****·Comics·East & West

Everything

Histoire complète en 264 pages, écrite par Christopher Cantwell et dessinée par I.N.J. Culbard. Parution aux US chez Berger Books, label de Darkhorse Comics. Publication en France chez 404 Comics.

Posséder ou ne pas posséder, telle est la question

La petite bourgade de Holland, dans la Michigan, s’apprête à vivre à son tour la révolution consumériste, grâce à l’ouverture du flambant neuf centre commercial Everything. Qu’y trouve-t-on ? Absolument TOUT ! Tout ce qui peut ravir l’imagination et les sens de tous ses clients potentiels, quel que soit l’âge, le genre ou la classe sociale. L’architecture est moderne, le personnel accueillant, il ne reste donc plus aux habitants d’Holland qu’à aller flâner et se perdre dans les interminables rayons de ce mall cyclopéen.

Comme l’ensemble des habitants, Eberhard Friendly, conseiller municipal, se réjouit de l’ouverture du magasin, y voyant une opportunité de dynamiser sa commune. Lori Dunbar, quant à elle, est enlisée dans un spleen existentiel dont elle ne parvient pas à s’extirper. Le bonheur préfabriqué promis par Everything représente peut-être pour Lori la chance de guérir enfin de son mal-être. Ce n’est pas la même chose pour Rick Oppstein, dont la boutique Sounds Good Stéréo est mise en danger par l’offre pléthorique d’Everything.

Bientôt, les allées du centre commercial sont bondées, emplies d’une marée humaine avide de consommation. Sous l’oeil acéré de Shirley, la directrice du magasin, toute l’équipe s’affaire pour satisfaire les hordes de clients, car après tout, c’est la raison d’être d’Everything ! Malheureusement, tout n’est pas aussi transparent que ça, car dans les coulisses du magasin, se joue quelque chose qui dépasse les petites destinées personnelles, et qui engendre des tragédies comme des suicides, des combustions spontanées, des tumeurs au cerveau…et des érections involontaires.

Et si le bonheur était à portée de main pour tous ? Et si, en accaparant des objets manufacturés, vous pouviez laisser de côté vos tourments intérieurs et atteindre la félicité ? Combler le vide spirituel par une abondance matérielle, cela ressemble à s’y méprendre aux promesses de la société de consommation, qui nous fait croire que la possession de biens nous définit en tant qu’individus (il n’y a qu’à décortiquer les pubs de voiture ou de téléphones pour s’en convaincre).

Everything revient dans la décennie qui a vu fleurir les centres commerciaux aux USA, et livre une satire du modèle capitaliste à la sauce surréaliste. L’ambiance décalée accroche le lecteur dès le premier chapitre, en instillant un malaise et un mystère savamment dosés. Le ton est acerbe, ciselé, et l’intrigue offre plusieurs niveaux de lecture.

Après une première partie qui emprunte bien sûr aux œuvres de David Lynch (sans pour autant être absconse), le scénario de Cantwell bouscule les genres en usant de ficelles que Lovecraft et autres Carpenter n’aurait pas reniées. Ce basculement, loin d’être déstabilisant, offre de nouvelles clés de compréhension de l’intrigue et redynamise le récit, dont la tension va crescendo jusqu’à un final à la fois déjanté et cohérent.

Côté graphique, I.N.J Culbard fait encore une fois la démonstration de son talent, grâce à un trait épuré proche de la ligne claire. On retiendra également l’importance de la mise en couleur, qui a une signification et un impact déterminants dans le récit.

L’aspect éditorial n’est pas en reste non plus, car 404 met une fois de plus un grand soin dans la fabrication de ses livres, avec en l’espèce une couverture et un dos toilés, qui mettent en valeur une couverture poétiquement complexe.

BD·Service Presse·Rétro·Rapidos·La trouvaille du vendredi·Un auteur...·***

Dead Charlie

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BD de Thierry Labrosse
Auto édition (2027), 48p. One shot.

badge numeriqueLe Québécois Thierry Labrosse est un dessinateur trop rare! Apparu à l’orée des années 2000, en pleine gloire des éditions Soleil, la série Moréa qu’il a dessiné cinq tomes proposait une SF d’une technicité et d’une élégance rare pour un artiste autodidacte. Après ce partenariat avec Arleston il a tenté l’aventure solo chez Glénat où il a publié l’intéressant Ab Irato avant de continuer son émancipation des carcans de l’édition en auto-éditant pour les salons les trois tomes de sa série d’humour absurde Dead Charlie.

Thierry Labrosse, Dead Charlie - Péché Mignon - Œuvre originaleInspiré d’une tradition toute américaine dont le coquinou Frank Cho fut le parangon avec son Liberty Meadows, Labrosse met ainsi en scène un crane complètement barré (le fameux Charlie) qui cumule les catastrophes dans sa recherche d’amusement et de jolies filles, sous les regards mi-désabusés mi courroucés de sa femme, la sublime Baronne. Vous l’aurez compris, on nage bien en absurdie totale dans ces quelques pages NB qui font honneur au dessin et aux formes féminines dans des séquences en pleine page qui n’ont ni queue ni tête. L’auteur propose néanmoins dans ce troisième volume une simili histoire de confrontation spatiale « so-pulp » pour récupérer le chéri prisonnier d’amazones de Venus bien entendu d’une sexualité dévorante et extrêmement sexy.

Disponible en stock très limité, espérons que l’auteur propose prochainement des versions PDF pour permettre au plus grand nombre de profiter de son talent, en attendant, peut-être un nouveau projet BD un de ces quatre.

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Manga·Service Presse·Nouveau !·Rapidos·**

Gestalt #1/3

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Manga de Ringo Yoto
Ki-oon (2023) – (2021), 192p., nb & couleur.

image-5Merci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.

Un beau jour des chiffres géants apparaissent dans le ciel en proclamant la fin prochaine de l’humanité. Une entité supérieure aspire alors de jeunes gens des quatre coins de la planète qui apprennent qu’ils vont devoir « réinitialiser » l’humanité et former avec les autres espèces invitées sur cette Arche le futur de la Terre. Commence alors une cohabitation entre l’éradication et la survie…

Hiroya Oku est un des mangaka les plus en vogue depuis les années 2000 et la publication de sa série choc et populaire, Gantz. Comme souvent les jeunes mangaka ont tendance à s’inspirer des œuvres majeures pour percer dans un esprit plus fan qu’auteur, au risque de ne faire que répéter ce qui a bien marché précédemment. De Gantz, Hiroya Oku reprend le principe d’un groupe de jeunes gens dotés de pouvoirs ultra-technologiques frisant la magie, dont ils doivent se servir pour éliminer (de la façon la pus gore possible…) tout un tas de gens. Repris également, le style graphique, plutôt agréable mais très fortement doté d’effets numériques pour donner un aspect hyper-réaliste aux décors notamment.

Ne nous mentons pas, le rythme et le déroulé de l’intrigue fonctionnent plutôt bien si l’on accepte les clichés habituels des lycéens japonais (avec sa figure égoïste, sa file forte, ses petites culottes, fortes poitrines et travaux de groupe). En ce sens l’introduction de ce qui ressemble beaucoup à un reboot de Gantz fonctionne et vous permettra de passer un plutôt bon moment sur cette première création d’un auteur qui a démarré sur la plateforme Days Neo (qui sert de marché rapide aux journaux de prépublication). Avec une introduction très rapide qui ne perd pas de temps en palabres, nous suivons les deux personnages de lycéens caricaturaux mais faciles à appréhender et la présentation des codes de ce nouvel univers via un « concierge » androïde tout puissant, avant des séquences de meurtres pas si trash que l’on aurait pu l’attendre.

Plutôt joli bien qu’assez vide sur pas mal de cases, Gestalt est moyennement surprenant mais sans grosses fautes et doté d’une traduction qui facilite le plaisir littéraire. Terminé (semble t’il précocement) en trois tomes au Japon, cet itinéraire peut être la bonne nouvelle qui aura poussé l’auteur à assumer un rythme bref ou empêcher le titre de décoller en nous laissant dans l’attente. Nous verrons avec la suite qui peut se laisser tenter sans risque.

***·Comics·East & West·Nouveau !·Service Presse

Radiant Black #2

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Comic collectif.
Delcourt (2023), Ed US Image comics (2021), 176p., 2/3 tomes parus.

Attention spoilers!

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Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance!

Alors que Marshall déchaîne sa vengeance contre le Radiant rouge qui a envoyé son meilleur ami à l’hôpital, surgit un nouvel être surpuissant qui exigera une alliance imprévue entre les quatre couleurs qui viennent tout juste de réaliser qu’ils ne sont pas seuls. Un combat qui va leur révéler un danger cosmique face auquel leurs combinaisons semblent bien dérisoires…

Radiant Black #10 Blacklight Edition | Image ComicsBonne surprise qui a rafraichi l’an dernier le récit superhéroïque, Radiant Black continue à casser les codes et les attendus dans ce second tome assez perturbant dans son déroulement. L’habillage « power rangers » du projet avait tout du produit formaté mais le scénariste rompait immédiatement ce schéma en changeant très tôt de porteur du radiant en ouvrant la possibilité d’une série centrée sur un héros pluriel plutôt que sur  une équipe de héros. Cette suite va confirmer cela puisque hormis la très énergique et fun première partie centrée sur la baston planétaire des quatre « couleurs » contre leur adversaire, on va suivre la version Marshall du Radiant black en continuant à visiter la vie des millenials et des réseaux sociaux (notamment sur le récit secondaire dédié à Rose et bien moins réussi que celui de Rouge).

Alors que l’on s’attend à voir se construire l’équipe, les personnages sont en réalité éparpillés assez rapidement en nous laissant voir Marshall tenter de sauver son ami et nous révéler une guerre galactique qui semble liée au Radiant et à l’antagoniste que les amis sont parvenus temporairement à contrer. On passe donc d’un premier tome plutôt original et intelligent dans l’histoire d’un auteur en dépression de page blanche à tout autre chose. Dans une grande liberté vis à vis de leur lecteur, les auteurs expérimentent ainsi des idées graphiques plutôt gonflées lorsque le héros se retrouve dans le monde du Radiant afin de sauver l’âme de son ami. D’un tempérament très différent de Nathan, Marshall va devoir assumer les conséquences des distorsions de l’espace-temps que semblent créer ses pouvoirs. Le lecteur continue d’assister à tout cela avec un grand mystère mais bien accroché pour tenter de comprendre l’origine de tout cela.

Ainsi bien plus proche du travail d’un Mark Waid que d’un produit formaté disneyien, Radiant Black maintient son originalité en proposant quelque chose que l’on n’attend pas, dans un équilibre solide entre introspection relationnelle et baston cosmique.

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**·Manga·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Badducks #1

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badducks_1_ki-oonManga de Toryumon Takeda
Ki-oon (2023) – Futabasha (2021), env. 232p./volumes, 1/4 volumes.

bsic journalismMerci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.

Dans un monde gangréné par la mafia en cheville avec une classe politique corrompue, Morgane se retrouve un jour à devoir payer pour une dette contractée par ses parents. Devenu malgré lui donneur d’organes, le voilà bricolé avec des organes artificiels qui lui permettent de survivre avec pour seul horizon l’esclavage dans des fabriques souterraines… Pourtant lorsqu’une des dernières représentantes du Petit Peuple décide de s’évader il se découvre des capacités insoupçonnées. Le duo, bientôt accompagnée d’un bébé, va donner du fil à retordre aux limiers crapuleux lancés à leur poursuite…

Toujours à la recherche de la bonne trouvaille pour enrichir son petit mais qualitatif catalogue, les éditions Ki-oon semblent miser beaucoup sur ce premier manga de l’autrice Takeda Toryumon dont les quatre premiers tomes sont parus l’année dernière après diffusion des premiers chapitres en conventions. Il convient donc de traiter ce premier volume de Badducks pour la première publication qu’il est.

BADDUCKS (Manga) | AnimeClick.itReconnaissons d’abord l’envie de la mangaka et son application sur des dessins très correctes même s’ils n’atteignent pas la brillance de l’illustration de couverture colorisée. La principale qualité de Badducks repose sur les dialogues entre protagonistes qui tirent vers un esprit tragi-comique avec des faciès burlesques placés au sein de situations totalement sordide. Ainsi notre héros est abandonné par ses parents, enlevé à sa chérie pour se voir prélever ses organes destinés à alimenter le marché des classes aisées. Alors que les miséreux servent de banques d’organes et de main d’œuvre servile, les races anciennes (sans que l’on nous explique précisément dans quel type de monde on se situe) sont prostituées avec les tendons coupés pour éviter leur fuite… joyeux! Si l’ambiance (assez à la mode) rappelle celle mélancolique d’un Clevatess ou Frieren, les personnages ne sont malheureusement pas assez caractérisés pour nous donner envie de nous intéresser à leur sort. Le rythme plutôt tendu permet de ne pas trop s’ennuyer mais cela ne suffit pas à compenser sans doute un manque d’humour noir qui laisse l’humour un peu à plat.

Le gros soucis de ce premier tome c’est qu’en le refermant on n’a pas la moindre idée d’où on va puisque ce n’est ni l’action, ni l’humour, ni la violence qui portent réellement le récit. Au final un peu trop moyen pour vraiment emporter l’adhésion, Badducks nécessitera sans doute pour les plus motivés d’attendre le volume suivant (en juillet) avant de pouvoir déterminer si cette « cavale d’une décennie au ton inimitable » vaut vraiment la peine…

A noter que la série semble complète en quatre tomes puisque l’autrice annonce un nouveau manga à la rentrée, probab

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BD·Service Presse·Nouveau !·Rétro·***

Ab Irato

La BD!
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BD de Thierry Labrosse
Glénat (2023), 176p., intégrale des trois volumes.

image-5Merci aux éditions Glénat pour cette découverte.

En 2111 Montréal est sous les eaux, victime du réchauffement climatique. Dans cette société inégalitaire où les plus démunis survivent seulement, une caste a accès au vaccin Jouvex qui garantit une restructuration moléculaire permettant de vivre jusqu’à 200 ans… Arrivé de sa province, un jeune homme va se retrouvé plongé dans une révolution aux coulisses plus troubles qu’elles ne le semblent…

Ab Irato - BD, informations, cotesLe québecois Thierry Labrosse est dans le circuit BD depuis les années 2000 où il a été mis pied à l’étrier par l’inévitable Arleston en pleine heure de gloire de Lanfeust, sur la série Morea, dont il a dessiné les cinq premiers tomes. Avec son dessin très technique, ses design SF ambitieux et son amour des jolies filles, le monde de la BD voyait en lui la prochaine star du neuvième art. Sans doute lassé d’un univers arlestonien formaté et finalement assez prude, il a choisi de voler de ses propres ailes en lançant la trilogie Ab Irato (« sous le coup de la colère ») qui part sur de très bonnes bases avant de révéler les faiblesses de Labrosse notamment en matière de dialogue.

Sur le plan graphique rien à redire, vous allez passer de magnifiques moments SF avec de grandes batailles futuristes, assauts de forces spéciales contre résistants, décors post-apo fourmillants et combat de la nemesis qui n’ont rien à envier aux meilleurs manga. Car la série est articulée de manière un peu schizophrène entre deux personnages: le jeune et naïf Riel qui se trouve embarqué malgré lui dans un conflit politico-industriel majeur en cherchant à sauver sa dulcinée, et une mystérieuse jeune femme dotée de capacités martiales et psychokinétiques phénoménales. Les deux Splitter Verlag - Comics und Graphic Novels - Ab Iratointrigues avancent pour se rejoindre vaguement mais semblent juxtaposées tout le long sans que l’on sache trop pourquoi. Cela ne dérange pas tellement la lecture mais c’est assez frustrant car séparément ces deux intrigues sont très réussies.

Doté d’une galerie de personnages conséquente avec son grand méchant dirigeant la multinationale produisant le vaccin et corrupteur du beau monde politique, ses traitres et ses incorruptibles de la police, ses belles âmes dans un monde de brutes, on se plait à suivre cette révolution articulée autour d’une rébellion des bas quartiers pour l’obtention pour tous du précieux sérum. Pour revenir aux difficultés scénaristiques d’un auteur dont ce n’est pas le métier, outre des dialogues un peu faibles, on trouve certaines ellipses qui oublient de nous tisser des explications relationnelles entre certains personnages, ce qui ne luit pas à la compréhension d’une intrigue sommes toutes assez simple, mais Ab Irato Vol. 1 by Thierry Labrosse | Goodreadsperturbe un peu la fluidité du tout. Rien de grave mais une nouvelle illustration que scénariste est un métier et que la plupart des aventures solitaires de très bons dessinateurs oublient l’apport de leurs acolytes.

En digérant de très belles références classiques de la SF (l’être supra-naturel vengeur, la multinationale scientifique,  la guerre-civile dans un Etat aux mains de l’argent,…), Thierry Labrosse nous invite au final à une très sympathique aventure SF qui apporte un léger exotisme en se situant dans une Montréal aux sonorités francophones qui rappelle par moment le travail de Bilal sur l’époque Metal Hurlant. En s’associant à un scénariste (dialoguiste) il aurait pu ambitionner une grande série, qui trouve ses limites dans un manque de liant mais réussit parfaitement dans ses scènes d’action et de tension psychologique. A découvrir. Depuis Ab Irato conclue il y a déjà sept ans, Labrosse s’est lancé dans une série auto-éditée inspirée du strip américain comme la Liberty Meadows de Frank Cho. On a hâte de lire ça!

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****·Manga·Nouveau !·Service Presse

Abara (Perfect)

East and west

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Manga de Tsotomu Nihei
Glénat (2023), 412p. nb et couleur, édition intégrale.

L’édition comprend Abara en grand format, l’histoire courte Digimortal et une post-face de l’auteur.

image-5Merci aux éditions Glénat pour leur confiance.

Dans une cité tentaculaire surgissent les Gauna blancs, gigantesques créatures destructrices combattues par des êtres mystérieux équipés d’exosquelettes et de capacités martiales hors norme. Au sein de cet apocalypse, des hommes et des femmes tentent de comprendre d’où viennent ces monstruosités…

Tsutomu Nihei fait partie des références que l’on voit partout quand on commence à s’intéresser au manga. Tout le monde a eu sous les yeux des planches de son univers impressionnant, fortement inspiré par esthétique de H.R. Giger (le créateur d’Alien), mais beaucoup moins ont tenté l’expérience de lecture. Il faut dire que si le travail éditorial de Glénat sur la réedition en 2018 pour les vingt ans de son premier manga, le monument BLAME!, est de très belle facture, l’hermétisme absolu de cette œuvre en dissuade beaucoup. Après NOISE (prequelle ressortie et renommée BLAME 0 cette année), Abara est le troisième manga de l’auteur à paraître en édition Deluxe et sera suivi par la dernière œuvre de sa période « noire », Biomega, en trois volumes à partir de mai. C’est donc bien une « année Nihei » qui se profile comme les éditeurs aiment à en proposer pour notre plus grand plaisir de la redécouverte.

Capture d’écran du 2023-04-01 08-59-09Si Abara sort avant Biomega (chronologiquement plus ancien) c’est notamment parce qu’il s’inscrit dans une évolution de l’auteur vers des manga plus construits, moins conceptuels et plus accessibles, à mesure que son trait se simplifiera pour aller vers une esthétique éthérée à la Miyazaki (le manga Nausicaa) sur sa dernière série notamment. Je n’ai que parcouru Blame! (et visionné le plutôt bon film d’animation Netflix qui permet d’avoir une bonne idée de l’ambiance générale) mais Abara montre une prise de conscience partielle de l’auteur sur la nécessité d’expliciter (en somme de réaliser un scénario et non un simple concept graphique qu’est Blame!) et de créer des personnages comme focale de l’histoire. Il y réussit plutôt bien en proposant un incipit dès la double page couleur introductive qui contextualise l’histoire, avant de dérouler un schéma linéaire. En présentant l’apparition de la menace, puis le héros et les personnages secondaires on a une belle mise en place qui permet notamment d’admirer les très beaux visages (qui rappellent le travail récent de Shiro Kuroi sur Leviathan) de l’auteur. Pourtant très vite l’envie d’apocalypse graphique reprend le dessus et déstructure un récit où l’on perdra progressivement de vue le qui et le quoi pour se plonger avec délice dans des destructions monumentales. C’est un peu frustrant car on sent une base SF très intéressante avec des concepts mystérieux comme la Firme quaternaire, la Cage d’isolation ou le Bureau des affaires criminelles qui permet à un simple humain de nous identifier (un peu) au milieu des combats titanesques du héros… pour peu que c’en soit un.

Capture d’écran du 2023-04-01 08-59-50Nihei est le premier conscient de ses faiblesses de jeunesse puisqu’il confesse sa propre incompréhension à la lecture de certaines pages où il ne se souvient pas ce qu’il a voulu dire… Avec son format court et sa fin plutôt acceptable, Abara apparaît ainsi comme une consolidation des obsessions graphiques et thématiques de l’auteur qui progresse indéniablement depuis Blame! Les architectures sont moins démentes que précédemment mais plus construites, l’action est bien plus lisible, les personnages BEAUCOUP plus solidement dessinés, en évacuant les trames pour du dessin uniquement encré à l’européenne. Si Blame était un brouillon, Abara ressemble à un premier jet fascinant et graphiquement absolument brillant dans ses designs biomécaniques et ses idées SF. On a par moment le sentiment de lire une short-story du magazine Metal Hurlant en espérant aboutir ensuite à l’œuvre maitresse de Nihei… Auteur étonnant à la régularité remarquable, Tsutomu Nihei a alterné séries courtes  (Biomega et Aposimz, 6 tomes) et plus longues (Blame, 10 tomes, Knights of sidonia, 15 tomes) en allant vers du manga plus classique dans sa seconde période. Un univers unique pour lequel Abara me semble être une excellente porte d’entrée, en attendant la suite.

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**·Comics·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Not all robots

Comic de Mark Russel et Mike Dodato jr.
Delcourt (2023), 120 p. One-shot.

image-5Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

En 2056 toutes les taches contraignantes et productives sont effectuées par des robots. Les humains devenus oisifs se voient attribués un robot domestique dont ils dépendent. Dans cette société déséquilibrée organisée par les multinationales de la robotique, si la majorité s’accomode de cette situation, certains voient dans cette élimination productive des humains une dépendance trop dangereuse pour le genre humain…

Amazon.fr - Not All Robots (Volume 1) - Russell, Mark, Deodato Jr., Mike,  Loughridge, Lee - LivresEncore une dystopie robotique. En s’associant au vétéran Mike Deodato qu’on a vu plus élégant, l’auteur du récent Billion dollar island propose un pitch classique dont le ton surprend puisqu’il se veut résolument satirique. En suivant vaguement le destin d’une famille d’américains moyens passablement inquiète du comportement de son robot Russel juxtapose les scènes absurdes à la manière d’un Fabcaro ou d’un Emmanuel Reuzé. Et si l’idée marche dans un esprit Fluide Glacial, on sent très vite sur Not all robots les limites de l’exercice et le manque d’humour du scénariste qui accumule les commentaires appuyés sur ce mauvais plan. Le propos repose ainsi principalement sur les dialogues absurdes entre robots dont certains voudraient se passer du genre humain. Mais en oubliant qu’absurde ne veut pas dire incohérent, il fait de ses androïdes des êtres au comportement humain bien qu’ils aient l’apparence fruste de boites de conserve à la mode Star-wars. Alors qu’un Boichi excellait dans son hypothèse d’une IA cherchant à copier l’empathie humaine et, ici les dialogues sont illogiques et l’interaction robot-humains marche mal. L’intrigue aurait alors pu évoluer vers une guerre de résistance mais là encore bien peu d’action malheureusement très médiocrement portée par un style figé choisi par Deodato

Au final ce sont les deux post-faces des auteurs qui sont les plus intéressantes en nous expliquant pour le scénariste le sens de sa parabole faisant de ses robots des incarnation d’un comportement mâle dominateur dans un contexte #Meetoo (difficile de le comprendre en lisant l’album), pour le dessinateur le malaise de sentir qu’il n’était peut-être pas l’homme de la situation. Etonnante franchise avec laquelle on ne peut qu’être d’accord. Au final pour peu que vous accrochiez au style de dessin il est possible que l’idée vous amuse trente minutes, pour le reste on a là un album plutôt loupé.

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****·BD·Nouveau !

Renaissance #5: les hybrides

Série écrite par Fred Duval, dessinée par Emem, avec Fred Blanchard au design. Parution chez Dargaud le 16/09/2022.

Fermi bien vos gueules, les aliens !

Un jour, un gars très intelligent, Enrico Fermi, a levé la tête vers l’immensité du cosmos et s’est demandé: « pourquoi n’a-t-on encore jamais eu de contact avec une civilisation extraterrestre ? » Après tout, si l’on prend en compte le nombre incommensurable d’étoiles, qui sont autant de soleils susceptibles d’abriter la vie, comment se fait-il que nous n’ayons aucun contact avec d’autres espèces intelligentes ?

En résumant grossièrement, Fermi dégage plusieurs hypothèses, toutes aussi valables les unes que les autres: soit les humains sont la seule espèce intelligente de l’Univers, soit les distances séparant les étoiles sont infranchissables, soit nous n’intéressons pas les autres civilisations susceptibles de nous contacter (je passe sur la notion du Grand Filtre, qui n’a pas grand-chose à voir avec cet article).

Et bien figurez-vous que Fermi avait tort de se faire du mouron. Les extra-terrestres existent, et ils veulent du bien à l’Humanité. Débarqués sur Terre il y a maintenant vingt ans, les agents de la mission Renaissance ont extirpé notre espèce du marasme écologique dans lequel elle s’était embourbée. Cela ne se fit pas sans mal, évidemment, mais avec pas mal d’huile de coude, Swän, Sätie, Pablö et les autres sont parvenus à un résultat presque inespéré.

Aujourd’hui, il est temps pour l’Humanité de rejoindre le Complexe, la fédération intergalactique à l’origine de la mission Renaissance. Ainsi, un groupe de volontaires est missionné pour le premier saut interstellaire, mené par Pablö. Pendant ce temps, sur Terre, Swänn est aux prises avec les membres de Sui Juris, un groupuscule terroriste dont le but est de rendre aux humains l’autonomie qu’ils ont perdue à cause de Renaissance. Sätie, quant à elle, enquête sur une hybridation illégale entre extra-terrestres et humains.

La suite du second cycle de la série de Duval et Emem continue de frapper fort. Conjuguant multiples niveaux de lecture et mise en abîme des turpitudes humaines, les auteurs continuent de capitaliser sur un concept qui, sans être nécessairement inédit, reste novateur dans son approche et son traitement. Après un premier cycle mouvementé dans lequel l’enjeu premier était la survie de l’Humanité, les héros font désormais face à de tout autres périls, qui ne tarderont pas à se matérialiser, et qui sont d’ordre politique, éthique, voir existentiel.

Inutile d’en dire davantage, Renaissance prouve encore une fois que des bases solides donnent des séries qualitatives sur le long cours.

****·BD·Nouveau !·Service Presse

Arca

Histoire complète en 112 pages, écrite par Romain Benassaya, d’après son roman éponyme, et dessinée par Joan Urgell. Parution chez les Humanos, en partenariat avec les éditions Critic, le 25/01/23.

Merci aux Humanos pour leur confiance.

No way home

Comme certains le disent avec tant de tact, la Terre, tu l’aimes ou tu la quittes. Fatiguée par les ravages de l’anthropocène, la planète a fermement poussé les humains vers la sortie. En désespoir de cause, deux arches stellaires nommées ARCA I et III (ne me demandez pas où est passée la II) furent déployées, avec à l’intérieur de quoi assurer le renouveau du genre humain, sur une exoplanète baptisée la Griffe du Lion: des milliers de passagers en animation suspendue, du matériel, ainsi qu’une serre géante, gérée par des organismes issus de la bio-ingénierie, les Jardiniers, le tout pour un voyage de deux-cent ans.

A son réveil, Eric Rives comprend que quelque chose ne va pas. L’arche ne se trouve pas dans le bon système, ni à aucune cordonnée connue, d’ailleurs. Lorsque les survivants sortent du vaisseau pour explorer les alentours, ils constatent que l’arche est posée sur un sol inconnu, et qu’aucune étoile n’est visible dans le vide environnant. Tout porte à croire qu’ils sont piégés dans une structure gigantesque, dont il est impossible de définir les limites. Plus étrange encore, l’état de la serre et des Jardiniers laisse penser que l’arche est en perdition depuis bien plus que deux-cent ans…

Parmi les caractéristiques intrinsèques du genre SF, on trouve celle d’interroger le devenir du genre humain. La quête d’un nouveau foyer est donc une bonne opportunité pour explorer les limites de la résilience humaine, sa volonté de vivre et sa soif d’exploration. Ce thème offre également aux auteurs la chance de mener quelques expériences en psychologie sociale, et ainsi imaginer comment se les humains feraient société ailleurs que sur Terre, qui prendrait le leadership, comment le pouvoir serait redistribué avec des ressources limitées.

Un autre thème cher aux oeuvres de SF est le lien qui unit l’Homme à ses outils. Dans 2001 Odyssée de l’Espace, le récit nous montre l’ascension de l’Homme grâce au premier outil (l’arme en os), avant de confronter plus tard les explorateurs à un outil devenu conscient, HAL. On retrouve à peu de choses près la même dynamique dans Arca, avec les Jardiniers, conçus initialement comme de simples outils, qui évoluent et s’éveillent à la conscience.

En revanche, il y a aussi des écueils que l’on reproche à la SF, à savoir la minceur de ses personnages. Cela est généralement dû au décalage entre des enjeux grandioses, dépassant les intérêts individuels. Lorsqu’on parle d’immensité spatiale et d’avenir de l’Humanité, il est assez difficile pour l’auteur de se sentir concerné ou de se concentrer sur des destinées individuelles. Ici, pourtant, l’auteur prend garde d’incarner correctement ses personnages principaux, en tissant entre eux des liens fort qui évoluent au fil du récit et en fonction de leurs croyances propres. Entre survie élémentaire et nécessité de prendre des risques pour explorer, le scénariste place chacun de ses personnages en opposition les uns avec les autres au travers de ce thème, ce qui dynamise le récit et nous implique davantage.

L’histoire aurait pu basculer dans l’horreur cosmique chère à Lovecraft, mais la piste n’est que suggérée et jamais assumée pleinement, ce qui aurait pu donner une teinte intéressante à l’album.

Sur le plan graphique en revanche, le dessin réaliste de Joan Urgell est très travaillé, autant sur les décors que sur le design des créatures. On peut saluer l’usage des couleurs directes, qui est un choix toujours risqué à l’ère du tout-numérique.

Arca est donc une récit de SF classique mais très efficace, qui maintient le lecteur en haleine grâce au mystère qu’il entretient tout au long de son intrigue.