****·BD·La trouvaille du vendredi·Rétro

La grande odalisque

BD de Bastien Vivès, Florent Ruppert, Jérôme Mulot
Dupuis-Air Libre (2012 & 2015), 116 & 126 p. 2 tomes parus.

Alex, Carole et Sam sont des cambrioleuses, les meilleures! Aucun musée ne leur résiste, même quand leurs plans sont totalement improvisés. Croyant à la vie d’aventure, d’une liberté totale, elles touchent pourtant du doigt un monde criminel où l’insouciance n’est pas de mise. Quand des parrains décident de s’attaquer à elles, leur folie et leur talent suffiront-ils à les sauver?

Amateurs de Cancel culture, passez votre chemin. Alors que les coqueluches d’Angoulême d’il y a dix ans ont actuellement de petits soucis médiatiques ou judiciaires cela n’empêche pas l’Etagère de continuer à fouiner pour vous présenter de belles trouvailles qui régalent les imaginaires et les rétines. Pour les rétines on dira sur ce diptyque que que le Bastien Vivès de Polina et Le goût du chlore est en service minimum, à moins que le travail à trois n’ait affaibli le dessin. On retrouve le style épuré comme la puissante dynamique issue de l’animation, mais on ne va pas se mentir, on est loin des plus beaux albums de l’auteur (je précise que je ne connais pas le travail de Ruppert et Mulot).

Pourtant on passe un excellent moment à la lecture de ces deux gros volumes (le second étant un peu plus faible tout en reprenant la même recette en continuant les aventures du trio) pour deux raisons principales: les dialogues d’une part et le comique absurde qui parvient à nous plonger dans un délire proche des des grands films d’aventure de Bebel sans tomber dans la farce. Car La grande Odalisque (du nom du tableau d’Ingres que les filles sont chargées de voler) est surtout une superbe aventure format block-buster gavée de séquences d’actions dantesques et d’un punch qu’on n’avait pas vu en BD depuis longtemps. La série est tellement calibrée pour une adaptation ciné qu’il est incroyable qu’aucun réalisateur de la jeune génération n’ait eu l’idée de s’y coller. Tout est là: un trio de gonzesses mal assorties mais craquantes, du cambriolage format bras-cassé, de l’action ENORME entre Mission impossible et John Wick qui oublie toute vraisemblance pour nous emporter dans un roller-coaster de bonne humeur parfaitement contagieux…

Le scénario calé sur un gros cambriolage par album, fonctionne sur une asymétrie: la boss Carole est une as, perfectionniste géniale, une Ethan Hunt au féminin, quand Alex est complètement foutraque, jamais à l’heure, abandonnant son poste au moment fatidique et un peu trop amatrice de psychotropes et de baise. Sam, le troisième larron, est l’atout sexy et bad-ass de la bande. Les filles (librement et assez clairement inspirées du chef d’œuvre Cat’s eyes de Tsukasa Hojo) n’ont peur de rien, ni du GIGN, de vigiles, mafioso ou cartels mexicains. Elles ont pour habitude de foncer dans le tas, de passer par la porte et de tirer à la grosse pétoire sans se poser de question. Pas très subtile mais on est là pour l’action et le fun et ça marche du tonnerre.

Cela car le torrent verbal de l’agaçante Alex déconnecte nos neurones en acceptant le WTF de la fille sans filtre qui permet d’accepter des dessins minimalistes… qui sont pourtant au rendez-vous lors des séquences d’action endiablées en profitant de la technique redoutable des auteurs. Si l’on accepte de voir l’esprit de Fabcaro pirater un thriller de braquage de haut vol vous voilà paré pour un bon kiff populaire qui aurait sans difficulté atteint les 5 Calvin avec des dessins bien plus artistiques. Encore une bonne pioche dans le coffre à Trouvailles!

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**·Comics·East & West·Rétro

All-star Superman

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Comic de Grant Morrison, Frank Quitely et Jamie Grant
Urban (2017) – DC (2006), 320p., série terminée.

eisner-winnerL’édition originale américaine est parue en douze volumes (2006-2008) puis une intégrale en un unique puis en deux volumes. La première intégrale française paraît chez Panini en 2011, est reprise par Urban à la reprise du catalogue DC sur une édition 2013, réimprimée en 2017, avant d’être intégrée à la collection Blacklabel en 2022. Les trois éditions Urban sont identiques. L’édition chroniquée est la 2013, avec un cahier bonus de 26 p. incluant notes d’intention, croquis, couvertures de chapitres, script, bio des auteurs et dramatis personae.

Superman a été assassiné. Empoisonné par là où il tire sa puissance. Lex Luthor son ennemi de toujours a fomenté une mission de sauvetage dans le Soleil qui a saturé les cellules de l’homme d’Acier en énergie. Il ne lui reste plus que quelques semaines à vivre. Kal-El entame alors un inventaire de ce qu’il na pas encore fait, de ce qu’il pourrait résoudre et de comment conclure sa vie…

What did you think of all-star superman's art? - Superman - Comic VineLorsque l’on souhaite commencer à lire des albums de Superman on tombe sur des tops qui qualifient d’indispensables le Unchained de Jim Lee, le Red son de Mark Millar, For All Seasons du mythique duo Sale/Loeb, Kingdom Come de Alex Ross et donc ce All-star Superman. Pas encore très réputé, l’écossais Frank Quitely marque avec cette série en douze épisodes une grosse étape de sa carrière, cinq ans avant Jupiter’s Legacy et quelques années après sa rencontre avec Millar sur The Authority. All-star Superman remportera l’Eisner de la meilleure nouvelle série tout au long de sa publication…

Pourtant je dois reconnaître qu’hormis Red Son je n’ai que moyennement accroché aux volumes cités plus haut et il en est de même sur ce « mythe ». Je commence à me faire une raison en me disant que ce personnage n’est pas fait pour moi, ce que confirme ma très grosse hype sur l’anti-superman qu’est Injustice et sa variante télévisuelle The Boys. Appâté par les dessins de Quitely dont j’avais adoré la dynamique dans Jupiter’s Legacy et le pitch assez trompeur des « douze travaux de Superman », j’ai été assez déçu par une succession d’épisodes très mal liés et qui apparaissent plus comme une chronique non chronologique et assez sévèrement WTF qui surprend par son aspect futuriste et souvent parodique, jusqu’à rappeler par moment le travail de Geoff Darrow dont le dessinateur s’inspire très certainement.

Dès le premier chapitre on est ainsi plongé dans une époque d’anticipation, une sorte de Métropolis alternative rétro-futuriste qui permet toutes les excentricités en matière de costumes ou de décors. L’idée est plutôt bonne… mais comme souvent chez DC on nous balance au milieu d’une intrigue qui n’a pas de début, parmi des personnages qui ne nous ont pas été présentés et sur des micro-intrigues qui ne semblent pas reliées. L’utilisation de toutes les inventions les plus absurdes de l’univers de Superman ne facilite pas l’immersion et Slings & Arrows | All star superman, Superman, Comicsl’implication dans ce drame historique de la mort de Superman: Bizaro et Zibaro, le mage galactique Klyzyzk Klzntplzk, sans oublier le Soleil-tyran et bien sur Krypto le super-chien… Alors que Tom King nous a proposé cet été une magistrale odyssée Supergirl qui parvenait à s’extraire de ces absurdités, Grant Morrison semble recherche comme un Alex Ross ce qu’il y a de plus désuet dans la mythologie de Kal-El.

Les aspects positifs de cet album reposeront sur l’imagination débordante et bien sur la qualité des dessins de Quitely. Petite suggestion en passant: alors que la question de la reprise des couleurs d’albums anciens ne cesse d’enflammer les passions à chaque expérience éditoriale, je dois dire que le travail de Jamie Grant est extrêmement datée et mériterait une modernisation qui pourrait atténuer l’aspect rétro de l’album. Certaines idées comme l’expérience de super-pouvoirs permettant à Loïs de comprendre la vie de Superman pendant 24h ou les perspectives de supermen du futur sont intéressantes. Mais l’ensemble est par trop baroque, mal ficelé et hermétique aux novices pour véritablement apprécier All-Star Superman. Pas mauvais, certainement très bon même pour les afficionados de l’homme de Krypton, ce gros volume n’est en tout cas assurément pas fait pour tout le monde..

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*****·BD·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Valhalla hotel #3/3: overkill

La BD!
BD de Pat Perna et Fabien Bedouel
Comixburo – Glénat (2022), 54 p., série finie en trois tomes.

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bsic journalismMerci aux éditions Glénat pour leur confiance.

Coup de coeur! (1)Quatre pages. C’est le moment de calme pré-générique que vous accordent Perna et Bedouel avant un run final à fond sur le champignon. Quatre pages qui vous décrocheront une banane qui ne vous quittera pas tout le long tellement on nage dans une accumulation de tous les clichés débiles que l’on aime voir dans ces séries B en VHS qui font les plaisirs coupables du cinoche et de la Pop culture. Les deux auteurs ne vous épargneront rien (sauf Chuck Norris, désolé…) avec l’intelligence de limiter les vraies références à quelques gags en évitant la surenchère… si je puis dire. Car aussitôt la page de titre passée la technique de Fabien Bedouel explose littéralement à coups de KLASH, de FWOOM, de THUMTHUMTHUM et de KRAK. Tant qu’on friserait l’indigestion devant tant d’aberration si les séquences n’alternaient pas aussi vite que la rotation d’une Gateling.

Preview] BD Valhalla Hotel T3 : Overkill - GlénatComme on l’a vu précédemment ne cherchez pas d’explication au fait qu’El Loco cache son armurerie sous ses toilettes sèches ou que les nazis aient un mécha télécommandé dans leur base (pas de spoil, c’est sur la couverture): les auteurs en avaient envie alors ils l’ont mis. Comme son titre l’indique en double sens, ça défouraille à mort dans ce troisième Valhalla, ça explose pour un rien, les bagnoles sont rutilantes et font du bruit, les méchantes nazi sont sexi en combi, les agents du FBI s’appellent Johnson et à la fin les gentils gagnent. Les dessins et l’action auraient presque suffi à notre bon plaisir mais les dialogues s’en mêlent aussi, tordants de troisième degré. Car au Valhalla plus c’est énorme plus ça fait marrer et plus ça rend l’ensemble cohérent. Du coup ce riff est tellement généreux qu’il passe trop vite et n’a pas le temps de tout traiter, comme cette petite fille aux pouvoirs électriques qui reste sur le carreau avec une fin ouverte permettant heureusement une suite. Vu le plaisir communicatif que les auteurs ont pris à la réalisation je n’ai guère de doute que les aventures d’El Loco et Betty se prolongent un de ces quatre, probablement pas sous le même titre. Mais le monde regorgeant de nazis en planque en Amérique du sud, de soviétiques  infiltrés  et d’espions en tous genres, ce ne sera pas trop compliqué de nous dégoter quelque chose d’aussi fun!

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**·BD·Nouveau !

Convoi

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BD de Kevan Stevens et Jef
Soleil (2022), 114p., one-shot.

J’ai découvert Jef récemment, en 2021 sur son trip sous acide Gun crazy. Extrêmement productif il a remis le couvert en ce début d’année sur l’excellent Mezkal, accompagné déjà de Kevan Stevens. Chez Jef un album ça fait minimum cent pages. Et on ne peut pas dire qu’il chôme tant le découpage est travaillé et les cases fourmillant de détails. Pourtant il faut parfois savoir faire court, surtout quand le projet est simple.

Convoi (Jef)- ConvoiCar ce Convoi au titre aussi limpide que son pitch, se résume en une course folle à la sauce Mad Max Fury Road matinée de dialogues tarantinesques fatigués. Le chef d’oeuvre de George Miller a fortement inspiré la galaxie des artistes graphiques et on comprend bien que certains aient eu envie de se faire un petit plaisir coupable. Le problème c’est que dans un Mad Max l’épure scénaristique s’appuie sur une virtuosité graphique. Jef est un bon dessinateur, là n’est pas le problème. Mais son dessin rapide s’inscrit dans un univers personnel et peut devenir lassant sur des plans larges et des étendues grises désolées. Je ne sais pas quand a été réalisé cet album mais l’on sent un niveau d’implication bien moindre que sur le précédent Mezkal où l’émotionnel nous touchait malgré l’habillage défouloir.

De même, les dialogues à la cons à base de grossièretés et de bons mots ne font pas un album et finissent par devenir lassant en donnant l’impression d’avoir confié les textes à un collégien en rupture scolaire. L’esprit fou de cette France post-apo se reflète dans ces dialogues comme dans les trognes totalement débiles des marionnettes qui font office de personnages. En roue libre, les auteurs nous abreuvent de critiques tous azimut sur les exagérations de notre société en fin de cycle, du végétarisme aux interrogations sur le genre. En 2074 les pingouins parlent, les poissons fument, les frères Bogdonaff sont trois, l’héroïne porte le blouzon de Michael Jackson sur Thriller et Tortue Géniale dirige une place-forte en zone iradiée…

Illustrant la formule qu’un concept ne fait pas un scénario, les deux auteurs du Convoi échouent là où ils avaient réussi en début d’année pour une raison simple: Mezkal s’appuie sur un scénario habillé de WTF quand le convoi pose un WTF en se dispensant de scénario. Si vous voulez du délire lisez Gun Crazy, si vous voulez un film lisez Mezkal. Si vous êtes archi-doingues des Wasteland le Convoi peut se tenter. Pour les autres on attendra un projet plus solide.

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***·BD·Nouveau !·Rapidos

Chloé Densité

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BD de Lewis Trondheim, Stan&Vinc, Walter &Julia Pinchuk (coul.)
Delcourt (2022), 328p., intégrale de la trilogie Density (2017-2021).

image-13Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance

En voyage aux Etats-Unis avec son frère, sa sœur et une copine, Chloé se retrouve soudainement dotée de la capacité de modifier sa densité corporelle après une rencontre du Troisième type… Après un temps passé à apprivoiser ses nouveaux pouvoirs, la voilà elle et sa bande mêlée à des histoires de gangsters, à un braquage de casino et jusqu’à une invasion extra-terrestre! Mais Chloé n’est pas du genre à se laisser aller… 

Density T.1 "Comics BD" - Les Chroniques de MadokaLorsque les sales gosses de la BD Lewis Trondheim et Stan & Vince se lancent dans la série Density l’amateur de série B décomplexée avait tout pour sourire. Après trois tomes au succès mitigé Delcourt a la très bonne idée de ressortir la série en intégrale compact afin de lui donner une seconde chance. D’autres albums mériteraient un tel soutien. Il faut dire que le pitch trondeheimien pouvait laisser sceptique sur le format série et le démarrage est certes amusant  mais a dû laisser les lecteurs du premier album dubitatifs quand à l’évolution de ces saynètes illustrant les effets des pouvoirs de Chloé. Sans consistance lorsqu’elle allège sa densité, ultra-massive lorsqu’elle l’augmente, avec tout un tas de possibilités annexes :passe-muraille, vol, résistance à toute épreuve, les auteurs s’amusent comme des petits fous entre deux piques sur la débilité des policiers américains.

Le trio ne s’est jamais trop dérangé pour chercher des causes à leurs expérimentations et une fois l’évènement déclencheur balancé en deux pages aussi absurdes que la trogne de l’alien et ses motivations (il faut sauver le monde d’une invasion génocidaire d’outre-espace, tout simplement), voilà nos amis embarqués à la suite d’un survivaliste retors. Si le rythme est très soutenu tout le long, faisant passer les trois-cent pages aussi rapidement qu’une bonne comédie d’action sur Netflix, l’équilibre des personnages manque singulièrement de densité justement. Density T03 de Vince, Stan, Lewis Trondheim, Julia Leonidovna pinchuk -  Album | Editions DelcourtL’intrigue tourne autour de Chloé et son frère le super-geek mais les deux autres filles font office de pot de fleur et on se demande bien leur utilité dans toute cette aventure. On a d’ailleurs le sentiment que l’histoire progresse à mesure que les auteurs s’amusent avec leur jouet, sans plus de structure que cela.

Ce n’est pas très grave car on en a plein les mirettes entre une baston XXL à Tokyo en mode Kaiju, un petit tour de l’autre côté de la galaxie ou un assaut à la mode Scarface. Côte dessins Stan &Vince envoient un peu le service minimum pour aller vite et on se dit qu’on aurait pu avoir un superbe album en savourant certains gros plans ou séquences spatiales soignées. Au final on a une très sympathique aventure pleine d’action, de gore, de jeux sur les possibilités SF de la maîtrise de la densité et avec un peu plus d’ambition il y avait matière à un blockbuster majeur.

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Kill 6 Billion Demons

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Premier tome de la série écrite et dessinée par Tom Parkinson-Morgan. Parution en France chez Akileos le 06/10/2021.

C’est la fête au McGuffin

La jeune Allison n’a peut-être pas une vie facile, mais au moins ce soir, elle va prendre un peu de bon temps. Résolue à perdre sa virginité, elle s’acoquine avec son petit copain Zaid, qui n’a rien d’un foudre de guerre mais qu’elle aime quand même. Alors que le maladroit Zaid s’échine à la déshabiller, dans un de ces moments gênants que l’on a tous vécu (n’est-ce pas, hein ? hein ??), Allison voit la réalité se déchirer autour d’elle et une horde de démons débarquer d’un portail dimensionnel.

Non, non, allez-y, faites comme si j’étais pas là.

La horde semble poursuivre un étrange chevalier en armure, qui, juste après avoir été décapité, lui insère dans le crâne une boule lumineuse qui fragmente son corps telle une fractale. A son réveil, Allison constate que son petit-ami a été happé dans une dimension infernale par des démons, dont elle est elle-même prisonnière.

Accrochez-vous, puisque cette partie du pitch est, assez étonnamment, la plus facilement compréhensible. A partir de là, Allison va découvrir Trône, la ville gigantesque au centre du Multivers, jonchée des cadavres de divinités antiques, et peuplée de milliards de créatures, parmi lesquelles des démons abjects et des anges pour le moins étranges. Allison découvre qu’elle est désormais la détentrice de la Clé des Rois, un artéfact à l’infinie puissance, objet de convoitises depuis que les sept derniers dieux se sont divisés et se sont répartis les 777 777 univers composant le Multivers.

La jeune femme, perdue dans ce mortel bazar, va se retrouver sous la protection de « Chaîne Blanche » (son véritable nom est « Chaîne Blanche 82 née du néant qui revient pour soumettre le mal »), un Ange gardien de la Paix, qui va tenter de déterminer pourquoi la Clé des Rois s’est retrouvée dans le crâne d’une jeune humaine.

Weird is the new black

L’aventure de Kill Six Billion Demons a commencé en 2013 sous la forme d’un webcomic, ce média alternatif et décomplexé qui a permis à de nombreux auteurs de se faire la main tout en popularisant leurs travaux. Le phénomène ayant pris de l’ampleur, c’est Image Comics qui se positionnera sur le travail de Tom Parkinson-Morgan. Cette BD quasi inclassable se révèle faire en réalité partie d’un genre à part entière, un genre tout particulier puisqu’il se définit essentiellement en opposition par rapport à ses précurseurs: le New Weird.

Alors que la SF, le fantastique et l’horreur ont pris leur essor et se sont codifiés au cours du 20e siècle, la fin du 20e et le début du 21e ont vu un courant d’auteurs chercher à s’affranchir de ces codes, qui entre temps, étaient devenus des clichés pour certains. Il en a résulté un genre en soi, visant à détourner les lieux communs et les codes de la SF, de la fantasy, et autres, sans nécessairement verser dans la parodie.

On retrouve K6BD tout à fait dans cette veine, avec un concept de départ assez classique (une jeune femme doit plonger dans un univers infernal pour sauver son petit-ami: tiens, tiens, un pitch familier et récent), voire même un peu cliché (celui du « Je meurs, prends mon McGuffin« , que l’on peut voir par exemple dans Green Lantern, Saint Seya, Gundam, L’Incal, Casablanca, Le Cinquième Élément, Harry Potter…). Ces clichés seront néanmoins rapidement détournés, et mixés avec d’autres éléments, pour donner un tout délirant et baroque à souhait.

Attention, cependant, les amateurs d’intrigues ordonnées et de dialogues ciselées risquent de sombrer dans la folie à la lecture de cet album. Cela a l’avantage de refléter l’état de confusion dans lequel se trouve Allison face à ce monde inconnu, mais cela peut également noyer le lecteur, sous des répliques cryptiques qui frôlent parfois le non-sens.

Je ne parle pas seulement ici des tartines d’exposition qui nous sont servis à grands renforts de monologues, mais du délire ambiant, inhérent à ce type d’univers. S’agissant de l’exposition, on sent bien que l’auteur s’est senti tiraillé entre la nécessité de livrer les bases de son univers et le risque d’assommer les lecteurs avec. Par exemple, lors de la tirade de l’Ange sur les origines du Multivers, l’auteur insère des vannes visant à mettre en abîme le risque de perdre son auditoire avec ce genre de procédé.

Si l’on ne peut pas résolument classer cette série comme parodique, on ne peut pas non plus s’empêcher de déceler un certain degré de pastiche, comme dans les interludes récitant des psaumes de YINSUN. Ces textes, absurdes sur la forme, se révèlent grandement subversifs sur le fond, ne sont ni plus ni moins qu’un middle finger à tous les grands courants religieux et textes sacrés.

Petite touche toute personnelle, j’ai apprécié la représentation faite des anges, du moins dans leur apparence véritable, qui fait référence directement à leur description dans l’Ancien Testament. Le reste des dessins, s’ils peuvent souvent traduire la créativité débridée de Parkinson-Morgan, frisent parfois avec l’amateurisme, ou du moins dans ce qui peut souvent se voir dans certaines BD semi-pro.

Le tout conviendra certainement aux amateurs d’univers violents et déjantés, voire WTF. Attention toutefois au prix, qui peut être considéré comme prohibitif étant donné le format.

****·BD·Rapidos

La Brigade de répression du félinisme

BD du mercredi

Histoire complète écrite par François Szabowski et dessinée par Elena Vieillard. Parution le 04/06/2019 aux éditions de la Boîte à Bulles.

C’est la chat-narchie

François est un homme normal, ce qui en d’autres termes, signifie qu’il a une vie médiocre. Ennuyé par son travail à la RATP, déçu par ce que la vie a à lui apporter, François n’en conserve pas moins un air débonnaire, sans oublier quelques naïves expectations sur l’amour.

L’amour, c’est bien un des seules choses en quoi François est encore capable de croire, la seule chose qui lui apporte encore de l’espoir. Malheureusement, les idéaux de notre héros ordinaire font bien souvent, et violemment, les frais du principe de réalité. Chaque tentative, chaque amourette de François est invariablement vouée à l’échec, et le pauvre hère se retrouve bien souvent à la case départ du je de l’amour et de la séduction.

Étouffé par la sensation intolérable d’être privé de son droit au bonheur, François décèle un schéma, un dénominateur commun dans tous ces échecs: les chats.

Les chats, ces compagnons discrets et distants, prennent paradoxalement une place folle dans la vie de leurs maîtres, à tel point que l’on finit par se demander qui possède qui. Les femmes qui possèdent un de ces animaux, selon François, y trouvent aisément ce qui, dans une relation amoureuse (avec un humain, est-il besoin de le préciser), exige des efforts, du temps, de la patience et de la réciprocité.

C’est donc tout naturellement que les femmes se tournent vers leur chat, au moindre écueil avec leur partenaire amoureux. D’où les ruptures, d’où les échecs, d’où François qui se demande comment remédier à ce griffu problème. Poussé dans ses retranchements, François en vient à une radicale conclusion: il faut se débarrasser des chats, afin de libérer les femmes de cette entrave qui les empêche de tomber amoureuses.

François s’improvise donc justicier. Avec un taser acquis pour la cause, il arpente les rues pour les purger de ses ennemis félins. Mais son action ne prendra toute son ampleur qu’après avoir rencontré Igor-un chat russe qui parle-qui va le seconder dans sa tâche.

Le chat que l’on mérite

Voilà une drôle de fable que cette BRF. L’auteur utilise ce pitch délirant pour adresser une critique toute particulière aux relations homme-femme, ainsi qu’à la capacité très masculine d’attribuer ses échecs à une cause extérieure. Bien évidemment, la morale à la fin de l’histoire n’est pas celle à laquelle on s’attend, ce qui rend les péripéties de François d’autant plus savoureuses.

Le ton est méchamment drôle, jamais vulgaire, et permet de s’identifier facilement aux tourments et interrogations du protagoniste, si discutables soient-ils. Outre la narration ciselée et ironique, le format décloisonné permet d’insuffler un ton facétieux à ce conte surréaliste tout en bichromie.

Une réelle surprise !

***·Comics·East & West·Nouveau !·Service Presse

Porchery

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Histoire complète en 144 pages, écrite par Tyrone Finch et dessinée par Mauricet. Parution chez les Humanos le 19/05/2021.

Cochon qui s’en dédit

Ellis Rafferty est un homme brisé. Brisé par des années de prison, durant lesquelles il a ruminé ses échecs et ses fautes, parmi lesquelles la mort de son épouse, Becky, pour laquelle il a été condamné. Néanmoins, Ellis connaît la vérité et l’identité réelle du tueur, et il compte bien profiter de sa liberté conditionnelle pour se faire justice. Ce que toutes les tragédies à travers les siècles nous ont appris, c’est qu’un homme qui n’a rien à perdre est toujours plus déterminé, et donc beaucoup plus dangereux.

Cependant, Zoey, la sœur de Becky, persuadée qu’Ellis est le coupable, attend sa sortie depuis longtemps pour lui régler son compte. La jeune femme vindicative va vite s’apercevoir que sa sœur fut victime d’une terrible conspiration, dont les ramifications insoupçonnées pourraient bien causer la destruction du monde.

Après sa tentative de vengeance, Zoey s’aperçoit bien malgré elle, qu’Ellis était bien sur la piste du tueur-ou plutôt des tueurs-depuis sa sortie. L’ex-détenu s’en prend violemment à une troupe de cochons…qui parlent !

De la confiture pour les cochons

Ellis explique bien vite à sa belle-sœur, que Becky a été tuée par des cochons démoniaques dont elle avait percé à jour la mascarade. Désireux de couvrir leurs traces, les perfides porcins l’ont taillée en pièce et fait porter le chapeau au mari. Depuis des millénaires, ces démons chassés de la voûte céleste sont piégés dans ces corps animaux, et une catastrophe après l’autre, préparent leur revanche sans rien ni personne pour les en empêcher. Après tout, qui soupçonnerait des cochons d’être en réalité des rejetons de l’Enfer ?

Ce qui suit va être un jeu de massacre (jusque dans un abattoir !) au cours duquel les deux protagonistes vont devoir pondérer leur désir de vengeance tout en se confrontant à une menace totalement improbable.

Violence animalière et humour noir sont les ingrédients principaux de ce cocktail détonant. Les cochons peuvent paraître incongrus en tant qu’antagonistes, mais il s’avère que d’autres esprits tordus les ont déjà utilisés auparavant (Razorback en 1984, ou plus récemment La Traque en 2010). Cependant, ces précédentes itérations se faisaient sous le sceau de l’épouvante et de l’horreur, tandis que Porchery adopte l’angle du second degré tout en assumant son côté série B.

Malgré quelques maladresses mineures (comme des méchants qui capturent nos héros, les suspendent par les pieds façon barbaque mais sans les désarmer au préalable), le tout reste bien écrit et inventif sur le long du récit. Chaque chapitre à l’élégance de terminer sur un joli cliffhanger qui, mine de rien, donne envie de connaître la suite.

Porchery est donc une lecture à conseiller pour qui souhaite voir des khaloufs démoniaques comploter pour prendre le contrôle du monde!

*****·BD·Nouveau !·Service Presse

Valhalla hotel #1: bite the bullet

La BD!
BD de Pat Perna et Fabien Bedouel
Comixburo – Glénat (2021), 54 p., série prévue en trois tomes.

bsic journalismMerci aux éditions Glénat pour leur confiance.

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Flatstone est une charmante bourgade américaine, perdue au milieu du désert et résidence d’adoption d’une étonnante communauté germanique. Des allemands blonds, très blonds… Malencontreusement victimes d’un pépin mécanique en route pour une qualification de Tennis de table, Lemmy et son très bavard coach Malone vont découvrir les joies de l’Amérique profonde et que finalement… on trouve toujours plus con que soi!

Ma découverte de Fabien Bedouel remonte à l’intégrale de Forçats, magnifique histoire sur le combat d’Albert Londres pour en finir avec le système du Bagne. Ce projet était réalisé par le duo désormais inséparable composé d’un dessinateur formé à l’ENSAD (Bedouel) et un journaliste (Perna). Les deux ont continué dans le sérieux avec la trilogie Darnand, toujours aussi dynamique bien qu’un peu compliquée dans sa structure… avant d’aller en récré avec ce bon gros délire et classique immédiat! La technique de Bedouel est donc connue, attendue et au rendez-vous. Sur ce plan ça claque comme une balle ou un coup de pelle. On imagine les envies du duo (sur une idée de Bedouel) qui nous plonge en plein vidéoclub pourri dans la droite ligne de Il faut flinguer Ramirez, du film U-turn ou Lastman. On parle de bagnoles tunées, de grosses pétoires, de flics moustachus, de sexe (un peu) et de yodles . Vous ne voyez pas le rapport? C’est normal, il n’y en a pas! Les auteurs ont juste voulu s’éclater avec une histoire totalement WTF sur une base de film d’horreur: deux débiles se retrouvent bloqués au fin fond du trou du cul des Etats-Unis avec des gens aux mœurs pas très normales. Appuyez sur « ON » et c’est parti pour un festival de dialogues à la con diablement drôles, de pneus qui crissent sans qu’on sache trop pourquoi et de lance-roquette débarqué de nulle part. C’est un poil moins n’imp que du Sanlaville mais surtout c’est foutrement bien maîtrisé! Un peu comme quand on compare le pitch de Pulp fiction et votre cerveau à la fin du film. Tout est dans la mise en scène et sur ce plan on à juste un des meilleurs albums du genre qui ait été produit!

Vous me sentez un peu trop enthousiaste pour être honnête, avec en plus ce méchant macaron « service presse » qui habille l’article? C’est comme vous voulez mais de toute façon si comme moi vous aimez les BD d’action à l’humour débile et à la mise en scène digne d’Akira (bon, Akira c’est pas WTF mais la technique de Bedouel rappelle clairement celle d’Otomo sans fausse modestie) vous ne pouvez pas être complètement intello (sinon effectivement il vaut peut-être mieux passer votre chemin…)! 

Le Comixburo publie peu, pas toujours des chefs d’œuvres, mais on sent la présence d’un certain Olivier Vatine derrière l’épaule des auteurs, avec cette patte du producteur invisible qui huile la mécanique. La série (qui a le grand mérite d’annoncer la tomaison en trois volumes, au-delà cela aurait été déraisonnable!) sera inévitablement comparée à Ramirez du tout aussi fou Nicolas Petrimaux. Plus précis techniquement que ce dernier, Bedouel se raccroche surtout à toute une sous-culture US fantasmée par des européens, qui n’a pas attendu Ramirez pour exister. Beaucoup l’ont tenté, des très bons, peu ont aussi bien réussi. Il y a Petrimaux donc, ‘Fane,… et c’est à peu près tout. Bedouel et Perna entrent donc immédiatement dans ce cercle très fermé avec une pétarade et un riff de Mötorhead. D’un gout douteux, mais qu’est-ce que c’est bien!

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***·Comics·Nouveau !

The shaolin cowboy #3

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Comic de Geof Darrow et Dave Steward (coul.)
Futuropolis (2020) – Burlyman (2004-2007) – Dark Horse (2015-2018), 3/3 albums parus.

Pour l’historique de publication je vous renvoie au billet des deux premiers tomes. Ce dernier ouvrage confirme le magnifique travail éditorial de Futuropolis. Contrairement aux deux précédents, celui-ci se concentre exclusivement sur de la BD et n’ajoute qu’une grosse galerie d’illustration originales en fin d’ouvrage (avec notamment un dessin de maître Moebius!).

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Laissé pour mort après son combat contre la horde de zombies, le Shaolin Cowboy doit pourtant se resaisir  car le Roi Crabe le recherche activement et la vie du Shaolin cowboy dissolue dans les affres de la matérialité lui a créé beaucoup d’ennemie. Beaucoup…

Comme il va être compliqué de constituer une collection pas trop chaotique avec cette série TOTALEMENT chaotique de Geof Darrow… Si le premier volume est ce qui s rapproche le plus d’une BD (et donc très clairement si vous ne devez investir que dans un tome c’est celui-là), si le second est un exercice de style, comme un carnet d’exercices anatomiques (… mais avec des zombies!), ce troisième et dernier volume, relativement proche de la parution originale, est un pahmplet contre une Amérique abhorrée, l’Amérique des rednecks, du smartphone, de la vulgarité… l’Amérique de Trump. Et comme d’habitude, avec son influence Métal Hurlant, sans aucune retenue et un mauvais goût affirmé, Darrow se met au niveau de sa cible et envoie du pâté. L’histoire est simple: le Shaolin Cowboy est en très mauvais état et va devoir se tapder deux derniers adversaires pour en finir: un cochon géant ninja dont le Cowboy a tué la mère et le Big Boss, le crabe shaolin, décité à se venger… Comme l’histoire on s’en fout, elle pourrait bien continuer éternellement comme nous l’indique la fin. Bref.

Si cet album se suit plus facilement que le second, il est un poil décevant niveau combat arès un meurtre de vautour digne du héros. Car Darrow a surtout envie de se défouler sur une Amérique dépeinte comme un immnse tas d’immondices parcouru par des enseignes de magasins de cul et habité par des beaufs tatoués et bardés d’armes. Tout est dégueulasse sur ces planches toujours monstrueuses de détails… Le grand n’importe quoi se poursuit donc mais en un poil moins classe que sur le premier où les chorégraphies avaient sommes toutes de la gueule! Ici l’amusement vient de la critique omniprésente pour un pays qu’il rejette en masse et à la grosse Bertha. Du coup les Comic The Shaolin Cowboy: Who'll Stop the Reign? issue 2derniers combats semblent un peu futiles par rapport à ce qu’on a pris dans les dents jusqu’ici. Alors ok le cochon est énorme et lance des pets toxiques (oui, oui!) et S.C. joue du nunchak’ avec deux clébards aux pattes en couteaux (hum…), mais question action Darrow a fait mieux.

On ne peut pourtant pas dissocier cette trilogue superbement éditée par Futuropolis et mise en couleur par Dave Stewart tant chaque volume reflète à la fois une envie de l’auteur et revêt un aspect très différent. Les amoureux du graphisme et de la radicalité de l’auteur prendront un immense plaisir à parcourir cette odyssée (Darrow parle de ballade sur la longue interview qu’il a donné au site 9° art et que je vous invite vivement à lire pour comprendre le personnage). Les moins fans pourront donc en rester au premier tome déjà bien foutraque et, donc, le meilleur.

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