***·Jeunesse·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Les spectaculaires font leur cirque chez Jules Verne.

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BD de Régis Hautière et Arnaud Poitevin, couleurs de Christophe Bouchard.
Rue de sèvres (2023), série en cours les Spectaculaires , vol. 6., 54 p. par volume.

bsic journalismMerci à Rue de Sèvres pour leur confiance.

Alors qu’il travaille avec ses amis sur leur prochain spectacle, le professeur Pipolet reçoit un courrier de son ami Jules Verne qui lui demande de venir sans délai à Amiens. Problème: l’écrivain est mort depuis six ans… Voilà les Spectaculaires partis pour une enquête aux frontières de la science pour découvrir qui est le mystérieux auteur de cet appel…

En arrivant à six tomes on peut qualifier Les Spectaculaires de série classique de la BD franco-belge. Avec une qualité moyenne remarquable et deux excellents dernières aventures, voilà nos héros partis sur les traces de Jules Verne dans une enquête plutôt sage en gags et poursuites. C’est peut-être l’habitude qui demande toujours plus de renouvellement mais si les personnages et passages obligés sont toujours drôles, l’histoire en elle-même sur un schéma « whodonit » est un peu découse en reposant sur les explications attendues aux phénomènes paranormaux. En dressant une galerie de personnage importante dans une pension qui nous fait attendre un Cluedo, les auteurs utilisent finalement peu ce qu’ils mettent en place et ce déplacement géographique permanent empêche la linéarité nécessaire à la légèreté d’une aventure d’humour populaire. Ainsi le jumeau du Seraphin Lampion d’Hergé reste inutilisé après être apparu et nos héros, même s’ils ne sont pas des génies, n’ont jamais une piste à suivre avant que survienne l’action de résolution.Une aventure des spectaculaires, tome 6 -Régis Hautière et Arnaud Poitevin  - Les lectures de Stémilou

On referme donc l’album un peu déçu par une aventure qui semble s’être un peu trop occupé de l’habillage Jules Verne et ses gadgets en perdant de vue l’utilisation pertinente des personnages. Dans cet album les Spectaculaires tournent ainsi en circuit fermé transposable d’une histoire à l’autre. Un problème qu’il faudra penser à résoudre puisque l’on constate depuis maintenant trois tomes que les personnages récurrents créés en restent à l’état de possibilité tout occupés que sont Hautière et Poitevin à garder un format one-shot. Les grandes séries tissent des liens entre albums et il est temps pour les Spectaculaires d’assumer cette maturité pour grandir. La sixième aventure de nos bras cassés préférés reste d’une lecture agréable sur des planches toujours sympa de finesse mais ne restera pas comme le meilleur album de la série.

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BD·Service Presse·Rétro·Rapidos·La trouvaille du vendredi·Un auteur...·***

Dead Charlie

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BD de Thierry Labrosse
Auto édition (2027), 48p. One shot.

badge numeriqueLe Québécois Thierry Labrosse est un dessinateur trop rare! Apparu à l’orée des années 2000, en pleine gloire des éditions Soleil, la série Moréa qu’il a dessiné cinq tomes proposait une SF d’une technicité et d’une élégance rare pour un artiste autodidacte. Après ce partenariat avec Arleston il a tenté l’aventure solo chez Glénat où il a publié l’intéressant Ab Irato avant de continuer son émancipation des carcans de l’édition en auto-éditant pour les salons les trois tomes de sa série d’humour absurde Dead Charlie.

Thierry Labrosse, Dead Charlie - Péché Mignon - Œuvre originaleInspiré d’une tradition toute américaine dont le coquinou Frank Cho fut le parangon avec son Liberty Meadows, Labrosse met ainsi en scène un crane complètement barré (le fameux Charlie) qui cumule les catastrophes dans sa recherche d’amusement et de jolies filles, sous les regards mi-désabusés mi courroucés de sa femme, la sublime Baronne. Vous l’aurez compris, on nage bien en absurdie totale dans ces quelques pages NB qui font honneur au dessin et aux formes féminines dans des séquences en pleine page qui n’ont ni queue ni tête. L’auteur propose néanmoins dans ce troisième volume une simili histoire de confrontation spatiale « so-pulp » pour récupérer le chéri prisonnier d’amazones de Venus bien entendu d’une sexualité dévorante et extrêmement sexy.

Disponible en stock très limité, espérons que l’auteur propose prochainement des versions PDF pour permettre au plus grand nombre de profiter de son talent, en attendant, peut-être un nouveau projet BD un de ces quatre.

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***·BD·Nouveau !

Shibumi

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BD de Pat Perna et Jean-Baptiste Hostache..
Les Arènes (2022), 224 p. One shot.

Pays-Basque, années soixante-dix. Une jeune femme pourchassée par les assassins de la Mother Company vient chercher l’aide de Nicholaï Hel, assassin imparable et maître de Go. En passant sa porte elle ramène à celui qui avait réussi à se faire oublier toute l’âme noire de l’Amérique de l’après-guerre. Un conflit stratégique, moral et personnel…

https://www.actuabd.com/local/cache-vignettes/L720xH999/shib3-63d68.jpg?1664017880Adepte des récits historiques sur les personnages sombres Pat Perna ne choisit pas la facilité en adaptant l’inclassable roman Shibumi qui raconte autant l’action malfaisante et immorale des Etats-Unis de la Guerre Froide que l’itinéraire spirituel d’un assassin mystique. Adaptant visiblement avec fidélité l’ouvrage, le scénariste prend le risque de ne pas compenser le refus de l’action qui semble émaner de la source.

S’ouvrant comme une tonitruante histoire d’espionnage dystopique avec une scène introductive de massacre à l’aéroport de Rome, Shibumi nous présente immédiatement le contexte et l’adversaire: une tentaculaire World company avant l’heure qui synthétise tout le conspirationnisme issu des actions de la CIA pendant la Guerre Froide et l’essence capitaliste de la nation dont les intérêts économiques priment sur tout autre. Organisme tout puissant, la Mother company va jusqu’à contrer l’alliance idéologique historique des Etats-Unis avec Israël en acceptant d’éliminer le commando Kidon chargé par l’Etat juif de venger les victimes de Munich, afin de conserver les conditions pétrolières favorable de la part des Etats arabes. Sous le trait hyper-dynamique de Jean-Baptiste Hostache (que je découvre dans un style qui rappelle furieusement le Blain de Quai d’Orsay), l’album est découpé en trois parties à l’intérêt inégal mais aux planches toujours cinématographiques et élégantes.

https://www.actuabd.com/local/cache-vignettes/L720xH990/shib5-0dd23.jpg?1664017879La frustration vient d’une volonté d’intime qui coupe l’action et l’épique chaque fois qu’ils doivent survenir, proposant ainsi un surprenant ton à l’humour très efficace dans un habillage de James Bond. Beaucoup d’attendus seront alors déçus une fois le premier chapitre passé: la critique des barbouseries américaines ou la terrible vengeance du héros invincible laisseront ainsi la place à une séance de spéléologie ou à une soirée décalée dans le château de Hel. Déstabilisant mais pas ennuyeux pour autant, Shibumi se veut comme son personnage: iconoclaste, zen et décalé.

Très bien écrit et porté par des dessins qui font beaucoup au plaisir de lecture et donnent furieusement envie de découvrir les travaux précédents de Hostache, l’album ne donnera en revanche pas forcément envie de lire le roman dont il est issu malgré le très visible « adapté de… » en couverture, hormis pour les curieux. Des difficultés des adaptations qui posent toujours la question du degré de fidélité nécessaire. Shibumi au format BD reste cependant un intéressante surprise qui vous sortira des sentiers battus.

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****·BD·Jeunesse·Nouveau !

Les Sauroctones #3

Troisième et dernier volume de la série écrite par Erwann Surcouf. Parution le 27/01/2023 chez Dargaud.

From zeroes to heroes

Voici la fin des aventures de Jan, Zone et Urtsi, chasseurs de monstres dans un monde post-apocalyptique, débutées en 2020 et poursuivies en 2021. Après un cataclysme non spécifié, la civilisation a du se reconstruire comme elle a pu sur les ruines de l’ancien monde. Beaucoup de savoirs et de connaissances se sont perdus dans le processus, mais il faut dire que les survivants ont aussi d’autres préoccupations, comme par exemple les bestioles géantes qui dévorent tous les malheureux qui osent croiser leur chemin.

Comme dans les mythes fondateurs, de valeureux héros se dressent contre ces prédateurs mutants, des guerriers sans peur et sans reproches (et au fort taux de mortalité) que l’on nomme des Sauroctones. Révérés dans toutes les villes où ils passent, ces chasseurs de monstres font l’objet d’un culte, avec des colporteurs qui se chargent de diffuser leurs légendes. Zone, Jan et Urtsi sont trois jeunes aspirants sauroctones, qui décident de faire équipe afin de se faire un nom dans le métier, attirés par la notoriété.

Après une entrée en matière rocambolesque durant laquelle ils ne doivent leur survie qu’à un hasardeux mélange entre chance pure et audace incertaine, les trois adolescents constatent que leur légende prend forme. Baptisée le Trio Fantastico, la troupe, qui gonfle quelque peu ses exploits, parvient tout de même à terrasser le terrifiant Tamarro, tout en gardant à l’oeil leur objectif principal, à savoir rejoindre la mythique Fusée qui les emmènera sur une lointaine et idyllique planète.

Depuis le début de la série, Erwann Surcouf nous embarque dans un univers foisonnant, empli de mutants, de bestioles féroces, de sectes post-apocalyptiques, le tout saupoudré de références à la pop-culture et d’un humour potache mais-qui-n’oublie-pas-d’être-subtil. Il faut avouer que le gros du travail de l’auteur est déjà fait, car il est parvenu à ravir l’intérêt des lecteurs grâce à ses personnages attachants, qui se débattent dans un monde où tout peut arriver.

Le seul regret que l’on peut avoir ici est que ce tome est le dernier de la série, même si l’auteur ne s’interdit rien grâce à sa fin plutôt ouverte. Tout ce qui fait le sel des Sauroctones a déjà été dit dans les deux précédentes chroniques, donc si vous avez apprécié les précédents volumes, foncez lire celui-ci !

****·BD·Nouveau !

Thorgal saga #1: Adieu Aaricia

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BD de Robin Recht
Le Lombard(2023), 104p., One-shot.

L’album est paru en deux éditions simultanées: la classique ici chroniquée et la Collector, de plus grand format, numérotée et incluant un cahier graphique.

Aaricia n’est plus. L’âme sœur du héros le laisse telle une coquille vide dans un monde obscure. Tout à sa peine, Thorgal est abordé par son ennemi de toujours, le serpent Niddhog, qui lui propose d’utiliser son anneau Ouroboros pour retourner dans le passé afin d’y revoir sa dulcinée. Au bord de son existence le héros doute…

https://www.ligneclaire.info/wp-content/uploads/2023/02/Thorgal-Saga-6.jpegJe me faisais la réflexion que comme au cinéma, plus grand chose d’intéressant à se mettre sous la dent en Franco-belge depuis quelques temps hormis les nouveaux tomes de séries. Phénomène classique, évolution attendue qui n’exclut pas des pépites de temps à autre. Thorgal a toujours été pour moi la plus grande série, un miracle indépassable de la série (presque) parfaite et qui aurait sans doute dû s’arrêter il y a quelques années avec un peu de courage éditorial pour suivre les idées qu’a très certainement eu Jean Van Hamme pour finir en beauté. Bref, si vous avez lu les différents guides de lecture de la série parus sur le blog vous connaissez mon opinion. Je parlais de courage éditorial, on ne peut pas dire que l’idée d’une série de spin-off one-shot attribuée à de grands auteurs regorge de créativité. Aucun doute en revanche que l’éditeur saura attirer de très grands auteurs biberonnés aux aventures de l’enfant des Etoiles. On annonce déjà Fred Duval et Corentin Rouge sur le prochain titre, deux valeurs sures pour un probable chef d’œuvre.

Ce qui surprend le plus sur ce gros double-album, une fois passé le prologue magnifique et touchant, c’est le classicisme du récit, tant et si bien que l’on se prend à penser que l’on est en cours de lecture d’un album de la série mère. Car les voyages temporels ne sont pas totalement une nouveauté pour Thoral (le Maître des montagnes, la couronne d’Ogotaï,…). Robin Recht alimente ce classicisme jusque dans des dessins à la proximité troublante avec Rosinski, ce qui faut de Adieu Aaricia plus un hommage vibrant qu’une réinterprétation artistique. Certains pourront trouver que c’est un peu court pour justifier une nouvelle Thorgal : Adieu Aaricia, une saga qui débute brillamment -Comixtripaventure. Pour ma part, connaissant le travail d’une grande variété et très exigeant de Robin Recht j’ai su apprécier sa proposition comme un très bel album de Thorgal teinté dans sa seconde partie d’un surprenant soupçon de Mathieu Lauffray. Car la séquence barbare nous rapproche beaucoup de l’univers si reconnaissable de l’auteur de Long John Silver, dont Recht est un disciple.

Empruntant à des films sauvages tels que le 13° Guerrier ou le récent Northman, Adieu Aaricia sait créer d’intéressants personnages dont l’interaction nous frustre par sa brièveté. N’apportant au final rien de très nouveau aux chroniques de Thorgal Aegirson qui a tant vécu d’aventures, on ne sait si la conclusion bien sombre laisse présager des liens avec les séries principales (Thorgal se déclinant désormais en plusieurs trames) ou juste un tombé de rideau mélancolique. Si on imagine ce qu’un scénariste chevronné aurait pu tirer de la rencontre entre le jeune et le vieux Thorgal, Robin Recht propose donc un album graphiquement irréprochable, qui nous offre un pouce-café bienvenu pour tout nostalgique de l’ère Rosinski et nous ferait presque oublier l’origine commerciale du projet.

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***·Comics·Nouveau !·Rapidos

The scumbag #2

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Comic de Rick Remender et collectif.
Urban (2022), Image (2021), série en cours.

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Le premier tome de la récré  SF-destroy de Remender et ses potes s’était avérée mi-figue mi-raisin. Le second qui comprend cinq dessinateurs différents (avant de de se recentrer sur les très bons Dinisio et Boschi pour le tome 3, dernier de la saga, à paraître chez nous en mai) retrouve le même engouement initial avant de retomber dans les mêmes défauts qui maintiennent ce projet comme un apéritif sur temps libre entre deux grands projets du scénariste et ses recherchés collègues.

Après la secte nazi, voilà l’agent sac à merde envoyé sur la Lune dans sa Pontiac spatiale en compagnie de son chaperon et du robot-bimbo dont il caresse toujours l’espoir subtile de déflorer les clapets. La mission: empêcher que la communauté Hippie qui a élue domicile sur l’astre mort  ne répande son rayon-fleur sur la population de la Terre en annulant toute individualité vers un Eden de bien-être… Si l’emballage pop est toujours sympathique et la version crado de James-Bond bien marrante, on retrouve surtout dès l’introduction les réflexions passionnantes de l’auteur sur son pays abimé, sur notre époque de remise en cause des valeurs (sur une punchline plus subtile que le récent No future) et sur les normes morales toujours clivantes. Indie Comics Review: The Scumbag #10 - DC Comics NewsLa bonne idée est de faire du héros un touchant idéaliste peace & love naturellement plus attiré vers le monde des Hippies mais réfractaire à tout ordre… y compris celui d’une secte à fleurs où le libre arbitre n’a pas plus lieu d’être que sous un régime stalinien. Malgré son aspect défoncé, Ernie ne veut de mal à personne et souhaite juste qu’on le laisse vivre une vie de défonce, de baise et de nirvanha. Hormis la bonne morale qui dérange t’il au final? C’est là l’apport (cérébré) principal de cette série que de mettre un peu tous les maîtres à penser dans le même sac et de questionner le jugement social en célébrant la liberté jusqu’à celle de se transformer en loque.

Comme dans le premier volume dès qu’une forme d’intrigue structurée commence à se mettre en place ses rouages prennent le dessus sur le propos et font retomber l’album dans un honnête comic d’action plutôt joli et qui fait le job mais s’oublie plus ou moins vite en fonction de la qualité des dessins. Une série en trois tomes (chaque volume développant une intrigue spécifique plus ou moins liée) était-elle vraiment nécessaire? Pas sur. Reste, comme sur Death or glory l’aspect délirant, la finesse d’écriture de Rick Remender et des planches qui se savourent dans le haut du panier.

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*****·BD·Nouveau !

Journal inquiet d’Istanbul #1/2

La BD!

BD d’Ersin Karabulut
Dargaud (2022), 133p. ; 1 volume paru. Comprend un cahier photos de l’auteur en fin d’ouvrage.

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image-10Ersin Karabulut est à Istanbul la star des fanzines et magasines de BD satiriques, tradition locale dans un pays tiraillé par une schizophrénie qui rappelle quelque part le contexte japonais. Ses premières publications chez nous sont le fait des éditions Fluide Glacial (désormais au sein du groupe Bamboo) sous la forme d’une traduction de ses Contes ordinaires en deux tomes, dont le second a été un coup de cœur de 2020. Retrouvant son très élégant dessin et l’alliance de réalisme et de caricatures grossières, Karabulut se met dans les pas de d’un Riad Satouf en publiant un projet original chez Dargaud, un journal autobiographique dans la veine de l’Arabe du futur, décrivant son arrivée dans le monde de la caricature politique en parallèle de la transformation de la nation turque en régime semi-autoritaire.

Ersin Karabulut dessine contre la tyrannie turqueAlors que les Contes étaient des historiettes tout droit sorties des équivalents turcs de Fluide, son nouveau projet est un véritable récit au long court qui confirme le talent de narrateur et la vision très fine de l’auteur sur son pays. On retrouve nombre de points communs entre la jeunesse de Sattouf au Moyen-Orient et celle de Karabulut dans une Turquie au commencement de sa migration islamiste, en rappelant le redoutable archaïsme de pensée dans lequel sont conservées ces populations par les régimes successifs. Sans tomber dans le digest historique de la nation turque, l’auteur fait preuve d’un grand sens de la didactique en expliquant de ses yeux d’enfant ce qu’était son pays, le rôle de l’Armée et des coups d’Etat réguliers pour rétablir une cohabitation entre frange religieuse et frange moderne de la population dans un contexte de Guerre froide où le paye d’Ataturc était à la croisée de deux (voir trois) mondes. On pense bien sur à la guerre civile algérienne, plus loin à la Révolution iranienne…

Journal inquiet d'Istanbul, premier volume passionnant de l'autobiographie  d'Ersin Karabulut, fer de lance de la rentrée 2022 de Dargaud sur Buzz,  insolite et cultureLe journal inquiet d’Istanbul décrit d’abord l’itinéraire mental classique d’un jeune garçon timide plus proche des BD que des humains. De ces récits on en a quantité sur les trois continents. Mais ce qui passionne, outre la mise en scène remarquable c’est le contexte socio-politique. D’Erdogan on entend régulièrement parler aux actualités. Peu se souviennent de son parcours et des menaces de charia qu’il faisait peser sur le pays à ses débuts, avant d’être emprisonné. Le Journal inquiet d’Istanbul c’est bien sur la spécificité de la capitale économique du pays dont la partie la plus occidentalisée se situe sur la rive européenne. C’est aussi le récit de la victoire historique de la partie conservatrice et religieuse (pour ne pas dire intégriste) de la population, de la rupture d’un équilibre qui a permis à la Nation de perdurer depuis la chute de l’empire, un empire particulier par la multitude de minorités tolérées sous la coupe du Sultan. On voit le jeune Ersin se séparer progressivement du cadre mental inquiet de ses parents, enseignants laïcs traumatisés par les premiers heures avec les mafia islamistes et convaincus qu’il ne fallait pas faire de bruit pour ne pas s’attirer les foudre des méchants. L’auteur va au contraire https://www.actuabd.com/local/cache-vignettes/L720xH459/journal_inquiet_case_3-7693a.jpg?1666105432s’émanciper via le dessin, vecteur qui lui permet de découvrir l’autre monde turc, celui qui lui correspond et qu’il ne connaissait pas.

Le Journal c’est aussi le bel âge où tout est possible, du succès populaire, auprès des filles et des petites trahisons que l’égo entraine. C’est un récit passionnant de bout en bout, graphiquement très varié et qui parlera à tout un chacun via les découvertes de l’adolescence. Un album parfaitement équilibré et qui devrait trouver un large public sans difficulté.

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**·Comics·Nouveau !·Rapidos

Once and future #4

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Comic de Kieron Gillen, Dan Mora et Tamara Bonvillain (coul.)
Delcourt (2022) – BOOM Studios (2020), 134p., série en cours, 4 « collected editions » parues.
Quand on lance une série le plus dur c’est de savoir s’arrêter. Surtout quand on est épaulé par l’un des dessinateurs les plus impressionnants du circuit US. Partie pour 3 ou 4 tomes, la geste arthuro-badass-gore-littéraire de Kieron Gillen a déjà cramé la limite et ce quatrième volume qui en attend (au moins) un cinquième est le volume de trop, pas loin de la sortie de route. C’est fort dommage tant la brochette de personnage est sympathique, l’esprit film d’horreur fauché des années 80 assumé et très opérant et le décalage trash de l’esthétique arthurienne originale. Once and Future T04 de Dan Mora, Kieron Gillen, Tamra Bonvillain - Album |  Editions DelcourtJe reconnais que mettre 2 Calvin avec un artiste de la qualité de Dan Mora fait beaucoup hésiter. Est-ce bien raisonnable? Pourtant on m’accordera que l’absence de décors finit, une fois basculé entièrement dans l’Outremonde, par devenir gros et les effets visuels font également saturer un peu. Depuis le début de la série l’alternance d’humour, d’action débridée, d’irruptions gores en laissant les atermoiements d’Arthur ( il faut le dire assez ridicules) en pouce-café permettaient de garder un rythme accrocheur. Le fait de sortir du monde réel nous plonge dans un grand vide assez inintéressant, où le temps n’a plus lieu, où les baston sont coupées aussitôt commencées et où ne restent pratiquement plus pour nous tenir hors de l’eau que les fight super-héroïques des chevaliers à la mode Gillen. En passant dans l’Outremonde les auteurs perdent clairement l’équilibre de leur série en étant réduits à faire surgir épisodiquement un nouveau personnage de la littérature anglo-saxonne, qui Shakespear par ici, qui Robin Hood par là, sans oublier une Gorgone. Face à ces démons les héros sont bien peu de choses et se contentent de courir… Tout ça sent de plus en plus le gloubi-boulga et l’érudition certaine du scénariste ne justifie pas d’oublier son objectif. Très grosse déception donc pour ce volume d’une série qui avait su effacer ses quelques défauts sous une immense sympathie et un sens du fun évident. A croire que Gillen a laissé les manettes à un assistant. Espérons qu’il ne s’agit là que d’un accident et qu’un cinquième tome viendra conclure en feu d’artifice une série qui ne méritait pas ça. note-calvin1note-calvin1
****·BD·Nouveau !

Les vieux Fourneaux #7: chauds comme le climat

La BD!
BD de Wilfried Lupano, Paul Cauuet ert Jerôme Maffre (coul.)
Dargaud (2022), série en cours, 54p./album.
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Dans une bonne histoire il faut toujours un adversaire redoutable. Garan-servier est depuis le début de la série cette incarnation d’un capitalisme prédateur et relié à toutes les péripéties du village de Montcoeur. Mais voilà que l’affreux en vient à casser sa pipe… ce qui déclenche un engrenage mortifère lorsque la marche immorale du monde vient se rappeler au souvenir de nos militants du troisième âge…

Les Vieux Fourneaux - Tome 7 - Les Vieux Fourneaux - Chauds comme le climat  - Wilfrid Lupano, Paul Cauuet - cartonné - Achat Livre | fnacLa question qui tourne autour de la série c’est sa durée de vie… et celle de ses personnages. Les auteurs nous ont déjà fait le coup plusieurs fois de la disparition d’un des protagonistes et l’on imagine mal les Vieux fourneaux continuer sans un membre du trio. Alors que la fille de Sophie grandit bien on voit passer le temps, qui indique que Lupano et Cauuet n’imaginent pas leur poule aux œufs d’or comme éternelle puisqu’ils choisi une trame non figée dans une bulle sans chronologie comme le sont certaines séries. Ainsi la disparition de Garan-Servier, évènement déclencheur de cet épisode est surtout un prétexte à la dénonciation du fascisme rampant qui gangrène les têtes d’une partie de la jeunesse française… et par incidence Montcoeuroise. Sous ce thème politique ce sont les péripéties plus classiques qui sont les plus efficaces pour nous faire rire toujours aussi franchement: ainsi la participation d’Antoine et Pierrot à une manif entre blackblocks et CRS, l’irruption rageuse de la redoutable Berthe dans un barbecue organisé par le maire et les truculents échanges de village ou de troquet qui permettent à Lupano de nous ravir de son magnifique sens du dialogue comme bon héritier d’Audiard.

Les vieux fourneaux est une BD militante grand public qui fait le même effet que l’écoute d’un album de Renaud. Notre époque désabusée d’un capitalisme triomphant qui ouvre la porte au fascisme a tendance à nous faire oublier que la culture et les loisirs culturels sont aussi un vecteur de combat pour dénoncer la résignation et rappeler qu’un autre monde est possible. A travers ses papy et notamment le génial Pierrot Wilfried Lupano nous bouscule par des vérités qu’il ne faut jamais se lasser de rappeler. La grande diversité de la galerie de personnages évite le manichéisme qui aurait perdu nombre de lecteurs. Cette série est toujours un grand plaisir BD, excellemment bien dessinée, prodigieusement écrite, une sorte d’Asterix du XXI° siècle, que l’on attend avec impatience et la garantie d’un entertainment à la française.

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****·BD·Nouveau !

Furieuse

Histoire complète en 240 pages, écrite par Geoffroy Monde et dessinée par Mathieu Burniat. Parution le 14/10/22 chez Dargaud.

La Ballade du Seum et de l’Héroïsme

Oubliez la légende du Roi Arthur telle qu’on vous l’a racontée. Le héros au coeur pur qui tire l’épée enchantée du rocher pour affronter de méchants sorciers n’est qu’une gentille fable, un conte patriarcal et condescendant, qui ne saurait être plus éloigné de la réalité. Oh, bien sûr, comme tout conte, celui-ci a aussi un fond de vérité. Il y a très longtemps, Arthur se dressa bel et bien, muni de son épée enchantée, pour repousser une horde de démons tout droit sortis de l’Enfer.

Accueilli en héros, il conquit ensuite les royaumes voisins afin de les unifier, devenant Roi de Kamelott. Mais les années ont passé, et Arthur a depuis sombré dans l’alcoolisme et la dépravation, noyant ses années de gloire sous des couches de crasse et des litres de piquette. Désormais veuf, et n’ayant plus que sa fille cadette Ysabelle à ses côtés, il est bien loin de la légende.

Ysabelle, quant à elle, enrage de voir l’épave qu’est devenu son père. Elle, qui vit enfermée dans le chateau, ne rêve que de partir à l’aventure, mais elle peine à se soustraire à la convoitise du Baron de Cumbre, vieil énergumène libidineux à qui elle fut promise. Lorsque la jeune fille apprend, la veille de son mariage, que sa soeur aînée Maxine, absente depuis plusieurs années, avait justement fugué pour échapper à son union avec le Baron, son sang ne fait qu’un tour.

Ysabelle prend alors la décision la plus importante de sa vie: accompagnée de l’épée magique de son père, qui ne supporte plus l’ennui et les outrages qu’elle subit aux mains d’Arthur, elle fait son baluchon et part retrouver sa soeur. Ce sera le début d’un voyage initiatique rocambolesque, durant lequel Ysabelle s’émancipera de son père.

On connaissait Geffroy Monde pour des séries comme Poussière, où il officiait en tant qu’auteur complet. On le retrouve ici au scénario, secondé au dessin par Mathieu Burniat. Le duo donne naissance à une aventure décalée, assez éloignée des poncifs de la fantasy, et qui inflige de franches estafilades au mythe arthurien. L’idée que la descendance du Roi Arthur soit assurée par une fille impétueuse n’est pas nouvelle (il n’y a qu’à voir Olwenn, fille d’Arthur, série en 2 tomes chez Vents d’Ouest / Glénat), mais elle est traitée ici avec humour et dérision, ce qui ajoute un vent de fraîcheur bienvenu.

On adhère donc bien à la figure du héros déchu, et par conséquent à la cause de notre héroïne, qui souhaite s’affranchir du patriarcat et prendre en main son destin. Tantôt naïve, tantôt pourrie-gâtée, Ysabelle n’en demeure pas moins un personnage attanchant qui évolue tout au long du récit, avec en toile de fond la trame de l’émancipation.

L’auteur a aussi été bien inspiré de baser son récit sur une dynamique de duo, héroïne ingénue / épée qui parle, car il permet d’instaurer toutes sortes de situations rocambolesques et donne au scénario un pivot en trois articulations qui se suit avec plaisir tout au long des 240 pages (tout de même!).

S’agissant du ton, on sent de franches similitudes avec Les Sauroctones, notamment par la nature des dialogues ou par l’absurdité de certaines situations. Le trait simple mais très expressif de Mathieu Burniat se marie d’ailleurs à merveille avec ce ton décalé, sans pour autant verser dans la parodie.

Concernant les thématiques, nous sommes bien sûrs face à un récit resolument féministe, mettant en exergue l’émancipation féminine face à une engeance masculine faible, lâche, veule, qui ne voit la femme que comme une nuisance ou une ressource à exploiter. C’est d’ailleurs un trait représentatif de la société féodale, où les femmes étaient simultanément écartées du pouvoir tout en étant indispensable à la perpétuation des dynasties.

Furieuse est donc une vraie réussite, drôle, bien écrite, et dotée d’une identité propre. On n’est pas loin du 5 Calvin !