Manga de Waka Hirako,
Ki-oon (2021) – One-shot.
Merci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.
Les éditions Ki-oon ont eu un coup de cœur pour ce premier one-shot d’une jeune mangaka et ont particulièrement soigné l’édition. Outre un dossier de presse aux petits oignons, le volume proprement dit a une jaquette gaufrée avec sa superbe illustration de couverture et ajoute au manga un passionnant et profond entretien et last but not least, le premier manga dessiné par elle, une histoire courte dont elle parle dans l’entretien. On ne peux pas demander plus pour entrer dans la tête de l’autrice et tout cela mérite un Calvin!
Lorsqu’elle entend à la télévision que sa meilleure amie Mariko s’est donné la mort, Tomo n’en croit pas ses oreilles. Les deux amies se connaissent depuis l’école, dans une relation intime où la fragilité de Mariko a répondu au besoin maternel de Tomo. Dévastée, la jeune femme décide alors de se rendre chez le père tortionnaire, alcoolique, de Mariko pour récupérer l’urne funéraire de son âme sœur…
Sur le suicide, sujet particulièrement sensible au Japon, il y a deux approches possibles. Celle de Guillem March l’an dernier était fantastique et allégorique en se concentrant sur la suicidée. Celle de Waka Hirako se focalise sur celle qui reste, Tomoyo. la sensibilité de cette histoire est surprenante d’autant que l’autrice n’y va pas par quatre chemins: Mariko a eu une vie brisée par un père dément d’alcool, victime de violences quotidiennes, de viol incestueux et bien entendu de harcèlement psychologie culpabilisateur… Un cocktail tristement classique dans ce genre de cas et l’on comprend vite que ce suicide est un soulagement pour la victime. Le manga n’aborde pas le pourquoi ni les raisons familiales et sociétales de ce phénomène mais se concentre sur le souvenir de la disparue et la difficulté à accepter la réalité du deuil par son amie. Le scénario prend ainsi la forme d’un road-story nerveux où le trait hargneux, comique et subtile selon les séquences, accompagne magnifiquement une traversée de l’esprit fiévreux de Tomo qu’il nous est proposé d’accompagner.
Outre le ton étonnamment plutôt léger qui facilite notre voyage, la surprise vient de la personnalité du personnage principal. Hirako explique dans l’entretien final ses références culturelles résolument occidentales, voir franco-belges pour ce qui est de la BD (citant Frederik Peeters ou Vivès, deux auteurs à la technique et à l’expressivité très fortes). Et l’on ressent dans ce personnage ce trait très peu japonais, avec une jeune fille masculine, refusant de se soumettre au sacro-saint respect des anciens et des traditions. En cela cette histoire est assez rock-n’roll et il est agréable de savoir qu’elle a parlé aux lecteurs japonais (le manga a été un grand succès et a été primé) tellement il semble destiné à un lectorat européen, tant dans le dessin que dans la narration.
Le découpage reflète l’intrusion subite de souvenirs dans la tête de Tomo, comme possédée par une douleur psychologique qu’elle ne parvient pas à contrôler. Les jolis moments de tendresse succèdent aux sauvetages violents de Mariko par son amie. Soucieuse de ne pas tomber dans un gros pathos, l’autrice ne parle presque pas de culpabilité, plutôt d’incrédulité devant l’inéluctable, l’incapacité à voir venir ce qui nous semble pourtant à nous lecteurs inéluctable. On sent ainsi la complexité à dissocier un quotidien d’une analyse qui nécessite du contexte. Mariko se précipitant dans les bras du premier tortionnaire venu dès qu’elle a atteint l’âge adulte, convaincue qu’elle mérite sa situation, Tomo incapable d’anticiper les conséquences d’une vie détruite et se contentant de jouer les pompiers.
On ressort de cette lecture touchés par ces deux vies, amusé aussi par les grimaces du personnage principal et ses acrobaties cartoonesques. Dans ce récit intime on ressent la sensibilité et la grande intelligence de l’autrice dans la façon de raconter des ressentis intérieurs, une tempête dans une tête, sans plomber à aucun moment le lecteur. Rarement un entretien avec un auteur aura autant donné envie de poursuivre une bibliographie. Ce récit court et plein d’amour marque la naissance d’une véritable autrice que l’on suivra avec grande attention.
J’ai aussi publié mon article ce matin. Je te rejoins totalement, notamment concernant le fait que ce premier essai magnifique donne envie de suivre la mangaka dans ses prochaines aventures éditoriales!
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Ca ne m’étonnerait pas qu’elle publie directement en France comme certains ont déjà commencé à le faire. Elle a vraiment une sensibilité toute européenne.
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Oui, puis quand elle parle de ses inspirations, on voit bien pourquoi son style est tout à fait adapté pour un public non lecteur de manga.
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clair. Il devrait y avoir ce genre de bonus dans tous les albums. Ça enrichit beaucoup de connaître la démarche de l’auteur et ça sort un peu du consumérisme.
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Hâte de recevoir le mien aussi tu en parles très bien 😊
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Oui c’est cool de voir dans la profusion de publications quand un éditeur valorise un album qui sort du lot. Le suicide est un sujet pas simple et j’aime quand quelqu’un en parle de façon pas plombante.
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