****·BD·Jeunesse·Nouveau !

La bête #1/2

Jeunesse

BD de Zidrou et Frank Pé
Dupuis (2020), 150p., série en cours.

Format très original et spacieux que cet album presque carré. Le logo-titre comporte un discret vernis et gaufrage et indique un tome 1 on ne peu plus invisible (dans le A, si-si, regardez!)… qui se confirme avec le « a suivre » de dernière page. Les auteurs indiquent en page de garde pou qui ne l’aurait pas reconnu que la trombine de Franquin a été empruntée pour l’instituteur. Une édition spéciale commandée par la librairie belge  Slumberland BDWorld comportant des pages de bonus est tirée à 1200 exemplaires.

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Dans la Belgique d’après-guerre il fait gris et froid et les rancœurs de l’occupation infusent jusque dans la cour d’école où François est victimes de brimades. Il se réfugie alors dans sa passion pour les animaux blessés qu’il ramène à la maison, véritable arche de Noé. Surgit alors un étrange singe jaune échappé d’une terrible traversée sur un cargo sud-américain…

Le « spirouverse » commence à être aussi complexe que le multivers Marvel ou DC! Alors que les auteurs passés sur la série initiée par le père Franquin ont alterné depuis pas mal de décennies maintenant et que le premier spin-off lancé par Tom et Janry (mes auteurs préférés sur la franchise!) a déjà dix-huit tomes, les séries alternatives ont explosé ces dernières années, avec une série Zorglub, une série Champignac, Supergroom, et la série Spirou vu par… dans laquelle on pourrait ranger la plupart. Difficile à ce stade de comprendre la logique éditoriale qui gère l’univers Spirou une fois que l’on a compris cette volonté certaine d’ouvrir ce domaine patrimonial bien au-delà du canon de la série mère. C’est là qu’arrive cette Bête, déjà annoncée comme une série (que l’on espère courte) alors que le concept est suffisamment spécifique pour justifier un hors-série.

La Bête": le Marsupilami méconnaissable, dans une nouvelle BD sombre et  réalisteAvant toute chose il faut préciser que malgré une couverture inquiétante et des dessins assez sombres, cet album s’adresse bien à un public jeunesse et c’est sa première réussite! Bien entendu calibré par des auteurs ayant découvert la BD sur les premiers Spirou avec une visée nostalgique pour des vieux lecteurs du même âge, le ton et l’approche restent « jeunesse » et aborder des sujets aussi difficiles que le harcèlement scolaire et la différence de l’étranger pour les jeunes lecteurs n’est jamais évident.

On démarre ainsi avec une séquence fort réussie et tout à fait gothique de l’apparition du « monstre » comme dans un bon thriller vaguement horreur. Puis l’on se retrouve dans la maison du petit François, Franz de son vrai nom, dont la mère survit comme poissonnière en subissant les piques des habitants pour son passé avec un soldat allemand… le père du petit. On comprend tout de suite que le ton sera gris, sombre, comme les planches de Frank Pé, magnifiques de textures dans ces cases gigantesques sur un découpage minimaliste. La trame est assez simple, avec ces instituteur au visage de Franquin, un peu benêt et amoureux de la belle maman qui se contient pour ne pas déverser les tensions de sa dure vie sur son fils. Le ton est drôle pourtant, autour de la ménagerie de l’enfant aux habitudes et noms tous plus délirants les uns que les autres, entre ce cheval alcoolique échappé d’un abattoir, le couple de castor à la libido surdéveloppée ou tripode le chien cul-de-jatte… Zidrou sait poser ses scènes et alléger l’atmosphère par des blagues, ce qui crée une ambiance très particulière, une ambiance de film belge tragicomique.

L’autre point fort de cet album est bien entendu ses dessins très aérés aux magnifiques tons de gris réhaussés de couleurs vives par moment. Les décors d’une Belgique des années cinquante, pluvieuse, parsemée de terrains vagues et de bâtiments immenses crée une ambiance de film noir peu propice à la rigolade mais nous immerge dans cet environnement qui nous parle. Puis survient le héros, le marsu, cette bête formidablement designée et présentée comme un singe mystérieux aux comportements (pour l’instant) d’animal apeuré. On est loin du marsupilami jovial des aventures de Spirou. Le projet visait à présenter une variante réaliste de l’animal et sur ce plan c’est absolument magnifique. Le travail d’observation de reconstitution de pelage ou de mains empruntées au règne simiesque nous place très loin de la volonté de bizarrerie de Franquin à la création du personnage. On est clairement plus proche d’une réinvention réaliste pour le cinéma que d’un album de BD. La passivité du bestiau nous surprend, conditionnés que nous sommes à l’invisibilité de la bestiole à la queue géante et l’effet de voir ce bel animal si maltraité, affaibli, affamé, abimé fonctionne tout à fait.BD La bête de Frank Pé et Zidrou - Tours et culture

Au sortir de ce premier tome on est un peu frustrés d’une histoire juste mise en place, un univers résolument solide qui ne nous dit pas , sur le fil, si nous allons basculer vers une proximité avec le matériau d’origine avec force citations ou s’en éloigner définitivement. Et la hâte de voir poindre la suite de ces aventures est grande… comme la queue du marsupilami!

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