian Grey, Edward Cullen, Quasimodo) qu’elle parvient à dompter, et, élément ô combien important, qui change pour elle.

Immanquablement, l’élément masculin, le Monstre, présente une déviance, voire une difformité: il représente les aspects quintessentiels du mâle, il est souvent violent, agressif, dominant, et, dans la plupart des cas, possède également un statut social élevé et/ou une opulence matérielle: La Bête est un prince maudit pour son arrogance, qui vit dans un château, et en tant que Bête, il est la transcription littérale du monstre et de l’agressivité, que la Belle devra littéralement dompter; Christian Grey est un milliardaire séduisant, mais qui est adepte du sado-masochisme, et y renoncera par amour pour Anastasia; Edward Cullen fait également partie d’une riche famille de médecins, est très populaire (bien qu’introverti) au lycée, et cache une soif de sang (sans doute une métaphore du désir sexuel) qu’il maîtrise pour Bella.

La même recette semble s’appliquer à Lore Olympus: Perséphone rencontre Hadès, roi des Enfers (statut social élevé), qui souffre d’une mauvaise réputation et semble encore marqué par une relation toxique (déviances). Si ces archétypes ont la vie dure, c’est sans doute parce qu’ils matérialisent des atavismes, ancrés depuis les origines de l’Humanité: dans les temps anciens, il était certainement préférable pour une femme de trouver un partenaire puissant physiquement (agressivité, signe d’une place élevée dans l’échelle de domination), capable d’assurer une sécurité physique (opulence matérielle). Mais, paradoxalement, des caractéristiques de puissance et d’agressivité, si elles garantissaient survie, sécurité et descendance optimale, étaient aussi potentiellement insécurisante, puisqu’un mâle puissant avait tout intérêt à ne pas rester fidèle et à disséminer ses gènes à qui mieux-mieux.

D’où ce fantasme de transformation, cette idée récurrente dans la psyché féminine que changer le Monstre, le « réparer » pour en faire un partenaire souhaitable, est possible. A l’inverse, ces archétypes ont certainement engendré, au niveau évolutif, une forte pression sur les mâles, une compétition permanente, qui est à même de créer des insécurités pour ceux qui ne parviennent pas à s’élever sur l’échelle de domination sociale. D’où l’envie récurrente, chez le public masculin, de puissance, de protection (la figure du super-héros), et sans doute également le désir d’être accepté tel que l’on est (ce qui est en lien direct avec l’archétype de la Manic Pixie Dream Girl).

Mais revenons à nos moutons grecs. Là où Rachel Smythe fait mouche, c’est notamment dans la modernisation du mythe. En plaçant un contexte contemporain, l’auteure gagne en légitimité pour aborder des thématiques d’actualité, telles que le harcèlement sexuel, l’émancipation féminine, et la toxicité de certaines relations. Le langage moderne et les codes narratifs adoptés par la jeune génération (Y ? Z? j’ai perdu le fil) permettent une bonne appropriation de ces thèmes.

Graphiquement, la patte numérique est omniprésente, et permet de donner un aspect très cartoon à l’ensemble, surtout si l’on y ajoute les couleurs dynamiques et chatoyantes, qui ressortent plutôt bien sur papier.

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***·BD·Nouveau !

Stigma, odyssée sporale

Histoire (très) complète en 731 pages, écrite et dessinée par Quentin Rigaud. Parution chez Casterman le 09/02/2022.

Appuie (pas) sur le champignon

Frona, aidée de ses compagnons Atta, une fourmi humanoïde, et de Senso, un robot, écume la galaxie pour le compte du Centre, un conglomérat qui mène des recherches médicales. Chargé d’une mission de prélèvement sur la planète Amanite, le trio croise un groupe d’écoterroristes aux intentions obscures, qui libèrent une nuée de spores dévastatrice dans l’atmosphère.

Nos héros échappent de peu à cette sinistre rencontre, mais, leur vaisseau endommagé, ils échouent sur la planète Orchinae, un monde luxuriant et en apparence idyllique, mais qui comporte aussi son lot de secrets et d’imperfections. Quelque temps après leur arrivée sur Orchinae, Frona, Atta et Senso croisent de nouveau des écoterroristes, reconnaissables à leur accoutrement. Au même moment, une épidémie se déclare et sème l’hécatombe, forçant Frona et les alliés qu’elle trouvera sur son chemin à tout faire pour trouver un remède avant qu’il ne soit trop tard. Y a-t-il un lien avec les spores ? Et si oui, qui a apporté cette maladie sur Orchinae ?

Quentin Rigaud signe ici son premier album, qui a la particularité d’avoir été conçu quasi intégralement en stream via la plateforme Twitch avant d’atteindre sa forme papier. Le thème écolo saute bien évidemment aux yeux du lecteur, qui sera sans doute frappé par le volume proposé. En effet, on ne voit pas tous les jours des pavés de 731 pages, couleur qui plus est, il faudra donc vous attendre à quelques heures de lecture de plus que pour votre 46 planches habituel.

L’intrigue en elle-même n’est pas sans rappeler la triste actualité mondiale, puisque les héros se retrouvent confrontés à un pandémie mortelle, avec le passage obligé de la recherche du patient zéro, le cloisonnement de l’information au public et la course contre la montre pour trouver un remède.

Vous vous en doutez sûrement, le format généreux et l’aspect feuilletonnant génère inévitablement quelques longueurs dans le scénario, qui ne sont pas seulement dues à un découpage décompressé ou à un interlude dit de respiration. En revanche, l’auteur parvient sans trop de mal à rendre ses personnages attachants, ce qui passe par des personnalités différentes et travaillées (quoi qu’à la réflexion, l’auteur semble confondre profondeur psychologique et pleurnicherie byronienne) et des designs marquants, comme la protagoniste et son bras de lumière.

L’ensemble des dessins, en revanche, traduit le manque de maturité graphique de son auteur, même si on ne peut qu’être impressionné par ses 700+ pages qui sont en soi un exploit. Le trait en apparence naïf, pourrait se rapprocher de celui d’un Tom Sixmille. L’univers qu’il développe reste original, et fait penser par moment à celui de Poussière, notamment les architectures et la technologie hybride.

S’agissant du lectorat, il convient de faire attention, on trouve de la nudité et du sexe, ce qui pourrait le réserver à un public plus âgé que ce que le graphisme laisser suggérer.