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Requiem, chevalier vampire

BD de Pat Mills et Olivier Ledroit
Nickel – Glénat (2010/2024), 48p./album, 11 tomes parus.

La carrière d’Olivier Ledroit n’a pas été un long fleuve tranquille. Issu du monde du jeu de rôle, il rencontre très tôt François-Marcela Froideval, l’équivalent des années 1990-2000 de Jean-Luc Istin, à la tête de pléthore de séries développant l’univers de dark fantasy qu’il affectionne et partageant avec Ledroit un esprit Dark-metal que l’on retrouve dans Requiem. Ledroit et Froideval deviennent immédiatement célèbres avec les Chroniques de la Lune noire, où la progression graphique du dessinateur est fulgurante et s’arrête au troisième tome (sur vingt en un) bien qu’il continue d’illustrer l’intégralité des superbes couvertures qui ont fait sa renommée. Après le somptueux diptyque lovecraftien Xoco (sa meilleure œuvre jusqu’ici) Ledroit rencontre son scénariste de Requiem sur la très ambitieuse mais royalement bordélique Sha où l’on peut trouver le meilleur comme le pire de l’artiste, avant de tenter une aventure post-apo solo radicale dont les mauvaises ventes scelleront le sort. Sans doute frustrés du manque de soutien de l’éditeur, les deux compères décident de monter leur propre structure pour publier ce qu’ils savent être le plus casse gueule des projets BD depuis longtemps.

Car Requiem, plus longue série de Ledroit depuis le début de sa carrière, est une œuvre certes imparfaite (notamment du fait de textes semblant créés par un adolescent) mais totalement radicale, sans filet et où il met tout ce qui lui fait envie sans jamais de contrainte, au risque parfois d’un grand n’importe-quoi. Il faut songer que si le bonhomme a plutôt réussi sa trilogie solo Wika, l’absence de contrainte et de partenaire créatif peut l’amener au pire narratif comme sur sa série du Troisième oeil en cours de publication chez Glénat. Pour finir cette chronologie, Requiem s’est stoppé au onzième tome et il aura fallu dix ans et une variation beaucoup plus lumineuse (Wika donc) de sa démesure, avec une carte blanche laissée par l’ogre Glénat pour que la série soit rachetée, réeditée avec de nouvelles couvertures, avant la conclusion prévue en deux nouveaux tomes dès ce mois de mai. Il est amusant de voir que Ledroit revient au final à l’éditeur qui l’a lancé puisque les éditions Zenda (créatrices des Chroniques de la Lune noire) ont été reprises par Glénat, et que seul cet éditeur qui ne craint pas des pertes sur une série, pouvait se permettre de reprendre une création aussi radicale.

Car pour venir à la BD elle-même, Requiem repose sur un concept qui justifie toutes les outrances: l’Enfer est un espace-temps spécifique doté de ses dieux, son bestiaire et sa morale. Les perversions y ont toute leur place et le dessinateur peut laisser libre cour à toutes les orgies sexuelles, SM, d’éviscérations gores et autres tortures joyeuses. Cela ne surprendra pas les lecteurs de la première heure mais on peut dire que les Chroniques n’étaient qu’un amuse bouche et que Wika est le pendant graphique côté féérique. Outre la création d’un univers où Ledroit se permet un agglomérat de dark fantasy, de dark SF, d’ésotérisme et de pas mal de mauvais gout, Requiem est une véritable orgie graphique de la première à la dernière page et insère quelques idées sublimes comme cette reprise de Jerome Bosch au tome 7 en basculant les pages, jeu de composition qu’adore l’auteur.

L’intrigue suit Heinrich, un nazi assumé amoureux d’une juive qu’il va trahir et retrouver lors de son passage en Enfer. Mais dans l’écosystème de valeurs inversées, les plus affreux salauds se réincarnent ici en la caste la plus élevée, les Chevaliers vampires, quand les victimes se retrouvent en âmes errantes, condamnées à éliminer leurs premiers bourreaux afin d’échapper à ce monde dantesque. On retrouve ainsi du Roméo et Juliette avec un traitement cynique qui pourra en déranger certains à hauteur des outrances visuelles dont raffole le dessinateur. Ainsi, sans jamais justifier les horreurs nazies les auteurs tentent de rester cohérents avec leur univers en laissant leurs personnages se gorger d’abominations où les monstres gagnent souvent (de Torquemada aux nazi donc). Tentant de construire un monde inversé cohérent, le sadisme, l’antisémitisme, le masculinisme, l’antiféminisme qui peuvent transparaître dans le monde de Résurrection sont logiques et c’est ce qui est fascinant dans cette saga qui reste constamment sur le fil du mauvais gout, de l’immoralité créative, perturbante, sans jamais faire l’erreur de se vautrer dans l’abjection des personnages. Il y a un courage certain à ne pas redouter de rendre puissantes des ordures et faibles les victimes. La progression narrative laisse poindre si ce n’est un happy-end moral du moins un rééquilibrage vers plus de justice, et pourquoi pas in fine un triomphe de l’amour…

En suivant une intrigue simple et peu de personnages au sein d’un maelstrom de décorum pléthorique, on frise souvent l’overdose, chaque album semblant apporter son nouveau clan, son nouveau personnage (un peu comme dans les Chroniques…) mais la finesse de la trame (pendant que Requiem court après Rebecca, c’est la guerre sur Résurrection) permet au final de ne pas se perdre. Car la structure de la BD reste un caprice alternant les combats et batailles plus vite que l’on tourne les pages.

Ce trop plein pourrait lasser les plus fervent amoureux du travail de Ledroit si la série ne débordait de trouvailles visuelles, thématiques et parfois même de réflexion, qui feront passer les grosses lourdeurs très dispensables comme cette offensive de musiciens Metal totalement WTF, gratuite… et surtout inutile.

Cette chronique doit se terminer mais j’espère vous avoir convaincu de vous lancer dans l’aventure avec le luxe de pouvoir vous enfiler quasiment la totalité de la série maintenant que la conclusion est toute proche. L’expérience est unique!

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