L’histoire est d’abord parue en deux volumes avant de ressortir en un unique volume puis dans le quatrième tome de l’intégrale de la série
Dernier descendant d’une illustre dynastie, Roland de Cremer, jeune cartographe arrive au Centre de cartographie de Sodrovno-Voldachie. Là il va apprendre le métier au contact d’un maître de la tradition qui voit arriver une modernité menaçant l’art de la cartographie. Entre ses découvertes amoureuses et professionnelles, de Cremer va devoir se positionner lorsque le pouvoir militaire du maréchal Radisic décident de reprendre en main la direction du Centre…
Ma relecture de cet avant-dernier diptyque de la série est l’occasion de rappeler l’importance de la série des Cités obscures dans l’histoire de la BD franco-belge. Entamée en 1983 en feuilleton dans le magazine mythique (A suivre), la série compte onze albums dont le dernier paru en 2009 est probablement le dernier. Le dessinateur François Schuiten est le fils d’un réputé architecte bruxellois et son travail commencé dans les pages de Métal Hurlant se concentre dès le début sur les formes architecturales et les décors. Le scénariste Benoit Peeters est un éminent sémiologue, spécialiste de Tintin qui a autant écrit de livres sur le récit séquentiel que de scénarii de BD. Leur travail sur les Cités Obscures consiste en le développement d’un univers à la géographie partagé mais expérimentant de multiples formes tant graphiques (noir et blanc ou couleur), de format que s’étendant au-delà du cadre du neuvième art en se développant en expositions, musiques ou faux guide touristique aux Guides Michelin.
Se situant dans un univers à la temporalité technologique proche des années 1950 et parfois quasi-steampunk, La Frontière invisible raconte en deux tomes très différents la résistance de la tradition sur une science techniciste au service d’un pouvoir politique qui cherche à façonner les territoires pour confirmer son récit. Notre héros est un naïf plutôt bien vu à son arrivée en raison de son nom glorieux, montrant le conservatisme de cette société. Désormais membre d’une illustre institution il devient ainsi un gardien du Temple en même temps qu’un rempart contre la modernité incarnée par des machines destinées à automatiser un art ancestral. Dans ce monde fantastique, outre les architectures démentielles qui sont un des plaisirs évident de la lecture, les travaux surréalistes participent à l’esthétique générale: ainsi les travaux cartographiques portent autant sur la reconstitution du territoire en une gigantesque maquette que sur des cartes traitant des comportements sociaux.
Alors que le premier tome déroule un récit linéaire de découverte de ce petit monde et de ses décors incroyables (où l’on n’oublie pas une certaine sensualité qui rappelle que Schuiten n’est pas qu’un dessinateur-architecte!), le second relate la fuite des deux héros dans des décors naturels et des tableaux allégoriques où la politique expansionniste de ce régime autoritaire nous explique le sens du titre et l’absurdité de la Frontière.
Étonnamment c’est plus le worldbuilding et sa cohérence qui fascinent dans cette BD sans doute un peu trop courte pour pouvoir développer réellement une intrigue géopolitique intéressante. On effleure donc simplement ce que l’on imagine des rivalités empruntées à l’Europe de l’Est en contexte de Guerre froide qui ne restent que des tableaux. De même sur l’histoire pourtant passionnante de ce Centre incarné par un dôme gigantesque renfermant une version miniature du territoire de la République mais qu’hormis la rivalité entre le patron et le jeune loup imposant ses machines, on ne fait que survoler. Archéologues, Schuiten et Peeters lancent des pistes, nous font découvrir au détour d’un couloir les caves de l’Institution, habitées d’animaux fantastiques dont on ne nous dira rien… Frustrant, comme une conclusion amère dont on ne sait que penser au-delà de l’idée que le rêve (y compris amoureux) doit guider le cartographe plus que sa mission.
Album tantôt fascinant tantôt décevant, La frontière invisible n’est semble t’il qu’une pierre de l’incroyable édifice des Cités Obscures, œuvre d’une époque, d’une génération, de ces Bourgeon, Bilal, Manara, Pratt, des artisans érudits dont les dessins très détaillés n’étaient que le véhicule pour des réflexions sociétales comme poétiques. Des albums intelligents et accessibles qu’il faut redécouvrir.
Le très gros coup éditorial réalisé par les éditions Rue de Sèvres qui viennent d’annoncer le transfert de la série Seuls (plus grosse série jeunesse en cours) après avoir récupéré le Label 619 (publications phases en young adult) est l’occasion de notre billet traditionnel sur l’intégrale du dernier cycle paru chez Dupuis fin 2022.
Alors que la série Les 5 Terres a un peu accaparé les attentions depuis quelques temps on en oublierait presque combien Seuls est peut-être la série majeure et une des plus ambitieuses dans sa construction depuis bientôt vingt ans. Maintenant bien avancés dans l’intrigue et l’évolution de sa thématique en abandonnant le thriller horrifique du premier cycle, les auteurs assument de bâtir une série très grand public dont le style graphique continue à paraitre une incongruité dans un registre que les japonais intituleraient « seinen ».
Vehlmannet Gazzottiont prix un gros risque dans la structure de ce cycle en choisissant de séparer les enfants dont le groupe formait le ciment de l’intrigue. Ce faisant ils permettent à chacun des quatre tomes de garder une unité dans une action simple qui retrouve les schémas d’épouvante du premier cycle. La conséquence est de ralentir l’intrigue générale en hachant la progression de quelques pages au sein des quatre trames. Pour autant notre connaissance du monde des Limbes avance énormément avec des hypothèses scientifiques sur le Temps et le Big Bang par les recherches d’Anton mais aussi sur les liens entre Paradis, Limbes et Enfer. A la sortie de ce cycle l’affrontement semble plus proche que jamais entre les évadés de la huitième famille guidés par les héros désormais dotés de grands pouvoirs et l’enjeu final qui commence à poindre: éviter la guerre des limbes bien sur, mais aussi pourquoi pas la résurrection ou du moins la communication entre les réalités.
L’immense qualité de cette série reste la richesse de la mythologie originale créée par les auteurs et dont le risque principal est bien de se perdre dans trop de cycles. Vue la quantité d’information, la cohérence de l’ensemble et le nombre de personnages il y a largement la matière pour encore de longues années en compagnie de Dodji et sa bande. En forme de cycle préparatoire, ce troisième arrive donc bien à compenser une petite baisse de rythme (et d’interactions) tout en garantissant de très belles scènes fantastiques, de l’action qui n’a rien à envier aux grandes séries adultes et un cadre mythologique toujours aussi passionnant. On se retrouve donc dans quelques mois chez le nouvel éditeur pour un quatorzième tome en se demandant si le mercato sera aussi l’occasion d’une évolution plus adulte d’une saga déjà bien mature.
Si vous avez lu ou parcouru House of X / Powers of X, alors vous avez a minima entendu parler des Protocoles de Résurrection de Krakoa. Grâce à la combinaison des pouvoirs de cinq mutants (Proteus, Tempus, Egg, Elixir, et Hope Summers) il est possible de faire revivre n’importe quel mutant ayant vécu, ce qui est une avancée spectaculaire pour le peuple mutant, qui considère ainsi avoir vaincu la mort. Mais est-ce si simple que cela ? Ces protocoles de résurrection ne posent-ils pas un problème d’ordre épistémologique ? Si vous étiez un mutant, souhaiteriez-vous être ressuscité sur Krakoa ? C’est ce que nous allons voir dans ce modeste article.
Si vous le voulez bien, reprenons tout d’abord en détail les fameux Protocoles. En premier lieu, c’est Egg qui intervient et génère une boule de matière organique, un oeuf, dans lequel est injecté le matériel génétique du mutant décédé. Cet échantillon génétique est prélevé dans la base de données du mutant Sinistre, généticien autrefois ennemis des X-Men avec lequel Xavier a passé un accord secret.
Ensuite, c’est Proteus qui intervient et altère la réalité, suffisamment pour que l’œuf soit viable. Puis Elixir use de son pouvoir de biokinésie afin de stimuler le développement de l’œuf et la reproduction cellulaire. Tempus intervient ensuite et accélère le processus jusqu’à ce que le corps soit à maturité. Hope Summers, le Messie Mutant, est là pour booster et coordonner ses quatre autres compères.
Finalement, une fois le processus complété, c’est le Professeur Xavier en personne qui use de son Cerebro, pour implanter une sauvegarde des souvenirs du mutant décédé dans ce nouveau corps, lui redonnant vie. On découvre dans HoX que Xavier a modifié son super ordinateur il y a de nombreuses années, afin qu’il fasse un scan hebdomadaire de chaque esprit mutant, qu’il stocke ensuite dans un certain nombre de serveurs cachés. Après toutes ces étapes, tadam ! voilà un mutant que l’on croyait mort mais qui est finalement ressuscité.
Cette avancée a radicalement changé la façon qu’avaient les mutants de considérer leur existence, et a également ouvert tout un éventail de possibilités. Dès lors, il était envisageable de ramener à la vie tous les mutants victimes du massacre de Génosha (16 millions, tout de même), mais également de restaurer les pouvoirs de tous les mutants qui les avaient perdu suite à House of M. Pour cela, il suffisait que le mutant dépossédé meure, puis soit ressuscité par les Cinq dans un nouveau corps dont le gène X n’a pas été effacé. Beaucoup de mutants furent séduits par cette éventualité, et se sont mis à se suicider en masse afin de bénéficier des Protocoles. C’est pour cette raison que fut instauré le rituel du Creuset, au cours duquel le mutant souhaitant prétendre à une résurrection doit affronter Apocalypse en duel afin de la mériter. C’est ici que s’achève cette brève introduction, avec une question cruciale susceptible de poser problème: Si vous étiez un mutant ayant perdu ses pouvoirs à cause de la Sorcière Rouge à la fin de House of M, vous jetteriez-vous à corps perdu dans le Creuset afin d’être « ressuscité » ? Et si tel était le cas, auriez-vous la garantie de revenir à la vie au sens où vous l’entendez ? Ces protocoles de Résurrection ne posent-il pas un problème d’Identité ? Bon, j’admets que ça fait plusieurs questions, mais la problématique est là !
De la temporalité du Moi
Comment peut-on concevoir son identité personnelle, son unicité en tant qu’individu ? La première réponse, la plus intuitive, serait de dire que Je suis mon corps, c’est-à-dire un organisme, l’ensemble de cellules organisées de façon spécifique et qui perdure dans le temps. Cet argument peut cependant vaciller face au paradoxe du Bateau de Thésée, ou encore face à la thèse de l’Holobionte, néanmoins, il est plutôt prudent de dire que la continuité corporelle est un indice pouvant déterminer l’identité d’une personne à travers le temps. La mort, à savoir la destruction du corps, romprait alors cette continuité.
Dans le cas qui nous intéresse, si un mutant meurt (de façon classique ou après être passé par le Creuset) et qu’un nouveau corps lui est confectionné par les Cinq, la continuité entre les deux organismes ne peut pas être affirmée, puisqu’il s’agit bien de deux organismes distincts, bien qu’agencés de la même manière.
Toutefois, la résurrection des mutants ne se contente pas de dupliquer le corps, elle duplique également les souvenirs. L’ensemble des informations psychiques relatives au mutant sont implantées dans le corps nouvellement constitué, avec une petite particularité. Les informations implantées, les souvenirs donc, sont issus de la sauvegarde périodique la plus récente, si bien que l’esprit restauré ne contient pas les informations les plus récentes (sauf à être décédé immédiatement après la sauvegarde). Le mutant ressuscité, celui qui s’extrait du cocon, ne sait donc généralement plus comment il est mort, et n’a pas en mémoire les derniers jours qui ont précédé.
Si on se penche du coté du corpus philosophique, on découvre que John Locke considère que « l’identité d’une personne s’étend aussi loin que la conscience peut atteindre rétrospectivement toute action ou pensée passée« . Selon Locke, l’identité personnelle se conçoit avant tout par le prisme de la conscience et des souvenirs. Selon cette thèse, on peut donc considérer que si le mutant qui décède et le mutant qui sort du cocon de résurrection ne partagent pas les mêmes souvenirs, alors, par voie de conséquence, ils ne sont pas la même personne. Celui qui sort du cocon, en plus d’être un organisme distinct de l’original, peut n’être vu que comme un être nouveau à qui on a implanté une masse de souvenirs.
Prenons un exemple pour tester cette théorie. Admettons qu’un mutant commette un meurtre (les lois de Krakoa interdisent de tuer des humains, par exemple), deux jours après sa dernière sauvegarde de Cerebro. Puis deux jours plus tard, soit trois jours avant la prochaine sauvegarde, il meurt. Il ressuscite donc sans le souvenir de ce meurtre. Sera-t-il en mesure de répondre ce ce crime, considérant que son corps n’existait pas au moment du meurtre et que son esprit (des mutants télépathes pourront en attester en sondant son esprit) ne contient pas le souvenir de l’acte. Peut-on le punir pour ce meurtre ?
Dans un autre ordre d’idée, que se passerait-il si un mutant considéré comme mort était ressuscité avant que l’on ne s’aperçoive que ce n’était pas le cas ? On se retrouverait donc avec deux itérations d’une même personne, n’ayant pas en commun l’intégralité de leurs souvenirs et ayant potentiellement vécu deux vies différentes à partir du décès supposé, et qui par conséquent se considéreront comme deux personnes différentes.
On voit donc bien que les deux critères fondamentaux qui constituent l’identité personnelle, la continuité du corps et la continuité de la conscience, sont mis à mal par les protocoles de résurrection de Krakoa. Donc si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, on peut aisément considérer que chaque mutant-e décédé-e et bel et bien mort-e, et que seule une copie de lui/elle perdure.
Sachant cela, voudriez-vous toujours passer par le Creuset ? Personnellement, je suis un peu refroidi par l’idée, sans mauvais je de mot. En revanche, si vous mourrez face à Apocalypse dans le Creuset, quelques heures plus tard, le clone à qui on a implanté la dernière sauvegarde de vos souvenirs les reconnaîtra assurément comme les siens, et pourra affirmer, du moins en grande partie, qu’il est vous.
Mais ce n’est pas le seul problème soulevé par les Protocoles. Outre le problème d’identité, il y a aussi un souci d’ordre éthique, dans l’hypothèse où l’on considère la conscience comme un épiphénomène. Si le simple fait pour un organisme de posséder un cerveau humain engendre une conscience propre, alors les clones produits par les Cinq en sont de facto dotés. Sans l’implantation des souvenirs opérée par le Cérebro, les clones développeraient assurément une esprit et une personnalité propres, un peu comme les autres clones qui pullulent dans l’univers Marvel (je pense par exemple à Ben Reilly, le clone de Peter Parker). On peut donc estimer qu’on prive un être vivant de la conscience propre qu’il pourrait avoir en lui imprimant de force les souvenirs de son original.
Ce n’est pas tout ! Après les questions philosophiques et bioéthiques, il a les questionnements métaphysiques et religieux, pour ceux et celles qui croient en l’existence de l’âme. Le but ici n’est pas de se lancer dans un débat religieux, aussi contentons nous du fait que l’existence de l’Âme est établie depuis longtemps dans l’univers Marvel. On pourrait citer en premier lieu la Gemme d’Infinité de l’Âme, mais aussi l’existence du Paradis et de l’Enfer, qui sont cités et montrés dans de nombreuses séries depuis des décennies. Si l’âme d’un individu existe, qu’elle est liée à un corps et qu’elle change de plan d’existence à la mort de celui-ci, alors quid du mutant ressuscité ? Possède-t-il une âme ? Cerebro scanne les esprits, en extrait les souvenirs, mais qu’advient-il de l’âme à ce moment-là ? Si un mutant meurt, son âme part-elle dans l’après-vie tandis que son esprit est dupliqué dans un nouveau corps ? Cette idée peut faire froid sans le dos, et donner lieu à des scénarios à la Simetierre.
Je pense avoir eu assez de vertige existentiel pour aujourd’hui, il est donc temps de conclure cette aparté. L’immortalité est un concept bien vaste et malléable, tout autant que celui d’identité personnelle. Comme nous venons de le voir, dans le cas des Protocoles de Résurrection, on peut considérer qu’il est asymétrique, puisque celui qui meurt n’est pas nécessairement, au sens philosophique du terme, celui qui se relève, tandis que celui qui se relève, lui, peut légitimement affirmer qu’il est celui qui est tombé. La seule immortalité dans tout ça réside peut-être dans la consolation de savoir qu’après son trépas, un autre reprendra la flambeau de notre identité, en portant en lui les souvenirs et évènements essentiels qui nous constituaient.
Mini-série en quatre épisodes, avec Jonathan Hickman au scénario, et Valerio Schiti, Stefano Caselli, Silva R.B. au dessin. Parution en France chez Panini Comics le 05/10/2022.
La Fin des X-Temps
Depuis 2019, le scénariste Jonathan Hickman a modifié radicalement le paradigme des mutants, les plaçant sur la voie de la grandeur, mais aussi en intensifiant les forces antagonistes susceptibles de provoquer leur fin. Dans House of X, Charles Xavier et Magnéto fondent la nation mutante de Krakoa, sur l’île vivante du même nom. Protégé par ce nouveau foyer, le genre mutant peut s’affranchir des normes humaines et de l’oppression, et va même jusqu’à dompter la Mort grâce aux protocoles de résurrection.
En parallèle, le projet Orchis, réunissant les esprits humains les plus brillants, travaille à la création de la Sentinelle suprême, Nimrod, dont les X-Men essayaient déjà d’empêcher l’émergence dans les années 80. Dans House of X, les mutants tentaient déjà le tout pour le tout afin de mettre hors-ligne le Moule Matrice qui lui donnerait naissance, octroyant à leur engeance un bref sursis.
Ce que la plupart des mutants ignore, c’est que l’idée de Krakoa est due à une mutante particulière, qui a œuvré seule à l’insu de tous et dans de nombreuses réalités, de façon si secrète que tous ignoraient sa nature de mutante. En effet, Moira MacTaggart, bien connue des lecteurs de longue date, s’avère être une mutante, ayant le pouvoir de se réincarner dans une nouvelle ligne temporelle à chaque fois qu’elle meurt, en conservant tous ses souvenirs. C’est elle qui, explorant les différentes possibilités qui s’offraient aux mutants dans le futur au cours de neuf vies, a entamé sa dixième vie avec une vision claire de ce qu’il fallait faire pour préserver les mutants de l’extinction. Forte de ses connaissances antérieures, Moira a recruté Xavier et Magnéto, en leur révélant son secret, afin de mettre sur pied la nation mutante, avec pour condition principale de ne pas ressusciter de mutant clairvoyant.
Après de nombreux conflits, les mutants arrivent à la veille de changements majeurs dans leur évolution. Le Conseil Secret, composé de mutants influents venus de tous bords, œuvre pour repousser les menaces mais n’est pas à la hauteur face à la Sentinelle Suprême, d’autant plus que son réveil intervient au moment où des dissensions fragilisent les bases de Krakoa.
Alors que Nimrod et la Sentinelle Oméga préparent leur assaut et apprennent des erreurs commises par les mutants, Mystique, dont la compagne Destinée a été privée de résurrection à cause de son don de voir le futur, complote comme elle sait le faire pour parvenir à ses fins. Mettant la pression au Conseil Secret, elle parvient à faire ressusciter sa bien-aimée, mettant ainsi en péril les plans de Moira. Krakoa est-elle vraiment vouée à disparaître ?
Inferno constitue le chant du cygne de Jonathan Hickman sur la franchise des X-Men. La mini-série vient en effet boucler des lignes narratives initiées dans House of X et Powers of X, et nous donne la réponse à de nombreuses questions sur les motivations de certains personnages clés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’auteur nous en donne pour notre argent et ne lésine pas sur les coups de théâtre et les révélations !
Attention, ça va spoiler plus bas.
Donc, Mystique et Destinée sont de nouveau réunis. A peine ses souvenirs téléchargés dans son nouveau corps via le Cerebro, Destinée se remémore les événements passés, et notamment sa dernière rencontre avec Moira lors d’une précédente vie. Avec l’idée de se venger en tête, les deux mutantes capturent Moira et s’arrangent pour que ses protecteurs, Xavier et Magnéto, tombent dans un piège au beau milieu d’une base d’Orchis.
Lors du face à face avec Moira, Mystique et Destinée apprennent les véritables intentions de cette dernière: soigner le genre mutant en les débarrassant en masse de leurs pouvoirs. Lassée de constater, vie après vie, que les mutants perdraient toujours face aux humains, aux machines, ou les deux (confère Powers of X), Moira en est arrivée à la conclusion que les mutants ne devraient tout simplement pas exister.
Cette situation est très ironique puisque la Sentinelle Oméga explique, un chapitre plus haut, qu’elle vient d’un futur dans lequel les mutants gagnent toujours, et qu’elle a été envoyée dans notre présent pour remédier à cet échec (tiens tiens, l’intrigue de l’IA menaçante qui remonte le temps pour assurer sa propre création et sa suprématie me rappelle vaguement quelque chose…). Ce qui signifie que le plan prévu par Xavier, Magnéto et Moira était voué au succès, du moins à l’issue de la dixième ou onzième vie de Moira. Avec le recul, le fait que Mystique prive Moira de ses pouvoirs mutants (grâce au Neutraliseur, une arme apparue dans Uncanny -Men en 1984) apparaît comme un pré-requis, puisqu’aucune ligne temporelle ne peut être considérée comme définitive tant que Moira possède son pouvoir.
Néanmoins, on peut imaginer que Moira continuera tant que son objectif n’est pas atteint. L’inconvénient, c’est que si elle meurt en tant qu’humaine, son histoire s’arrête là, et l’Histoire avec un grand H ne pourra pas être rebootée. Mais que se passerait-il si un nouveau corps mutant lui était reconstitué par les Cinq et qu’une sauvegarde Cerebro de son esprit y était intégrée ? Cela lancerait-il un nouveau cycle de dix réincarnations et reboots successifs ? Ou le cycle reprendrait-il là où il s’était arrêté ?
On ne le saura que si les auteurs futurs décident d’explorer cette piste. Encore faut-il d’ailleurs, que Moira accepte de mourir en tant qu’humaine pour ensuite laisser faire le Protocole de Résurrection.
Hickman termine son run en laissant ses héros en fâcheuse posture. Après leur défaite face à Nimrod, Xavier et Magnéto sont ressuscités par Emma Frost, mais n’ont pas en mémoire l’affrontement ni son issue. Ils ignorent donc l’existence du robot tueur de mutant, tandis que ce dernier continue d’amasser des données qui lui permettront de régner. Plus dommageable encore, Mystique et Destinée sont partie intégrante du Conseil Secret, et avec l’appui d’Emma Frost, ont affaibli la position de Xavier et Magnéto.
Inferno marque donc un tournant dans la destinée des mutants, à suivre dans Immortals X-Men, avec Kieron Gillen aux commandes. Pour l’ensemble du run de Hickman sur les X-Men, on met 5 Calvin, pour l’intrigue complexe mais rigoureusement visionnaire, les concepts novateurs, la partie graphique toujours performante.
Salut les lecteurs! aujourd’hui c’est la journée mondiale pour le climat. Alors que notre planète crame les auteurs se sont inspirés depuis longtemps de cette catastrophe, essentiellement en SF, pour aborder le sujet sous différents angles. Entre BD documentaire et blockbusters, profitez de l’occasion pour découvrir ces bonnes BD et réfléchir sur la portée de notre activité de consommateurs.
Depuis des décennies maintenant, les X-Men sont un fleuron du comics, un incontournable fer de lance de Marvel, pensés initialement par Stan Lee comme une allégorie du racisme qui avait alors pris racine dans l’Amérique des années 60. Il est communément admis, de la bouche même de leur créateur, que le Professeur Charles Xavier, puissant télépathe pacifiste, fut inspiré par Martin Luther King, tandis que son antithèse, le dangereux Magnéto, fut adapté de Malcom X, qui prônait une vision plus radicale de la cohabitation, à savoir l’autodéfense des opprimés.
Depuis, le succès des X-Men s’est rarement démenti, et les lecteurs ont passé des décennies à assister à la lutte de Charles Xavier en faveur d’une coexistence pacifique entre Homo Sapiens et Homo Superior. Si vous le voulez bien, aujourd’hui, point de critique d’album, mais un comparatif des différentes initiatives destinées à assurer l’avenir des mutants, et de leur impact sur cette partie importante sur marvelverse. C’est parti !
L’Institut Charles Xavier pour jeunes surdoués
Dès 1964, Charles Xavier, animé par le rêve d’une coexistence pacifique entre les hommes et les mutants, a utilisé la propriété familiale pour fonder un Institut, dédié à l’accueil et l’éducation de tous les mutants qu’il trouverait. Ainsi, les premiers élèves furent Jean Grey, Scott Summers, Warren Worthington III, Bobby Drake et Henry McCoy , les premiers X-Men.
Au fil des décennies, l’Institut a représenté un havre pour les mutants, un lieu ou nombre d’entre eux, persécutés par les humains, ont pu retrouver une famille et un sentiment d’appartenance, tout en ayant l’occasion de comprendre leurs pouvoirs surnaturels. Cette première initiative, qui a longtemps constitué le statu quo des mutants, en a engendré d’autres du même genre, comme celle du Massachussetts dirigée par Emma Frost et le Hurleur, ou encore l‘Institut Jean Grey fondé par Wolverine, voire même la X-Corporation qui avait pour ambition d’ouvrir des succursales à travers le monde.
Cependant, si le principe d’offrir aux mutants un lieu où se réunir et apprendre à utiliser leurs dons reste une saine initiative, l’idée prônée par Xavier, à savoir la cohabitation à tout prix, l’a conduit à mettre ses élèves en danger maintes fois, et l’a même poussé à de nombreux sacrifices, comme on le découvre dans X-Men: Deadly Genesis. L’école en elle-même a été attaquée et détruite, à plusieurs reprises, par Xorn, Quentin Quire, Cassandra Nova, Mr Sinistre, Onslaught ou encore les Sentinelles, et le tout a failli péricliter lors du Jour M, où la majorité des mutants fut dépossédée de ses pouvoirs (voir la saga House of M). Force est donc de constater que le tout n’est pas très safe, ni constructif sur le long terme, surtout lorsqu’on doit faire face à la haine et la suspicion d’à-peu-près tout le monde.
Genosha est une île au nord de Madagascar, située non loin des Seychelles. Nation florissante à partir du XIXe siècle, elle s’est bâtie sur l’esclavage des mutants, qui y subissaient torture, lavage de cerveau et autres sévices intrinsèques au statut d’esclave. Après une guerre civile initiée par Magnéto et ses Acolytes, les humains évacuèrent l’île, laissant le maître du magnétisme seul à la tête de la toute première nation-mutante. Malheureusement, Magnéto n’était à cette époque par encore passé par la roue du changement, et conservait sa philosophie radicale visant à assurer l’avenir des mutants par la conquête et la violence.
C’est alors que se produit l’une des plus grandes catastrophes du genre mutant: A l’initiative de Cassandra Nova une sorte de jumelle maléfique de Xavier) Genosha fut rasée par une armée de Sentinelles. Les robots-tueurs de mutants massacrèrent en quelques heures 16 millions de mutants, sous les yeux indifférents de la communauté internationale. Ce génocide porta un coup supplémentaire, presque fatal, au rêve de cohabitation de Xavier.
Comme on peut le voir, l’initiative de Magnéto à Génosha n’a pas permis d’assurer un avenir durable aux mutants, et s’est conclue par un massacre de masse, ce qui est plutôt bof-bof comme bilan de fin de mandat pour un dirigeant, vous en conviendrez.
Alors que la population mutante avait été neutralisée par Wanda Maximoff lors du Jour M, les mutants avaient quitté leur école pour se réfugier sur Utopia, l’ancienne île d’Alcatraz réaménagée en havre pour les mutants survivants. Durant cette période, Cyclope avait pris la tête des opérations et collaborait même avec Magnéto pour assurer la survie des mutants. Le leader des X-Men, autrefois candide et fervent défenseur de la cause de Xavier, s’était entre-temps radicalisé et adoptait des mesures de plus en plus drastiques pour atteindre ses objectifs, recourant ainsi aux secrets, mensonges et éliminations secrètes, outrepassant de loin les compromissions que l’on avait pu reprocher autrefois à Xavier.
Lorsque la Force Phénix s’est manifestée une nouvelle fois sur Terre, tous les regards se sont tournés vers Hope Summers, la première (et seule) mutante à être née depuis le Jour M. Dotée d’extraordinaires pouvoirs, elle était, comme la défunte Jean Grey avant elle, l’hôte désignée du Phénix, ce qui promettait, aux yeux des mutants, l’espoir d’un renouveau pour toute leur espèce. Mais les Avengers, craignant une catastrophe, se sont interposés, initiant une guerre entre les deux factions (voir Avengers vs X-men, 2012).
Après une première escarmouche, Tony Stark tente de détruire le Phénix mais il échoue. L’entité de divise en cinq fragments qui investissent chacun un ou une mutante: Cyclope, Emma Frost, Magnéto, Colossus et sa soeur, Magik. Imbus de ce nouveau pouvoir, Cyclope entend désormais réparer le monde pour qu’il soit conforme à sa vision de l’utopie: il met fin aux conflits armés en détruisant toutes les armes, donne accès à l’eau aux populations qui en ont besoin, bref, un gouvernement par les mutants, pour les mutants et les humains. Mais les choses tournent mal, bien évidemment, puisque Cyclope accapare tous les fragments de la force Phénix et devient le Phoenix Noir (comme Jean Grey avant lui) puis tue le Professeur Xavier lors de la bataille finale. Après cet acte regrettable, il est dépossédé du Phenix, qui est utilisé pour réactiver le gène X chez tous les mutants qui en étaient dépossédés, ouvrant la voie à une nouvelle ère.
Là encore, on constate que lorsqu’un seul mutant prend les rênes pour imposer sa vision d’un avenir mutant, les choses tournent mal. Alors où est la solution ?
A la suite de la guerre entre X-men et Avengers, Captain America se remet en question (tiens?) et fait le constat qu’il n’a pas assez œuvré pour les droits des mutants. Il crée donc la Division Unité, composée pour moitié de X-men et pour l’autre moitié d’Avengers. Après avoir affronté Crâne Rouge doté des pouvoirs de Xavier, la Division Unité fait face à un autre ennemi faisant la synthèse entre Avengers et X-men: les Jumeaux Apocalypse.
Uriel et Eimin, enfants d’Archangel, héritiers du trône d’Apocalypse (le gardien de l’évolution choisi par les Célestes) ont été enlevés bébés par Kang le Conquérant, le voyageur temporel qui a juré la perte des Avengers. Désireux de s’assurer un avenir sans mutants à affronter lors de ces conquêtes, Kang a écarté de la ligne temporelle leurs futurs défenseurs, à savoir les Jumeaux, qui éradiquent Crâne Rouge et prennent le pouvoir dans toutes les versions tentées par Kang. Prenant le mal à la racine, Kang les garde avec lui, et les endoctrine pour les persuader que l’avenir des mutants n’est pas sur Terre. Mais Uriel et Eimin, prenant exemple sur leur père adoptif, retournent le complot contre le comploteur et fomente un plan où ils gagnent sur tous les tableaux.
Après avoir utilisé Jarnborn, la hache enchantée de Thor, Eimin et Uriel tuent un Céleste, ce qui attire les foudres d’Exitar le Bourreau. Alors que le Céleste en colère s’apprête à détruire la Terre, Eimin manipule Wanda Maximoff (encore elle) pour ravir tous les mutants dans une arche, qui échappera à l’Armageddon. Pour Eimin, qui a le pouvoir de lire l’avenir et qui avait arrangé toutes les pièces à sa convenance, c’est une victoire totale: plus de Terre à conquérir pour Kang dans le futur, plus d’humains, et un peuple mutant qui s’établit sur Planète X, un monde terraformé par les pouvoirs conjoints des mutants et des graines de vie arrachées aux Célestes.
Dans ce nouveau monde, où les mutants ne sont plus pourchassés ni détestés, Eimin réécrit l’Histoire (comme tout bon tyran) pour s’ériger en messie des mutants, qui sont désormais dirigés par un X-Conseil, composé de Magnéto, Cyclope, Tornade, Cable, Jean Grey, Psylocke et Vif Argent.
Ce monde en apparence idyllique, où les mutants vivent harmonieusement loin du joug rétrograde de l’Homo Sapiens, s’est bâti sur les cendres de l’ancien monde, au prix de milliards de vie, et ne se maintient que sur la base d’un mensonge concocté par Eimin. Pour l’utopie, vous repasserez.
Ce passage met d’ailleurs les héros face à un dilemme moral fort intéressant, puisqu’au moment de remonter dans le temps pour changer le cours des choses, après plusieurs années passées sur Planète X, ils s’aperçoivent que tout ce qui a été bâti, tout ce que les mutants ont obtenu, tous les enfants nés dans l’intervalle, tout sera effacé s’ils empêchent la destruction de la Terre. Là encore, le paradigme met humains et mutants en porte-à-faux, les uns ne pouvant prospérer qu’au détriment des autres. Et là encore, les mutants finissent perdants puisque Planète X est effacée, plongeant les mutants dans de vieux schémas de persécution et de haine.
Krakoa: aucun homme n’est une île, mais les mutants sont un continent
Puis, en 2019, c’est le choc, le raz-de-marée. Un beau jour, tous les humains de la planète reçoivent un message télépathique du Professeur X, leur annonçant l’établissement de la nation souveraine de Krakoa, où tous les mutants sont accueillis à bras ouverts. Pour asseoir son existence officielle, Krakoa s’engage à offrir à tout État qui la reconnaît un ensemble de médicaments révolutionnaires tirés de la flore krakoane. Évidemment, cette nouvelle n’est pas du goût de tous les dirigeants humains, qui voient d’un mauvais œil cette nouvelle tentative des mutants de s’ériger en nation.
Sauf que cette fois, il ne s’agit pas d’une initiative personnelle, ni d’une décision unilatérale. Xavier, Magnéto et Moïra McTaggart ont œuvré secrètement à ce projet depuis de nombreuses années, exploitant le pouvoir caché de Moïra, à savoir la réincarnation et les connaissances du futur qu’elle en retire.
En aparté, je souligne que c’est là un bel exemple de continuité rétroactive, car ces faits sont censés s’intercaler avec la continuité de ces 40 dernières années. Il faut donc désormais voir ces événements passés sous un angle différent, en ce disant que depuis tout ce temps (quasiment depuis le relaunch des X-Men par Chris Claremont en 1975), Xavier et compagnie savaient ce qu’ils faisaient. Cela soulève bien évidemment de nombreuses questions (le génocide de Génosha était-il évitable ? La première mission des X-men sur Krakoa était-elle en réalité une première tentative de Xavier de rallier l’île vivante à sa cause ?) qui à ma connaissance, ne sont pas adressées par Hickman et les autres scénaristes.
La nation de Krakoa est une révolution pour les mutants, qui atteignent pour ainsi dire leur apogée depuis des décennies. Les anciennes inimitiés sont oubliées, au profit d’un avenir constructif, et la mise en commun de leurs pouvoirs les rend pour ainsi dire immortels (bien que cela soit débattable d’un point de vue philosophique. Peut-être le sujet d’un autre article ?). Ainsi unis, les mutants ne peuvent craindre des représailles humaines, à moins que l’émergence impromptue de l’intelligence artificielle ne jette une ombre sur cette utopie, où que les dissensions internes ne mettent à mal la nation.
A beaucoup d’égards, Krakoa représente donc l’initiative la plus aboutie et la plus profitable pour les mutants, depuis la création de la série en 1963, qui change irrémédiablement le statu quo, mais il suffit de gratter un peu le vernis pour s’apercevoir que même les œuvres les plus abouties possèdent leurs failles (plus d’informations près X-men Inferno, à paraître en septembre chez Panini). Car, comme Planète X, Krakoa s’est bâtie sur des secrets et des mensonges, qui risquent de rattraper Xavier de la pire des façons.
Existe-t-il la solution idoine, ou bien Homo Superior est-il condamné à l’échec ?
A l’occasion de la journée international des droits des femmes nous vous proposons une sélection d’albums qui parlent des luttes pour l’égalité ou sur des figures féministes et de femmes remarquables…
La sortie d’un film Batman est un évènement. Le plus célèbre des super-héros en slip n’a finalement pas tant de version que cela si l’on exclue l’anomalie commise par Joël Schumacher dans les années quatre-vingt dix. Pour accompagner ce qui semble la proposition la plus fidèle à l’univers sombre et mythologique des comics depuis Tim Burtonles éditions Urban(éditeur officiel de DC comics en France) proposent une liste de comics « officiels » dont se sont inspirés (voir plus…) les créateurs du film.
Vous trouverez le lien vers les articles sur les couvertures des albums que nous avons chroniqués. Bonne lecture et bon film!
La trilogie des Compagnons du Crépuscule est composée du Sortilège du bois des Brumes (1984), des Yeux d’étain de la ville glauque(1986) et du Dernier chant des Malaterre (1989), sortis tous trois en version brochée après publication dans la revue (A suivre) de Casterman, les deux premiers volumes comportant douze pages de bonus. Les ouvrages sortent ensuite en version reliée. Après un conflit de l’auteur avec son éditeur le catalogue de Bourgeon est repris par les éphémères éditions 12Bisavant d’être récupéré par Delcourtaprès 2010. Après l’intégrale 12 bis de 2010 qui ne comprend que les pages des BD, Delcourt sort une version toilée agrémentée de bonus et cette année une nouvelle version de 2021.
Celle-ci dura dit-on cent ans… ainsi commencent les chroniques des Compagnons du crépuscule, trio de rêveurs parcourant la France de 1300. Un pays en guerre, un pays de légendes plus que de croix. C’est sur les pas du chevalier, d’Anicet et de la rousse Mariotte que François Bourgeon bâtit sa légende d’orfèvre de la langue ancienne comme du dessin. Une trilogie mythique, exigeante, que tout amoureux de BD se doit de connaître!
François Bourgeon est un auteur unique de par une bibliographie résumée à trois séries. Trois séries majeurs qui se remarquent par le phénoménal travail documentaire qu’elles ont demandé, y compris pour la dernière, le cycle de Cyann, dans le genre SF. La trilogie des Compagnons du Crépuscules paraît juste après la conclusion du cycle historique des Passagers du vent (sa prolongation récente n’ayant que peu de liens). Je vous renvoie à mes précédents billets sur l’auteur sur ce point.
L’intégrale comprend donc trois volumes, malheureusement sans aucun bonus pour l’édition 12 bis que je possède. La dernière édition Delcourtqui sort ce mois-ci semble mieux équipée mais je ne saurais vous renseigner sur les annexes…
Nous rencontrons Mariotte, la véritable héroïne (les femmes, toujours les femmes chez cet auteur on ne peu plus féministe et moderne sans jamais tomber dans l’anachronisme!) dès les premières pages du Sortilège du bois des Brumes, qui devient rapidement fidèle d’un chevalier errant ayant voué sa vie à combattre la malmort et les Trois forces, obscure puissance fondatrice du monde structurant un Moyen-Age parcouru de paganisme et de légendes. Car ce breton d’adoption qu’est Bourgeonadopte un univers fantastique (ou plutôt onirique) réaliste que reprendront des années plus tard ses disciples intellectuels sur Servitude. Ses fae et autres Douars sont transcrits comme des créatures probables. Si le versant magique et monstrueux qui fait le sel des deux premiers volumes se situe dans les rêves du chevalier, étrangement relié à ses compagnons par l’esprit, il n’en vise pas moins à imaginer un autre monde fait des mêmes pulsions sexuelles et violentes que ce XIV° siècle. Sommé par des lutins aussi lubriques que cannibales de chasser le grand démon qui les harcèle, le chevalier sans visage partira dans un voyage initiatique où le souvenir de la mort atroce de sa belle continue de le hanter… Remarquablement structuré sur un format classique de quarante six-planches, ce premier volume pose les bases d’un univers où la langue revêt une aussi grande importance que le dessin.
Dans le second volume, les Yeux d’étain de la ville glauque, le trio s’allie à une jeunette et part en une revisitation de la cité dYs où les Douars ont mis les lutins en esclavage. Structuré en un parallèle fort complexe entre la quête des Compagnons et celle d’un garçon mystérieux, ce second tome est plus magique et moins prenant que le précédent et perdant un peu son lecteur dans les arcanes du temps et de l’espace. Tant graphiquement que dans les thèmes abordés, on a un peu de mal à entrer dans cette aventure.
Le troisième tome, d’une pagination triple et structuré en quatre parties, est le chef d’œuvre absolu de l’auteur voir de toute la BD franco-belge. Création d’un auteur au sommet de son art, Le dernier chant des Malaterre est de ces très rares chocs que la BD peut procurer et qui rendent difficiles les lectures suivantes. Véritable somme historique, sociologique, conte d’une sophistication folle qui raccroche l’Histoire à la Légende et inscrivant subtilement la destinée des Compagnons dans ceux du mage Merlin, l’album est d’une lecture exigeante, tant par son langage proche de l’ancien français que par le nombre d’allusions qui se rejoignent finalement et par l’intrication des intrigues. De son envie de Moyen-Age François Bourgeon reste cohérent avec le soupçon fantastique et boucle l’histoire de son chevalier sans que l’on sache bien si le tout était dans son esprit dès l’origine ou (plus brillant encore) s’il a raccroché une histoire à ses premières idées. Difficile de résumer l’intrigue de cet ultime opus qui décrit autant le quotidien brut des gens de l’époque qu’une intrigue amoureuse et politique dans l’ombre des donjons.
Je parlais de la langue. La qualité littéraire et presque poétique de ces ouvrages reste unique dans l’histoire de la BD. Jouant tout à la fois sur le langage vulgaire de l’époque et sur une musique de la langue qui forme comme des alexandrins, l’auteur régale les oreilles autant que les yeux. Rarement la finesse et la précision du trait comme du texte auront été autant à l’unisson. Si le dessin évolue bien évidemment pour trouver sa maturité pleine dans Malaterre, le texte est magnifique dès le début.
L’univers décrit dans la trilogie est rude et donne le sentiment d’un documentaire caméra à l’épaule. L’auteur ne nous aide guère en coupant parfois une scène, créant des hors champ frustrants et des ellipses qui demandent de rester concentré pour bien saisir l’évolution de l’intrigue. On reste sidéré par les détails qu’ils soient langagiers, de coutumes, de décors ou d’habits. En cela les Compagnons du Crépuscule donnera naissance bien plus tard aux magnifiques séries récentes Servitudeet L’Age d’or où l’on retrouve cette envie de réalisme et de poésie, cet aspect documentaire, cette place des femmes et ce rattachement à la Légende…
Vous l’avez compris, si la trilogie dans son ensemble vaut le détour, Le dernier chant des Malaterre vaudrait une critique à lui seul tant il est une perfection de culture, d’art et de narration. Il n’est pas étonnant que Bourgeonait ensuite voulu partir dans les étoiles avec le Cycle de Cyann où il tenta de reproduire ce réalisme dans un univers SF… sans le même succès selon moi. Un des derniers géants de la BD, bien moins médiatique que d’autres, Bourgeon doit être lu par tout amateur du neuvième art et l’ultime tome des Compagnons du crépuscule se doit de figurer dans toute bibliothèque, au risque d’entraîner relecture sur relecture…
Panini (2002-2007), 208 p./volume, série finie en 22 volumes.
L’édition chroniquée dans cette série de billets est la première édition Panini. Une édition collector (avec albums doubles) a ensuite été publiée puis récemment la Perfect, grand format et papier glacé, au format double également. Le billet sur le premier volume est ici.
Attention spoilers!
Pour ce dernier billet en mode marathon sur la seconde moitié de la série, je vais faire un petit décorticage de la structure. Après une sorte de prologue originel et fondamental pour poser l’ambiance de cette bande de garçons par qui tout à commencé (cinq premiers tomes), l’histoire commence vraiment avec Kanna, la nièce de Kenji, dix ans après le Grand bain de sang de l’an deux-mille, pendant dix tomes. Le tome quinze marque une nouvelle rupture essentielle et le début d’un nouvel arc en élargissant franchement le périmètre de la conspiration et en rappelant pas mal de personnages vus très tôt. On peut ainsi dire que le cœur de la série commence à ce stade, concentrée, moins erratique maintenant que l’on connait les protagonistes et les perspectives de AMI et son organisation.
Et après cette lecture échevelée de ce qui a tous les atours d’une série TV, je reconnais que l’auteur a eu du mal à conclure son grand oeuvre… C’est du reste le problème de la quasi-totalité des grandes saga chorales et déstructurées qui à force de vouloir surprendre leur lecteur/spectateur finissent par s’enfermer dans un cercle infini. Comme Game of Thrones qui a noyé son auteur avant sa conclusion (pour le roman), à force de cliffhangers permanents et de croisements d’intrigues à la révélation sans cesse repousser, Urasawa ne savait plus trop bien comment achever son récit après la dernière pirouette du tome quinze. Conscient du risque de redite, l’auteur troque son grand méchant énigmatique AMI pour le retour du héros. Et autant que la renaissance christique d’AMI, le choc est là, tant l’attente a été longue, l’incertitude permanente et l’effet recherché parfaitement réussi. Pourtant les très nombreuses portes ouvertes et mystères créés nécessitent d’être refermés, ce qui devient compliqué à moins de changer complètement de rythme et de structure au risque de tomber dans quelque chose de plus manichéen.
Ainsi la dernière séquence post-apocalyptique, si elle reste saisissante notamment en ces temps de COVID et de perméabilité des foules à toute sorte de croyance avec une sorte d’abolition du raisonnement humain, elle est bien moins prenante avec le sentiment de partir tous azimuts et de continuer à maintenir un suspens qui demande à se finir. Comme une prolongation de trop, comme un épisode superflu, le cycle situé entre les tomes seize et vingt-deux tourne un peu en boucle. Ce n’est pas faute de sujets accrocheurs, le rassemblement de la bande à Kenji, esquissé jusqu’ici, est une bonne idée de même que l’itinéraire autour de la mère de Kanna. Si la question de l’identité d’AMI fait un peu réchauffé, Urasawa a suffisamment de bons personnages, qui ont vieilli et donc plein de choses à nous raconter, pour tenir jusqu’à la fin. Mais certains effets de style commencent à peser, comme cette technologie faire de bric et de broc et ces forces de sécurité bien piteuses pour un Gouvernement du monde aux ressources théoriquement infinies. Quelques incohérences commencent également à se voir et la course effrénée des héros vers on ne sait quoi tout comme la lenteur avec laquelle Kenji finit par endosser son rôle finissent par lasser.
Attention, 20th century boys reste une oeuvre d’exception qui mérite la lecture ne serait-ce que pour le talent de scénariste indéniable de Naoki Urasawa. Malheureusement la série semble une nouvelle fois confirmer le fait que les plus grandes œuvres sont relativement compactes et à l’intrigue simple. Sorte de concept scénaristique employant toutes les techniques d’addiction du spectateur mises en place par les séries américaines à l’orée des années 2000 (l’époque de Lost, The Wire, Breaking Bad, The Shield, 24H chrono ou Prison Break…), 20th century boys marque par l’amour de l’auteur pour ses personnages, le refus du grand spectacle et l’utilisation (parfois abusive) des points de suspension. Niveau efficacité c’est impérial, on dévore les 2/3 de la saga avec envie et autant de plaisir de retrouver tel personnage trente ans après. Le second arc est pour moi le meilleur et aurait pu être une conclusion (noire) très acceptable même si il aurait laissé bien des portes ouvertes. En assumant la vraie disparition de Kenji il aurait assumé jusqu’au bout le concept tout à fait original d’histoire sans héros et du rôle du mythe. Balayant un nombre incalculable de sujets de société avec courage et parfois une certaine rage, Urasawa livre une oeuvre de SF presque Kdickienne, du Philip K. Dick réalisé par Wong Kar Wai, plein de nostalgie pour une belle époque de simplicité, de franchise et de Rock’n roll. Son propos dès l’an 2000 sur la manipulation des foules est particulièrement percutant aujourd’hui et l’on se dit par moment que la réalité a rattrapé la fiction lorsque l’on voit le pilotage au forceps d’une pandémie par des gouvernements qui s’assoient sur certains principes et des foules prêtent à tout accepter par peur et panurgisme. Si sa saga est donc imparfaite, Naoki Urasawa reste un grand bonhomme, un des mangaka les plus intéressants et sa dernière création encours laisse une sacrée envie lorsque l’on voit la maturation de son trait comme de son récit.