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Les Sauroctones #3

Troisième et dernier volume de la série écrite par Erwann Surcouf. Parution le 27/01/2023 chez Dargaud.

From zeroes to heroes

Voici la fin des aventures de Jan, Zone et Urtsi, chasseurs de monstres dans un monde post-apocalyptique, débutées en 2020 et poursuivies en 2021. Après un cataclysme non spécifié, la civilisation a du se reconstruire comme elle a pu sur les ruines de l’ancien monde. Beaucoup de savoirs et de connaissances se sont perdus dans le processus, mais il faut dire que les survivants ont aussi d’autres préoccupations, comme par exemple les bestioles géantes qui dévorent tous les malheureux qui osent croiser leur chemin.

Comme dans les mythes fondateurs, de valeureux héros se dressent contre ces prédateurs mutants, des guerriers sans peur et sans reproches (et au fort taux de mortalité) que l’on nomme des Sauroctones. Révérés dans toutes les villes où ils passent, ces chasseurs de monstres font l’objet d’un culte, avec des colporteurs qui se chargent de diffuser leurs légendes. Zone, Jan et Urtsi sont trois jeunes aspirants sauroctones, qui décident de faire équipe afin de se faire un nom dans le métier, attirés par la notoriété.

Après une entrée en matière rocambolesque durant laquelle ils ne doivent leur survie qu’à un hasardeux mélange entre chance pure et audace incertaine, les trois adolescents constatent que leur légende prend forme. Baptisée le Trio Fantastico, la troupe, qui gonfle quelque peu ses exploits, parvient tout de même à terrasser le terrifiant Tamarro, tout en gardant à l’oeil leur objectif principal, à savoir rejoindre la mythique Fusée qui les emmènera sur une lointaine et idyllique planète.

Depuis le début de la série, Erwann Surcouf nous embarque dans un univers foisonnant, empli de mutants, de bestioles féroces, de sectes post-apocalyptiques, le tout saupoudré de références à la pop-culture et d’un humour potache mais-qui-n’oublie-pas-d’être-subtil. Il faut avouer que le gros du travail de l’auteur est déjà fait, car il est parvenu à ravir l’intérêt des lecteurs grâce à ses personnages attachants, qui se débattent dans un monde où tout peut arriver.

Le seul regret que l’on peut avoir ici est que ce tome est le dernier de la série, même si l’auteur ne s’interdit rien grâce à sa fin plutôt ouverte. Tout ce qui fait le sel des Sauroctones a déjà été dit dans les deux précédentes chroniques, donc si vous avez apprécié les précédents volumes, foncez lire celui-ci !

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Big Under #1: Catacombes

Premier tome de 128 pages du dyptique écrite par Virgil Iscan et dessiné par Alex Nieto. Parution aux éditions 404 Comics le 26/01/2023.

En-dessous de tout

En 1774, le sol de la Rue d’Enfer à Paris s’effondre, engloutissant un pâté entier de maisons par trente mètres de fond. Cette tragédie conduit le roi Louis XVI à créer l’Inspection Générale des Carrières, chargée de surveiller l’évolution des sous-sols de Paris, connus pour la présence de profondes catacombes, qui ont transformé les sous-sols en gruyère.

De nos jours, la ville continue son fourmillement sans trop se soucier de ce qui grouille, tapi dans ses profondeurs. L’IGC existe toujours, et veille de façon quasi-anonyme sur les sous-sols. Ses membres expérimentés, quoiqu’un peu désabusés, sont soudain préoccupés par deux effondrements successifs, qui ont fait remonter à la surface des ossements pour le moins étranges. Mais il semblerait que le directeur, Pierre-Guillaume, veuille laisser un voile sur ces événements afin de ne pas laisser filtrer la nouvelle, au grand dam de son équipe qui sent poindre une catastrophe imminente.

Raison de plus de s’inquiéter, Sophie, la fille de Pierre-Guillaume, ne vient plus au lycée depuis plusieurs jours. Son amie Sonia semble pourtant être la seule à s’en inquiéter. Têtue comme une mule, Sonia va embarquer, un peu malgré eux, son groupe d’amis, Dez, Berry et Kim, sur la piste de Sophie. Leur enquête va les mener à une conspiration tentaculaire prenant racine dans les entrailles creusées de Paris. Que cache le directeur à ses subordonnées ? Qu’a-t-il fait de sa fille ? Nos héros adolescents ne vont pas tarder à le découvrir, à leurs dépens.

Big Under vient enrichir le catalogue des éditions 404 Comics, dont plusieurs albums ont déjà été chroniqués ici (Zombie World, Mundus, We Live, Jonna, ou encore Big Girls). D’emblée, on est intrigué, voire happé, par le pitch énigmatique en quatrième de couverture: « Paris est condamnée, les catacombes sont la clé« . Nous sommes donc partis pour une exploration des mystères de Paris, dont les catacombes ont toujours défié l’imagination des curieux.

A première vue, l’intrigue se repose sur une structure bien connue, et qui a fait ses preuves, à savoir celle du groupe d’ados outsiders qui part à la recherche d’un ami disparu. Si vous avez une vague connaissance de la pop culture récente, alors cette prémisse devrait vous rappeler les débuts d’une série avec plein de Choses Étranges. Mais la comparaison s’arrête ici, puisque comme vous le savez, l’exception française finit toujours par s’appliquer. Le scénariste Virgile Iscan nous embarque joyeusement grâce à ses personnages attachants, ados que l’on croirait tout droit sortis du lycée en face de chez vous. L’auteur utilise l’oralité urbaine d’aujourd’hui pour crédibiliser ses protagonistes, quitte à risquer le jeunisme parfois un peu décalé. Mais celà n’enlève rien au déroulement de l’intrigue ni à ses enjeux, que l’on continue à suivre sans temps morts ni décrochage.

L’auteur parvient à maintenir le suspense jusqu’à la dernière page, faisant montrer crescendo la tension dramatique sur ce premier tome. Sur la base de deux enquêtes parallèles, celles des agents de l’IGC façon Ghost-Busters et celle de Sonia et sa bande, le mystère ne fait que s’épaissir, malgré la volonté des protagonistes de trouver la vérité. On sent ça et là des influences comme Mike Mignola / John Arcudi, que l’auteur utilise à bon escient sans que cela soit pour autant cousu de fil blanc.

La partie graphique assurée par Alex Nieto est qualitative. L’artiste opte pour un trait simple et sans fioriture, mais on aurait aimé un accent plus prononcé sur les décors urbains, la ville de Paris étant ici partie prenante. Hormis sur quelques cases, on peut reprocher un manque de spécificité à l’architecture urbaine. Celà dit, le dessinateur espagnol gère très bien son découpage ainsi que les passages plus dynamiques, et que dire des mon- oups, on ne spoile pas !

Big Under débute très bien son lancement, avec une intrigue prenante, des personnages crédibles et un dessin de qualité. On attend la suite, évidemment !

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La Brigade des Cauchemars #6: Ariane

Sixième tome de la série écrite par Franck Thilliez et dessinée par Yomgui Dumont, avec Drac aux couleurs. Parution le 15/09/2022 aux éditions Jungle, collection Frissons.

Circulez, Ariane à voir

Après les évènements du tome 5, la Clinique du sommeil du Professeur Albert Angus a fermé ses portes. La technologie expérimentale créée par les époux Angus a été pillée par l’armée, mais pas avant que le professeur, aidé de son fils Tristan, de son ami Esteban ainsi que de Sarah, la première patiente qui a rejoint l’équipe, ne l’aident à libérer son épouse Alice, qui était piégée depuis des années dans l’esprit torturé d’un ancien patient nommé Léonard.

Contraints de faire table rase du passé, Alice et Albert en profitent pour se lancer dans de nouvelles recherches. Mettant leurs génies en commun, ils créent une fois encore une technologie révolutionnaire, sensiblement différente de la précédente. Plutôt que d’explorer physiquement les rêves de leurs patients endormis, les membres de la Brigade vont cette fois plonger littéralement dans les souvenirs de jeunes gens tourmentés, afin de les aider à surmonter leurs traumatismes.

Cependant, cette nouvelle machine, si elle offre des possibilités médicales sans précédent, reste encore expérimentale, et ses règles, encore floues. Tristan, Sarah et Esteban devront faire preuve de la plus grande circonspection lorsqu’ils entreront dans l’esprit d’Ariane, meilleure amie et crush de Tristan, pour la guérir d’un traumatisme qui lui gâche la vie depuis deux ans.

Pour cette première mission d’un genre nouveau, les dissenssions entre les époux Angus risquent de causer des difficultés supplémentaires, chacun ayant des convictions différentes quant à l’utilisation de la machine et la façon d’en protéger le secret.

Après un premier arc narratif pour le moins haletant, la Brigade revient avec une mission similaire, mais des méthodes différentes. L’auteur a donc changé de direction et centre son récit sur un autre concept phare, celui d’explorer les souvenirs. Là où la Brigade donnait la part belle à l’onirisme des espaces explorés, l’accent sera mis ici sur l’opacité des souvenirs, particulièrement sur leur caractère fallacieux et intrinsèquement subjectif.

Le thème du traumatisme et de sa capacité à passer de génération en génération dans une famille, de façon inconsciente, est une idée forte qui donne tout son intérêt à cette résurgence de la Brigade des Cauchemars, qui cette fois, mériterait plus le titre de Brigade des Traumas (en effet, la Brigade des Souvenirs existe déjà, sur un thème tout aussi fort en émotion mais plus terre à terre). Ce point rappelle une franchise comme Assassin’s Creed, qui utilise peu ou prou la même idée, celle d’explorer des souvenirs hérités d’ancêtres. Assez étrangement, on se rapproche encore plus ici de la prémisse d’Inception, ou en tous cas de certains de ses rouages scénaristiques, dans le sens où l’auteur met bien en place le fait qu’intéragir avec les souvenirs peut radicalement les modifier et ainsi altérer la perception du patient de certains événements de sa vie.

Au regard de la mise en scène, Yomgui Dumont fait encore des merveilles, et retranscrit avec beaucoup de pertinence le dédale de l’inconscient, auquel la fameuse machine confère une tangibilité. On ne peut s’empêcher de noter, à ce titre, l’ironie d’explorer l’esprit d’Ariane, qui prend la forme d’un Labyrinthe dans lequel il est aisé de s’égarer.

S’il fallait chercher des points de frictions dans ce sixième tome, on pourrait relever l’imprécision des nouvelles règles relatives à l’exploration des souvenirs, et de ce que cela induit chez notre couple de savants fous. En effet, on peut imaginer qu’après avoir traversé tous les évènements des cinq précédents tomes, le Professeur Angus se montrerait plus prudent ou en tous cas plus réticent à plonger son fils et deux autres ados dans une machine dont il semble ignorer le fonctionnement exact.

On sait bien que la sérendipité a souvent fait avancer la science, toutefois, tant de témérité de la part des deux savants peut laisser perplexe un lecteur trop incrédule. Un autre point susceptible de chiffoner les lecteurs pointilleux, est le traitement superficiel de certains personnages principaux. J’en reviens ici à une critique que j’avais faite sur le précédent tome, concernant Esteban, dont tout le monde semble avoir oublié, ou passé sous silence, le fait qu’il est un être artificiel issu de la machine, son « modèle » réel étant décédé dans le vrai monde. Ce vertige existentiel ne semble plus le perturber outre-mesure, en tous cas il n’est plus mentionné nulle part. On aurait aimé en savoir davantage sur sa nature véritable, sa composition moléculaire, ou encore, les intéractions imprévues qui pourraient résulter d’un contact entre un rêve matérialisé et la psyché d’Ariane.

Vous l’aurez compris, pour trouver des défauts à la Brigade des Cauchemars, il faut se creuser la tête, et pas qu’un peu !

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Green Class #4: l’Eveil

Jérôme Hamon au scénario, David Tako au dessin, Jon Lankry aux couleurs, 54 pages, parution aux éditions du Lombard le 26 aout 2022.

Y-a-t-il un Lovecraft pour sauver l’album ?

 NaïaNoahLucasSatoBeth et Linda sont cinq adolescents marginaux canadiens emmenés aux states par leur éducateur pour une classe verte. Les choses dégénèrent assez rapidement lorsque survient une mystérieuse pandémie, qui transforme les gens en créatures monstrueuses.

Peu de temps après, alors que la quarantaine a empêché nos jeunes sauvageons de regagner leur pays, Noah est infecté par le virus et devient un monstre, d’un genre tout particulier car il a le don de commander aux autres infectés. Cette particularité attire l’attention de l’armée, qui semble impliquée dans cette catastrophe nationale.

Les malversations du gouvernement conduisent ensuite à la mort tragique de Noah, tué par ses congénères infectés. Toutefois, son esprit semble avoir survécu dans un autre plan d’existence, comme le découvre Naïa, qui depuis le début fait tout ce qu’elle peut pour sauver son frère. Le groupe découvre finalement, dans le tome 3, que tout ça est le fait de Lyauthey, un méchant tout de noir vêtu qui a pour projet d’invoquer les Grands Anciens, des divinités cosmiques susceptibles d’annihiler le genre humain. Les infectés, qui répondent en fait au nom de Shoggoths, sont des créations de ces êtres omnipotents, mais leur rôle reste encore nébuleux.

Si vous suivez Green Class, alors vous savez que l’avis de l’Etagère sur la série s’est gentiment dégradé à l’occasion du tome 3. En effet, l’introduction du lore lovecraftien ne s’était pas faite sans mal, en l’espèce au détriment du rythme et de la cohérence de l’ensemble.

Le survival post-apo cède donc le terrain à l’horreur cosmique, mais le souffle de la série semble avoir disparu. L’action s’enlise, entre captures maladroites, fuites désespérées et recaptures, le tout sur un rythme qui se veut urgent mais qui relève finalement davantage de l’hystérie.

L’auteur semble avoir oublié que pour faire avancer l’intrigue, il faut introduire une nouvelle information, qui pousse un ou plusieurs personnages à prendre des décisions et agir en cohérence avec un objectif clair, avant de confronter lesdits personnages aux conséquences de ce choix, ce qui mène à une nouvelle information… et ainsi de suite. Ce tome 4 se révèle donc très laborieux, et le manque de charisme de l’antagoniste n’aide évidemment pas, à tel point qu’il est délicat après lecture de déterminer quel événement majeur est intervenu.

On note aussi un peu de flou concernant le plan du méchant, dont on se doute, sur la base d’une réplique et d’un regard larmoyant posé sur une photo de famille, qu’il a des raisons valables d’agir de la sorte. Son plan général paraît certes compréhensible (invoquer les Grands Anciens), mais sa méthode reste nébuleuse, à moins que je n’ai raté quelque chose. Par quel biais invoquer le portail ? comment compte-t-il communiquer avec eux, quel rôle précis jouent les Shoggoths ?

Malheureusement, sur ce coup, l’abondance des interrogations a tendance à diluer l’intérêt du lecteur plutôt que d’éveiller sa curiosité.

Côté graphique en revanche, David Tako demeure irréprochable et constitue l’atout principal en cette période délicate pour la série. L’intervention de Jon Lankry sur les couleurs permet d’ajouter un tonalité crépusculaire qui sied bien au ton de l’album.

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Masques #1: le masque sans visage

Premier tome de la série écrite par Kid Toussaint et dessinée par Joël Jurion. 83 pages, parution chez Le Lombard le 27/05/22.

Crises d’identité(s)

Durant la célèbre fête des morts, au Mexique, Hector et son frère font ce qu’ils savent faire de mieux: rouler des naïfs dans la farine, prospérant de petites combines ça et là. Sans le savoir, les deux roublards s’attaquent à plus dangereux qu’eux.

En effet, un groupe d’hommes patibulaires, poursuivis par la police, leur proposent un marché plus qu’intéressant: garder pour eux deux caisses de bois quelques heures seulement, contre pas moins de mille pesos. Pour les deux nécessiteux, c’est une occasion inespérée. Après avoir donné un portefeuille volé en guise de gage, Hector décide d’ouvrir les caisses, misant sur le fait que le contenu des caisses doit valoir bien plus que mille pesos.

Et Hector n’a pas tort, car il met la main sur un masque mésoaméricain, aztèque plus précisément, en or, rien que ça ! A la fois par curiosité et par cupidité, Hector enfile le masque, mais ne parvient plus à l’enlever. Les gangsters ont tôt fait de revenir, et veulent récupérer leur marchandise pronto. Sous l’effet de la panique, Hector utilise alors sans le vouloir le pouvoir du masque, provoquant la mort de son frère. Loin d’être effrayés, les bandits y voient une opportunité d’accéder au pouvoir et vont contraindre Hector à travailler pour eux en prenant sa mère et sa sœur en otage.

En France, pendant ce temps, Siera est rattrapée par son passé lorsqu’elle reçoit un mystérieux colis, contenant un masque. Poursuivie pas les services de l’immigration, elle se rend compte que le masque lui donne la faculté de devenir invisible ! Au même moment, en Belgique, Al vit une crise existentielle, car il doit cacher sa transidentité à sa petite amie, et à ses amis, sous peine de subir leur rejet. Lui aussi va se réfugier sous un masque, un masque magique qui va le transformer littéralement en un homme surpuissant, capable de défendre les opprimer, ce que Al, entravée par le corps d’Alison, n’ose pas faire. Les destin de ces trois adolescents, éparpillés à travers le monde, vont se télescoper car l’enjeu autour de ces masques est très important. Le père d’Al en sait quelque chose, car il tente depuis des années de tous les rassembler pour éviter qu’un mauvais usage en soit fait.

Le prolifique Kid Toussaint (Ennemis, Hella et les Hellboyz, Magic 7, Absolument Normal, Elles,Love Love Love, etc) s’associe aujourd’hui au dessinateur de la série à succès Klaw pour une nouvelle série jeunesse qui surprend par son fort potentiel. Comme Magic 7, l’histoire nous met en relation avec une groupe d’adolescents qui vont se retrouver dotés de multiples pouvoirs, chaque masque octroyant une capacité différente. Le trio de ce premier tome est bien campé, chacun des protagonistes étant défini par une problématique sociétale d’actualité: Al lutte pour faire accepter sa transidentité, Siera fuit la guerre et la pauvreté mais n’a pas d’avenir garanti en France, Hector survit comme il peut dans un milieu pauvre et assailli par la criminalité. Ces éléments contribuent à rendre les personnages sympathiques, ce qui est, nous l’avons vu précédemment, crucial pour maintenir l’attention et l’adhésion du lecteur.

Pour le reste, j’ai toujours tendance à reprocher à Kid Toussaint le manque de subtilité de ses expositions, qui sont certes cruciales pour délivrer au lecteur la quantité d’informations nécessaires à la bonne compréhension du récit mais qui paraissent, par certains aspects, un peu forcées et littérales. Cependant, le reste de l’intrigue demeure clair, et conserve suffisamment d’interrogations et de ressorts exploitables pour ne pas s’essouffler.

On note aussi une petite vibe de X-men, avec un adulte (chauve!) réunissant autour de lui une bande d’adolescents multinationaux dotés de super-pouvoirs pour lesquels il fait office de mentor.

Côté graphique, les fans de Klaw savent déjà que Joël Jurion est très bon dans les scènes d’action, grâce à un trait dynamique et un découpage qui ne laisse pas la place aux temps morts. Il n’est pas non plus en reste pour les scènes plus intimistes, où l’expressivité des personnages rend la lecture plus immersive.

Ce premier tome de Masques par Kid Toussaint et Joël Jurion est donc un très bon début, une série à suivre !

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Soleil Noir

Histoire complète en 96 pages, écrite par Dario Sicchio, dessinée par Letizia Cadonici, mise en couleurs par Francesco Segala. Parution en France chez Shockdom le 25/03/2022.

Noir, c’est noir

Il y a seize ans et douze ans, respectivement, l’Humanité a connu deux catastrophes similaires, mais pas identiques, dont les conséquences furent dramatiques. Par deux fois, le Soleil, l’astre qui permet la vie sur Terre, ne s’est pas levé à l’horizon. A la place, un Soleil Noir s’est élevé, produisant à chaque occasion des effets dévastateurs sur les populations.

Le premier Soleil Noir a engendré une vague globale de désespoir, entraînant des suicides et des actes désespérés en masse. Le second astre noir a poussé les gens à s’entretuer, révélant les pires instincts de chacun. Ces événements, baptisés « Aubes noires », sont encore aujourd’hui commémorés par les habitants du monde entier, qui vivent dans la peur d’une nouvelle occurrence.

Malheureusement, il n’y a pas que l’Aube Noire et son retour éventuel que les humains doivent craindre. Car durant ces événements, furent conçus un certain nombre d’enfants, qui portent les stigmates du Soleil Noir: la peau et les cheveux blancs, les yeux rouges, et des proportions étranges que l’on pourrait situer tout en bas de la vallée de l’Étrange. Ces enfants, aujourd’hui adolescents, sont craints, rejetés, perçus comme des anomalies, qui rappellent à tout un chacun les heures les plus sombres de leur existence.

Dans la ville de Brightvale, où l’on trouve une concentration inhabituelle de Fils du Soleil Noir, Matthew et Clémentine ne font pas exception. Toisés par leurs camarades de classe, craints par leurs professeurs et par les autres parents d’élèves, ils cherchent leur place dans le monde. Le duo se retrouve même confronté à l’arrogance de deux de leurs aînés, des Fils du Soleil Noir de la première génération, qui eux, ont décidé de faire fi du regard des gens normaux et sont persuadés que leur présence sur Terre répond à un dessein supérieur. Les aînés vont se mettre en tête d’initier les plus jeunes à l’usage de leurs dons particuliers, afin de réaliser au mieux leur potentiel.

Habitué aux sorties confidentielles et atypiques, l’éditeur Shockdom est allé chercher trois talents italiens pour une histoire aux parfums eschatologiques, à mi-chemin entre Le Dernier Sacrifice et La Malédiction. Le thème de l’acceptation est évidemment central à ce genre de scénario, avec une catégorie d’individus à part, montrés du doigt et craints par le reste de la société.

Sombres messies d’une ère incertaine, les Fils du Soleil Noir sont à la fois flippants, de par leur apparence et leur nature mystérieuse, et attachants, car ils sont pour la plupart ignorants de leur destin sur Terre. L’ignorance est d’ailleurs un des autres thèmes du récit, les théories les plus aléatoires s’enchainant pour tenter d’expliquer le phénomène du Soleil Noir, sans qu’aucune certitude ne s’en dégage.

Cette caractéristique est sans aucun doute frustrante, mais elle demeure dans l’ère du temps, surtout à l’heure où les pandémies que l’on fantasmait jusque-là dans les films nous sont finalement tombées sur le coin de la tête, nous laissant dans un flou total. Le reste de l’intrigue est assez convenu, avec quelques doses de mystères implantées ça et là, mais là encore, l’auteur de prend pas le temps de les faires germer lors de la conclusion. Coté graphique en revanche, la dessinatrice pose avec brio une ambiance poisseuse et oppressante, et parvient à retranscrire avec succès les affres d’un monde qui a perdu espoir, et qui tremble à l’approche de son troisième jugement. Les Fils de l’éponyme Soleil Noir gardent en eux quelque chose d’étrangement malsain dans leur apparence, tout en étant parfaitement innocent, ce qui contribue grandement à la qualité graphique.

Soleil Noir a un pitch intriguant, des thématiques sombres et un univers oppressant, mais laisse un sentiment d’inachevé après la lecture. Ça vaut deux Calvin et demi, mais sur l’Étagère, on est pas des barbares ni des radins, on vous en met donc trois !

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Perdus dans le futur #2: piégés

Deuxième tome sur quatre de la série écrite par Damian et dessinée par Alex Fuentes. Parution chez Dupuis en mars 2022.

De mal en pis

Dans le tome 1, nous faisions la rencontre de Sara, Mei, Driss, et Arnold, quatre camarades de classe aux personnalités variées, mais soudés par une forte amitié. Harcelés par Piero, la brute locale, ils sont pris au piège d’un château en ruines et finissent projetés dans un futur hostile dans lequel se sont réfugiés des Templiers du Moyen-Âge.

Les cinq collégiens, aidés par un Templier, sont parvenus à emprunter de nouveau le tunnel temporel, espérant rentrer enfin chez eux. Mais ils ne sont pas encore tirés d’affaire ! Loin d’être revenus à leur époque, ils sont encore dans le futur, cette fois juste après l’effondrement de la civilisation.

Dans ce nouveau monde, presque tous les adultes ont disparu, pour la plupart en se laissant mourir, car ils étaient perdus dans l’univers virtuel qu’ils utilisaient pour fuir la réalité. Parmi les enfants survivants, beaucoup sont devenus féroces et sauvages, privés des normes sociétales et d’empathie. Notre groupe de voyageurs temporels va devoir accomplir des exploits pour se tirer de ce pétrin ! D’autant que le parchemin sur lequel figure la formule du voyage dans la temps leur a échappé, et que leurs différends, notamment ceux avec Piero, ne sont pas tout à fait réglés.

Après un premier tome dynamique et inventif, Damian et Alex Fuentes remettent le couvert pour nos cinq collégiens et leurs imposent de nouveaux déboires temporels. L’intrigue demeure simple, le scénariste ne jouant pas (encore?) la carte du paradoxe temporel et autres schémas temporels alambiqués.

On note également une évolution dans le propos: si le premier tome utilisait le voyage pour sensibiliser le lecteur quant aux harcèlement scolaire, ou encore sur la préservation de la nature, ce second tome tente une mise en abîme et une réflexion sur la technologie et l’omniprésence des écrans et de ses effets préoccupants.

Cependant, Perdus dans le futur est moins une BD à message qu’une BD avec un message. Le ton reste léger et divertissant, et les auteurs ont l’élégance de ne pas verser dans la leçon de morale, laissant à chaque lecteur le soin de se faire sa propre opinion. Les relations entre personnages sont également bien exploités, même si leur nombre relativement important pourrait créer un déséquilibre, l’auteur parvient néanmoins à les faire exister de manière plutôt égale au long de l’album.

Les dessins d’Alex Fuentès sont toujours aussi attractifs, l’empreinte très design de ses personnages et de ses décors fait mouche à chaque planche. Attendue au tournant après le premier tome, la série Perdus dans le Futur ne déçoit pas sur ce second tome !

***·BD·Jeunesse·Rapidos

Harmony #7: In fine

La BD!
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BD de Mathieu Reynès
Dupuis (2021), 58p., premier cycle achevé en 7 tomes.

Alors, alors, alors… Que dire de cette conclusion (officiellement) qui fait indéniablement le job tout en nous laissant un peu sur notre faim. On peut mettre le verre à moitié plein en se disant que meilleure est la série plus triste est la fin, ou à moitié vide en estimant que Reynès n’a pas complètement transformé son bel essai. Sur le plan graphique on est dans la continuité de toute la série, avec des planches qui claquent et des affrontement explosifs qui lorgnent vers le manga. Avec une structure étrange, entre une ouverture faisant Harmony tome 7 - BDfugue.compenser à une évolution X-men avec le méchant qui « capte » des êtres partout dans le monde et une conclusion ouverte sur un probable nouvelle « saison », on a du 100% action-aventure. L’album est entièrement tourné sur la baston finale, plutôt réussie avec ses effets pyrotechniques et son kung-fu nimbé de contre-pouvoirs. On regrettera juste une monotonie des décors qui minore un peu la portée via un cadrage hyper-serré des combats.

Le regret porte sur l’aspect conspirationniste qui a totalement disparu des derniers albums pour être remplacé par la dimension mystique. C’était attendu mais on en perd une partie du sel du début. Reste une réalisation sans faille depuis le premier tome et on ne va pas faire la fine bouche! Mathieu Reynès a annoncé une pause avant de revenir, on l’espère, dans une version plus adulte des aventures d’Harmony. Entre temps vous pouvez découvrir son nouveau projet numérique qui lorgne vers le manga et Lastman. Le tarif pratique me paraît un peu élevé pour du numérique et rappelle les débats sur le juste prix et la juste rémunération des auteurs. Le crowdfunding est quoi qu’il en soit toujours une bonne chose.. attendons de voir.

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Immonde !

Histoire complète en 233 pages, écrite et dessinée par Elizabeth Holleville. Parution chez Glénat le 12/01/2022. Lecture conseillée à partir de 16 ans.

Horrifique nostalgie

Morterre est une petite bourgade comme en voit très souvent dans les récits de genre: isolée, et pourvue d’un nom qui devrait faire fuir toute personne censée. Pour Jonas et Camille, Morterre représente toutefois la seule perspective d’avenir. Pour tuer le temps en dehors du lycée, les deux ados regardent des films d’horreur et tournent des canulars vidéos qu’ils diffusent sur internet. Leurs parents, comme l’essentiel de la population d’ailleurs, travaille au sein de la grande usine d’Algemma, à côté du site d’extraction du tomium, un minerai radioactif servant désormais à alimenter les centrales nucléaires.

En résumé, Algemma fait vivre Morterre, dans un équilibre nécessaire auquel tout le monde semble contribuer. De son côté, Nour, qui ne se remet pas du décès de sa mère, emménage avec son frère, et son père et va se lier d’amitié avec le duo marginal. Mais tout n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît à Morterre, car l’Agemma semble cacher bien des choses à ses employés, à commencer par les effets du tomium sur la population…

Teenage wasteland

La nostalgie est ce qui transparait en premier à la lecture d’Immonde ! d’Elizabeth Holleville. D’emblée, la comparaison avec des classiques comme les Goonies ou d’autres œuvres traitant du désarroi adolescent, saute aux yeux du lecteur, comme avec des séries comme Stranger Things. Le scénario emprunte donc çà et là l’essentiel de ses éléments pour construire un tout fleurant résolument le déjà-vu.

Comme on vient de le dire, la petite bourgade dont un groupe d’adolescents se sent prisonnier et dont il s’évade grâce à la pop-culture, est un élément maintes fois traité, mais qui constitue encore aujourd’hui une base solide pour construire un récit d’ambiance. On peut aussi voir du côté des références la conspiration militaro-industrielle, dont l’inconséquence et la cupidité provoquent l’éruption de l’innommable, qui déferle dans les rues de la ville comme un tsunami.

Heureusement que le fond de l’album ne se résume pas à ces éléments de forme, car l’horreur et l’épouvante ne semblent être qu’un habillage pour l’auteure, qui s’en saisit pour mieux traiter en toile de fond des problématiques sociétales et environnementales. En premier lieu, les troubles adolescents et la découverte de soi, mais également l’identité et le genre, ou encore des sujets économiques comme le chantage à l’emploi, font partie des thèmes phares de l’album.

La première moitié s’avère très efficace pour instiller une ambiance pesante et accroître progressivement la tension, avant le réel basculement dans l’horreur pour la seconde moitié.

Néanmoins, on ressort tout de même de cette lecture avec un petit sentiment d’inachevé, car si les thématiques sont visibles et traitées tout au long de l’album, d’autres éléments, mentionnés de façon ostentatoire et donc forcément perçus comme importants par le lecteur, ne sont ensuite pas exploités comme il se doit par l’auteure.

Je prends pour exemple principal les capacités extrasensorielles de Nour, qui sont évoquées mais ne servent en rien le récit, puisqu’elles ne jouent aucun rôle dans la résolution de l’intrigue, qui se serait donc déroulé de la même manière sans cet élément. Il y avait pourtant matière à quelque chose de plus dynamique (cet élément est sûrement inspiré de Eleven dans Stranger Things), mais cela donne finalement l’impression que la scénariste ne savait plus quoi faire de cet élément une fois lancée dans la production du récit.

Il me semble aussi avoir vu des approximations quant au sujet en lui-même (Morterre est un lieu d’extraction de minerai, mais on parle ensuite de traitement des déchets radioactifs, qui sont deux activités différentes et séparées dans le temps, voir cet article qui détaille le tout), qui aurait mérité une meilleurs documentation ainsi qu’une exposition plus détaillée. En effet, si l’un des objectifs est de dénoncer la pollution nucléaire, mieux vaut savoir de quoi on parle. Les autres points qui auraient mérité un traitement plus approfondi, ce sont les différentes mutations provoquées par la radioactivité au sein de la population, qui sont sans lien apparent avec les créatures qui arpentent les galeries de la mine souterraine et qui apparemment résistent aux radiations.

Immonde ! peut donc être rangée dans la catégorie des œuvres citant des œuvres qui sont elles-mêmes des références, ce qui peut provoquer des déperditions en terme de message et de puissance narrative, malgré des thématiques vitales et bienvenues.

***·BD·Jeunesse

Gravity Level #1/2: désertion

Série en deux tomes, écrite par Lorenzo Palloni et dessinée par Vittoria Macioci. Parution aux éditions Sarbacane le 08/01/20 et le 05/02/20. Lecture conseillée à partir de 10-12 ans.

Une grave idée de la gravité

Prenons cinq minutes pour revenir sur ce diptyque paru en 2020, et qui mérite certainement le détour. Depuis quelques siècles, la gravité a cessé de s’exercer sur Terre, provoquant la fin du monde tel que l’Humanité le connaissait. Les animaux, les humains, les océans, tout a été emporté vers la stratosphère, inexorablement. Une communauté de survivants s’est ainsi réfugiée sous terre, protégée par une bulle artificielle de gravité ainsi que des équipements conçus pour en contrer l’absence.

Bien entendu, nous savons tous que lorsque des humains ont besoin de sécurité, cela ne peut se faire qu’au détriment de la liberté. Et plus grand est le besoin de sécurité, plus grandes seront les atteintes liberticides. Zero-City, la ville des survivants, est donc une parfaite petite dictature inégalitaire, dans laquelle tout ce qui sort du cadre ne peut prospérer.

Vikt, Ibu, Waka, Bek et Pwa, sont cinq adolescents rebelles, qui, après un terrible accident causé par leur insouciance, sont contraints à l’exil. Obligés de quitter Zéro-City, les cinq gamins vont devoir s’aventurer dans le monde extérieur, que personne n’a osé explorer depuis l’apocalypse. Nos pieds-nickelés zéro-G survivront-ils à ce périple insensé ?

A force de chercher des causes possibles à la fin du monde, (virus, guerres, astéroïdes, robots, zombies), il paraissait inévitable qu’on en vienne à puiser dans le terreau SF pour imaginer une planète sans gravité. Ce pitch était déjà celui de Skyward, et peut poser des soucis en terme de suspension d’incrédulité. En effet, il semble assez piégeux d’exploiter un tel concept en prenant bien en compte tous les paramètres hypothétiques qu’il engendrerait.

En effet, sans gravité, il n’y aurait déjà pas d’atmosphère pour commencer, l’air se serait donc carapaté bien avant les océans, sans parler des rayonnements cosmiques face auxquels l’atmosphère fait guise de rempart. Bref, vous l’aurez compris, à moins d’avoir été écrit par un docteur en physique un peu cinglé, il ne faut pas trop chercher de plausibilité dans le traitement de ce pitch, mais plutôt se laisser porter.

La confrontation entre innocente jeunesse et rudesse d’un monde apocalyptique est un thème souvent abordé dans ce genre pléthorique, mais il fonctionne ici suffisamment bien pour tenir en haleine au fil des deux albums. La quête initiatique et le prix qu’elle induit pour notre groupe de mauvais élèves sont donc ce qui donne au diptyque tout son intérêt, mais les graphismes ne sont pas pour autant en reste.

Vittoria Macioci fait carton plein sur le design des personnages, très cartoonesque, ainsi que sur la mise en scène des décors, tantôt claustrophobes (la ville et son régime dictatorial), tantôt angoissants d’ampleur (le monde extérieur). Une série courte qui se lit donc facilement !