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Le Souffle du Wendigo

Récit complet en 48 pages, écrit par Mathieu Missoffe et dessiné par Charlie Adlard. Parution en 2020 aux éditions Soleil.

Wendigo, where did you com from, where did you go ?

En 1917, la guerre des tranchées a décimé les armées française et allemande dans des conditions qui dépassent l’entendement, et qui ont fait franchir au concept de guerre un point de non-retour.

Depuis maintenant 3 ans, le Sergent Chereau, Lubin et Clovis vivent terrés dans leurs tranchées, dans un quotidien rythmé par les massacres inutiles et les assauts mal planifiés. Au milieu de tout ce chaos, le commandement constate de nombreuses disparitions dans les rangs. Des sentinelles ne reviennent pas de leur ronde, ce qui laisse penser que le régiment subit des désertions à répétition.

Toutefois, un beau matin, après que deux nouvelles sentinelles se soient volatilisées, les allemands d’en face hissent le drapeau blanc. Eux aussi subissent des pertes inexpliquées. Il ne s’agit donc pas de simples désertions, quelqu’un s’en prend aux soldats des deux camps sur le champ de bataille. Une trêve est donc décidée, pour que six soldats, français et allemands investiguent et capturent le ou les coupables. Un septième soldat, améridien mystérieux, est également dépêché. Chereau, Lubin, Clovis, doivent donc collaborer avec Wolfe, Lucius, et Berger, pour suivre la traque de Wohati, qui semble en savoir bien plus qu’il n’y paraît sur la menace qui plane dans les tranchées.

Charlie Adlard, ce n’est pas que The Walking Dead. Le dessinateur britannique a déjà fait des incursions dans le marché français avec Vampire State Building, et on a pu le lire plus récemment sur des titres indé comme Damn Them All.

Mathieu Missoffe est quant à lui un scénariste qui s’est fait un nom à la télévision, notamment en écrivant des téléfilms et séries télévisées. Cet album est sa seule publication en bande dessinée. Alors, que vaut ce Souffle du Wendigo ?

Tout d’abord, parlons du pitch, qui invoque la figure mythologique et horrifique du Wendigo. On trouve généralement cette créature sur son territoire originel canadien, il est donc rafraîchissant de le propulser dans un cadre inhabituel tel que la guerre des tranchées. Le scénariste parvient, malgré la brièveté du format, à développer le lore mythologique autour de cette légende sans briser le rythme.

Le Wendigo étant le plus souvent une allégorie de la voracité et de l’égoïsme, on est en droit d’attendre un renforcement thématique ou en tous cas, un parallèle avec les horreurs de la guerre. On peut dire que c’est le cas, mais de manière plutôt superficielle, étant donné que l’histoire s’éloigne rapidement des fameuses tranchées. On regrette en revanche que les personnages manquent d’épaisseur et de caractérisation, ce qui entrave la montée progressive en tension au fur et à mesure que le casting succombe à la sauvagerie de la créature.

L’un des enjeux principaux de l’album était aussi de voir collaborer des soldats français et allemands contre un ennemi commun, mais on constate avec regret que le trio allemand collé au basque de notre trio français ne bénéficie d’aucun temps fort, ni d’aucune mise en lumière qui aurait permis d’illustrer le thème, rendant leur présence presque superflue.

Le Souffle du Wendigo portait en lui les ingrédients d’une bonne série B d’action à la façon d’un Overlord, aidé par un casting fourni et engageant. Malheureusement, l’album paie son format trop court, ce qui entrave la mise en place d’éléments qui auraient contré ces défauts. On met tout de même 3 Calvin, grâce à la partie graphique assurée avec brio par Charlie Adlard.

***·BD·Jeunesse·Rapidos·Service Presse

Seuls #14: les protecteurs

BD de Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann
Dupuis (2006-2024),  46p. couleur. 3 cycle parus

L’album s’ouvre sur un résumé des épisodes précédents en format BD raconté par Terry.

Merci aux éditions Rue de sèvres pour leur confiance.

On entame sans doute le dernier cycle avec ce quatorzième album si l’on en croit l’évolution du noir sur les couvertures des tomes de clôture précédents. Le rassemblement des enfants (qui n’en sont plus vraiment!) amène d’ailleurs en toute cohérence un regroupement des forces du bien contre la dictature de Neosalem. maintenant que beaucoup d’éléments ont été révélés sur l’univers et la physique des Limbes, on imagine que l’essentiel est en place pour nous amener progressivement vers une conclusion méritée.

Pour répondre à l’interrogation que je posais sur le précédent billet, le changement d’éditeur ne change en rien l’approche semi-jeunesse de la série, principalement représentée par l’aspect graphique et par le définitivement agaçant Terry, qui paraît décidément hors-sol par rapport aux autres protagonistes et à la densité générale de la saga. Les auteurs s’offrent d’ailleurs un intéressant mouvement de recul en prenant à parti leurs lecteurs qui ont bien grandi depuis dix-huit ans en leur jetant en ouverture le langage djeun’z des nouveaux arrivés dans les Limbes, qu’ils ne comprennent plus. Sympathique clin d’œil qui montre que Vehlmann et Gazzotti ont toujours à cœur de parler à leur public.

L’intrigue plus simple de cette reprise consiste en une chasse de nos amis par le terrifiant Toussaint envoyé derrière une nouveauté: une statue animée qui chasse sans répit sa cible. De quoi faire chauffer les méninges de Leila et Dodji pour trouver la parade à cette menace. Pour le reste on retrouve ce qui fait la force de Seuls: un mélange d’action jeunesse et de construction d’univers sophistiquée et originale. Malgré des pages essentiellement tournées vers l’action on continue d’en apprendre (plutôt en mode récap’) sur la finalité de cette lutte et de faire évoluer radicalement les groupes en présence pendant que Dodji et Camille cherchent toujours à comprendre leur rôle et leurs pouvoirs. Un remarquable équilibre qui est prolongé (très grande idée!!) par deux pages de descriptif des différents groupes rencontrés jusqu’à présent et d’une synthèse de l’Espace-temps des Limbes que nous raconte Yvan sur les notes du génie Anton. Aide salutaire tant la quantité d’informations lâchées par bribes méritent ce moment de pause pour être rassemblées.

Toujours remarquable par son équilibre et par son déroulement sans véritable fausses notes, Seuls maintient nos habitudes tranquilles et une qualité rare.


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Romula et Réma #1: La Fin d’un monde

Première partie du diptyque écrit par Yves Sente et dessiné par Jorge Miguel. 84 pages, parution chez Rue de Sèvres le 19/04/2023.

Merci aux éditions Rue de sèvres pour leur confiance.

Rome ne s’est pas faite en un jour

Omula vient d’apprendre une bonne nouvelle: elle va enfin pouvoir se soustraire à l’ennui mortel de l’école pour s’embarquer dans une aventure inédite avec ses parents, une aventure qui pourrait bien assurer l’avenir des siens et des générations futures.

La jeune fille brillante va en effet participer à une mission spatiale d’importance capitale, une mission dont le but est de trouver un nouveau foyer pour l’Homme, encore un. Cette fois, il s’agira même de retourner vers le berceau de l’Humanité, la planète autrefois connue sous le nom d’Ertha, évacuée il y a quatre milliards d’années lors d’un grand cataclysme.

Alors que leur vaisseau fait route vers Ertha, les colons sont loin de se douter de ce qui les attend là-bas, car à l’insu de tous, la vie à repris ses droits sur la planète, aujourd’hui appelée Terre, qui est de nouveau florissante et peuplée par de nouveaux locataires humains.

Jusqu’ici, on connaissait Jorge Miguel pour des œuvres de SF comme Sapiens Imperium ou les Décastés d’Orion, ce qui permet au lecteur d’étiqueter aisément ce nouvel album. Le lecteur devra néanmoins se détromper, car Omula et Rema n’est pas une simple oeuvre de SF, mais mêle habilement deux genres diamétralement opposés en incluant le péplum dans sa narration.

Durant une majeure partie de l’album, l’auteur développe deux intrigues parallèles, qui ne se croiseront que dans le dernier tiers, laissant présager des aventures épiques, basées sur les quiproquos et les grandes révélations dont sont faits les mythes grecs et romains.

Scénariste expérimenté, Yves Sente développe ici des concepts certes capillotractés et scientifiquement hasardeux, mais néanmoins fascinants d’un point de vue science-fictionnel. En effet, il extrapole la théorie (invérifiée) des Grands Précurseurs, qui suppute que la Terre aurait été autrefois habitée par une civilisation qui se serait éteinte à un stade de développement supérieur au nôtre, et dont il ne subsisterait aucune trace archéologique, car trop éloignée dans le temps. Il mêle ensuite cette théorie à celle de l’Évolution convergente, qui veut que la vie, si elle est soumise aux mêmes conditions et aux mêmes contraintes évolutives, s’oriente toujours vers le même résultat, la même forme. C’est ce qui explique, selon l’auteur, que des humains soient réapparus sur Terre plus de quatre milliards d’années (ces données aparaissent hasardeuse puisqu’on estime justement la formation de la planète à 4 milliards d’année) après l’extinction de leurs précurseurs humains, si tant est qu’il considère que la vie a repris de zéro après le grand cataclysme d’Ertha.

Si l’on suit ce paradigme, on peut aussi être surpris qu’après 4 milliards d’années, les humains précurseurs n’en soient qu’à une civilisation de type 1 sur l’échelle de Kardashev, sans parler du fait qu’ils n’ont pas changé d’aspect en autant de temps d’évolution, ce qui ne peut signifier que deux choses: soit l’auteur considère que la forme biologique d’Homo Sapiens est le pinacle de l’évolution et qu’elle n’a donc pas besoin d’évoluer, soit que l’environnement de la planète d’accueil des humains précurseurs n’a pas changé en 4 milliards d’années, ce qui sur le plan géologique et météorologique, est assez peu probable pour une planète située dans la zone habitable de son système solaire.

Cependant, il n’y a pas que les concepts de SF qui font l’intérêt de l’album. La partie se déroulant dans notre antiquité est également fascinante, puisqu’elle puise dans les mythes fondateurs et les archétypes narratifs primordiaux, comme le prince jaloux qui devient usurpateur, et qui endosse donc le fameux rôle de l’Oncle Maléfique (Claudius dans Hamlet, Richard III, Scar dans le Roi Lion, etc).

Tous ces éléments, combinés au style graphique réaliste et recherché de Jorge Miguel, font de ce premier tome de Omula et Rema une réussite.

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Lore Olympus #4

Quatrième volume de 360 pages du webtoon écrit et dessiné par Rachel Smythe. Parution physique en France assurée par Hugo BD, sortie le 07/06/23.

Critique du tome 1.

Critique du tome 2.

Critique du tome 3.

Merci aux éditions HugoBD pour leur confiance.

Meilleur webcomic 2023.

Amour, Gloire et Mytho

Depuis qu’elle a croisé la route de Hadès, rien ne va plus dans la vie de Perséphone. Jeune déesse de seulement 19 ans, elle a noué une relation complexe avec le Roi des Enfers, ce qui n’a pas manqué de déchaîner les passions olympiennes et les rumeurs les plus acerbes.

En effet, une liaison entre une déesse promise à la virginité éternelle et le sulfureux patron du royaume des morts défie une certain nombre de convenances, contre lesquelles nos deux tourtereaux ne peuvent pas lutter. Et c’est sans compter sur les nombreux obstacles personnels qui se dressent également entre eux.

Le premier, est la relation déjà existante entre Hadès et la nymphe Menthé, une relation tout à fait toxique dans laquelle le roi des Enfers ne trouve aucune satisfaction, en tous cas aucune qui vienne compenser les abus et les manipulations de la nymphe vénale, qui s’accroche à lui telle une sangsue émotionnelle. Un autre obstacle, et sans doute le plus dur à surmonter, est le rapport sexuel abusif (autrement dit un viol) subi par Perséphone aux mains d’Apollon, qui annihile sa virginité et la rend donc inéligible au groupe très fermé des Déesses de la Virginité Eternelle (DDLVE), pour lequel elle a pourtant été adoubée et financée, et qui de surcroit, l’a traumatisée physiquement et émotionnellement.

En plus de tout ça, Perséphone doit gérer sa réputation, les craintes de sa mère, les assauts insistants d’Apollon, qui comme tout bon mâle alpha qui se respecte, se croit irésistible et ne peut concevoir qu’une jeune déesse comme elle puisse le rejeter. Hadès, quant à lui, doit faire face au jugement non-constructif de ses frères Zeus et Poséidon. Perséphone et Hadès parviendront-ils enfin à s’avouer leurs sentiments ?

Suite mais pas fin du marathon avec Lore Olympus, phénomène de la platerforme Webtoon. Après trois tomes de circonvolutions, Perséphone et Hadès s’avouent enfin leurs sentiments, tout en prenant acte de tout ce qui est suseptible de les séparer. Les forces antagonistes s’intentisfient encore dans ce tome, qui contient, bien heureusement, des avancées notables de l’intrigue amoureuse.

Cependant, on peut être surpris par l’aspect a priori superfétatoire de certaines intrigues secondaires, comme par exemple le faux-retour d’Arès ou les conflits entre Zeus et Héra, qui sont cités en quatrième de couverture mais qui finalement ne remuent pas l’intrigue de façon significative.

En revanche, on ressent une satisfaction certaine lors de la confrontation entre Apollon et Perséphone, dans laquelle la jeune déesse ose enfin se dresser contre son oppresseur en lui renvoyant une vérité qu’il n’est pas prêt à entendre.

Graphiquement, il est toujours délicat d’évaluer la transcription papier d’un format tel que le webtoon, mais pour l’instant, le travail de l’éditeur rend plutôt justice au travail de Rachel Smythe.

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Lore Olympus #3

Troisième volume issu de la retranscription sous format papier du webtoon créé par Rachel Smythe. Parution en France chez Hugo BD le 03/11/2022.

Merci aux éditions Hugo BD pour leur confiance.

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Si vous lisez Lore Olympus, alors vous connaissez la vérité: Non, Perséphone n’a pas été enlevée par Hadès aux Enfers ! Il s’agissait en fait d’une méprise, issue des machinations perfides d’Aphrodite. La jeune déesse débutante est tombée amoureuse du dieu des Enfers, et ce dernier, homme d’affaire introverti plutôt que cruel tyran, aimerait bien réciproquer cet amour mais se trouve coincé par les convenances olympiennes, et par sa relation toxique avec une autre nymphe.

Voilà le pitch de Lore Olympus, phénomène de la plateforme webtoon désormais édité en format papier. Après deux tomes passés à jouer au chat et à la souris, Hadès et Perséphone ont enfin l’opportunité de se retrouver, mais bien évidemment, un tel amour se doit, pour exister et trouver grâce aux yeux des lecteurs, de surmonter de grands obstacles.

Le premier d’entre eux, et pas des moindres, est la différence d’âge entre le roi des Enfers et la jeune déesse du Printemps. Bien qu’immortelle, Perséphone n’est encore âgée que de 19 ans, ce qui rendrait une liaison avec Hadès, qui a soufflé ses 2000 bougies, moralement répréhensible (vous connaissez l’équation « divisé par deux + 7 » ?). En second lieu, la disponibilité d’Hadès, qui subit depuis pas mal de temps une liaison peu épanouissante, voire carrément toxique, avec la nymphe Menthé, qui se sert de lui comme d’une éponge émotionnelle. Vampirisé par Menthé, Hadès nourrit donc des doutes, et a fait le choix, dans le volume 2, de garder ses distances avec Perséphone, ce qui a permis à la nymphe toxique d’officialiser sa liaison.

Heureusement, Perspéhone a obtenu un stage chez Enfers et Cie, ce qui lui permet de rester dans l’entourage d’Hadès. Menthé, évidemment, ne voit pas cette incursion d’un bon œil, et va faire tout ce qui est en son pouvoir pour garder la mainmise sur le roi des Enfers. Perséphone et Hadès doivent aussi gérer les répercussions des révélations faites par la presse à scandales olympienne, qui a publié des clichés des deux comparses.

De son côté, Perséphone est pressée, voire étouffée, par les exigences de sa mère Déméter, qui tente de garder le contrôle sur elle par peur de ce qui pourrait lui arriver. Ce que Déméter ignore, c’est que le pire est déjà arrivé, car Apollon, s’est déjà sexuellement imposé à Perséphone, qui ne sait que faire de ce secret qu’elle trouve honteux.

Comme nous l’avions vu précédemment, Lore Olympus entraine ses lecteurs dans un marathon visant à déployer sa romance entre Perséphone et Hadès, mais un lecteur/lectrice qui serait né(e) avant 2000 pourrait commencer à trouver cela lassant, au bout des 600+ pages que compte à ce jour la version papier.

Comme évoqué plus haut, l’histoire d’amour contrarié entre les deutéragonistes se doit d’affronter des complications pour trouver valeur à nos yeux, mais on ne peut pas se départir tout à fait de la sensation de patinage de l’intrigue. On ne fait pas du sur-place non plus, puisque ce volume 3 comprend quelques révélations et avancées significatives, dont on attend les répercussions dans le quatrième volume.

S’agissant des archétypes que l’on évoquait dans la chronique du premier volume, on les retrouve là-encore, avec une jeune femme idéalisée, confrontée à l’aliénation d’une société qui ne souhaite que la contrôler, et dont le but sera de prendre en main son destin et conquérir le bellâtre. Côté masculin, on note également la présence des archétypes, avec l’homme de pouvoir (donc attrayant), beau et mystérieux, introverti et tourmenté, et qui va, grâce à l’intervention de la Fille dans sa vie, réaliser qu’il doit se débarrasser de ses entraves et vivre sa vie pleinement.

Là où LO frappe fort sur ce tome 3, c’es sur son traitement de la thématique du viol et du rapport masculin à la notion de consentement. Il ne semble pas anodin que ce soit Apollon, dans cette version, qui prenne de force la virginité de Perséphone: un homme superficiel, fourbe, égocentré, qui ne prend en compte que la satisfaction immédiate de ses désirs, et qui n’est pas accoutumé à la négative lorsqu’il en formule un. De façon assez ironique, mais finalement assez logique, c’est Eros, un autre homme, dont on comprend que son caractère a été façonné par sa mère Aphrodite, plus ouvert et en phase avec ses émotions, plus détâché du cliché de la virilité et de la toxicité qu’elle peut contenir, qui la comprend et la console.

Conclusion: Malgré quelques longueurs dues au format, Lore Olympus continue d’explorer des problématiques de société, sous un enrobage pop et mythologique.

***·East & West·Numérique·Service Presse

Lore Olympus #2

Deuxième volume de 375 pages, issu du webtoon de Rachel Smythe. Parution en France chez Hugo BD le 07/07/2022.

Merci aux éditions Hugo BD pour leur confiance.

Amour, Gloire & Persé

Lore Olympus, c’est le webcomic phénomène de Rachel Smythe, dans lequel elle modernise le mythe de l’enlèvement de Perséphone. L’adaptation est plutôt libre, car on se rend vite compte que l’autrice s’éloigne franchement du mythe classique pour emprunter sa propre voie.

Initialement, Perséphone est enlevée par Hadès, au grand dam de sa mère Déméter, qui, pour contraindre Zeus à prendre parti contre son frère, provoque famine et calamités, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé entre Zeus, Déméter et Hadès: Déméter pourra retrouver sa fille six mois par an, qui correspondent au printemps et à l’été, avant de retourner auprès de son époux, provoquant ainsi l’automne puis l’hiver.

On peut donc dire que le mythe initial évoque la séparation, la puissance de l’amour maternel, mais également l’aliénation qui frappe les jeunes femmes, qui une fois devenues nubiles, perdent la maîtrise de leur destin. Dans Lore Olympus, en revanche, le focus est mis sur l’histoire d’amour naissante entre Perséphone et Hadès (selon des archétypes que nous avons étudié dans l’article consacré au précédent volume). Le roi des Enfers y est dépeint comme un pdg introverti, aisément manipulable mais bien intentionné, qui a du mal à se remettre d’une relation toxique, tandis que Perséphone est une jeune adulte écrasée par le poids de l’amour maternel et luttant pour se soustraire à la convoitise des autres dieux olympiens.

Notons également que l’autrice a du s’éloigner sensiblement des mythes originaux, afin d’éviter de dépeindre des relations incestueuses (Perséphone étant le fille de Zeus dans le mythe, cela fait d’elle la nièce d’Hades, pas étonnant que ce point ait été écarté, n’en déplaise aux amateurs).

On retrouve donc des thématiques actuelles dans un enrobage mythologique, calibré pour un public jeune. Harcèlement moral, sexuel, slut-shaming, le package y est, le tout bien exacerbé par l’angoisse existentielle propre aux millenials.

L’exemple le plus frappant est la romance destructrice entre Hades et Menthé, où l’on s’aperçoit que Menthé, qui se montre pourtant odieuse, manipulatrice et maltraitante avec Hades, est en fin de compte tout aussi dépendante émotionnellement, et criblée d’insécurités.

Sur un plan plus large, on appréciera l’élargissement du casting avec l’ajout de quelques personnages secondaires sympathiques, qui viennent quelque peu rééquilibrer la balance. Je pense notamment à Hécate, confidente fiable et collaboratrice d’Hadès, qui vient contrebalancer les fourberies d’Aphrodite et les frasques méprisables d’Appolon.

La série s’installe donc sur la longueur pour devenir un soap, qui compte à ce jour pas moins de 231 épisodes, ce qui promet encore quelques gros pavés de romance mythologique à la sauce millenial.

**·Manga·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Valhallian, the Black iron #1

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Manga de Toshimitsu Matsubara

Ki-oon (2023), 224p./volume, 1/6 volumes parus.

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Merci aux éditions Ki-oon pour leur confiance!

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Au XIII° siècle le Japon échappe à une invasion mongole grâce à la bravoure du samouraï Tetsujiro du clan Soma. Pourtant le Shogun renâcle à dédommager les défenseurs dont les terres ont été victimes de pillages. Alors qu’il tente de subvenir aux besoins de son fils et de l’élever dans l’honneur du Bushido, Tetsujiro se retrouve soudain transporté dans un monde étrange où des colosses romains semblent bien décidés à lui faire la peau…

Après 23 tomes d’une série très bien cotée, Toshimitsu Matsubara a commencé récemment cette nouvelle série dont le premier tome a le mérite d’aller droit au but: sous couvert d’une ambiance de manga de Samouraï il s’agit bien de proposer un univers magique de combats fantasmés entre tout type de combattant que l’on désire voir se rencontrer, à la façon d’un jeu vidéo de baston. En envoyant (sans trop d’explication) un samouraï au Valhalla on va pouvoir castagner entre légionnaires romains, monstres mythologiques et je ne sais quels autres combattants de toute époque possible. L’artifice est malin… mais la réalisation un peu brouillonne à force de vouloir mettre tout et n’importe quoi dans ce tome introductif.

VALHALLIAN THE BLACK IRON : un samourai au Valhalla ! - GaakComme à leur habitude les éditions Ki-oon ont mis le paquet sur une licence en laquelle elles croient, avec un kit presse tout à fait impressionnant. Une maison qui a habituellement du flaire pour dénicher bon nombre de pépites et qui me semble pour le coup s’être aventurée sur un terrain hasardeux tant cette ouverture fait patchwork sans bien savoir à quoi on a affaire. Débutant sous une trame historique classique le manga prend rapidement des allures de Dark fantasy (avec son lot de sang, de déformations et d’un soupçon de fesses) où contrairement à l’autre série chroniquée en début de semaine l’équilibre entre développement d’univers et baston n’est pas très bon. Avec un style graphique solide qui rappelle Kakizaki, l’auteur envoie son héros affronter tout un tas de créatures et personnages sans prendre le temps de la lisibilité. On en ressort un peu frustré et à moins que les planches ne vous accrochent, un peu fatigué par cette ouverture qui ne donne pas suffisamment de raison de poursuivre. Une assez franche déception.

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****·BD·Guide de lecture·Jeunesse

Seuls – Cycle 3

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couv_459301BD de Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann
Dupuis (2006-),  208 p. couleur. 3 cycle parus

Le très gros coup éditorial réalisé par les éditions Rue de Sèvres qui viennent d’annoncer le transfert de la série Seuls (plus grosse série jeunesse en cours) après avoir récupéré le Label 619 (publications phases en young adult) est l’occasion de notre billet traditionnel sur l’intégrale du dernier cycle paru chez Dupuis fin 2022.

Alors que la série Les 5 Terres a un peu accaparé les attentions depuis quelques temps on en oublierait presque combien Seuls est peut-être la série majeure et une des plus ambitieuses dans sa construction depuis bientôt vingt ans. Maintenant bien avancés dans l’intrigue et l’évolution de sa thématique en abandonnant le thriller horrifique du premier cycle, les auteurs assument de bâtir une série très grand public dont le style graphique continue à paraitre une incongruité dans un registre que les japonais intituleraient « seinen ».

Vehlmann et Gazzotti ont prix un gros risque dans la structure de ce cycle en choisissant de séparer les enfants dont le groupe formait le ciment de l’intrigue. Ce faisant ils permettent à chacun des quatre tomes de garder une unité dans une action simple qui retrouve les schémas d’épouvante du premier cycle. La conséquence est de ralentir l’intrigue générale en hachant la progression de quelques pages au sein des quatre trames. Pour autant notre connaissance du monde des Limbes avance énormément avec des hypothèses scientifiques sur le Temps et le Big Bang par les recherches d’Anton mais aussi sur les liens entre Paradis, Limbes et Enfer. A la sortie de ce cycle l’affrontement semble plus proche que jamais entre les évadés de la huitième famille guidés par les héros désormais dotés de grands pouvoirs et l’enjeu final qui commence à poindre: éviter la guerre des limbes bien sur, mais aussi pourquoi pas la résurrection ou du moins la communication entre les réalités.

L’immense qualité de cette série reste la richesse de la mythologie originale créée par les auteurs et dont le risque principal est bien de se perdre dans trop de cycles. Vue la quantité d’information, la cohérence de l’ensemble et le nombre de personnages il y a largement la matière pour encore de longues années en compagnie de Dodji et sa bande. En forme de cycle préparatoire, ce troisième arrive donc bien à compenser une petite baisse de rythme (et d’interactions) tout en garantissant de très belles scènes fantastiques, de l’action qui n’a rien à envier aux grandes séries adultes et un cadre mythologique toujours aussi passionnant. On se retrouve donc dans quelques mois chez le nouvel éditeur pour un quatorzième tome en se demandant si le mercato sera aussi l’occasion d’une évolution plus adulte d’une saga déjà bien mature.


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***·Comics·East & West·Nouveau !

Les Éternels #2: Gloire à Thanos

Deuxième volume de la série écrite par Kieron Gillen et dessinée par Esad Ribic, avec Guiu Vilanova en renfort. Parution chez Panini Comics le 14/09/2022.

Votez Thanos !

Suite et fin du diptyque de Gillen sur les Éternels. Après la résurgence de la dernière armée des Célestes, les Éternels ont appris que leur dogme était une mascarade. Leur rôle grandiose de protection de la Vie sur Terre n’était qu’un mensonge concocté à la fois par les dieux géants de l’espace et par leurs patriarches. A la suite de cette révélation, l’ensemble des Éternels perdait la raison avant de se donner la mort en masse.

Cependant, le suicide est un geste bien futile pour un être qui n’est pas fait pour mourir. En effet, il s’avère que tous les Éternels sont liés à la Machine, un système de défense personnifiant la planète Terre, qui les ressuscite automatiquement dès que leur corps est détruit, en téléchargeant une sauvegarde de leur esprit (un procédé qui rappelle celui des mutants de Krakoa). Tous les Éternels se sont donc réveillés comme un lendemain de cuite, certains gérant la nouvelle mieux que d’autres.

Toutefois, nos héros immortels n’ont pas eu le temps de s’appesantir sur leurs tourments philosophiques: des défaillances de la Machine et un mystérieux tueur d’Éternels ont quelque peu mis à mal les fondements de leur société, forçant Ikaris et Sprite à mener l’enquête. Le danger qu’ils ont découvert n’est pas des moindre, puisque le seul être capable de tuer des homo immortalis n’est autre que le terrifiant Thanos.

Thanos est un être hybride, un Éternel de Titan engendré naturellement par ses parents et pas directement par les Célestes, qui possède un gène Déviant, ennemis naturels des Éternels, ce qui le rend extrêmement dangereux. Thanos a pour but, après sa ruine dans les Gardiens de la Galaxie, de se rattacher à la Machine afin de pouvoir ressusciter dans un corps neuf, et ce, à l’envi bien évidemment, comme si être un monstre génocidaire invincible ne suffisait pas.

Mais affronter Thanos n’est pas le plus grand défi auquel ils aient à faire face. A la fin du premier volume, les Éternels apprennent une autre vérité dévastatrice: chacune de leur résurrection a un prix, celui d’une vie humaine. Ceux qu’ils ont tenté de protéger durant un million d’années ont donc fait directement les frais de leur inconséquence, eux qui se battaient sans se soucier de leur vie puisqu’ils avaient la garantie de revenir grâce à la Machine.

Bien sûr, Thanos n’aura pas ce genre de considération, et il est même prêt à détruire la Terre pour obtenir son nouveau corps.

Kieron Gillen poursuit son soft reboot de la franchise des Éternels, préparant ainsi l’évènement AXE, pas encore paru en France. L’auteur a repris des éléments issus des précédentes séries (notamment celle de Neil Gaiman et celle des Frères Knauf) en y implémentant ses propres concepts, ce qui donne une histoire intéressante, moins grandiloquente que ce que Kirby imaginait initialement mais plus en phase avec l’univers Marvel actuel. L’auteur n’a pas hésité à remettre en question les fondamentaux de ses personnages, créant ainsi une dynamique novatrice. En revanche, sa série se termine sur un cliffhanger mais sans réelle réponse apportée au problème posé par les résurrections.

On constate par ailleurs que l’auteur répond à un cahier des charges éditorial, certains des personnages continuant de subir des changements qui les alignent avec leurs homologues cinématographiques. Ce n’est pas gênant en soi, mais prouve bien que Marvel a toujours en tête de récupérer des lecteurs grâce à ses films, sans nécessairement se soucier de la continuité chère aux lecteurs de longue date.

Néanmoins, pas de quoi bouder son plaisir, ne serait-ce qu’en vertu de la présence d’Esad Ribic, qui continue de proposer des planches magnifiques avec son style pictural bien connu. L’intérim assuré par Guiu Vilanova fait un peu l’effet d’une douche froide pour les fans de Ribic, mais ne gâche pas l’album pour autant.

***·Comics·East & West·Littérature·Nouveau !

Grendel, Kentucky

Histoire complète en 102 pages, parue le 09/02/2022 chez Delcourt. Jeff McComsey au scénario, Tommy Lee Edwards au dessin.

T’as une drôle de mine, Grendel

Le Kentucky, ses montagnes, ses rednecks, ses mines de charbons… et ses monstres. Durant des décennies, la petite ville de Grendel a fait vivre ses habitants grâce à l’exploitation de sa mine de charbon. Dès qu’un garçon était en âge de tenir une pelle, il allait aussitôt prendre la relève de ses aînés dans les étroits boyaux de la mine, et ce durant des générations, jusqu’à ce qu’un jour, un glissement de terrain mette un terme à cette tradition.

En plus des dizaines de morts, Grendel a alors du faire face à la paupérisation. Mais le désarroi n’a pas duré très longtemps, car peu de temps après cette catastrophe, les terres du patelin sont soudainement devenues fertiles, permettant le développement des cultures et offrant ainsi une porte de sortie aux habitants. Certains s’en sont même donné à cœur joie en se lançant dans la production d’herbe, et pas n’importe laquelle: la meilleure weed du pays, excusez du peu.

Marnie, elle, se tient aussi loin que possible de tout ça. La jeune femme s’est imposée un exil il y a de ça bien des années, et dirige un gang de farouches motardes qui ne laisse pas marcher sur les pieds, c’est le moins qu’on puisse dire. En revanche, le code moral strict de Marnie l’empêche de tremper dans certains types de business, même si elle n’est pas la dernière lorsqu’il s’agit de coller des trempes dans un bar. Marnie est d’ailleurs en plein règlement de compte entre deux bières lorsque son frère Denny vient la voir pour lui annoncer le décès de leur père. Marnie n’a alors pas d’autre choix que de revenir dans sa ville d’origine pour affronter son deuil, mais pas seulement: contrairement à ce qu’affirme la police locale, ce n’est pas un ours qui a démembré son paternel, mais quelque chose de bien plus sinistre, quelque chose qui pourrait être liée à la prospérité de Grendel.

Sons of Nanarchy

Plus tôt cette année, nous avions chroniqué Redfork, dans lequel le thème du fils prodigue était déjà traité sur font de menace horrifique planquée dans une mine. La métaphore du danger enraciné dans les ressources fossiles est de nouveau de mise, avec cette fois une pointe de mythologie glissée par l’auteur.

En effet, pour les connaisseurs, Grendel est bel et bien le monstre affronté par Beowulf, l’un des plus anciens héros de la littérature anglo-saxonne. Ici, c’est Marnie qui endosse le rôle du héros chasseur de monstre, le reste de l’intrigue adoptant la structure classique du poème, avec un premier round contre Grendel, etc. Là où des récits comme Redfork ou Immonde! utilisaient l’épouvante comme cadre pour un sous-texte social, Grendel assume totalement son côté Grindhouse et se concentre sur l’action, la psychologie et les relations entre les personnages étant un peu plus secondaires.

Le trait épais et l’encrage gras de Tommy Lee Edwards apportent beaucoup au scénario, offrant une ambiance pesante, qui s’accentue lors des scènes de chasse au monstre, bien gores comme il faut. Pour le reste, le lecteur restera un peu sur sa faim s’agissant du fameux pacte faustien entre les habitants et le monstre, le tout demeurant très tacite et jamais vraiment approfondi, surtout lorsqu’on constate que la créature ne montre aucun signe d’intelligence quel qu’il soit et semble avant tout mu par l’instinct, on se demande donc bien par quel moyen elle assurait la fertilité des sols (je mise un sou sur une histoire d’engrais naturel, mais allez savoir !)