***·Comics·East & West·Rapidos

DIE #2: Scission

Second tome de la série écrite par Kieron Gillen et dessinée par Stéphanie Hans. Parution chez Panini Comics le 12/11/2020.

Pourtant quelqu’un m’a DIE

Alors qu’ils étaient adolescents, Ash, Angela, Isabelle, Matt, Chuck et Solomon se sont retrouvés littéralement piégés dans une partie de jeu de rôle initiée par Solomon, et ont disparu durant deux ans dans le monde d’Aléa dans la peau de leurs personnages respectifs.

Ash est la Dictatrice, capable de manipuler les émotions des gens, Angela est une Néo, hybride entre humain et machine, Chuck est le Fou qui mise tout sur sa chance et sa stupidité, Matt est le chevalier triste et Isabelle la dresseuse de dieux, tandis que Sol était le maître de jeu, chargé de les guider à travers la partie. Juste avant de disparaître, chacun d’eux reçut un dé (DIE en anglais) spécifique symbolisant son rôle dans la partie.

Deux ans après, le groupe ressurgit dans notre monde, sans Solomon. Mais le jeu n’en a pas fini avec eux et les rappelle vingt-cinq ans après. Nos héros pourront-ils terminer cette partie-là ?

Après un premier tome réussi, Kieron Gillen et Stéphanie Hans poursuivent l’exploration du monde pas-si imaginaire dans lequel sont piégés leurs héros. Une fois les enjeux installés, Gillen embraye et passe la vitesse supérieure au niveau du rythme, abreuvant le lecteur de nouvelles informations sur ce monde complexe. Les coups de théâtre et les révélations ne sont pas en reste non plus, ce qui a de quoi tenir en haleine sur le fond et la forme. Grâce à ça, l’ensemble du casting gagne en profondeur, ce qui est un avantage certain pour la seconde moitié de l’histoire à venir.

L’auteur n’en oublie pas non plus d’exploiter son concept, à savoir le parallèle avec les jeux de rôle, et injecte des références autant dans la mise en scène que dans la structure même du récit et de ses ramification

On en vient même à se sentir un peu bête lorsque l’auteur nous fait comprendre qu’il s’est inspiré directement de travaux méconnus de Charlotte Brontë, ce qui oriente visiblement l’intrigue du côté méta littéraire et vous contraindra à faire une petite recherche google, pour être sûr. Pour ceux qui ont sombré dans l’érudition littéraire de l’auteur sur Once and Future ce ne sera pas une surprise…

La mayonnaise prend donc avec ce second tome, ce qui confirme les 3 Calvin !

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Die #1 : Mortelle fantasy

Premier volume de 134 pages, de la série écrite par Kieron Gillen et dessinée par Stéphanie Hans. Parution en France chez Panini Comics le 02/09/2020.

Alea Jumanji Est

Pour fêter ses 16 ans, Ash aurait pu choisir la voie classique et se soûler à grands renforts de bière avec des copains. Mais, étant un adepte des jeux de rôle, il se laisse embarquer par son meilleur ami Solomon dans un jeu de sa création, intitulé Die.

Accompagné de sa sœur Angela, de ses amis Matt, Chuck et Isabelle, Ash débute la partie, dirigée par Sol. Comme le veut la coutume, chacun d’entre eux crée son personnage, et reçoit en contrepartie un dé unique à utiliser durant la partie.

Seulement voilà, Die n’est pas un jeu ordinaire. À peine la partie lancée, le groupe d’adolescents est aspiré à l’intérieur du D20 de Sol et se réveille en plein jeu, transformés en leurs personnages. Pour en sortir, ils vont devoir finir la partie!

Après une disparition de deux ans, le groupe refait surface à quelques kilomètres de la chambre de Sol, où la partie avait débuté. Cependant, il manque un bras à Angela et Sol est aux abonnés absents. Pire encore, les adolescents traumatisés semblent incapables de parler de ce qu’il leur est arrivé durant leur absence. La vie suit son cours, si bien que 25 ans plus tard, chacun d’eux a entamé sa vie d’adulte, fondé une famille et mené une carrière, le tout avec plus ou moins de succès, et toujours marqué par le traumatisme de Die.

Tout va basculer une seconde fois pour Ash, Angela, Matt, Chuck et Isabelle lorsqu’ils vont être aspirés de nouveau dans le jeu. Le monde cruel auquel ils ont échappé il y a 25 ans les a rattrapés, et pour en sortir vivants, ils vont devoir terminer la partie pour de bon.

On connaît Kieron Gillen pour des séries telles que The Wicked + The Divine, ou plus récemment Eternals et sa suite A.X.E, Avengers X-Men-Eternals.

Il est donc notoire que le scénariste préfère manier des concepts de haute volée plutôt que de l’action pure. Avec cette série parue en 2020, on découvre aussi qu’il est féru de jeux de rôles, à tel point qu’il a créé un jeu directement en lien avec cette série (disponible à l’époque sur Kickstarter). De ce premier tome, on retiendra l’intrigue minutieuse et l’ambiance teenage wasteland, le cas des adolescents piégés dans un jeu plus vrai que nature rappelant fortement le film culte Jumanji et les manga Isekai.

Cependant, ici, point de franche rigolade ni d’univers décalé, mais plutôt un dédale mortel dans un monde fourre-tout où tout peut arriver. La dépression qui guette les héros durant les 25 ans de deuil qui précèdent leur retour dans le jeu s’insinue à travers les pages, grâce au talent explosif de la dessinatrice française Stéphanie Hans. Ce premier volume installe adroitement les enjeux grâce à ses premiers coups de théâtre et ses révélations internes savamment orchestrées.

L’attachement aux personnages est aussi de la partie, si vous me permettez le jeu de mots, malgré le peu d’informations distillées par l’auteur à ce stade. Les personnalités, rôles et interactions sont attribués à chacun par l’auteur avec une efficience qui démontre ici toute l’expérience acquise par l’auteur.

Le déroulement de l’intrigue en lui-même contient bien évidemment des références au monde du JDR, mais reste heureusement accessible aux non-initiés, qui pourront se contenter de suivre les aventures des protagonistes sans forcément avoir eu à jouer une partie dans leur vie.

Première accroche efficace, Die tient ses promesses sur ce volume 1, reste à voir ce que donne la suite.

*****·BD

Gung-Ho – Intégrale #2/2

BD de Benjamin Von Eckartsberg et Thomas Von Kummant
Paquet (2013-2021). série terminée en 5 tomes (édités en édition classique et en double volume deluxe) et 2 intégrales.
La présente intégrale comprend les volumes 4 et 5 de la série désormais conclue.

Je vais commencer ce billet qui conclut l’excellente série post-apo Gung-Ho par un coup de gueule appuyé contre Paquet. La série comprend cinq tomes et un Hors-série; le premier tome d’intégrale compact reprenant les trois premiers épisodes, il semblait évident que le hors-série intègre la seconde intégrale. Et bien pas pour l’éditeur qui se contente de proposer ce deuxième volume bancal pour cinq euros de moins. Totalement incompréhensible et méprisant pour les lecteurs enthousiastes qui auraient pu profiter jusqu’au bout de cette création si réussie…

Le billet sur le premier tome est ici et celui de Dahaka sur le dernier tome est (histoire d’avoir deux avis qui vous convaincront si besoin que Gung-Ho c’est VRAIMENT bien!)

Nous avions laissé Zack et sa petite bande partis à l’extérieur pour aller secourir son frère exilé. Les deux albums qui composent cette intégrale montrent la qualité millimétrée du scénario qui fait progresser les relations avec intelligence, surprise et toujours une grande logique. La première partie nous montre ainsi la résolution de l’affaire du viol, qui aura un impact tant au sein des jeunes que des adultes, mais aussi les fameux pillards qui survivent dans la zone morte et que nous avions bien peu vus jusqu’ici. Je précise tout de suite que, parlant d’un post-apo il ne faut pas s’attendre à de grandes révélations sur la cause de survenue de la mort blanche. En revanche les interactions entre groupes évoluent très rapidement, ce qui nous tient en haleine car nous ne savons jamais combien de pages vont tenir les alliances.

La dernière partie consiste en une confrontation finale très impressionnante qui nous rappelle enfin le titre de la série quand une véritable guerre civile se déclenche entre adultes et adolescent. Désormais expérimentés de leur expédition initiatique face aux reapers ils ne voient plus de raisons de se distinguer des adultes. L’ordre ancien qui tente de se maintenir est mis à bas par la fougue de la jeune génération. Je le redis, rarement en BD comme

en série TV on aura lu une histoire aussi maîtrisée dans son écriture, parvenant à respecter des codes très calibrés tout en les modifiant, assumant le (très) grand spectacle via une technique artistique de Thomas von Kummant tout à fait redoutable avec une mise en scène qui n’a rien à envier aux plus grands blockbusters ciné. Les auteurs en mettent plein la figure à leurs personnages sans pour autant tomber dans le concept désormais éculé du un épisode/un mort, ce qui solidifie tout à fait la tension de l’intrigue et nous touche lors d’incidents vraiment définitifs.

Maîtrisé de bout en bout, doté de personnages très sympathiques qui vivent et subissent en réel leur monde violent, Gung Ho est un masterpiece de la BD moderne qui aura su renouveler un genre archi-représenté. Foncez dans ces deux intégrales, dans les grands formats, dans ce que vous voulez mais découvrez impérativement les aventures au pays de la Mort blanche en attendant de découvrir n’en doutons pas une prochaine saga de ce duo brillant.

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****·Jeunesse·Nouveau !

La Brigade des Cauchemars #7 : Sofiane

Septième tome de la série écrite par Franck Thilliez et dessiné par Yomgui Dumont. Parution chez Jungle le 02/11/23.

L’Oie de la Jungle

Tristan, Esteban et Sarah sont le fer de lance de la Clinique des époux Angus, une clinique pas comme les autres. En effet, on n’y soigne pas de simples bobos, mais des maux bien plus profonds et intangibles, tapis dans les recoins sycophantes de notre cerveau. Si vous êtes hanté par des souvenirs traumatiques qui vous pourrissent la vie, c’est le Brigade des Cauchemars qu’il faut appeler.

Dans le tome précédent, nos jeunes héros, rompus à l’exploration des rêves, se lancent dans une mission d’un nouveau genre, l’exploration des souvenirs, dont les règles exactes sont encore à découvrir. Testant la nouvelle technologie des époux Angus, ils plongent dans l’esprit d’Ariane, pour l’aider à guérir d’un traumatisme. Cette fois, c’est sur Sofiane, le meilleur ami d’Ariane, que le groupe va opérer en urgence. En effet, le jeune homme a été enlevé brutalement et semble avoir oublié les trois derniers jours de sa vie. L’enjeu sera donc de découvrir ce qui lui est arrivé et qui est derrière tout ça. Un nouvel ennemi pour la Brigade ou d’anciennes accointances nocives ?

Dans ce nouveau cycle de la série, débuté au tome 6, Franck Thilliez poursuit le développement de son intrigue et de ses personnages, mais semble laisser de côté le lore et le fonctionnement de son univers particulier.

En effet, l’auteur se fait plus avare quant aux révélations ou aux implications de la technologie qu’il a imaginée, qui reste au second plan, alors même qu’elle induit une altération du substrat même de la réalité. Comment la machine matérialise-t-elle les rêves et les souvenirs ? De quelle matière sont faites ces simulations ? Un être humain onirique matérialisé par la machine possède-t-il une anatomie, des organes ? On sait déjà qu’il possède une personnalité, mais la machine va-t-elle jusqu’à reproduire l’ADN ? Une interaction mal calibrée avec les souvenirs d’un patient peut elle engendrer des lésions cérébrales ?

En bref, le concept en lui-même a de quoi donner le vertige, mais il est sans doute bridé par la catégorie Jeunesse dans laquelle se trouve la série, qui empêche d’aller trop loin dans les extrapolations. Il n’en demeure pas moins que son intérêt demeure toujours aussi vif, que ce soit au regard de la narration ou du dessin.

***·BD·Jeunesse·Nouveau !

Masques #2: Le masque Éclipse

Deuxième tome de 88 pages, écrit par Kid Toussaint et dessiné par Joël Jurion. Parution chez Le Lombard le 01/09/2023.

Ô Bal Masqué (ohé ohé)

Dans le premier tome de Masques, nous faisions la rencontre de Al, adolescent en transition, Siera, réfugiée en plein exil, Hector, gosse des rues roublard de Vera Cruz, et de… Gunawan, nerd étonamment impertinent. Ces quatres ados se sont trouvés réunis sous la tutelle de JS, le père de Al, afin d’apprivoiser et de collecter des masques aux propriétés magiques.

Après avoir neutralisé le masque Aztèque dont Hector était contraint de faire usage, le groupe embarque pour Rome, où d’autres masques, ainsi que leurs propriétaires, les attendent.

Suite des aventures masquées de notre groupe international d’adolescents. Le parallèle avec les X-Men, que nous soulevions dans notre chronique du premier tome, est de plus en plus marqué, à tel point qu’il est évoqué directement par un des personnages.

En effet, un groupe cosmopolite et international d’adolescents dotés de pouvoirs qu’ils peinent à comprendre, qui combattent sous la tutelle d’un adulte chauve qui est capable de les repérer à travers le monde est un schéma qui rappelle sans conteste les X-Men de Chris Claremont. La comparaison ne s’arrête pas là, puisqu’on retrouve les romances et la thématique du rejet sociétal dans les deux séries.

Néanmoins, l’intérêt principal de la série n’est pas là, on peut faire confiance à Kid Toussaint pour camper ses personnages avec soin et exploiter des concepts intéressants autour des masques.

Comme dans la série Les Géants, il apparaît que chaque tome se concentrera sur un ou des nouveaux protagonistes, qui viendront progressivement enrichir le casting. A ce stade, il se dessine un antagoniste encore mystérieux, et la direction générale de la série apparaît encore incertaine, mais l’intérêt est là et l’on attend la suite de ces ados-à-super-pouvoirs-qui-ne-sont-pas-du-tout-des-X-men.

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Finger Guns

Récit complet en 116 pages, écrit par Justin Richards et dessiné par Val Halvorson, avec Nalty Esposito aux couleurs. Publication initiale chez Vault Comics, parution en France grâce au concours des éditions Komics Initiative, le 26/08/2022.

T’as pas le doigt de faire ça

Wes est un adolescent solitaire et introverti, délaissé par son père depuis le décès de sa mère. Alors qu’il déambule dans les allées d’un centre commercial, il découvre, incrédule, qu’il peut, lorsqu’il pointe quelqu’un du doigt à la manière d’un pistolet, modifier son comportement en influant sur ses émotions. Par un autre hasard, il s’aperçoit qu’une de ses camarades du lycée, Sadie, possède un don similaire, bien qu’aux effets opposés: si Wes peut inspirer la colère et la haine, Sadie, elle, peut calmer instantanément grâce à son « finger gun ».

Très vite, un lien se forme entre les deux ados, qui vont se lancer dans l’exploration et l’exploitation de ces nouvelles capacités. Mais c’est sans compter plusieurs problèmes: en premier lieu, ce sont des adolescents, qui par nature ne peuvent pas encore saisir pleinement les enjeux et les conséquences possibles d’un tel pouvoir. Et en second lieu, il se trouve que Sadie vit dans un climat familial plus que délétère à cause d’un père tyrannique, ce qui, couplé aux capacités de nos deux héros, pourrait engendrer une catastrophe.

Les éditions Komics Initiative ont fait leur la rude tâche de trouver et éditer des comics indépendants, sortant donc du courant mainstream, pour faire découvrir au public quelques pépites d’outre-atlantique. On pense notamment à Shadow Planet, No One’s Rose ou encore Zojaqan.

En lisant le pitch de Finger Guns, il est difficile de ne pas penser à des oeuvres comme Chronicle, de Josh Trank, autre pépite indy qui mettait en scène l’éveil de trois outsiders adolescents à leurs incroyables pouvoirs, voire même Brightburn de James Gunn. En faisant ce rapprochement, il est donc facile d’imaginer un nouveau pied-de-nez à la fameuse corrélation entre pouvoirs et responsabilités, mantra rendu célèbre par notre ami Peter Parker, alias Spider-Man.

Wes, l’archétype du jeune peu sûr de lui et délaissé, pourrait utiliser son pouvoir pour devenir populaire, écarter des rivaux ou se venger de ses bullies, voir tricher aux examens, se faire élire maire de la ville, organiser une fiesta géante ou une arène de gladiateurs improvisée dans laquelle il forcerait des adultes à se battre à mort… la liste des choses potentiellement chaotiques promises par la quatrième de couverture est plutôt longue, mais force est de constater que l’auteur choisit un autre chemin, et une toute autre thématique pour sa première création.

En effet, si vous voulez voir des adolescents déséquilibrés utiliser de dangereux pouvoirs de façon anarchique avant de devoir faire face à leurs conséquences, passez votre chemin, car le déroulé de Finger Guns est bien plus intimiste et ses enjeux bien plus restreints qu’une histoire convneue où un énième Tetsuo ne maitriserait pas un pouvoir dont il n’est pas digne.

L’auteur traite avec tact du mal-être adolescent par le prisme des violences intrafamiliales, au travers du personnage de Sadie, qui voit dans son don un moyen d’éviter à sa mère de subir encore le courroux de son père. L’amitié touchante entre Wes et Sadie permet au lecteur de s’attacher au duo, qui reste étonamment terre à terre malgré les pouvoirs dont ils disposent.

Ce traitement humaniste, loin du nihilisme des oeuvres-références citées plus haut, est une potentielle bouffée d’oxygène dans le paysage BD actuel. La fin de l’album nous laisse espérer une suite sans forcément faire de promesses, mais laissera indubitablement le lecteur avec une sensation douce-amère.

****·BD·Jeunesse·Nouveau !

Les Sauroctones #3

Troisième et dernier volume de la série écrite par Erwann Surcouf. Parution le 27/01/2023 chez Dargaud.

From zeroes to heroes

Voici la fin des aventures de Jan, Zone et Urtsi, chasseurs de monstres dans un monde post-apocalyptique, débutées en 2020 et poursuivies en 2021. Après un cataclysme non spécifié, la civilisation a du se reconstruire comme elle a pu sur les ruines de l’ancien monde. Beaucoup de savoirs et de connaissances se sont perdus dans le processus, mais il faut dire que les survivants ont aussi d’autres préoccupations, comme par exemple les bestioles géantes qui dévorent tous les malheureux qui osent croiser leur chemin.

Comme dans les mythes fondateurs, de valeureux héros se dressent contre ces prédateurs mutants, des guerriers sans peur et sans reproches (et au fort taux de mortalité) que l’on nomme des Sauroctones. Révérés dans toutes les villes où ils passent, ces chasseurs de monstres font l’objet d’un culte, avec des colporteurs qui se chargent de diffuser leurs légendes. Zone, Jan et Urtsi sont trois jeunes aspirants sauroctones, qui décident de faire équipe afin de se faire un nom dans le métier, attirés par la notoriété.

Après une entrée en matière rocambolesque durant laquelle ils ne doivent leur survie qu’à un hasardeux mélange entre chance pure et audace incertaine, les trois adolescents constatent que leur légende prend forme. Baptisée le Trio Fantastico, la troupe, qui gonfle quelque peu ses exploits, parvient tout de même à terrasser le terrifiant Tamarro, tout en gardant à l’oeil leur objectif principal, à savoir rejoindre la mythique Fusée qui les emmènera sur une lointaine et idyllique planète.

Depuis le début de la série, Erwann Surcouf nous embarque dans un univers foisonnant, empli de mutants, de bestioles féroces, de sectes post-apocalyptiques, le tout saupoudré de références à la pop-culture et d’un humour potache mais-qui-n’oublie-pas-d’être-subtil. Il faut avouer que le gros du travail de l’auteur est déjà fait, car il est parvenu à ravir l’intérêt des lecteurs grâce à ses personnages attachants, qui se débattent dans un monde où tout peut arriver.

Le seul regret que l’on peut avoir ici est que ce tome est le dernier de la série, même si l’auteur ne s’interdit rien grâce à sa fin plutôt ouverte. Tout ce qui fait le sel des Sauroctones a déjà été dit dans les deux précédentes chroniques, donc si vous avez apprécié les précédents volumes, foncez lire celui-ci !

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Big Under #1: Catacombes

Premier tome de 128 pages du dyptique écrite par Virgil Iscan et dessiné par Alex Nieto. Parution aux éditions 404 Comics le 26/01/2023.

En-dessous de tout

En 1774, le sol de la Rue d’Enfer à Paris s’effondre, engloutissant un pâté entier de maisons par trente mètres de fond. Cette tragédie conduit le roi Louis XVI à créer l’Inspection Générale des Carrières, chargée de surveiller l’évolution des sous-sols de Paris, connus pour la présence de profondes catacombes, qui ont transformé les sous-sols en gruyère.

De nos jours, la ville continue son fourmillement sans trop se soucier de ce qui grouille, tapi dans ses profondeurs. L’IGC existe toujours, et veille de façon quasi-anonyme sur les sous-sols. Ses membres expérimentés, quoiqu’un peu désabusés, sont soudain préoccupés par deux effondrements successifs, qui ont fait remonter à la surface des ossements pour le moins étranges. Mais il semblerait que le directeur, Pierre-Guillaume, veuille laisser un voile sur ces événements afin de ne pas laisser filtrer la nouvelle, au grand dam de son équipe qui sent poindre une catastrophe imminente.

Raison de plus de s’inquiéter, Sophie, la fille de Pierre-Guillaume, ne vient plus au lycée depuis plusieurs jours. Son amie Sonia semble pourtant être la seule à s’en inquiéter. Têtue comme une mule, Sonia va embarquer, un peu malgré eux, son groupe d’amis, Dez, Berry et Kim, sur la piste de Sophie. Leur enquête va les mener à une conspiration tentaculaire prenant racine dans les entrailles creusées de Paris. Que cache le directeur à ses subordonnées ? Qu’a-t-il fait de sa fille ? Nos héros adolescents ne vont pas tarder à le découvrir, à leurs dépens.

Big Under vient enrichir le catalogue des éditions 404 Comics, dont plusieurs albums ont déjà été chroniqués ici (Zombie World, Mundus, We Live, Jonna, ou encore Big Girls). D’emblée, on est intrigué, voire happé, par le pitch énigmatique en quatrième de couverture: « Paris est condamnée, les catacombes sont la clé« . Nous sommes donc partis pour une exploration des mystères de Paris, dont les catacombes ont toujours défié l’imagination des curieux.

A première vue, l’intrigue se repose sur une structure bien connue, et qui a fait ses preuves, à savoir celle du groupe d’ados outsiders qui part à la recherche d’un ami disparu. Si vous avez une vague connaissance de la pop culture récente, alors cette prémisse devrait vous rappeler les débuts d’une série avec plein de Choses Étranges. Mais la comparaison s’arrête ici, puisque comme vous le savez, l’exception française finit toujours par s’appliquer. Le scénariste Virgile Iscan nous embarque joyeusement grâce à ses personnages attachants, ados que l’on croirait tout droit sortis du lycée en face de chez vous. L’auteur utilise l’oralité urbaine d’aujourd’hui pour crédibiliser ses protagonistes, quitte à risquer le jeunisme parfois un peu décalé. Mais celà n’enlève rien au déroulement de l’intrigue ni à ses enjeux, que l’on continue à suivre sans temps morts ni décrochage.

L’auteur parvient à maintenir le suspense jusqu’à la dernière page, faisant montrer crescendo la tension dramatique sur ce premier tome. Sur la base de deux enquêtes parallèles, celles des agents de l’IGC façon Ghost-Busters et celle de Sonia et sa bande, le mystère ne fait que s’épaissir, malgré la volonté des protagonistes de trouver la vérité. On sent ça et là des influences comme Mike Mignola / John Arcudi, que l’auteur utilise à bon escient sans que cela soit pour autant cousu de fil blanc.

La partie graphique assurée par Alex Nieto est qualitative. L’artiste opte pour un trait simple et sans fioriture, mais on aurait aimé un accent plus prononcé sur les décors urbains, la ville de Paris étant ici partie prenante. Hormis sur quelques cases, on peut reprocher un manque de spécificité à l’architecture urbaine. Celà dit, le dessinateur espagnol gère très bien son découpage ainsi que les passages plus dynamiques, et que dire des mon- oups, on ne spoile pas !

Big Under débute très bien son lancement, avec une intrigue prenante, des personnages crédibles et un dessin de qualité. On attend la suite, évidemment !

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La Brigade des Cauchemars #6: Ariane

Sixième tome de la série écrite par Franck Thilliez et dessinée par Yomgui Dumont, avec Drac aux couleurs. Parution le 15/09/2022 aux éditions Jungle, collection Frissons.

Circulez, Ariane à voir

Après les évènements du tome 5, la Clinique du sommeil du Professeur Albert Angus a fermé ses portes. La technologie expérimentale créée par les époux Angus a été pillée par l’armée, mais pas avant que le professeur, aidé de son fils Tristan, de son ami Esteban ainsi que de Sarah, la première patiente qui a rejoint l’équipe, ne l’aident à libérer son épouse Alice, qui était piégée depuis des années dans l’esprit torturé d’un ancien patient nommé Léonard.

Contraints de faire table rase du passé, Alice et Albert en profitent pour se lancer dans de nouvelles recherches. Mettant leurs génies en commun, ils créent une fois encore une technologie révolutionnaire, sensiblement différente de la précédente. Plutôt que d’explorer physiquement les rêves de leurs patients endormis, les membres de la Brigade vont cette fois plonger littéralement dans les souvenirs de jeunes gens tourmentés, afin de les aider à surmonter leurs traumatismes.

Cependant, cette nouvelle machine, si elle offre des possibilités médicales sans précédent, reste encore expérimentale, et ses règles, encore floues. Tristan, Sarah et Esteban devront faire preuve de la plus grande circonspection lorsqu’ils entreront dans l’esprit d’Ariane, meilleure amie et crush de Tristan, pour la guérir d’un traumatisme qui lui gâche la vie depuis deux ans.

Pour cette première mission d’un genre nouveau, les dissenssions entre les époux Angus risquent de causer des difficultés supplémentaires, chacun ayant des convictions différentes quant à l’utilisation de la machine et la façon d’en protéger le secret.

Après un premier arc narratif pour le moins haletant, la Brigade revient avec une mission similaire, mais des méthodes différentes. L’auteur a donc changé de direction et centre son récit sur un autre concept phare, celui d’explorer les souvenirs. Là où la Brigade donnait la part belle à l’onirisme des espaces explorés, l’accent sera mis ici sur l’opacité des souvenirs, particulièrement sur leur caractère fallacieux et intrinsèquement subjectif.

Le thème du traumatisme et de sa capacité à passer de génération en génération dans une famille, de façon inconsciente, est une idée forte qui donne tout son intérêt à cette résurgence de la Brigade des Cauchemars, qui cette fois, mériterait plus le titre de Brigade des Traumas (en effet, la Brigade des Souvenirs existe déjà, sur un thème tout aussi fort en émotion mais plus terre à terre). Ce point rappelle une franchise comme Assassin’s Creed, qui utilise peu ou prou la même idée, celle d’explorer des souvenirs hérités d’ancêtres. Assez étrangement, on se rapproche encore plus ici de la prémisse d’Inception, ou en tous cas de certains de ses rouages scénaristiques, dans le sens où l’auteur met bien en place le fait qu’intéragir avec les souvenirs peut radicalement les modifier et ainsi altérer la perception du patient de certains événements de sa vie.

Au regard de la mise en scène, Yomgui Dumont fait encore des merveilles, et retranscrit avec beaucoup de pertinence le dédale de l’inconscient, auquel la fameuse machine confère une tangibilité. On ne peut s’empêcher de noter, à ce titre, l’ironie d’explorer l’esprit d’Ariane, qui prend la forme d’un Labyrinthe dans lequel il est aisé de s’égarer.

S’il fallait chercher des points de frictions dans ce sixième tome, on pourrait relever l’imprécision des nouvelles règles relatives à l’exploration des souvenirs, et de ce que cela induit chez notre couple de savants fous. En effet, on peut imaginer qu’après avoir traversé tous les évènements des cinq précédents tomes, le Professeur Angus se montrerait plus prudent ou en tous cas plus réticent à plonger son fils et deux autres ados dans une machine dont il semble ignorer le fonctionnement exact.

On sait bien que la sérendipité a souvent fait avancer la science, toutefois, tant de témérité de la part des deux savants peut laisser perplexe un lecteur trop incrédule. Un autre point susceptible de chiffoner les lecteurs pointilleux, est le traitement superficiel de certains personnages principaux. J’en reviens ici à une critique que j’avais faite sur le précédent tome, concernant Esteban, dont tout le monde semble avoir oublié, ou passé sous silence, le fait qu’il est un être artificiel issu de la machine, son « modèle » réel étant décédé dans le vrai monde. Ce vertige existentiel ne semble plus le perturber outre-mesure, en tous cas il n’est plus mentionné nulle part. On aurait aimé en savoir davantage sur sa nature véritable, sa composition moléculaire, ou encore, les intéractions imprévues qui pourraient résulter d’un contact entre un rêve matérialisé et la psyché d’Ariane.

Vous l’aurez compris, pour trouver des défauts à la Brigade des Cauchemars, il faut se creuser la tête, et pas qu’un peu !

**·BD·Jeunesse·Nouveau !

Green Class #4: l’Eveil

Jérôme Hamon au scénario, David Tako au dessin, Jon Lankry aux couleurs, 54 pages, parution aux éditions du Lombard le 26 aout 2022.

Y-a-t-il un Lovecraft pour sauver l’album ?

 NaïaNoahLucasSatoBeth et Linda sont cinq adolescents marginaux canadiens emmenés aux states par leur éducateur pour une classe verte. Les choses dégénèrent assez rapidement lorsque survient une mystérieuse pandémie, qui transforme les gens en créatures monstrueuses.

Peu de temps après, alors que la quarantaine a empêché nos jeunes sauvageons de regagner leur pays, Noah est infecté par le virus et devient un monstre, d’un genre tout particulier car il a le don de commander aux autres infectés. Cette particularité attire l’attention de l’armée, qui semble impliquée dans cette catastrophe nationale.

Les malversations du gouvernement conduisent ensuite à la mort tragique de Noah, tué par ses congénères infectés. Toutefois, son esprit semble avoir survécu dans un autre plan d’existence, comme le découvre Naïa, qui depuis le début fait tout ce qu’elle peut pour sauver son frère. Le groupe découvre finalement, dans le tome 3, que tout ça est le fait de Lyauthey, un méchant tout de noir vêtu qui a pour projet d’invoquer les Grands Anciens, des divinités cosmiques susceptibles d’annihiler le genre humain. Les infectés, qui répondent en fait au nom de Shoggoths, sont des créations de ces êtres omnipotents, mais leur rôle reste encore nébuleux.

Si vous suivez Green Class, alors vous savez que l’avis de l’Etagère sur la série s’est gentiment dégradé à l’occasion du tome 3. En effet, l’introduction du lore lovecraftien ne s’était pas faite sans mal, en l’espèce au détriment du rythme et de la cohérence de l’ensemble.

Le survival post-apo cède donc le terrain à l’horreur cosmique, mais le souffle de la série semble avoir disparu. L’action s’enlise, entre captures maladroites, fuites désespérées et recaptures, le tout sur un rythme qui se veut urgent mais qui relève finalement davantage de l’hystérie.

L’auteur semble avoir oublié que pour faire avancer l’intrigue, il faut introduire une nouvelle information, qui pousse un ou plusieurs personnages à prendre des décisions et agir en cohérence avec un objectif clair, avant de confronter lesdits personnages aux conséquences de ce choix, ce qui mène à une nouvelle information… et ainsi de suite. Ce tome 4 se révèle donc très laborieux, et le manque de charisme de l’antagoniste n’aide évidemment pas, à tel point qu’il est délicat après lecture de déterminer quel événement majeur est intervenu.

On note aussi un peu de flou concernant le plan du méchant, dont on se doute, sur la base d’une réplique et d’un regard larmoyant posé sur une photo de famille, qu’il a des raisons valables d’agir de la sorte. Son plan général paraît certes compréhensible (invoquer les Grands Anciens), mais sa méthode reste nébuleuse, à moins que je n’ai raté quelque chose. Par quel biais invoquer le portail ? comment compte-t-il communiquer avec eux, quel rôle précis jouent les Shoggoths ?

Malheureusement, sur ce coup, l’abondance des interrogations a tendance à diluer l’intérêt du lecteur plutôt que d’éveiller sa curiosité.

Côté graphique en revanche, David Tako demeure irréprochable et constitue l’atout principal en cette période délicate pour la série. L’intervention de Jon Lankry sur les couleurs permet d’ajouter un tonalité crépusculaire qui sied bien au ton de l’album.