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Les sans-visages

BD du mercredi

BD de Dubois et Kas
Le Lombard-Signé (2019), one-shot de 96 p.

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badge numeriqueL’album étant lu en numérique  je ne parlerais pas de l’édition. Je préciserais seulement deux choses: d’une part si certains albums se lisent très bien en numérique, du fait des dessins très fouillés, colorés je pense que celui-ci gagne particulièrement à être lu en album papier. Par ailleurs, je le précise presque à chacune de mes lectures Signé, je déplore vraiment que cette collection prestigieuse destinée à l’origine à publier des One-Shot exceptionnels comme le Western de Rosinski-Van Hamme, soit devenue une simple collection où des auteurs ont leurs habitudes, tels le très bon Pierre Dubois, mais également des Hermann ou Warnauts et Raives. Cela ne veut pas dire que tous ces albums sont mauvais, mais que le prestige initial de la collection fausse un peu l’a-priori du lecteur en diluant l’aspect exceptionnel.

La guerre de trente-ans fut l’une des plus sanglantes de l’histoire moderne. Sur des terres germaniques ravagées par cette guerre entre catholiques et protestants, une horde de mercenaires va se retrouver piégée dans une vallée qui ressemble à un paradis hors du temps. Là ils se retrouveront confrontés à des choix entre l’accès à l’humanité ou le maintien des pulsions sauvages qui les ont menées pendant des années…

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Je découvre avec cet album un auteur, Kas, dont le style me rappelle rapidement un certain Rosinski. Ce n’est pas un hasard puisque, polonais comme le maître, il a pris sa suite sur la série Hans. L’on sent bien la filiation mais surtout une esthétique faite de grande maîtrise visuelle qui s’échappe de l’académisme du dessin de BD avec un rendu crayonné qui crée une ambiance dynamique et vivante. On pourra juger le traitement des filles un peu manichéen avec ces amazones aux lèvres sur-pulpeuses et aux yeux proches du manga, mais le tout à une grande élégance, notamment dans une mise en couleur très détaillée. Je ne suis d’ailleurs pas du tout certain que les planches aient la même force en noir et blanc du fait d’un encrage très léger et le rôle de la couleur d’habiller une multitudes de traits qui donnent une texture aux formes. Le dessinateur nous propose ainsi un vrai régale pour les yeux tout au long de ces quatre-vingt pages très bien tenues.

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Après une introduction puissante reprenant l’iconographie de la peinture du Moyen-Age avec ces scènes de vie rurale foisonnante ainsi que ces danses macabres qu’utilise avec tant de talent un Olivier Ledroit, j’ai été surpris de tomber dans une sorte de BD glorifiant un paganisme gaulois avec ses paysans joyeux dont la vie est rythmée par les saisons. C’est un peu kitsch, probablement assumé pour créer le décalage avec la brutalité sombre des Sans-visages. Ce ne sont pas les meilleurs passages de l’album mais l’on comprend le sens du message et vers où l’on va. Ainsi l’ambiance Horde sauvage avec cette bande de Ronins européens ne dure guère, ce qui peut troubler au regarde, notamment de la très belle couverture qui s’incarne dans les premières pages rageuses. Personnellement je m’attendais plus à une ambiance sombre à la Après l’enfer. Le travail de design vraiment réussi sur les personnages de la troupe (on en voit les recherches détaillées dans le cahier graphique final) est finalement très peu utilisé puisque dès le premier quart de l’album on se retrouve avec des guerriers à la moustache mousquetaire et à l’habit huguenot, assez classiques dans la BD d’époque, mais surtout les masques si marquants sur les premières ages disparaissent.

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Le thème de l’album devient alors la rencontre de ce capitaine avec un pays de cocagne alors que la guerre fait rage au-delà des montagnes. L’attrait du scénariste Pierre Dubois pour la culture du petit-peuple et de l’harmonie avec la nature se ressent. La tension est alors légère mais constante sur cette communauté où l’on sent que ces Sans-visages peuvent à chaque instant faire basculer l’harmonie. Étonnamment la population locale est très peu vue hormis deux jeunes femmes très belles. L’une propose au capitaine de renoncer à sa vie militaire pour fonder un foyer. Il est âgé, elle dans la fleur de l’age. On se demande alors comment un officier aussi sage a pu diriger une telle bande de gredins… Si le lecteur profite de ces agréables paysages au travers de pages un peu répétitives sur le passage des saisons, il ne peut s’empêcher de se demander comment ces hommes n’ont pas plus de traumatismes.

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Cet album a un cheminement étonnant, dont l’introduction joue sans doute un mauvais tour à un projet qui n’était en rien une Historic-fantasy. On aurait aimé voir quelque chose proche de la Complainte des landes perdues à la Renaissance, rageur et réaliste comme ce qu’a pu produire le scénariste avec Sykes, et l’on a finalement un récit sur un amour impossible et sur la vie simple des paysans. Il manque probablement une tension dans cet album où les auteurs semblent plus intéressés par l’illustration de la Nature, des nymphes et de la vie paysanne. Peut-être plusieurs projets en un, qui manquent de définition. Du coup on a une bonne histoire assez classique, très joliment et subtilement mise en image par Kas, avec quelques morceaux de bravoures et une bataille finale très réussie. Pas suffisant pour nous étourdir et ces premières pages flamboyantes resteront lettre morte, mais Les sans-visages reste un bon album comme l’expérimenté Pierre Dubois sait parfaitement les mener. Un peu plus d’originalité la prochaine fois et ce sera sans nulle doute un carton.

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