Comic de Mark Waid, Kwanza Osajyefo et Phil Briones
Les Humanos (2020-2021), 156p./vol., série en 2 volumes.
Merci aux Humanos pour leur confiance.
Tome 1 accompagné d’une très intéressante préface et d’une post-face du scénariste. Les deux volumes comprennent outre des galeries, des témoignages de victimes de tueries d’établissements scolaires américains.
Suite à une fusillade dans leur lycée, des adolescents se retrouvent dotés de capacités surnaturelles. Alors que l’Etat s’enflamme autour de la question du port d’armes et de la protection des enfants, les nouveaux héros se rassemblent pour débattre de l’utilisation qu’ils pourraient faire de leurs pouvoirs pour rendre l’Amérique meilleure…
Après avoir expérimenté Omni dans le genre super-héroïque et Nicnevin dans l’horreur fantastique, nous profitons de la sortie du tome deux d’Ignited pour nous lancer dans cette découverte qui enrichit la collection H1 des Humanos. Immédiatement on est marqué par le traitement frontal d’un problème majeur du contrat social américain: le port des armes garanti (selon la frange républicaine) par le second amendement à la Constitution. Le comic n’aborde pas véritablement le débat historico-constitutionnel sur la portée de cet amendement (signifiait-il le droit individuel de porter une arme ou le droit du corps social de se défendre contre un envahisseur?), mais plutôt le conservatisme ancré qui empêche une jeunesse de se développer. On trouve de plus en plus d’ouvrages abordant cette problématique dans les BD, comme le récent Alienated. Si le thème des jeunes héritant de pouvoirs est un schéma ultra-classique il est très intéressant de voir la direction prise assez différente de celle des X-men. Si la grande saga de Marvel a toujours parlé des problèmes de la jeunesse et de la différence, ce n’est pas le propos de Mark Waid qui souhaite résolument affronter le carcan conservateur en pointant du doigt les foires aux armes à feux, les milices spontanées tout à fait tolérées ou les animateurs radio réactionnaires qui agissent comme des gourous à la portée criminelle (… et qui ont trouvé un prolongement inouï avec l’incident de l’invasion du Capitole en janvier dernier sous la poussée du président sortant).
Le déroulé est du reste assez classique et porté par un dessin et une colorisation plutôt élégants (malgré des couvertures loin d’être ce qu’on a vu de plus alléchant en comics…). Le type de pouvoirs et les relations entre les ado ne sont pas non plus hautement révolutionnaires, ce qui crée une certaine banalité, certes agréable, mais pas suffisamment marquante lors de la lecture. Je dirais que la production de l’album est sérieuse, solide mais ne sort pas de la masse des comics correctes publiés toutes les semaines…
C’est donc bien dans le traitement frontal des sujets clivants que les auteurs marquent des points, en conformité avec le projet énoncé du label H1. Ces publications qui restent résolument destinées à un public américain (c’est important pour l’approche que nous européens pouvons en avoir) ont clairement pour objet de ne plus subir la censure ou l’autocensure que les Big Two imposent sur tout ce qui peut créer du débat. On pourra dire que les meilleurs auteurs ont toujours réussi à contourner ces blocages comme celui du Comic code authority autrefois en créant des paraboles bien compréhensibles par les lecteurs. Mais l’évolution récente des comics (notamment dans des projets comme le Black Label qui permet à un Sean Murphy de parler des quartiers pauvres et de la gentryfication) reste surtout ciblée sur les questions sociétales comme le genre ou la culture. Deux sujets pas franchement séditieux aux Etats-Unis, notamment côte Est/côte Ouest.
Sur un format court les auteurs d’Ignited arrivent à disrupter le schéma classique des adolescents à pouvoirs en proposant un propos adulte qui pointe du doigt l’Amérique conservatrice et la religion des armes à feu. Les témoignages de fin d’album, loin d’être anecdotiques appuient le propos en lui donnant une réalité bienvenue. Avec Ignited Mark Waid crée le premier comic de super-héros de gauche en sortant du cadrage fictif bien-pensant. L’essai est transformé et nous donne envie de plus!
Excellent article. Ne pourrait pas être écrit beaucoup mieux!
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Merci! J’espère qu’il reflète les albums 🙂
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