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Fool night #4

Manga de Kasumi Yasuda
Glénat (2022), série en cours, 4/6 tomes parus

bsic journalismMerci aux éditions Glénat pour leur fidélité.

Attention spoilers!

Plein de mangaka ont publié de grandes séries sur leurs débuts, aussi il n’est pas totalement incongru de voir Yasuda construire un projet d’une grande ambition et d’une maîtrise très assurée pour sa première œuvre. Sans revenir sur les excellents dessins, à cheval entre le manga et la franco-belge (ou plutôt le style italien) et qui installent une atsmosphère de polar redoutable dans les ombres et lumières, ce tome marque une forme de pause permettant le développement après la grande violence et l’action du précédent.

Le meurtrier disparu, l’équipe de l’Institut de transfloraison semble éliminer ses querelles pour affronter les conséquences des évènements: mis au pas par les forces de police, ils vont devoir enquêter pour comprendre qui était cet enfant devenu sanctiflore animé, ce qui va les amener à explorer l’univers des transflorés qui restait en coulisses jusqu’ici. Étirant un peu les relations entre Toshiro et Yomiko, l’auteur installe une situation insurrectionnelle alors que les anti-transfloraison multiplient les manifestations et agressions contre les tenants du système. Pas vraiment d’intrigue politique mais une tension qui élargit la focale qui restait jusqu’ici un peu interne au héros et à l’Institut. Et c’est une excellente chose qui donne une respiration en nous faisant voir du pays et de nouveaux protagonistes en généralisant des problématiques plus complexes que ce que l’Etat veut bien montrer.

Franchement novateur, ce manga s’installe comme une valeur sure de SF sociale tirant sur le polar. Kasumi Yasuda semble avoir énormément de choses à dire et à montrer dans sa besace et il est fort probable que l’on ne soit qu’au début d’une grande saga tant les potentialités ouvertes par son hypothèse sont grandes. Une des séries majeures à suivre actuellement, mon petit doigt me dit que cette série restera marquante…

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Not all robots

Comic de Mark Russel et Mike Dodato jr.
Delcourt (2023), 120 p. One-shot.

image-5Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

En 2056 toutes les taches contraignantes et productives sont effectuées par des robots. Les humains devenus oisifs se voient attribués un robot domestique dont ils dépendent. Dans cette société déséquilibrée organisée par les multinationales de la robotique, si la majorité s’accomode de cette situation, certains voient dans cette élimination productive des humains une dépendance trop dangereuse pour le genre humain…

Amazon.fr - Not All Robots (Volume 1) - Russell, Mark, Deodato Jr., Mike,  Loughridge, Lee - LivresEncore une dystopie robotique. En s’associant au vétéran Mike Deodato qu’on a vu plus élégant, l’auteur du récent Billion dollar island propose un pitch classique dont le ton surprend puisqu’il se veut résolument satirique. En suivant vaguement le destin d’une famille d’américains moyens passablement inquiète du comportement de son robot Russel juxtapose les scènes absurdes à la manière d’un Fabcaro ou d’un Emmanuel Reuzé. Et si l’idée marche dans un esprit Fluide Glacial, on sent très vite sur Not all robots les limites de l’exercice et le manque d’humour du scénariste qui accumule les commentaires appuyés sur ce mauvais plan. Le propos repose ainsi principalement sur les dialogues absurdes entre robots dont certains voudraient se passer du genre humain. Mais en oubliant qu’absurde ne veut pas dire incohérent, il fait de ses androïdes des êtres au comportement humain bien qu’ils aient l’apparence fruste de boites de conserve à la mode Star-wars. Alors qu’un Boichi excellait dans son hypothèse d’une IA cherchant à copier l’empathie humaine et, ici les dialogues sont illogiques et l’interaction robot-humains marche mal. L’intrigue aurait alors pu évoluer vers une guerre de résistance mais là encore bien peu d’action malheureusement très médiocrement portée par un style figé choisi par Deodato

Au final ce sont les deux post-faces des auteurs qui sont les plus intéressantes en nous expliquant pour le scénariste le sens de sa parabole faisant de ses robots des incarnation d’un comportement mâle dominateur dans un contexte #Meetoo (difficile de le comprendre en lisant l’album), pour le dessinateur le malaise de sentir qu’il n’était peut-être pas l’homme de la situation. Etonnante franchise avec laquelle on ne peut qu’être d’accord. Au final pour peu que vous accrochiez au style de dessin il est possible que l’idée vous amuse trente minutes, pour le reste on a là un album plutôt loupé.

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No future

La BD!
BD de Eric Corbeyran et Jef
Delcourt (2022), 117p., one shot

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bsic journalismMerci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

Halen Brennan est une mercenaire chargée d’effectuer les taches discrètes des multinationales. Sans foi ni loi, elle entame ainsi la recherche du voleur Jean-Claude Belmondeau pour la compagnie Stella, fleuron du tourisme spatial. Mais dans cette société matriarcale écolo-bobo les pratiques du Grand Capital restent les mêmes et Halen va bien entendu se faire doubler. Sauf qu’en bonne hétéro monogame nihiliste, Brennan faut pas la faire chier…

NO FUTURE (Éric Corbeyran / Jef) - Delcourt - SanctuaryAvec une productivité toujours impressionnante d’environ deux (gros) albums par an, Jef ne change pas une formule qu’il aime et en compagnie du vétéran scénariste du Chant des stryges nous propose un one-shot vitaminé qui va faire parler de lui. Car on peut accorder aux deux mâles blancs hétéro aux manettes le crédit d’assumer une BD coup de gueule qui risque de créer des remous dans le petit milieu culturel de la BD tout juste sorti de l’affaire Vivès. Entendons-nous: No future, sous son titre nihiliste qui représente les deux personnages (et globalement tous les personnages de Jef) est avant tout une série BD comme le dessinateur les a érigé en art, une SF pulp au scénario tout ce qu’il y a de plus convenu mais qui se démarque par un « montage » extrêmement efficace et une description graphique de notre futur proche assez impressionnante. On sent que le dessinateur se régale à multiplier ces plans urbains de circulation en apesanteur digne du Cinquième élément, Star-wars ou Valérian (ans le désordre) et je dois dire qu’on en prend plein les mirettes dans une technique hybride à la fois très old-school (on pense souvent à Jimenez) et au numérique fort discret. Sur ce plan un nous offre un véritable blockbuster comme on en voit finalement pas tant dans le neuvième art.

NO FUTURE (Éric Corbeyran / Jef) - Delcourt - SanctuaryLà où ça risque de faire crisser c’est dans la satire d’une société dystopique où une caricature de féminisme woke vegan bobo aurait pris le pouvoir sous une sorte de totalitarisme inversé qui voit les fumeurs boufeurs de barbaque et amateurs de bagnoles qui puent rangés dans les bas-fonds des cités connectées. En faisait de leurs deux héros des spécimen régressifs de notre société en transition, les auteurs prennent le risque que leur album soit pris au premier degré de la défense du virilisme qui nous rapprocherait des idées facho d’un Zemmour. Je ne connais pas les options politiques de Corbeyran et Jef mais personnellement j’ai choisi de prendre l’album pour ce qu’il était: une série B de dérision et aussi fine que les précédentes productions de Jef et que la filmographie d’un Quentin Tarantino. Si l’on s’abstient de tomber dans la suspicion généralisée ambiante il faut défendre le droit à la parodie, au mauvais gout et à la provocation. Quel que soit l’objectif visé (un petit ras le bol à certaines exagération de notre société?) il faut apprécier l’album tout à la fois pour son aspect couillu (dans le sens que vous voudrez) et pour le bel emballage SF certes peu original mais très bien emballé. Après tout un gros film aux personnages bleus est en train de casser la baraque avec un scénario de timbre poste, des plagiats éhontés et une naïveté confondante. Bon, je m’arrête là, je vais encore me faire des amis…

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The Last Ronin

Histoire complète en 224 pages, issue de l’univers TMNT. Au scénario, Kevin Eastman et Peter Laird, accompagnés de Tom Waltz. Parution aux éditons HiComics le 16/11/22.

Merci aux éditions Hicomics pour leur confiance.

Bad Future

Les liens qui unissent les clans Hamato et Oroku sont des liens de haine, de vengeance, et de trahisons, des liens qui perdurent après la mort. Après le meurtre de Hamato Yoshi et de ses quatres fils par Oroku Saki et le Clan Foot lors d’une lutte intestine en plein Japon féodal, le vieux maître et ses enfants sont réincarnés des siècles plus tard, au XXIe siècle à New York, en un rat et quatre tortues.

Ces animaux en apparence inoffensifs sont ensuite capturés et utilisés comme cobayes par Baxter Stockman, qui teste sur eux les propriétés étonnantes du Mutagène. Un accident de laboratoire plus tard, et voilà nos héros transformés en Splinter, et ses quatre disciples tortues, Léonardo, Raphael, Donatello et Michelangelo. Leurs aventures les ont opposés à la résurgence d’Oroku Saki, alias Shredder, ainsi qu’aux ninjas du clan Foot, mais également à des mutants en tous genres et des aliens venus d’autres dimensions. Mais comment finira ce combat acharné contre le mal ? Et jusqu’où ira la vendetta entre les Hamato et les Oroku ?

C’est la réponse que The Last Ronin tente de nous apporter, en nous transportant dans un des futurs possibles de la franchise. Le Clan Hamato a été décimé par les multiples combats auxquels ils ont du faire face, seule une des Tortues poursuit encore la croisade contre les Foot. Mais que peut faire le dernier Ronind face à tous ces ennemis ?

Au départ, l’identité du dernier survivant de notre quatuor préféré nous est inconnu. Muni d’un bandeau noir et des quatres armes signatures, il parle épisodiquement avec les fantômes de ses frères, qui sont conservés en hors-champ ou eux aussi munis de bandeaux noirs, de sorte qu’on ne peut les distinguer. L’album s’ouvre sur une mission suicide, un raid désespéré contre le quartier général des Foot, désormais dirigés par Oroku Hiroto, le petit-fils de Shredder. Après un premier échec cuisant, notre dernier Ronin va découvrir une ville qu’il n’avait pas arpentée depuis des décennies, et retrouver le peu d’alliés qui lui restent.

La première chose à savoir sur The Last Ronin, c’est que cette histoire était prévue par Kévin Eastman et Peter Laird, les créateurs des Tortues, à l’époque où leurs aventures débutaient chez Mirage Comics (ça date!). Il s’inspire donc du ton d’origine de la série, qui, sous ses airs de parodie des travaux de Frank Miller, avait un fond plutôt sombre. Ici, l’ambiance est crépusculaire et ne manquera pas de rappeler The Dark Knight Returns du fameux Miller, avec des éléments dystopiques et un ton désespéré.

Ce saut dans le temps nous plonge dans un univers déprimant en nous montrant, chapitre par chapitre, les tragédies qui ont frappé les héros, et, pour certains d’entre eux, la vacuité de leurs sacrifice, ce qui ajoute encore à l’amertume du scénario. Le choix du survivant parmis les Tortues, selon le point de vue que l’on adopte, peut être soit surprenant, soit inévitable, au vu de leurs personnalités bien distinctes.

Entre les flash-backs (qui reprennent le style initial des TMNT) et les bastons épiques et sanglantes, les auteurs glissent une réflexion bien amenée sur la vengeance et le deuil, sans oublier la famille de choix que l’on s’érige au travers des épreuves.

Considérée indépendamment de la série en cours (chez IDW aux US, chez HiComics en France), cet album est donc une vraie réussite, qui nécessite certes de connaître l’univers des TMNT, ou du moins ses personnages principaux, mais qui n’exige pas une connaisance étendue de toute la continuité de la série, qui d’ailleurs n’est pas respectée à la lettre. Ce Last Ronin est donc une sorte de What If ?, plus sombre et amer que la série principale, mais qui a le mérite de toucher du doigt l’esprit initial de la franchise.

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Rage #1: le rideau de Titane

La BD!
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BD de Tome et Dan
Kennes (2020), 78p., série en cours.

Le Rideau de Titane est une barrière infranchissable qui sépare les terres désolées de la mythique An-Ahm. Dans ce monde mort les réfugiés tentent le tout pour le tout dans le but de reprendre une vie meilleure dans la cité que l’on dit paradisiaque. Mais avant cela il y a le Mur. Les laser. Les drones. La mort. Jin crains la mort, comme tout le monde. Mais il n’a plus le choix car son aimée Saakhi est passée de l’autre côté. Il doit braver le danger et tenter le tout pour le tout…

Rages - BD, informations, cotesLe monde de l’édition est rempli de petites maisons qui tentent de trouver la perle rare qui comme Lanfeust en son temps lui permettra de trouver une place sur les présentoirs de des librairies. Assez mineures en BD puisque hormis les deux succès critiques Putain de chat et Ninn peu de leurs séries sont connues, les éditions belges Kennes ont réussi à attirer un vétéran, le mythique Tome, scénariste de Soda et surtout de la meilleure période de Spirou avec son compère Janry avant de lancer Ralph Meyer (actuel cador du dessin sur Undertaker) sur l’excellent polar Berceuse assassine. Pour rester en famille, le dessinateur de ce Rages n’est autre que l’assistant de Janry sur les petit Spirou. Tout ça pour dire que vous trouverez dans cette ouverture d’une série conçue sur plusieurs volumes énormément de l’esprit des Spirou version Tome&Janry dans son aspect le plus sombre et adulte. Cela avant la disparition soudaine du scénariste à soixante-deux ans seulement en 2019…

Dans cette introduction à un monde post-apo animalier dépressif les planches claquent au visage avec la fraîcheur des premiers albums. Un souvenir du Block 109 de Toulhoat ou du Brane zéro de Mathieu Thonon où malgré quelques lacunes techniques on sentait une passion pour la mise en scène et une entièreté créative qui ne calcule pas. L’alchimie de cet album repose ainsi sur la science du découpage hautement cinématographique Rages - BD, avis, informations, images, albums - BDTheque.comde Tome et sur la passion de Dan qui propose une étonnante variation de techniques dans ce survival. Car si le début nous narre une expédition pour franchir le mur infranchissable on arrive très rapidement dans le cœur de cet album plus d’ambiance qu’explicatif: l’arène des gladiateurs. On retrouve ainsi le désespoir et la rage d’une autre série dépressive: Solo. On connaît les ressorts: une aimée perdue, un eldorado qui n’est qu’un mirage, une dictature qui s’appuie sur des jeux du cirque pour apaiser sa population, un héro qui sait montrer la vertu de la collaboration dans un monde d’égoïsme et de violence.

Proposant quelques superbes visions dystopiques, Rages est une enthousiasmante entrée en matière qui propose ce qu’on aime dans la BD SF: des références en veux-tu en voilà au cinoche des années quatre-vingt, de la radicalité dépressive, des combats d’arène rageurs, violents, désespérés. La conclusion aussi logique qu’engageante pour la suite nous laisse dans l’attente d’un développement de l’univers vers ce qu’on imagine comme une révolte populaire à l’issue des exploits de notre panda-guerrier. Toutes les bases sont posées, teasées, pour une grande série post-apo. Pour peu que la disparition du scénariste et les ventes incitent l’éditeur à poursuivre l’aventure.Certaines séries ont particulièrement besoin des lecteurs pour se poursuivre. Rages en fait partie et je vous invite vivement à tenter le combat.

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Fool night #1

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Manga de Kasumi Yasuda
Glénat (2022), série en cours, 1/3 tomes parus

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bsic journalismMerci aux éditions Glénat pour leur fidélité.

Cela fait désormais un siècle que le soleil ne perce plus la couche de nuage qui enserre la Terre. Toute végétation ayant disparu, l’humanité a du mettre au point une technique permettant la photosynthèse nécessaire à la vie: la transfloraison, consistant à transformer des humains volontaires en plantes. Dans cette société verticale où seuls les plus fortunés parviennent à survivre dignement et où les classes laborieuses sont souvent contraintes de « vendre » leur corps en transfloraison, Toshiro va se retrouver contraint de demander à son amie d’enfance, médecin, de procéder à l’opération…

Fool Night tome 1 : un jardin aux multiples plantes - Esprit OtakuSur un pitch sommes toutes très classique qui propose une société dystopique inégalitaire vaguement teintée d’écologie, le jeune auteur Kasumi Yasuda impressionne tant graphiquement que dans sa construction pour son premier manga. Dans un style qui rappelle celui de Hirako Waka sur le carton de 2020 My Broken Mariko (avec une atmosphère mélancolique assez proche également), nous allons suivre un « suicidé » pour cause de pauvreté (un classique dans les thématiques sociales japonaises) qui se retrouve doté d’une faculté rare qui pourrait permettre une immense avancée dans la connaissance de la transfloraison. Contacté par une concertiste recherchant la plante qu’est devenu son père, il va soudain devenir fort utile à ce système au premier abord fort cruel. Pourtant l’auteur ne se prononce pas clairement sur l’injustice du processus de transfloraison (qui évoque le thème du transhumanisme bien entendu). Si cette société à bout de souffle s’est renfermée sur une structure basée sur l’argent, la question de ce que sont devenus les transflorés est immédiatement posée. Est-ce un sacrifice ou un simple changement de forme? Les transflorés sont-ils conscients?

Finalement sous couvert de thématique SF qui peut rappeler le classique Soleil vert ce sont plus des sujets traditionnels de la société japonaise qui transparaissent: le lien entre générations avec la pression sociale des aînés et l’absence d’avenir choisi pour les jeunes (Toshiro devant se sacrifier pour sa mère, Sumi ayant été contrainte à entrer au conservatoire par son père), l’animisme et les esprits des plantes et animaux (les végétaux étant ici littéralement d’anciens proches). Le mélange de cette tradition et d’un futurisme recouvre ainsi parfaitement les facettes de ce Japon tiraillé entre tradition et modernité. Une vision originale qui sort tout à fait des sentiers battus du manga seinen. Une belle découverte à confirmer dans les prochains tomes.

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*****·Cinéma

Mortal engines

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Ils ne sont pas nombreux les billets visionnages sur le blog. Non que je n’aime pas ça mais d’une part le planning BD est toujours chargé et surtout les films justifiant graphiquement d’en parler ne sont pas légion. Pour rappel je m’astreint à parler ici de tout ce qui est graphique, donc soit d’adaptation de BD soit de films d’animation, soit (plus rarement) de films dont le traitement revêt un grand intérêt visuel.Mortal Engines : des mythes antiques dans un futur steampunk – Antiquipop |  L'Antiquité dans la culture populaire contemporaine

Ce Mortal Engines (sorti en 2018) est l’adaptation du premier roman de la série de quatre livres Tom et Hester parus à partir de 2003. S’étant complètement planté au Box-office en récoltant quatre-vingt millions de dollars sur un budget de cent, le film a reçu une moyenne de 26% sur l’agrégateur de critiques Rotten tomatoes et (un peu mieux) 3.1/5 sur les critiques presse françaises. A peu près le même résultat que le chef d’œuvre Jupiter ascending, autre fantasme visuel réalisé par les Wachowski. Tout cela ne va pas vous donner très envie de regarder ce métrage… et pourtant!Film steampunk : Y aura-t-il un Mortal Engines 2 ? | EL X CRË

Sur une trame que l’on sent issue de la littérature ado, Peter Jackson et ses comparses du Seigneur des Anneaux Fran Walsh et Philippa Boyens démontrent une nouvelle fois leur qualité de scénaristes. Car sur Mortal Engines ils ne sont pas que producteurs et ont simplement confié la réalisation à un dessinateur qui a travaillé sur tous les films de Jackson. Un dessinateur aux manettes, ce n’est pas un détail et cela se voir sur tout les plans.

Shrike : r/MortalEnginesCar outre une thématique SF steampunk bien plus sombre que l’on aurait attendu, le film déroule une univers d’une richesse graphique totalement folle, ne délaissant aucun plan et surtout ne se reposant pas que sur le visuel. Doté d’une équipe de jeunes acteurs à peu près inconnus (et portés par un Hugo Weaving en méchant subtile fort charismatique) mais très talentueux, il est tout à fait surprenant que cette œuvre n’ait pas trouvé son publie tant il regorgeait d’énormément de point qui auraient pu en faire une nouvelle mythologie majeure du cinéma. Une fois dépassé le pitch WTF voulant que les cités du futur sont montées sur chenilles et parcourent la Terre, on suit très vite l’itinéraire d’une jeune femme balafrée, poursuivant une vengeance et elle-même poursuivie par une Nemesis impitoyable avant de rencontrer la chef des pirates reliée à un peuple sédentaire que Hugo Weaving et la noblesse de Londres veulent éteindre…

On est immédiatement happé dans une intrigue qui ne souffre d’à peu près aucun ventre mou et démarre sans mise en place. La fuite de Hester va la mener dans les terres sauvages à la rencontre de marchands d’esclaves, de charognards, de pirates du ciel dans une séquence tout droit sortie d’un fantasme de designer graphique. Autant les jeux vidéo nous abreuvent d’univers et de visuels fous, autant le cinéma peine à assouvie cette envie que Star Wars fut à peu près le seul à satisfaire. Le design général sidère, tant dans l’élégance XIX° des costumes de Londres que dans les mécaniques steampunk et les engins frustes dégoulinant d’huile. La relation entre Hester et son poursuivant est très intéressante et traitée subtilement jusqu’à une progression qui joue sur la culpabilité familiale et l’identité propre qui touche au thème de l’IA. Comme on pouvait s’y attendre de la part de la bande à Jackson, l’épique est omniprésent et dramatique dans cette attaque finale entre les deux sociétés. Refusant les trames classiques et cliché d’une grande partie des films d’action US, Mortal engines réussit clairement grâce au talent de Jackson qui ne tombe jamais dans l’attendu et joue entre les émotions et les envies artistiques loin d’un manichéisme ricain.Mortal Engines - Airhaven by Nick Keller : ImaginaryMindscapes | Mortal  engines, Weta workshop, Fantasy concept art

Très mal vendu à sa sortie, trop appuyé sur une iconographie teen, Mortal engines mérite une seconde carrière via sa sortie récente sur Netflix tant il constitue l’un des meilleurs films de SF que j’ai vu depuis très longtemps, au même titre qu’un Alita Battle angel ou un Ready player one. Un visionnage impératif pour tout amateur d’univers graphiques!

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Le Dernier Livre

La BD!

Histoire complète en 72 pages écrite par François Durpaire et dessinée par Brice Bingono. Parution le 24/11/21 aux éditions Glénat.

Du pain, des virus et des jeux

Dans un futur pas si éloigné, une virulente pandémie a forcé les sociétés modernes à se réinventer et à proscrire autant que possible les contacts entre individus. S’en sont suivis une passation de pouvoir et un changement de régime, qui ont vu les géants du numérique s’emparer des principes de la démocratie.

Comme pour tout régime non-démocratique et autoritaire, l’accès au savoir a très vite été identifié comme antithétique, voire dangereux, car il favorise l’esprit critique et ne correspond plus à la consommation de masse qui est aujourd’hui la colonne vertébrale de nos sociétés. C’est donc tout naturellement que les écoles sont fermées, au profit d’une digitalisation du savoir. Les livres sont bannis, les librairies et le secteur du livre sont également prohibés, et le nouveau régime va même jusqu’à concevoir un nouveau langage à visée universelle.

Tout ceci est bien entendu appuyé par un état-policier. Tous les contrevenants qui conservent et utilisent encore des livres sont violemment traqués et punis, et la culture elle-même fait l’objet d’une censure, opérée à l’aune des objectifs mercantiles du nouveau gouvernement.

Car les seuls rassemblements permis sont dans les centres commerciaux, où les individus sont abreuvés de contenus digitaux prédigérés pour eux.

La jeune Héliade est née dans ce monde, qui n’a pas mis longtemps à sombrer dans l’obscurantisme et la violence. Ses parents se sentent impuissants à lui épargner cette mise à mort collective de l’esprit et de la culture, et font ce qu’ils peuvent pour préserver le peu qu’il leur reste de liberté de penser. Mais un beau jour, Héliade est enlevée en plein centre commercial, par un homme portant un masque à l’effigie de Victor Hugo. C’est le début d’un chassé-croisé risqué entre les résistants du livre et ses farouches opposants.

Fahrenheit 1984

François Durpaire, déjà auteur de la trilogie La Présidente, éditée aux Arènes, est un universitaire régulièrement aperçu à la télévision en tant que consultant expert des questions politiques et culturelles aux Etats-Unis. Il érige ici un récit fortement influencé par l’actualité récente, auquel il mêle des thématiques dystopiques bien connues et issues de la littérature américaine du XXe siècle.

En effet, l’idée des autodafés à grande échelle, en plus d’appartenir à l’Histoire, était déjà évoquée dans des œuvres telles que Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. L’œuvre est d’ailleurs elle-même référencée dans l’album, dans une scène où l’un des personnages note la similarité des situations. La comparaison peut aller plus loin, puisque, comme dans le célèbre roman, les résistants qui étudient encore les livres s’éveillent à l’idée que le livre vit encore en eux, quand bien même la dernière copie qui en subsistait a été brûlée.

L’autre source d’inspiration pourrait être 1984, qui s’est d’ailleurs payé plusieurs adaptations BD l’an passé. La surveillance de masse, la novlangue et la double-pensée ont clairement guidé le scénariste dans l’élaboration de son univers post-pandémie.

Néanmoins, si l’on peut accorder à cet album un poésie et un lyrisme maitrisés, il n’en demeure pas moins que les ressorts dramatiques qui en ressortent paraissent plats. Les personnages en eux-mêmes ne sont pas idéalement creusés, et on constate avec étonnement que le cœur de l’album, soit 24 pages, correspond à une seule scène, un échange entre une professeure et ses élèves retraçant amoureusement l’histoire du livre et de l’écriture.

Ceci laisse donc peu de place aux ressorts dramatiques, même si la conclusion, certes confondante de naïveté et d’optimisme, s’avère cohérente avec l’ensemble du récit. C’est ce qui fait que le Dernier Livre est moins un thriller d’anticipation dystopique (comme promis par la quatrième de couverture) qu’un vibrant hommage au prodige de l’écrit et du savoir (ce qui est tout naturel venant d’un universitaire engagé).

La partie graphique, quant à elle, est tout à fait sublime, grâce au talent de Brice Bingono, qui livre de superbes planches dans la lignée d’un Travis Charest.

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Search and Destroy

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Manga de Kaneko Atsushi
Delcourt (2021) – (2018), 300p./volume, série finie en 3 volumes.

Dans une cité monumentale perdue dans les plaines enneigées et gangrénée par les Yakuza et un pouvoir totalitaire régnant sur une plèbe androïde, Hyaku cherche vengeance. Enfant elle a été dépecée et poursuit désormais impitoyablement ceux qui lui ont dérobé ses membres et organes. Accompagnée du gamin Doro, sa chasse s’annonce sanglante… 

badge numeriqueSacrée surprise que cette trilogie qui transpose dans un univers de SF dystopique un manga d’Osamu Tezuka, originalement située au Moyen-Age japonais. Si le nom du grand maître du manga est toujours une tentation d’accroche commerciale, je ne suis pas certain que ce choix de mise en avant soit parlant et efficace tant le projet d’Atsushi Kaneko est particulier, empreint d’une ambiance torve aux influences punk et cronenbergiennes, bien loin du classicisme de l’œuvre de Tezuka.

Search and Destroy, tome 1 - Atsushi Kaneko - Les portes du MultiversAu premier abord les dessins peuvent sembler pauvres, techniquement étranges, avant de constater la force d’une ligne contrastée offrant aux ombres et lumières un rôle central. La comparaison qui m’est immédiatement venue à la lecture de ce manga fut l’immersion improbable d’un autre maître de la BD, Will Eisner, dans un univers de SF cyberpunk. Comme le dessinateur américain, Kaneko possède en effet ce style très BD européenne à la fois très tranché et par moment simplement posé en touches. Volontiers provocateur, les simples couvertures de Kaneko (pas forcément les plus attirantes), évoque immédiatement une certains SF des années soixante-dix et ses vilaines jaquettes des collections de romans populaires.

Search and Destroy est trash, cash, totalement japonais dans sa fascination organique pour les bizarreries anatomiques et les amputations, découpages et mutilations. Car l’intrigue est simple: Hyaku chasse les druides qui lui ont volé son corps, grâce aux implants armés qui hérissent son corps. Le premier intérêt vient, outre du dessin très intéressant, des thématiques SF fort nombreuses évoquées pourtant avec talent en seulement trois volumes. Search and Destroy (Manga) | AnimeClick.itProposant une société où post-humains puissants améliorés cohabitent avec un prolétariat de robots ouvriers, il aborde frontalement les sujets asimoviens de ce qu’est un être vivant alors qu’un humain peut être découpé, que des robots peuvent se greffer des morceaux humains et que les androïdes purs semblent dotés de plus d’émotions que leurs dominants.

Utilisant autant l’esthétique rétro-futuriste des totalitarismes années trente, l’auteur extrémise ses planches via des tempêtes de neige, des hordes de robots oppressés et des salons de sexe déviant aux stroboscopes  éblouissant. On entendrait presque l’assourdissante musique qui semble recouvrir cet opéra destroy et rageur.

Jouissant de bien peu de défauts (hormis son esthétique qui ne plaira peut-être pas à tout le monde), Search and Destroy est une sacrée claque, une bien belle découverte tant graphique que scénaristique qui montre une nouvelle fois que les sujets les plus simples sont souvent les meilleurs quand ils sont habités par un liant intelligent.

***·Manga·Service Presse

Astra, lost in space 2-5

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Manga de Kenta Shinohara
Nobi-Nobi (2016) 2019, 240 p./volume, série finie en 5 volumes.

Un billet de découverte du premier volume est disponible ici. La maquette nobi-nobi est très didactique en proposant en fin de jaquette un résumé, la tomaison des cinq volumes, l’âge recommandé et les thématiques abordées. L’intérieur comporte des séquences dont le texte a été détourné humoristiquement. En début d’albums nous avons droit à un résumé général, un rappel des personnages et une jolie double illustration couleur à chaque tome. Également chaque volume se termine par quelques strips humoristiques reprenant les personnages dans des situations décalées. Globalement une édition très solide qui accompagnement parfaitement la lecture. A noter que la série a fait l’objet d’une adaptation animée.

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bsic journalismMerci aux éditions Pika pour leur confiance.

J’avais accueilli favorablement le premier tome de cette série déjà un peu ancienne, parue chez Nobi-nobi, label des éditions Pika développant un catalogue jeunesse. A ce titre, si Astra est indiqué en jeunesse on peut noter que les thématiques traitées au final des révélations sont relativement pointues dans la gamme SF et touchent résolument le Seinen. Ainsi la particularité de cette série remarquablement maîtrisée est de proposer en simultané deux genres assez éloignés: le récit de lycée et d’apprentissage sur un ton léger, et un thriller spatial et SF qui va assez loin dans les réflexions sur notre futur et assez sombre dans son traitement adulte. Et ce qui étonne le plus c’est que cet alliage très improbable fonctionne presque parfaitement tout le long des volumes de taille inégale (le dernier comporte plus de deux-cent cinquante pages quand les autres tournent autour de deux-cent).

Ainsi l’aventure commence sur un ton léger en nous promettant la visite de planètes tout à fait exotiques permettant d’imaginer faunes, flores et systèmes planétaires crédibles. L’aspect pédagogiques du shonen est très bien mené en donnant plein d’explications scientifiques simples sur la biologie via le personnage de Charce, spécialiste scientifique. La répétition de ces explorations planétaires serait sans doute devenue lassante si l’auteur n’avait pas adopté un rythme assez rapide, ne traînant pas sur les intermèdes plutôt dédiés aux relations entre personnages. Et en la matière il y a de quoi faire puisque avec neuf membres d’équipage les interactions sont nombreuses, que ce soit la résolution de sous intrigues, de tensions ou les découvertes de leurs passés… qui sont bien entendu directement liés à l’intrigue principale.

Si on constate quelques longueurs (selon l’âge auquel on va lire le manga, j’imagine que des adolescents seront plus pris que moi par les relations (amoureuses?) entre personnages) notamment sur le second volume, bien vite des éléments de résolution du thriller s’ajoutent et font monter la tension et l’envie d’avancer. Kenta Shinohara montre un remarquable talent pour disséminer les informations choc parfaitement réparties pour éviter que chacun des éléments de sa série ne prenne le dessus sur les autres. Auteur d’une précédente série de lycée humoristique, il est à l’aise dans son traitement des personnages et l’humour fonctionne ici encore très bien pour maintenir un esprit léger même après les moments les plus dramatiques. On est surpris de l’ambition du projet et de la profondeur des problématiques dans une série aussi courte, sans jamais avoir le sentiment d’un trop ou d’éléments inaboutis. Après la longue conclusion du cinquième volume (à l’entrée duquel on est un peu inquiet tant les révélations sont nombreuses) on referme cette série avec l’assez rare Astra Lost in Spaceimpression que tout a été dit, traité, conclu. Il est difficile de vous parler des problématiques au cœur de l’intrigue sans déflorer l’intérêt du manga mais l’identité que l’on se construit, la norme sociale et la liberté individuelle de se choisir un avenir sont bien l’essence du message que veut porter l’auteur. Ce sont les bases de tout manga de lycée mais en situant ses personnages dans un contexte de crise et de SF cela permet d’aller plus loin que les simples tempéraments archétypaux de départ. En post-face l’auteur indique qu’il voulait se mettre en danger avec ce manga en abordant un contexte SF qu’il maîtrisait mal. Et l’on peut dire que son projet est sur ce point parfaitement maîtrisé en rendant intéressant un traitement d’un futur possible assez original.

Projet risqué et hybride, Astra – lost in space s’avère une grande réussite thématique et scénaristique légèrement freiné par des dessins un peu simples (notamment pour les arrières-plans) malgré un chara-design très sympathique. Cela ne gène pourtant en rien un plaisir de lecture qui vous fera dévorer ces cinq tomes que vous soyez féru de SF ou novice dans le thème. Et en cela aussi c’est une fort belle découverte.

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