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Le Labeur du diable #1

Première partie du récit imaginé par Fathi Beddiar et dessiné par Babbyan et Geanes Holland. Parution le 21/09/22 aux éditions Glénat, avec la mention « Pour public averti« .

From Nobody to Nightmare

Webster Fehler n’en mène pas large dans la vie. Petit juriste sans envergure, plus tâcheron que ténor du barreau, il subit des avalanches de brimades et d’insultes à longueur de journée. Seul, écrasé par la vacuité de son existence, Webster se laisse porter par le mouvement et a abandonné tout espoir de mener une vie satisfaisante. La ville tentaculaire de Los Angeles n’arrange rien à ses tourments, et ne fait même que nourrir ses frustrations et ses pulsions morbides.

Cependant, le destin va offrir à Webster une occasion impromptue d’exister, sous la forme d’une sacoche trouvée sous un sordide tunnel, où il s’aventurait à la recherche d’une prostituée. Dans cette sacoche, se trouve un appel du destin, sous la forme d’une arme chargée, d’un couteau, de quelques liasses de billets et surtout, d’un badge de policier. Cette découverte va faire émerger une part sombre, très sombre de Webster, qui de quadragénaire frustré va se transformer progressivement en prédateur, et s’extirper avec violence de sa chrysalide de passivité.

L’émancipation de Webster va coûter cher à beaucoup de monde, la faune qui prospère dans la fange de Los Angeles n’a qu’à bien se tenir.

Le Labeur du Diable n’est pas là pour donner des leçons de morale, mais plutôt des généreuses mandales dans la tronche. Adoptant une ambiance noire dans une L.A corrompue et puante, l’auteur Fathi Beddiar nous emmène dans les tréfonds d’une entité froide et déshumanisante, dans laquelle le seul moyen de retrouver son humanité est de s’adonner aux instincts les plus vils.

En décrivant ainsi la trajectoire d’une personne insignifiante qui se transforme en cauchemar ambulant, le scénariste nous livre sans concession sa vision du genre humain, une vision pessimiste, d’autant plus dépriamnte qu’elle est cohérente. En effet, le monde réel nous montre tous les jours qu’un quidam respectueux des règles n’est qu’un prédateur qui s’ignore, où qui n’a pas encore trouvé les ressources nécessaires à la satisfaction de ses bas instincts. Sitôt ces ressources à portée de main, l’individu docile se rebiffera, et le plus souvent, fera payer au monde ses tourments antérieurs.

Les exemples en fiction sont légion: Joker, Chronicle, Breaking Bad ou encore Chute Libre, mettent également en scène un personage faible et lâche, qui va se métamorphoser en prédateur revanchard d’une société qui l’a bafoué. Ce type de récit a une valeur ajoutée amivalente, car il joue dans un premier temps sur la sympathie naturelle que le lecteur/spectateur ressentira pour les outsiders. Qui n’a pas déjà encouragé un personnage maltraité de prendre sa revanche contre ses oppresseurs ? Mieux encore, qui n’a pas déjà projeté dans ce type de personnage ses propres échecs ou son propre sentiment d’injustice ? C’est là que les auteurs subvertissent cet empathie envers les victimes, et Fathi Beddiar ne fait aucunement exception ici, en la transformant radicalement, jusqu’à la faire basculer à l’opposé du spectre moral. Vient alors chez le lecteur/spectateur un sentiment étrange, la culpabilité d’avoir soutenu cette victime devenue bourreau.

La culpabilité vient peut-être aussi du fait que l’on peut confortablement projeter son propre désir de revanche dans ce personnage, qui se défait de ses oripeaux de moralité pour se complaire dans la revanche. L’autre atout du Labeur du Diable, c’est aussi le contraste entre l’hyper-réalisme de la violence et de la décadence, et le doute quant à la nature réelle des pulsions violentes de Webster: à la fois surnaturelle et terre-à-terre, c’est sans doute ainsi que se décrit le mieux la corruption des hommes.

Le Labeur du Diable est une oeuvre coup de poing, très cinématique dans son traitement (le scénario était initialement destiné au cinéma, comme l’explique l’auteur dans le dossier très complet qui boucle l’album), un coup de coeur à ne pas mettre entre toutes les mains !

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Low #5: La lumière des profondeurs.

East and west

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Comic de Rick Remender et Greg Tocchini
Urban comics (2022), 200p., série terminée en 5 tomes.

Un billet général sur la série a été publié à l’occasion de la sortie du tome #3 chez Urban et le tome #4 fait également l’objet d’une chronique.

C’est la fin d’un périple de presque dix ans pour une série démarrée aux Etats-Unis en 2014 alors que Rick Remender explose comme scénariste phare du comic indé avec des Black Science ou Deadly Class, deux séries alignant dix tomes ou presque alors que se conclut ce cinquième Low. Il aura fallu être patient!

LOW #1-26 (Rick Remender / Greg Tocchini) - Image Comics - SanctuaryAvant tout je tiens à revenir sur le format d’édition choisie par Urban et qui suit le format original Image comics. Le respect d’un format traditionnel est louable… mais la minutie du dessin de Greg Tocchini qui fourmille de détails rend la lecture encore plus compliquée sur un volume largement dédié à la bataille finale entre les différents peuples de cet univers. Ayant choisi de donner dans le feu d’artifice quasiment de bout en bout, les auteurs mènent à rude épreuve les pauvres yeux des lecteurs. Je ne sais pas dans quel format le dessinateur a travaillé (surement en numérique sans format particulier) mais depuis la sortie de la collection en format franco-belge chez Urban il aurait été judicieux de profiter de cet ultime opus pour ressortir Low dans une dimension plus adaptée. On me rétorquera que la série ayant commencé en format comics il était nécessaire de l’achever de même. L’éditeur ayant sorti en fin d’année dernière une sublime intégrale de l’autre série majeure de Remender en plus grand format, il est à espérer qu’il en sera de même à Noël pour une série qui le mérite grandement.

Passons au récit. Comme dit plus haut, Remender et Tocchini font de ce cinquième tome une explosion sur deux-cent pages. Ouvrant dès la première page sur des plans dont l’illustrateur italien a le secret dans une folle course-poursuite, on retrouve ensuite Stel prisonnière d’un zoo de la dernière cité humaine sur le plancher des vaches. Cette séquence permet d’aborder une thématique classique de la SF de l’étude par des créatures intelligentes d’êtres humains perçus comme étranges et sauvages. Rapidement l’intrigue se simplifie autour de la confrontation finale entre l’extérieur et les peuples des profondeurs, alors que la chute de Salus est imminente.

The Blackest of Suns — “Offline” Low #26 (February 2021) Rick Remender,...Comme conclusion cet album se pose là et démontre une nouvelle fois le talent de Rick Remender, jamais avare de grandiose et de traitement intelligent dans le blockbuster. Outre des dessins fourmillant, le principal défaut de cet opera est un certain abus de Deus ex machina (propension déjà vue sur Death or Glory) qui voit une bonne dizaine de fois la situation désespérée avant que survienne un nouveau miracle. Le procédé est ainsi usé jusqu’à la corde et affaiblit d’autant la tension dramatique pourtant paroxysmique.

On pardonnera à l’auteur ces facilités pour profiter des incroyables scènes de batailles qui rappellent parfois la folie d’un Ledroit et des design futuristes juste parfaits. En respectant une tomaison idéale pour une série, en sachant conclure de façon très satisfaisante son histoire tout en créant jusqu’au dernier passage de la nouveauté et de la surprise, les auteurs de Low réussissent à achever une grande saga SF qui restera unique dans son style comme dans son traitement. Je le dis souvent, les séries bien terminées ne sont pas légions (pour celles qui savent s’arrêter…). Ne boudons pas notre plaisir. Et pour ceux qui découvrent Low à l’occasion de ce billet je vous invite très vivement à attendre patiemment la probable intégrale pour une qualité de lecture idéale.

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Raiders

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Comic de Daniel Freedman et Crom.
Editions du Delf (2023) 112p., one-shot.

image-5Merci aux éditions du Delf pour cette découverte.

Le royaume de Ridmar est tenu d’une main tyrannie par la dynastie des Bishops, qui imposent leur loi sur l’économie des pilleurs de donjons, les Raiders. Ces fiers guerriers d’élite passent leur vie à parcourir de vastes souterrains où grouille une vermine monstrueuse, à la recherche des richesses qui leur permettra, peut-être, de trouver un repos bien mérite à l’arrivée de la vieillesse. Le meilleur d’entre tous, Marken forme son jeune et impétueux frère comme raider. Bientôt il compte déposer l’épée. Mais le bonheur est-il seulement possible pour des gens comme lui dans un monde si injuste?

Je découvre l’artiste anglais CROM à l’occasion de ce premier album sorti en 2019 et traduit en ce début d’année par la toute petite structure des éditions du Delf. Malgré un tirage faible l’album est assez bien référencé et vous ne devriez pas avoir beaucoup de mal à vous le procurer avant un probable premier tirage au vu de la qualité du titre.

Raiders TPB :: Profile :: Dark Horse ComicsDans un style graphique naïf qui rappelle les créations du label 619 ou de Catharsis sorti l’an dernier chez Kinaye, Crom fait preuve d’une maitrise de la mise en scène et dans la lisibilité des planches qui impose le respect. Sur une histoire archi-classique du vieux héros souhaitant raccrocher les gants mais contraint par le tyran à venger ses proches, les auteurs proposent un des plus intéressants projets de fantasy lu depuis longtemps! En lâchant la bride et en évitant une complexité cérébrale ils vont droit au but, à l’essence d’un récit de fantasy, centré sur un petit groupe de personnages forts, une intrigue simple et last but not least une gestion du hors-champ parfaite. Ainsi on commence l’histoire dans un classique mais très dynamique massacre de monstres avant le retrait du héros et la confrontation avec la monarchie. Sur une pagination à la fois large mais au découpage qui prend de la place, on est surpris de constater que Crom et Freedman parviennent à proposer un récit complet auquel il ne manque presque rien et sans nécessiter de prolongation.

Ce qui fonctionne excellemment c’est le rythme des surprises dans un monde très violent où aucune vie n’est éternelle… Alors on s’attache plus vite qu’on ne pense à ce Marken  et l’on déteste ces Bishops que l’on voit finalement très peu. Le design général des armures, l’aspect grandiose des donjons et forteresses accentuent l’immersion dans l’épopée tragique que l’on pourrait situer entre Furieuse et Tenebreuse. Et si le mouvement de Crom est très efficace, c’est bien l’histoire en elle-même qui nous fait dévorer ce brillant premier titre qui coche toutes les cases d’une bonne histoire: méchants redoutables et mystérieux, worldbuilding que l’on a envie de parcourir, rebondissements terribles… Après avoir plongé dans le monde de Ridmar vous pourrez rapidement prolonger avec un second titre des auteurs sorti à l’automne et dont j’ai peu de doute que l’éditeur saura nous en proposer une VF. La naissance de deux auteurs et un probable succès bouche à oreille en perspective!

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Hoka Hey !

Histoire complète en 222 pages, écrite, dessinée et mise en couleurs par Neyef. Parution au Label 619 le 26/10/2022.

So long, cowboy

Comme chacun sait, le prix pour à payer pour bâtir une nation est élevé, surtout s’il s’agit d’une nation blanche érigée au détriment des autres peuples. L’une des nations les plus récentes du globe, mais aussi la plus puissante, ne doit en effet son existence qu’à l’oppression et à l’extermination de peuples indigènes et/ou réduits en esclavage.

Après les guerres indiennes, à l’issue desquelles plus de 90% des peuples amérindiens ont disparu, les survivants étaient soit parqués dans des réserves, soit assimilés de force dans la culture dominante. Ce fut le cas du jeune Georges, qui fut arraché enfant à sa tribu Lakota pour être évangélisé par le Révérend Clemente, qui le considérait tout au plus comme une ouaille tolérable plutôt que comme un fils adoptif.

Alors qu’il sert encore une fois de faire-valoir au révérend en récitant des évangiles devant sa nouvelle conquête, Georges est interrompu par un trio de bandits, des hors-la-loi recherchés qui mènent à leur façon les prolongations des guerres indiennes. Little Knife, No Moon et Sully interrogent le révérend à propos d’évènements tragiques du passé et sur la localisation d’un homme, dont le jeune garçon n’a jamais entendu parler.

Une fois l’affaire réglée, Little Knife, ucléré de voir un Lakota ainsi fourvoyé par des blancs et désireux de ne laisser aucun témoin, s’apprête à abattre Georges. Mais No Moon s’interpose, suppliant son ami de ne pas abattre l’un des leurs. Bien malgré lui, voilà que Little Knife, guerrier Lakota redouté dans toutes les plaines de l’Ouest, à l’origine d’exactions punitives qui lui ont valu une belle mise à prix, se retrouve à jouer les nounous-précepteurs pour ce petit homme qui l’agace autant qu’il lui rappelle sa propre enfance.

Que cherche vraiment le gange de Little Knife ? Georges survivra-t-il à sa chevauchée forcée aux côtés de ce dangereux trio ?

Jusque-là, le Label 619 avait exploré tous les genres, et toutes les cultures, mais conservait une appétence pour le rêve américain et ses travers. Le genre du Western ne leur est donc pas étranger, et c’est au tour de Neyef, de s’interroger sur le devenir des amérindiens dans un pays qui n’est plus le leur. Le dernier western que j’avais en tête venant du Label 619 était Horseback 1861, qui ne brillait ni par l’originalité de l’histoire, ni par son exécution. On change carrément la donne ici avec Hoka Hey ! et ce à plusieurs égards.

En premier lieu, la pagination généreuse, qui permet d’installer une histoire complète sur le long cours, ce qui inclut des personnages écrits avec maturité plutôt qu’à l’emporte-pièce. Tout en conservant un ton crépusculaire, amer, Neyef parvient à insuffler un ton humaniste dans un univers très dur, voire cruel. La thématique du refus de l’assimilation et l’attachement à une culture d’origine, bien qu’elle ne soit pas universelle, est néanmoins transposable à d’autres cultures et d’autres histoires, donnant à Hoka Hey ! une allure de parabole. Comme dans la majorité des westerns, on n’échappe pas à la sempiternelle quête de vengeance, mais l’auteur insiste bien quant à la vacuité d’une telle poursuite, car tout personnage a toujours davantage à y perdre que ce qu’il croit. L’intrigue en elle-même reste simple. Malgré la longue pagination, elle ne fait pas de détour inutile ni ne donne de sensation de longueur ni de remplissage.

En second lieu, on se doit de mettre en avant la qualité graphique de l’album, le grand format aidant l’auteur à installer des décors somptueux où la nature sauvage reprend tous ses droits.

Odyssée périlleuse, ôde somptueuse à la liberté, mise en garde contre le fiel dévorant de la vengeance, mise en exergue du sort des amérindiens dont les ossements gisent dans les fondations des USA, Hoka Hey ! est tout ceci à la fois, et ce serait criminel de ne pas y attribuer un 5 Calvin. Bang ! Bang !

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King of spies

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Comic de Mark Millar, Matteo Scalera et Niro Giovanna (coul.) 
 Panini (2022) –  144p., one-shot.

Roland King appartient au passé. Il fut le chevalier noir des basses besognes du Royaume pour maintenir un système qui a besoin d’ordre. Et pour cela il était incontestablement le meilleur. Mais il a vieilli. Il a du ventre. Et il a une tumeur. Grosse comme un ballon. Six mois, c’est ce qu’il lui reste pour régler ses affaires. mais quand on a passé sa vie à dessouder des gentils pour maintenir en place des méchants, ranger sa chambre signifie lancer une vendetta. Une vendetta King size. Les ordures vont avoir mal. Très mal…

King of Spies #1 : le super-espion de Mark Millar et Matteo Scalera s'offre  un premier aperçu | COMICSBLOG.frIl n’y a qu’un pas du Capitole à la Roche tarpéïenne. Millar sait que les fans adorent vouer aux gémonies leurs héros dès qu’ils s’institutionnalisent. Passer dans le giron de Netflix (dont on attend toujours les premiers fruits véritablement fructueux…) était un risque qui lui a apporté richesse, liberté créatrice… et exigence plus grande encore. Et comme dit sur le récent Magic Order 2 (il faudrait toujours se méfier des suites aux titres feignants!) cela fait longtemps qu’on n’avait pas lu on bon Millar. Tellement que personnellement je n’attend plus grand chose du golden-boy de l’explosion du comic-code et me contente d’acheter les miracles graphiques que la bande de dieux du dessin qu’il embauche à tour de bras proposent sur ses production. Et bien rassurez-vous, ce King of spies, aussi inattendu que Prodigy avait déçu, est une sacrée renaissance qui montre que le plus rosbeef des scénaristes américains en a encore sous le coude… et une sacré plume!

Car sur une intrigue vue mille fois et à laquelle on ne crois pas cinq minutes (quel twist final va bien pouvoir trouver Millar pour sauver son condamné?), l’auteur nous rappelle de manière éclatante son talent d’écriture, cette plume facile, moderne, non formatée. Et que s’il a opté au contraire d’un Alan Moore pour des acolytes très esthétiques, comme son immense compatriote ses scripts se suffiraient à eux-mêmes et laissent imaginer ce qu’il pourrait faire en dialoguiste de ciné… Jouant d’une construction complexes faite d’images passées et futures insérées dans un récit qu’on n’oublie pas de rendre très adaptable sur Netflix, Millar nous propose un personnage solide qui se présente lui-même comme le premier des monstres parti à la chasse aux monstres. Pour l’occasion, le scénariste que l’on sait contestataire et volontiers anticapitaliste Bloody Spills And Espionage Thrills: 'King of Spies' #2 Advance Review –  COMICONdézingue tout notre beau monde ultralibéral où la morale est absente dès qu’il s’agit de maintenir un système en place. Reprenant subrepticement son propos politique de Jupiter’s Legacy, Mark Millar touche juste dans un style Vengeur sans limite que le statut des victimes autorise à toutes les outrances. Et pour ne pas réduire l’album à un blockbuster explosif magistralement mise en scène par le talentueux compère Scalera, King of spies propose aussi le touchant tableau d’un vieil homme dans ses faiblesses, à commencer par sa vie gâchée à semer des marmots dans chaque port sans autre chose à foutre que sa propre aventure. Arrivé à la fin il est l’heure du compte… mais que compter quand on a toujours été seul?

Si l’on peut chercher un regret à cet album ce sera à la fois sa brièveté (car oui, c’est une bien vrai one-shot) et le nombre de personnages ou éléments très intéressants lancés et aussitôt refermés, comme s’ils n’étaient destinés qu’à la Bible de la future version Netflix. Comme souvent Mark Millar fourmille de bonnes idées qu’il n’a soit pas le temps, pas l’envie, pas le courage de développer et qui nous laissent un soupçon de frustration positive.

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Un putain de salopard #3: Guajeraï

La BD!
BD de Régis Loisel, Olivier Pont et François Lapierre (coul.)
Rue de sèvres (2022), 80p. 3/4 tomes parus.

Attention, spoilers pour les nouveaux arrivés sur la série!

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bsic journalismMerci aux éditions Rue de sèvres pour leur confiance.

Ouf! la relative déception du second tome n’était que passagère et bien liée au syndrome du second tome. Est-ce que Loisel a corrigé le tir sur la base des commentaires des lecteurs? On ne le saura jamais mais on revient sur Guajeraï (du nom du bled où vont atterrir Max et son Salopard de père) à une intrigue beaucoup plus classique, beaucoup plus linéaire et lisible qui se concentre sur deux lieux, faisant des filles des personnages secondaires. Enfin pas tout à fait puisque Baïa accompagnant plus ou moins Max qui reste bien au cœur de l’intrigue.

Un Putain De Salopard - Tome 3 - Un putain de salopard - Guajeraï - Régis  Loisel, Olivier Pont, François Lapierre - cartonné - Achat Livre ou ebook |  fnacAlbum révélateur, on apprend à connaître le salaud sauvé in extrémis du combat final du tome deux et le scénario se fait un malin plaisir à jouer avec notre scepticisme en nous mettant en miroir d’un max sans doute naïf mais pas au point de croire les salades de ce borgnes prêt à tout pour garder son trésor. Jusqu’à flinguer son « fils »? Chacun se fera sa propre idée dans le sillage de Max qu’on adore suivre en grand benêt. Régis Loisel a toujours eu l’art de créer des personnages justes, complexes, terriblement humains dans leurs failles. Et si les affaires des infirmières et de Corinne peuvent laisser un peu dubitatif quand à leur rôle dans l’histoire, le couple Max/Baïa, le flic au strabisme loisélien et « Maneta » le manchot marchent du tonnerre en nous plongeant dans la grande aventure amazonienne.

Laissant un peu le voile fantastique de côté pour dérouler de poilantes courses-poursuites urbaines en mobylette, les auteurs nous ravissent dans un grand spectacle plutôt inattendu qui rappelle clairement les pérégrinations de bébel à la grande époque. Les affreux des deux précédents tomes éliminés, l’histoire recentre son antagonisme sur ce père qui occupe le titre (qui restera dans l’histoire de la BD!) et que l’on imagine tout sauf sincère avec sa gueule pas tibulaire mais presque… sauf que… est-il bien ce putain de salopard? L’habit fait-il le moine? La mécanique de l’album tourne donc (outre les péripéties d’aventure tropicale) clairement sur ce doute existentiel de savoir à qui se fier et si la quête identitaire de Max a réellement touché au but. En dévorant les quatre-vingt pages à deux-mille à l’heure on chute sur un nouveau cliffhanger terrible qui remet une pièce dans la machine, a priori vers un dernier volume de conclusion. Loisel nous a habitué à prolonger sans crier gare ses séries mais il n’est pas du tout dit que le dessinateur le suive dans de  telles velléités. Aussi on a bon espoir de voir (bien) s’achever ce qui est ainsi confirmé comme une très bonne série.

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King Spawn #1

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Comic de Todd MacFarlane et collectif.

Delcourt (2022), 208p.+ cahier graphique. Série en cours.

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bsic journalismMerci aux  éditions Delcourt pour leur confiance.

Pour commencer je tiens à vous avertir: cet album est ma première immersion dans l’univers du personnage trentenaire de Todd MacFarlane. Personnage singulier des comics qui a beaucoup fait pour développer l’Indé au tournant des années 1990 en co-créant Image comics avec Jim Lee et Marc Silvestri, la carrière de MacFarlane est totalement liée à ce personnage qui s’est décliné depuis sur une bonne dizaine de séries rattachées à l’univers du anti-héros infernal. Certains auteurs choisissent de passer leur vie sur un même univers. C’est un choix (lucratif…). Avec un a priori plutôt négatif sur cette franchise très commercialement déclinée (jouets, film, séries,…) je tente donc la découverte…

King Spawn Issue 2 Sneak Peek !Et subit les mêmes conséquences que sur une première incursion dans un album de la Justice League ou des X-men: l’impression d’arriver justement après trente ans d’une trame continue pleine de personnages et de rebondissements. Vous voilà donc prévenu, contrairement à ce que laisse entendre l’auteur dans sa préface, King Spawn, qui ambitionne « d’ouvrir comme jamais l’univers de Spawn » n’est pas vraiment une porte d’entrée. Soyons juste: si la méconnaissance des personnages, de l’histoire du personnage et du contexte de 2022 compliquent la lecture, la narration se veut suffisamment linéaire et fluide pour permettre à un nouveau venu d’en profiter, notamment graphiquement.

Car comme création d’illustrateur l’une des immenses qualités de Spawn est la force de ses planches, ici déclinées par la fine fleur du comics particulièrement inspirée dans la mise en scène qui brise souvent les cases pour créer des visions brisant les murs de la réalité. L’atmosphère adulte assez crue (on parle d’enfants massacrés, d’éviscérations et d’un héros qui tue sans plus d’états d’âme que le Punisher) qui a fait le succès de la série Image à son lancement en regard avec le puritanisme du Big-Two fait son effet. Une fois rentré dans cette enquête autour d’un groupe eschatologique on se laisse porter avec le plaisir de ne pas avoir trop de bons sentiments, ce qui rend le héros (un démon des enfers, rappelons le) crédible.

KING SPAWN #1 (McFarlane, Lewis / Collectif) - Image Comics - SanctuarySi la crudité du thème et du traitement impactent, on n’évite pourtant pas l’effet références et quelques codes du comics qui banalisent par moment l’ambition. Ainsi à la volonté de croiser ses séries et personnages, MacFarlane recrée une sorte de Bat-family à laquelle il ne manquerait plus que le Spawn-chien. Passons. Les références il y en a donc (on pense à Punisher, Shadowman ou Bloodshot chez Valiant, mais aussi au tout puissant Hellboy refusant son statut de Seigneur du chaos) mais suffisamment digérées pour devenir un univers original et c’est là la principale qualité (inattendue) pour ce secteur hyper-concurrentiel du nouveau sup’.

King Spawn #3 (2021) | Read All Comics OnlineEtrangement ce sont les séquences avec le super-héros qui sont les plus banales du fait de cette immortalité et cette imprécision sur les capacités du personnages qui aime à défourailler armé de grosses pétoires quand il ne lance pas sa cape-symbiote tel un Venom. Lorsque Al Simmons reprend forme humaine on s’intéresse à ce monde peuplé de terroristes et d’agences gouvernementales obscures et au Grand Jeu entre armées infernales et Anges bloqués sur Terre après que Spawn ait semble t’il fermé les passages des âmes vers le haut et vers le bas.

Doté d’un univers riche, très adulte et raisonnablement ricain, Spawn prend les qualités des Batman modernes et les réhaussant d’une mythologie biblique fort alléchante. De quoi donner bien envie de retourner à la source pour pouvoir profiter ensuite pleinement de cette nouvelle saga.

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Les damnés du Grand Large

La BD!

Histoire complète en 56 pages, écrite par Kristof Mishel et dessinée par Béatrice Penco Sechi. Parution chez Drakoo le 10/08/2022.

Merci aux éditions Drakoo pour leur confiance.

Suck my (Moby) Dick

Dans une taverne mal famée, emplie de marins ivres dont les oreilles tanguent encore avec le roulis du bateau qu’ils viennent de quitter, un étrange colporteur fait son apparition. Mal accueilli, comme tous les autres avant lui, il ne demande pourtant qu’une chose: le gîte et le couvert contre une histoire qui divertira l’assemblée des marins esseulés et les tiendra en haleine jusqu’au petit matin.

Le propriétaire de la taverne, initialement réticent, se laisse emporter par le charisme de ce conteur itinérant, et lui permet de rassembler autour de lui son auditoire, avec un avertissement toutefois: si son histoire convainc, il aura droit à son repas chaud, mais dans le cas contraire, son sang ira inonder le caniveau et son corps finira mangé par les poissons du port.

Qu’à cela ne tienne, le conteur, sûrement habitué à ce genre de défi et sûr de lui, se met en place et dévoile les tatouages qui ornent son corps, puis commence à raconter la meilleur histoire de son répertoire.

Le troubadour nous introduit le personnage de Rêveur, un jeune garçon embarqué sur le navire Alicante. Lorsqu’il ne souque pas les arquebuses, Rêveur dessine et écrit dans son carnet. Ce loisir lui a valu son surnom, mais aussi des regards circonspects des membres de l’équipage, qui pour la plupart, sont analphabètes.

Alors que la croisière suit son cours (à défaut de s’amuser) un des marins est retrouvé mort, pendu à un mât, la lettre A marquée sur le front. Cet évènement est le premier d’une série de macabres découvertes, les morts s’enchaînant alors que la superstition gagne l’ensemble de l’équipage. Et Rêveur, au milieu de tout ça, semble connaître la vérité sur les forces occultes qui menacent l’Alicante. Cela aurait-il à voir avec les démons tentaculaires qui gardent les océans ? Ou bien avec ceux, en chair et en os, qui arpentent le pont du navire ? La réponse se trouve au bout du récit de notre conteur tatoué.

Jusque là, la volonté apparente de Drakoo était de coopter des auteurs de romans pour les introduire au monde de la BD, comme c’était le cas par exemple pour les Gardiennes d’Aether, ou Démonistes. Dénicher de jeunes auteurs n’est semble-t-il toujours pas à l’ordre du jour, comme nous le prouve cet album. En effet, Kristof Mishel est un de ces auteurs de romans qu’Arleston aime recruter pour leur faire faire leurs premiers pas dans le monde de la BD. Ainsi, il s’assure une maîtrise narrative et un professionnalisme garantissant une certaine qualité à l’album, tout en ayant une marge d’intervention en tant qu’éditeur qui lui permet de se positionner en « sachant » auprès d’un auteur qui débute dans l’industrie très particulière de la BD.

Ce compromis fonctionne la plupart du temps, et c’est le cas ici aussi. La narration morcelée et la mise en abime sont utilisées avec tact par l’auteur, qui distille son mystère jusqu’à une double révélation finale qui renverse donc par deux fois les perspectives du récit. On est donc tenus en haleine à la fois par la destinée de Rêveur, jeune et frêle garçon au milieu d’un troupeau de marins violents et imbéciles, un peu comme Ismaël embarqué sur le Pequod dans Moby Dick, et par celle du conteur, qui joue sa vie sur le déroulé de cette histoire.

Graphiquement, les personnages dessinés par Béatrice Penco Sechi, avec leur traits émaciés et leurs grands yeux, participent à l’ambiance pesante du récit, où l’on s’attend à voir surgir à n’importe quel moment un tentacule visqueux ou une pince de crabe géante. On peut aisément comparer l’album, sur le même thème, avec la trilogie La Fille des Cendres, de Hélène Vandenbussche, parue entre 2015 et 2019 chez Le Lombard.

Les Damnés du Grand Large offre donc un récit bien mené qui vous tiendra en haleine de bout en bout, pourvu que vous ne souffriez pas du mal de mer.

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The Magic order #2

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Comic de Mark Millar, Stuart Immonen, 
 Panini (2022) –  second tome des aventures de la famille Moonstone.

2019… cela fait un monde que nous attendons la suite de ce Magic Order avec la promesse d’un niveau artistique de folie sous les pinceaux du grand Stuart Immonen. Les deux bonshommes ont déjà collaboré sur l’assez décevant Empress mais la radicalité et la qualité de l’univers de ces sorciers faisaient de cet album un des plus alléchants depuis longtemps. Malheureusement l’inspiration (ou le travail?) du golden-boy Millar semble s’être tarie et ce nouvel opus d’une série qui tarde à arriver en format audiovisuel sur la plateforme au N rouge ne nous rassure en rien sur sa capacité à proposer de nouveaux monuments du comic indé. La source se serait-elle tarie?

Magic Order 2 by Mark Millar and Stuart Immonen Has A Brexit TingeOn ne pourra en effet rien reprocher au dessinateur canadien qui s’il a tendance à rechercher la simplification des dessins, n’en explose pas moins de talent à chaque fois qu’il sort du pure illustratif. L’enchaînement des séquences reste lisible et les moments d’action plutôt fun. La tâche n’était pourtant pas facilitée par un scénario qui semble vouloir se concentrer tout le long sur la petite histoire, celle des sorciers en jogging et des problèmes de couple, comme si Mark Millar avait voulu faire, plus encore que sur le premier, un néo-polar londonien à la sauce Avada Kédavra… Peu de moments épiques à se mettre sous les yeux donc.

A cela le péché majeur du scénariste est d’abuser totalement du Deus Ex-machina qui rend le tout presque risible tant il ne s’encombre à aucun instant de construire un puzzle. La linéarité du tout est confondante de faiblesse et malheureusement ce n’est pas la poudre de perlimpinpin jetée grâce à la maîtrise graphique d’Immonen qui masque l’absence de projet pour ce opus qui pourrait à ce rythme se prolonger sur des dizaines d’albums. Ainsi le méchant sorcier d’une lignée vaincue rassemble des pierres cachées pour se venger et reprendre le pouvoir sur les Moonstone… Hum, on a vu plus original. Accordons toutefois à Millar son caractère de sale gosse qui assume tout, tuant n’importe qui à tout va, donnant par-là un peu de sel à une intrigue qui en manque diablement.

Magic And Machinations: Advance Review Of 'The Magic Order 2' #2 – COMICONIl ressort de ce très attendu album un sentiment de gros gâchis qui fait hésiter entre le conserver pour les planches ou s’en séparer devant une telle incurie. Si l’on fait le compte le Magic Order #1 est le dernier vraiment bon album de Millar (en sauvant Sharkey pour son aspect fun qui a un bon potentiel en série). A force de se reposer sur une armée des plus grands dessinateurs de comics pour garantir les ventes, l’auteur semble en oublier la deuxième patte d’un bon album BD.

Le troisième tome de Magic Order est en cours de publication aux Etats-Unis (avec l’italien Gigi Cavenago aux crayons) et les premiers aperçus (très impressionnants) des planches du quatre avec Dike Ruan indiquent une sortie dans la foulée, probablement fin 2023. Lorsqu’on sait que la newsletter publiée par Millar parle de Greg Capullo, Travis Charest ou encore le retour de Coipel, on a de quoi se faire briller les mirettes. Les séries Netflix semblent sur le point d’être lancées en production. De quoi rester confiant sur le catalogue Netflix. Côté BD pas forcément…

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****·BD·Nouveau !·Rapidos

Shi #5: Black Friday

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BD de Zidrou et Homs
Dargaud (2022), 56 p., Second cycle.

Jay et Kita sont les ennemis publics numéro 1 de l’Empire. Après les évènements des docks que tout le monde semble pressé d’oublier, elles ont entrepris un militantisme radical (que la bourgeoisie victorienne appelle Terrorisme), bâtissant une organisation clandestine appuyée sur les gamins des rues. Mais la police de l’Impératrice n’a pas dit son dernier mot…

Black Friday (par Zidrou et José Homs) Tome 5 de la série ShiRetour de la grande série socio-politique avec un second cycle que l’on découvre, surpris, annoncé en deux albums seulement. Reprenant la construction temporelle complexe juxtaposant les époques sans véritables liens, Zidrou bascule ensuite dans un récit plus linéaire et accessible où l’on voit l’affrontement entre la naissance du mouvement des Suffragettes  et la société bourgeoise qui ne peut tolérer cette contestation de l’Ordre moral qui étouffe le royaume. Les lecteurs de la série retrouveront ainsi les séquences connues, à la fois radicales, intimistes, sexy et violentes. Et toujours ces planches sublimes où Josep Homs montre son art des visages.

L’itinéraire de Jay et Kita se croise donc avec un échange épistolaire original à travers les années avec la fille de Jay, sorte de fil rouge très ténu qui court depuis le début sans que l’on sache sur quoi il va déboucher. L’écho contemporain bascule cette fois dans les années soixante (on suppose) où un policier enquête sur une disparition qui le mène sur la piste des Mères en colère. Pas plus d’incidence que précédemment mais l’idée est bien de rappeler que les évènements du XIX° siècle débouchent sur un combat concret à travers les époques.

Avec la même élégance textuelle comme graphique, Shi continue son chemin avec brio et sans faiblir. On patiente jusqu’au prochain avec gourmandise!

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