****·BD·Littérature·Nouveau !

L’homme qui corrompit Hadleyburg

Histoire complète de 88 pages écrite et dessinée par Wander Antunes, d’après la nouvelle de Mark Twain. Parution aux éditions de La Boîte à Bulles le 17/08/2022.

Un plat servi très froid…

La petite ville d’Hadleyburg se targue d’être la plus honnête d’Amérique. A ses portes, trône une ostensible pancarte qui en atteste, comme pour narguer les visiteurs et les villes voisines qui ne pourraient espérer atteindre un tel parangon de vertu, quels que soient leurs efforts.

Ce que les habitants ignorent, c’est qu’un inconnu, autrefois lésé par un notable d’Hadleyburg, est revenu avec en tête une terrible vengeance, qui ne fera pas couler le sang, mais qui ruinera ce que cette ville hypocrite a de plus précieux: sa réputation.

L’anonyme revanchard débarque, par une nuit orageuse, avec un sac contenant une récompense de 40 000 dollars. Cette petite fortune n’est destinée qu’à une seule personne: le bon samaritain qui, des années auparavant, lui avait porté secours en lui offrant 20 billets ainsi qu’une phrase d’encouragement. Afin de pouvoir prétendre aux 40000 dollars, ledit samaritain n’a qu’à prononcer la fameuse phrase, qui est inscrite dans une enveloppe scellée qui accompagne le magot.

…et avec beaucoup de billets.

Une fois sa requête exposée aux Richards, l’inconnu se volatilise, laissant les graines du doute et de l’avarice germer au sein de cette ville prétendument parfaite. Après que les Richards aient vaincu la tentation de s’emparer du magot à l’insu de tous, chacun va ensuite fouiller les recoins de sa mémoire pour tenter de percer le mystère, se considérant suffisamment vertueux pour être le fameux samaritain… Puis, à défaut de retrouver avec certitude la bonne phrase, chacun des notables va manigancer, espérant mettre la main sur le pactole au détriment des autres. S’enrichir tout en prouvant que son patelin est bel et bien le plus vertueux, qui s’en priverait ?

Wander Antunes, auteur brésilien prolifique mais encore assez méconnu en France, reprend un nouvelle de Mark Twain, qui se veut une réécriture du mythe de la tentation mettant en abîme le sentiment de supériorité et la bienpensance américaine. Cette nouvelle phare du père de Tom Sawyer n’a étonnamment pas connu beaucoup d’adaptation au fil des années, encore moins en BD. Cet album sort donc du lot, non seulement par sa rareté en tant qu’adaptation, mais également par la qualité de sa narration, qui n’épargne rien aux WASP contemporains de Twain.

Le vernis de vertu qui recouvre la civilisation et la facilité avec laquelle il se craquelle seront toujours une source inépuisable d’inspiration pour les auteurs. Voir donc les habitants d’Hadleyburg s’enfoncer dans le mensonge en étant persuadés de remporter le gros-lot a quelque chose de satisfaisant, voire même de libérateur, pour le lecteur, qui tourne les pages avec un petit sourire satisfait, protégé par l’ironie dramatique qui lui garantit qu’il sait quelque chose que les personnages ignorent.

Mais ne vous y trompez pas, chers lecteurs et lectrices: l’ironie dramatique n’est qu’une illusion. Nous sommes tous des habitants d’Hadleyburg: nous nous considérons tous, pour la grande majorité en tous cas, comme des personnes décentes, guidées par une idée instinctive du bien et de la vertu. Mais lorsque la vie abat ses cartes, lorsque les choses se gâtent et mettent à l’épreuve nos principes, combien d’entre-nous agiront en accord avec ces fameux principes ?

Le vice, l’avarice, l’individualisme, ne sont peut-être finalement que la matière noire ou l’espace entre les atomes, qui régissent la physique de l’esprit humain, invisibles mais pourtant prépondérants. Et c’est sans doute là aussi le génie de Mark Twain, d’avoir entrevu si tôt cette vérité.

Coté graphique, Wander Antunes s’en sort admirablement, maîtrisant les aplats de couleur qui reflètent la dégradation de la réputation d’Hadleyburg au fur et à mesure de l’album. Avis également aux amateurs de Twain, car certains de ses personnages phares se sont invités dans l’album, donnant ainsi une portée supplémentaire à son message.

2 commentaires sur “L’homme qui corrompit Hadleyburg

  1. La couverture m’avait tapé dans l’oeil mais j’avais la crainte que le reste ne suive pas, tu viens de lever mes inquiétudes. Cette adaptation semble passionnante et bien menée en plus.
    C’est noté !

    J’aime

Laisser un commentaire