Comic de Tom Taylor, Bilquis Evely et Mateus Lopez (coul.)
Urban (2022), 224 p., one-shot.
Kara, cousine de Superman connue sous le nom de Supergirl, se cherche un rôle dans l’ombre de Kal-El. Arrivée à vingt-et un ans elle s’exile sur une planète à soleil rouge afin de pouvoir s’enivrer sans la puissance de ses pouvoirs divins. C’est alors qu’elle rencontre une étonnante jeune fille qui souhaite l’engager pour venger son père. Commence une odyssée à travers les galaxies où les deux filles vont apprendre à se connaître l’une l’autre et se connaître soi-même…
Ceux qui suivent ce blog savent que si Dahaka est un spécialiste des chronologies Marvel et DC, je goute personnellement assez peu les excentricités désuètes de la firme aux deux lettres dont je ne sauve que la brillance des aventures de l’homme chauve-souris. Superman qui plus est a beaucoup de mal à m’intéresser hors dystopies (Red son) ou uchronies (Injustice). Alors il était peu probable de me voir me plonger dans une aventure de Supergirl, son super-chien Krypto et son super-cheval capé Comète… Pourtant, un auteur aussi brillant que Tom King qui arrive depuis quelques années à utiliser la substantifique moelle des personnages DC (sur Mister Miracle ou Strange Adventures par exemple), associé à l’incroyable étoile montante des dessinateurs latino a suffit à me convaincre de tenter l’expérience… confirmant comme chaque fois que le Black Label est une garantie quasi absolue de must-read!
Commençons par les planches, juste sublimes de bout en bout et folles de détails. Dans une technique toute européenne, la brésilienne Bilquis Evely (qui a déjà sublimé la reprise de Sandman) nous subjugue dans une alchimie parfaite avec son coloriste Mateus Lopez. Alors que je constate une mode peu convaincante pour des colo criardes dans les comics, le duo reste très tradi avec des planches peu encrées mais fourmillant de détails, jusqu’à cet épisode final qui décroche la mâchoire. L’inspiration issue de Jean-Claude Mezière et ses galaxies foisonnantes est évidente, mais l’on peut également trouver du Lauffray, voir du Moebius dans ces décors extra-terrestres parcourus laborieusement dans des cars galactiques pourris et autres auberges orbitales puantes. Abusant de traits de mouvement et de perspectives, l’artiste n’est jamais avare de créativité et de contenu, donnant à ses deux voyageuses une élégance qu’accompagne un texte inspiré.
Comme sur sa récente analyse du héros américain Adam Strange, King utilise le récit narratif dès la première page, nous annonçant la lecture a posteriori du journal de la jeune héroïne. Car si l’album est titré Supergirl, comme précédemment l’on aurait très bien pu se dispenser de cet habillage DC pour proposer un récit identique dans la veine des productions de Bergara et Spurrier. C’est un récit initiatique au long cours qui nous est livré ici avec par moment un sentiment de séquences non liées qui peuvent finir par ennuyer. C’est là la principale limite à cet album par ailleurs magnifique: si la conclusion justifie amplement cette forme saccadée, il faut se convaincre du lien entre ces étapes de voyages.
Cette forme vernie de morale et surtout de l’étonnant verbe ampoulé de Ruthye permet aux auteurs, comme dans un Valérian, d’explorer des mondes exotiques, des sociétés aliens étranges, voir d’expérimenter très librement des dangers improbables pour la cousine de Superman. Le manque d’antagoniste que l’on ne voit qu’au début et à la fin) peut créer ce déséquilibre qui n’est compensé « que » par l’héroïsme graphique de Bilquis Evely et la facilité d’écriture d’un scénariste en pleine forme. Dans un album l’un des auteurs prends souvent le dessus sur l’autre. Rien de cela ici et l’on savoure franchement autant le texte que le crayon.
Avec ce petit sous-rythme qui l’empêche de peu d’attraper les cinq Calvin, ce one-shot est encore un carton d’un des plus intéressants scénaristes en activité qui transforme le plomb en or et commence à attirer à lui la crème des artistes mondiaux en permettant de lire à peu près tout et n’importe quoi dans un traitement de qualité. Faites abstraction de l’habillage « Super » et laissez vous emporter dans ce magnifique et touchant voyage qui chez Tome King revêt toujours ce salutaire supplément de fond philosophique.