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Prison

Histoire complète en 80 pages, écrite par Fabrice Rinaudo, dessinée par Sylvain Dorange et Anne Royant. Parution chez La Boite à Bulles le 05/10/2022.

Avis aux lecteurs de l’Étagère: cet article ne sera pas une simple critique d’album, mais abordera un champ plus large, car votre serviteur n’est pas tout à fait neutre vis à vis du sujet, il est même carrément concerné ! Explications plus bas, si vous le voulez bien.

Taule Story

Vous vous devez d’être prévenus, chers lecteurs assidus de l’Étagère Imaginaire, cette chronique aura une coloration particulière, mais pas seulement à cause du sujet traité dans cet album. Certes, les univers judiciaire, et carcéral plus particulièrement, nourrissent, par nature, des craintes, des fantasmes, et des préconceptions parmi lesquels il est parfois difficile de déterminer l’authenticité.

Cela est dû au fait que la prison est intrinsèquement liée au phénomène endogène de toute société, à savoir le crime. Le crime est vu à raison comme une déviance, un comportement qui s’inscrit en opposition avec la loi, cette norme supposément connue de tous qui régit les rapports entre les individus, ainsi que les rapports entre l’individu et les institutions. La prison elle-même est une institution, il est donc logique qu’elle soit régie par des lois qui encadrent de façon stricte son champ d’intervention et son pouvoir sur les individus qui y sont ostracisés.

Le terme d’ostracisme est à ce titre très révélateur, car il nous vient de l’Antiquité, et désigne le bannissement d’un individu hors de la Cité. Alors qu’aux débuts de la civilisation, les hommes punissaient leur déviant prochain en l’excluant du lieu de vie commun pour l’exposer aux dangers de la solitude et de la nature, aujourd’hui, ils le punissent en le gardant au cœur même de la Cité, dans un lieu bondé où il doit renoncer à un droit fondamental, celui d’aller et venir. Toutefois, si cette dichotomie est assez frappante pour être soulignée, elle ne constitue pas le fond de cet album, ni même de cette chronique.

Alors, Prison, de qui ça parle ? Cet album, labellisé « Témoignages-Documentaires » porte-t-il vraiment le sceau de l’authenticité ? C’est ce que nous allons voir…

Hassan, Guy, et Vic sont tous les trois détenus dans une prison anonyme, et partagent la même cellule. L’exiguïté ne facilite pas la cohabitation, mais dans l’ensemble, les choses se passent plutôt bien pour les trois codétenus. Enfin, aussi bien que possible compte tenu des circonstances: addictions, violences, maladie, sont autant de fléaux absurdes qui viennent s’ajouter à l’enfermement.

Jean, Patrick et Toufik sont aussi dans le même bateau, plongés dans un univers violent qui ne répond qu’à ses propres codes. Si on ajoute à ça les problématiques psychiatriques, on peut obtenir un cocktail explosif. Audrey et Fred, quant à eux, luttent pour préserver leur liaison, interdite par le règlement. Mais il y a aussi Antonio, dont c’est le premier séjour, Alex qui débute sa carrière de surveillant dans un uniforme trop grand pour lui, et des milliers d’autres anonymes, dont le quotidien nous est relaté par le trio d’auteurs.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins, la déception que j’ai ressentie en fermant cet album était proportionnelle aux attentes que j’avais en le débutant. J’en attendait énormément, car, en douze ans de carrière dans l’administration pénitentiaire, j’ai souvent été confronté aux préconceptions et à la méconnaissance du public quant à ce domaine d’intervention si particulier.

Et après tout, c’est compréhensible: la prison est un univers opaque, ce qui est bien commode pour qui mène une existence normale: personne ne veut véritablement savoir de quels rouages sont faites les institutions judiciaires et carcérales, personne n’a réellement envie d’aller chercher la vérité au-delà de ses préconçus. Nous sommes tous persuadés, intimement, d’être de bonnes personnes, nous sommes convaincus que nous sommes intelligents, raisonnables, autonomes dans nos choix. Et si cela s’applique à nous, alors il doit en être de même pour tout le monde, pas vrai ? Si aujourd’hui, j’ai un travail, un logement, une famille, des amis, cela résulte nécessairement de mes choix et de ma valeur intrinsèque ! Par voie de conséquence, tous ceux qui engorgent les commissariats, puis les tribunaux, et enfin les prisons, ont fait leurs propres choix, de façon autonome, ils doivent mériter ce qui leur arrive !

Ne soyez pas choqués de penser ça, c’est un discours que je retrouve souvent lorsque j’évoque le sujet autour de moi. A l’autre bout du spectre de l’opinion publique, on trouve le raisonnement anticonformiste qui veut que la prison broie des innocents chaque jour, qu’entre ses murs s’épanouissent des tortionnaires qui ne font que perpétuer à coups de matraque la fameuse « école du crime« …. Tout cela n’a fait que me convaincre qu’avoir une vision réaliste du milieu judiciaire, cela demande des connaissances, des informations que tout un chacun n’a pas forcément l’occasion d’aller chercher.

J’attendais donc de cet album qu’il apporte un autre son de cloche, une vision neuve et plus proche de la réalité que ce que l’on entend dans les conversations de comptoir ou encore, et surtout, à la télévision. Et c’est avec grand regret que j’ai du dresser le constat, page après page, que les auteurs ont soit sciemment biaisé leur propos, ce qui ferait de leur album non pas un documentaire, mais une banale chronique-fiction dilettante, soit qu’ils se sont mal, mais alors très mal, documentés sur un sujet qu’ils ne maîtrisaient pas en pensant faire des « révélations choc » sur la prison.

Car, si le propos général visant à alerter les consciences sur les conditions totalement inappropriées de détention dans certains établissements vétustes est tout à fait adéquat, le reste, en revanche, ne peut pas, ne doit pas être validé. On trouve en effet toute une série d’approximations, qui peuvent passer inaperçues pour le tout-venant des lecteurs, mais qui font grincer les dents du professionnel.

Par exemple, dans Prison, un détenu qui purge une peine de perpétuité côtoie un autre détenu condamné à 10 mois. Cela va à l’encontre du principe des établissements pour peine (centres de détention, centres pénitentiaires, maisons centrales) et des maisons d’arrêt. On trouve aussi des approximations grossières sur le régime d’exécution des peines: l’un des personnages, justement celui qui purge 10 mois, reçoit une lettre de son avocat lui annonçant qu’il a bénéficié « d’une remise de peine de 3 mois pour bonne conduite« . Or, en réalité, le régime des remises de peine ne fonctionne pas ainsi. C’est le juge de l’application des peines qui décide d’octroyer ou non, des remises de peine, selon un ensemble de critères qu’il serait trop long de détailler ici. Sachez seulement qu’on distingue les crédits de réduction de peine (voués à disparaître), octroyés automatiquement dès l’écrou, et les remises de peines supplémentaires. Antonio, avec ses 10 mois, aurait immédiatement bénéficié de 70 jours (2 mois et 10 jours) de crédit de réduction de peine, ce qui aurait porté son reliquat à 7 mois et 20 jours. Sur ce reliquat, Antonio aurait pu prétendre à 49 jours (1 mois et 19 jours) de remise supplémentaires de peine. Et ce n’est pas un courrier de l’avocat qui notifie ce genre d’information, mais bien le greffe pénitentiaire. Cependant, ces éléments relèvent davantage de l’anecdote à côté de ce qui suit.

J’en viens maintenant au plus grand affront que fait cet album à tous les professionnels: à aucun moment, aucune case, aucun phylactère, n’est mentionné le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation. Pourtant constitué de milliers de professionnels qui consacrent tous plus d’un tiers de leur vie à leurs fonctions, il est inexistant dans Prison, alors qu’ils interviennent dans chaque établissement pénitentiaire, et même en milieu ouvert. Créés en 1999, les SPIP ont un éventail de missions centrées autour de la prévention de la récidive. En milieu fermé, les SPIP agissent pour atténuer les effets désocialisant de l’incarcération, maintenir le lien avec l’extérieur, et, très important, préparer la sortie via des projets d’aménagement de peine, tels que décrits par la nouvelle Loi de Programmation de la Justice ainsi que par les Règles Pénitentiaires Européennes. Insertion et Probation, tout est dit dans l’intitulé. Les SPIP participent également à l’évaluation du risque criminologique, afin d’identifier les facteurs de risque et agir sur la réceptivité des personnes placées sous main de justice.

Mais ça, Fabrice Rinaudo semble l’ignorer complètement. Un détenu qui passerait plusieurs mois/années en détention serait nécessairement vu par le SPIP, et pas seulement par des surveillants pénitentiaires et des médecins. Cela relève soit de la mauvaise foi, soit de l’amateurisme le plus caractérisé. Je mets donc au défi l’auteur, de m’affirmer qu’il a bien mis les pieds dans un établissement et qu’il s’est correctement renseigné avant d’écrire son scénario.

Consacrons maintenant quelques lignes sur le fond de l’album, si ça ne vous fait rien. Vouloir dénoncer un système dépassé, des infrastructures vétustes, une Justice indifférente, est une intention louable pour un auteur engagé. Il faut parfois jeter un pavé dans la mare, en espérant que les remous assainiront les consciences et contribueront à faire évoluer les choses. Mais l’auteur se prend les pieds dans le tapis en surjouant un contexte empli de clichés, quelques situations ubuesques qui écornent le caché « réaliste » dont il veut s’affubler, sans oublier une vision quelque peu angélique, voire naïve, du phénomène criminel et de ses composantes.

On ne peut pas nier que la prison a le pouvoir de broyer des individus que rien ne déterminait au départ à intégrer ce milieu. Il faudrait être hypocrite ou de mauvaise foi pour ignorer le fait que beaucoup de détenus relèvent des soins psychiatriques plus que de la détention. La violence est aussi un phénomène intolérable face auquel l’administration se trouve souvent dépourvue. Mais la description qu’en fait Fabrice Rinaudo tient le plus souvent de l’ultracrépidarianisme que de la vision claire et objective de ce microcosme qu’est la prison. Si je tiens ces propos intransigeants, c’est avant tout parce que depuis plus d’une décennie maintenant, je consacre mon énergie au quotidien à lutter contre la récidive (je ne lis pas que de la BD ! 🙂 ), avec les moyens du bord, et pour une fois qu’un artiste s’intéressait à ces enjeux, il se rate et passe à côté d’un pan important, primordial, du sujet auquel il s’est attelé. Ce qui est d’autant plus rageant que le tout est né de l’initiative d’une avocate, Maître Lendom Rosanna, qui n’a même pas été fichue de vérifier que le propos de l’auteur était complet et frappé du sceau de l’authenticité.

On met deux Calvin, essentiellement pour saluer le magnifique travail graphique de Sylvain Dorange et d’Anne Royant.

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Invisible Kingdom #3: les confins du monde

East and west

Dernier tome de la série écrite par G.Willow Wilson et dessiné par Christian Ward. Parution en France chez Hicomics le 17/11/2021.

A-foi-fée de pouvoir

Dans le tome 1 et le tome 2, nous faisions la connaissance de Vess, une jeune rooliane qui, poussée par sa foi, s’engageait sur la voie du Sentier, que propose la grande congrégations des Non-Uns, adeptes de l’église de la Renonciation.

Dans tout le système solaire, la Renonciation fait face à la toute puissante Lux, une corporation industrielle et commerciale qui livre ses produits sans délais à travers le cosmos. Entre détachement spirituel et attachement matériel, les habitants du système doivent choisir, mais ce qu’ils ignorent, Vess comprise, c’est que ces deux entités ne sont que les deux faces d’une même pièce, deux conspirateurs qui feignent l’antagonisme pour mieux manipuler les foules.

Après avoir compris cela, Vess se voit traquée par la Renonciation et par Lux, et se voit contrainte de fuir, à bord du Sundog, le vaisseau brinquebalant de Grix, une livreuse Lux qui ne s’en laisse pas conter. Aidée de son équipage, Grix tente d’abord de se débarrasser de cet encombrant paquet, avant de s’apercevoir que la jeune prêtresse dit vrai. N’écoutant que son courage, Grix décide alors de soutenir Vess et choisit de révéler la vérité à tout le système, s’attirant les foudres des deux géants.

Toutefois, nos rebelles se retrouvent le bec dans l’eau, poursuivies de toutes part sans pour autant avoir provoqué le raz-de-marée escompté. Que faudra-t-il faire pour éveiller les consciences ?

Alors qu’elle échappent in extremis au Point de Non Retour, Vess et Grix sont abordées par une frange extrémiste de la Renonciation, les soeurs de la Résurrection, qui semble bien décidée à nettoyer toute cette corruption par le feu. Littéralement. Vess est désormais contrainte de choisir entre sa foi envers le Sentier et son amour récent pour Grix.

Invisible Kingdom avait tous les atouts de son côté pour être une excellente série. Un univers riche et attractif, des thématiques actuelles et puissantes, telles que l’autodétermination, la lutte contre le consumérisme, la Vérité, la Foi, et l’Amour. Le premier tome exploitait très bien ces thématiques, avec une mise en place impeccable et un cliffhanger magistral dans le genre.

Cependant, le soufflet est quelque peu retombé avec le deuxième tome, qui plaçait les protagonistes dans une situation passive durant un temps suffisant pour laisser l’excitation retomber. Confrontées à des réalités cruelles, Grix et Vess ont du se compromettre pour atteindre leur but, permettant à leurs sentiments amoureux d’éclore, mais le tout paraissait déséquilibré, et il en résultait une perte d’élan.

Ce tome 3 poursuit dans la même veine, bien que le rythme reprenne de façon plus dynamique. On demeure sur une sensation de survol, de décousu, tant sur le traitement des personnages que sur la résolution de l’intrigue en elle-même. La question de la Foi est abordée, le dogme de la Renonciation paraît finalement bien abscons, assez fade le plus souvent, surtout dans la bouche du grand gourou dont Vess fait la rencontre dans ce tome.

Quant à la romance entre Grix et Vess, elle n’est pas à jeter mais semble écrite avec les yeux trempés dans la mélasse, à base de « je-me-sens-abandonnée-mais-je-me-sacrifie-quand-même-par-amour », et autres joyeusetés du même acabit. Quant à l’aspect révolutionnaire, on a bien sûr droit à la scène du réveil des consciences, mais l’intrigue s’est trop dispersée entre temps pour que l’on en saisisse toute la portée à ce moment-là.

Vous l’aurez donc compris, je n’ai pas été convaincu par l’ensemble de la trilogie, malgré un excellent premier tome qui semait les graines de l’excellence, sans les arroser suffisamment sur les deux tomes suivants.

****·Actualité·BD·La trouvaille du vendredi·Rétro

Zaï-Zaï-Zaï-Zaï

La trouvaille+joaquim

BD de Fabcaro
6 pieds sous Terre (2015), 70p., one-shot.

L’album a reçu de nombreux prix en festival BD et critiques, il a été adapté à la radio, au théâtre et au cinéma.

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C’est l’histoire d’un type qui en oubliant sa carte du magasin devient ennemi public numéro un. C’est l’histoire d’une société qui ne sait plus ce qui est grave de ce qui ne l’est pas. C’est l’histoire d’une République où le buzz médiatique détermine la manière de penser des citoyens. C’est l’histoire d’un road-movie en absurdistan qui dézingue une France terrorisée par son ombre…

Seule l’humour permet d’aborder des questions centrales, profondes, sans avoir à se confondre en excuses pour les gros mots et la radicalité de l’uppercut. Véritable phénomène (… dans le milieu des lecteurs de BD, soyons raisonnables!), le court album de Fabcaro jouit d’une réputation qui dépasse ses seuls lecteurs. Partant d’un postulat absurde l’auteur déroule sa dissection d’une société qui n’a plus de boussole au fil de séquences qui prennent le format de magazines d’humour. Sur un schéma très proche de ce que proposent Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud sur leur série Faut pas prendre les cons pour des gens dans Fluide Glacial, Fabcaro fait rire, avec un fond. Si l’absurde est toujours la source du rire, il pointe toujours des formules, des raisonnements télécommandés et surtout l’absence totale de réflexion de nos concitoyens qui passent sans transition d’une crainte de terroristes cachés parmi nous à la terreur d’un virus avant de s’indigner du sort d’un peuple soudain frère aux portes de l’Europe. Ici un vigile menace de faire des roulades arrières, les voitures Renault font des cabrioles et les parents déconnent avec leurs enfants sur le danger de tomber sur un Nordhal Lelaldais en sortant de l’école…

Bédéthèque idéale #92 : “Zaï zaï zaï zaï”, le goût pour l'absurde de FabcaroLa force de l’absurde est de créer des parallèles évidents, incontestables, de rendre immédiatement grossiers des schémas de pensée pourtant quotidiens aujourd’hui. Ici l' »autre » dangereux, étrange car différent est l’auteur de BD (la petite touche autobio pour déconner). Transposez les discours gentiment racistes en remplaçant « migrant » ou « musulmans » par « auteur de BD » et vous avez évidemment des séquences tordantes d’absurdité et bêtise. La technique est connue mais toujours aussi mordante et efficace.Zaï Zaï Zaï Zaï de Fabcaro : la BD la plus drôle du monde

Notre époque use et abuse du comique (notamment au cinéma) en ayant totalement oublié sa dimension politique, dans un politiquement correcte usant. L’humour n’est jamais aussi bon que lorsqu’il attaque, qu’il dénonce, comme le montre un Wilfried Lupano tout au long de sa bibliographie. Tout juste adapté au cinoche, Zaï-zaï-zaï-zaï (et grand merci à l’auteur pour la rédaction fort aisée de son titre…) est une lecture nécessaire qui joint le salubre à l’agréable.

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***·Comics·La trouvaille du vendredi·Rétro

Marvels

Comic de Kurt Busiek et Alex Ross
Panini (1994), 208p. contient les 4 épisodes et l’épilogue de 2019.

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Lorsque la Torche humaine et le Prince des mers surgissent aux yeux du monde Phil Sheldon est un jeune reporter en attente du scoop qui lancera sa carrière. Ces évènements qui précèdent l’entrée en guerre des Etats-Unis seront le début d’une vie comme témoin des actions des marvels, ces êtres dotés de capacités extra-ordinaires dont la relation aux simples humains évoluera au fil des époques. Sheldon sera pour toujours le regard de son monde sur celui de l’étrange et de la différence…

Marvels Vol. 2 (1/2) | Wiki | •Cómics• AminoAlex Ross éblouit les couvertures des publications Marvel depuis maintenant trente ans. Son style directement inspiré du Réalisme américain a ses fans comme ses détracteurs, mais la puissance photoréaliste de sa technique ne peut laisser indifférent. Bien plus habitué de l’univers DC où son amour du Golden-age des comics est plus adapté que chez l’éditeur de Stan Lee, Ross n’a pas moins commencé sa carrière sur ce monument de deux-cent pages où il nous convie en compagnie de son comparse Kurt Busiek à parcourir l’histoire des héros Marvel des premiers coups de poing aux derniers conflits des X-men et autres Spider-man.

Outre l’impressionnante maîtrise graphique que propose Alex Ross pour ses débuts, c’est le pas de côté du scénario qui intéresse le plus. Mis en position de témoin extérieur comme ce personnage de journaliste incarnation de l’American way of life, le lecteur assiste à l’évolution des mentalités d’une population passant de la naïveté simpliste des années quarante à l’égoïsme et à la peur des années soixante-dix. Ainsi on assiste selon les périodes à des visages rayonnants devant la bravoure d’un Captain America à des pogroms sur les pauvres mutants alors que la question de la cohabitation des deux Homo se pose finalement. Les habitués des lectures Marvel sont coutumiers de ces problématiques, de cette complexification qui suit cinquante ans d’histoire américaine mais aussi de publication de comics. Sur un travail encyclopédique le scénariste a en effet intégré des moments majeurs des comics Marvel dans ce cadeau d’anniversaire luxueux.

La frustration reste là pour qui attendait de l’action et de la lecture plaisir. Marvels ressemble plus à un joli livre-photo en hommage à tout un pan de la pop-culture. Mais pas que. Au travers des réactions de la société, les auteurs ne ménagent pas un pays (et sa population) présenté à la fois comme l’image d’Epinal rétro que toute la machinerie idéologique nationaliste promeut depuis un siècle mais également le conservatisme et la peur primale de tout ce qui est autre, différent.

Les habitués d’Alex Ross seront en terrain connu. Si ses traits sont ici encore proche de la BD ils iront ensuite en s’éloignant de la narration graphique pour de l’illustration pure, rendant parfois peu lisibles ces immenses enchevêtrements de héros brillants dans des combinaisons kitchissimes que l’on retrouvera dans le grand œuvre du peintre, le Kingdom come de DC. Véritable moment de l’histoire des comics, Marvels ajoute à ses qualités superheroes and superstars: the works of alex ross"  www.boraborahut.com/2017/02/superheroes-and-superstars-works-of.html |  Spiderman comic, Alex ross, Marvelpropres l’inévitable comparaison avec le travail de Ross sur les personnages DC. Il est en effet peu fréquent de lire un album quasi documentaire sur les personnages iconiques Marvel de la part d’un spécialiste des ouvrages encyclopédiques sur les héros DC. La comparaison entre les deux univers via le même regard est très novateur, même si elle s’adressera plutôt aux bons connaisseurs de ces champs de la BD.

Remarquable par son travail pédagogique, sa structure simple et ses innombrables références qui donnent envie de se plonger dans Wikipedia, cet album majeur est l’occasion unique de voir la version du grand Alex Ross sur le panthéon Marvel. Si vous êtes allergiques à la bande de Superman et avec séché sur la densité exigeante d’un Kingdom come, ce « petit » livre est une excellente occasion de sortir des sentiers battus qui se permet d’offrir une réflexion pas bête du tout sur les démons de l’empire américain.

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****·BD·Documentaire·Nouveau !·Service Presse

La Force de l’Ordre

Le Docu du Week-End

One-shot de 100 pages, adapté du livre éponyme de Didier Fassin, qui est ici assisté par Frédéric Debomy au scénario, et Jake Raynal au dessin. Parution le 2/10/20 aux éditions Seuil-Delcourt.

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Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

Monopole de la violence légitime

Il est fascinant (voire parfois fascisant) de réaliser que le crime est en soi un phénomène endogène à toute société. En effet, c’est du concept même de société et de civilisation, propre à l’Homme, que découle celui de Loi, et donc, par voie direct de conséquence, celui de crime.

En effet, le crime n’existe pas dans l’état de Nature, et l’on ne saurait reprocher au lion d’avoir étripé une gazelle. C’est donc tout le paradoxe que l’Homme s’impose à lui-même et qui détermine son comportement avec les autres.

Dans un monde toujours plus complexe, parcouru de nos jungle civilisées, une question devient récurrente: qui est la gazelle, qui est le lion ? Dans un système rejetant et condamnant la violence des individus, qui peut se prévaloir d’une violence légitime ?

Suis-je le gardien de la Paix ?

La sociologie nous apporte des pistes de réflexions intéressantes. L’Etat, cette entité intangible et supérieure à la somme de ses parties, a bel et bien le monopole de la violence légitime sur son territoire. Il est paradoxal de penser que pour maintenir la paix dans une société, il faille parfois recourir à la violence. De ce point de vue, il semblerait que ce soit la raison d’être d’institutions étatiques telles que l’armée ou la police. Violenter pour protéger, protéger en violentant, voilà un sacerdoce oxymorique qui pourrait expliquer les heurts récents et la défiance actuelle envers elles.

Didier Fassin a accompagné une Brigade Anticriminalité (BAC) durant deux ans afin de mieux en appréhender le fonctionnement, les enjeux et les difficultés. En effet, beaucoup de problématiques liées aux forces de l’ordre se cristallisent autour de ces BAC, connues pour leur virulence et pour les frictions avec les habitants de certaines zones urbaines.

Ce que le professeur a découvert s’éloigne radicalement de l’imagerie véhiculée tant par la fiction que par les médias, et tend à dépeindre un quotidien morne, un ordre social maintenu par des agents partagés entre la désillusion et la pression institutionnelle.

Face à ces découvertes édifiantes, les a priori d’un lecteur peu familier du domaine judiciaire/pénal en seront certainement ébranlés. Loin du manichéisme généralement de rigueur sur les chaines de la TNT, les auteurs font la retranscription d’un système conçu pour reproduire les inégalités, favorisant ainsi la perpétuation d’un cycle sans fin de violence.

Servi favorablement par la transition graphique, l’ouvrage choc de Didier Fassin est à diffuser largement. Plus vous pensez savoir ce qu’il se passe entre les jeunes de cité et les policiers, dans la rue et au commissariat, plus il est urgent pour vous de lire cette BD/ce livre.

*****·BD·Rapidos

Renaissance #3: permafrost

La BD!
BD de Fred Duval, Emem et Fred Blanchard (design)
Dargaud (2018-2020), 54p./album, premier cycle terminé en 3 volumes.

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badge numeriqueIl y a trois ans le dessinateur Emem, formé sur les séries de Fred Duval publiait une illustration de couverture sur fonds de langage alien, qui marquait les esprit par un design et une composition parfaitement fascinants. S’en suivent deux autres albums aux couvertures structurées de la même façon, tout aussi magnifiques, et un premier cycle se termine déjà. Quand nombre de séries s’étirent indéfiniment sur plusieurs décennies, la science de Duval lui dicte de concentrer à l’essentiel pour donner de la force, de l’ambition à son projet.

Renaissance tome 3 - BDfugue.comCertaines BD respirent l’alchimie parfaite entre scénariste et dessinateur(s). C’est le cas de Renaissance qui dans cette conclusion parvient à nous captiver en résolvant tranquillement les quelques intrigues ouvertes précédemment, en n’oubliant pas de réfléchir à chaque case sur le devenir de notre planète, les comportements sociaux humains ou la prospective du fonctionnement d’une société parfaite. Avec cette série Duval invente la dystopie utopique, en bon humaniste il ne se contente pas de nous proposer une vision cataclysmique et totalement crédible de notre futur mais par l’existence même de cette force extra-terrestre nous montre l’espoir. Sans mièvrerie, sans mauvais goût, il montre qu’on peut dénoncer une situation en indiquant qu’elle n’est pas inéluctable. La SF est souvent très nihiliste. Pas ici.

L’intelligence est omniprésente dans cette BD, que ce soit dans des dessins très détaillés et extrêmement lisibles, tant des les scènes d’actions convaincantes que dans les débats diplomatiques subtiles entre grands pontes de l’Agora alien qui devisent dans un mémorial des guerres passées. Nous parlions récemment d’une certaine lourdeur appuyée sur le second tome des Dominants. C’est l’inverse ici où les auteurs savent jouer de l’apparence, parfois étrange, parfois repoussantes des aliens, qui ne reflétera pas forcément leur caractère. La richesse de cette série est à l’aune de toute la bibliographie d’un scénariste qui arrive à traiter simplement un grand nombre de sujets dans cent cinquante pages de BD, sur des thèmes aussi larges que l’intelligence artificielle, le libre arbitre, la dualité nature/culture, sans oublier de s’amuser avec l’Histoire de notre planète. Sans déflorer une intrigue riche qui sait se conclure de façon satisfaisante en ouvrant la porte à de futurs cycles, on arrive naturellement à la résolution du drame familiale d’une des deux humaines et à l’arrestation des fautifs. La perfection de la société-Renaissance n’est pas si évidente et pousse les aliens à l’humilité dans un échange civilisé, alors que ce qu’il reste des Nations du monde finissent par réagir à cette irruption sidérante. En se permettant, cerise sur le gâteau, de l’humour linguistique, Duval montre une nouvelle fois qu’il est l’empereur de l’Anticipation. Et on l’espère pour longtemps!

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****·BD·La trouvaille du vendredi·Rétro

Orbital, cycle 2 (intégrale)

A l’occasion de la sortie de la seconde intégrale de la série, je re-publie ma critique récente de ces quatre volumes…


BD de Sylvain Runberg et Serge Pellé
Dupuis (1999-2005), série en cours, 8 volumes parus. 46 p./album

Couverture de Orbital -INT02- Deuxième époque

J’avais découvert le premier « cycle » de cette série réputée, à moitié convaincu mais intrigué par le phénoménal design installé par Pellé et par la richesse d’un univers qui ne demande qu’à être exploré. Je confirme mon impression des quatre premiers albums concernant la structure de la série: il n’y a absolument ni cycles ni missions, mais bien une continuité de l’intrigue du premier au huitième tome. Très étrange que cette présentation en diptyques qui ne correspond pas au récit…

Caleb est aux portes de la mort après l’attaque du Varosash et laisse Mézoké seule face à une tentative de déstabilisation de la Confédération toute entière. Alors que les factions opposées cherchent à utiliser la situation de crise  et que le pouvoir saute de camp en camp à chaque incident, les deux agents diplomatiques vont se retrouver en fuite pour sauvegarder l’ordre établi… pour peu qu’il doive être sauvé…

L’intrigue évolue assez vite dans cet arc, avec l’arrivée de la plutôt réussie sœur de Caleb dont nous n’avions plus entendu parler depuis le premier tome. Sa personnalité explosive et son opposition de mentalité avec son frère sont intelligemment amenés et participent au développement de la relation avec Mézoké en faisant réaliser aux deux agents diplomatiques qu’ils ont finalement beaucoup en commun. A noter que ce sont résolument les femmes qui mènent la danse et tissent notre intérêt dans cette série, en laissant les mâles dans des rôles assez ingrats! De nouveaux personnages majeurs arrivent également et nous permettent de mieux comprendre le rôle d’Angus le Nevronome que l’on voit beaucoup depuis le début sans savoir comment ni pourquoi. Comme pressenti, cette série monte en puissance lentement mais surement, chaque tome gagnant en intérêt, en qualité, en complexité. C’est vraiment étrange et je ne crois pas avoir déjà ressenti cela sur une autre série. Passer ainsi de l’assez banal à l’une des meilleures séries SF en quelques tomes n’est pas commun.

Clipboard02.jpgCela est d’abord dû à la noirceur assumée d’une série dont les dessins des personnages tranchent avec l’intrigue politique complexe (Runberg nous y a habitués). L’aspect politique très poussé est l’autre atout avec une galaxie tombant dans la guerre civile dans une progression particulièrement réaliste pour une série SF et qui pourrait sans soucis ranger Orbital dans la catégorie Thrillers politiques. On décortique de multiples facteurs, de l’attentat ayant coûté la vie aux parents de Caleb et sa sœur aux tensions sécessionnistes, xénophobes, aux débats de conception politique au sein d’Orbital entre différents courants qui veulent mettre leur chef sur le siège de dirigeant… Tout cela est mené très finement, sans manichéisme (ou presque), les méchants ayant tous des motivations crédibles avec pour point de convergence la peur. Car mine de rien cette série aborde des problèmes actuels et universels qui mènent aux conflits, qu’ils soient locaux ou galactiques avec le plus souvent comme moteur la peur de l’autre, de l’étranger, de la perte, de l’inconnu. Ainsi le rôle des Nevronomes (dont l’action est centrale sur ces quatre tomes) est très intéressant de par la gestion du mystère laissé par Runberg. On ne sait à peu près rien de ces vaisseaux pensants qui Résultat de recherche d'images pour "orbital 7 pellé"semblent terrifier la confédération et dont on peine à comprendre la nature et les motivations. Cela nous titille dans l’envie d’en savoir plus et les auteurs vont distiller de tout petits cailloux jusqu’à la conclusion marquante du tome huit qui ouvre de nouvelles portes et monte d’un cran dans l’ambition de la série. Même chose, plus subtilement, avec les Sandjar, la race que représente Mézoké et qui est physiquement androgyne, perturbant les humains qui ne savent pas s’ils ont affaire à un mâle ou une femelle… ce qui permet de pointer sans en avoir l’air la question du déterminisme sexuel et du schéma hétérosexuel de nos sociétés (Florent Maudoux avait abordé cette question dans son étonnant et superbe Vestigiales)

Même si Pellé est toujours aussi imaginatif dans sa description des aliens et des lieux (la superbe cité du crime!) et tend à faire évoluer ses personnages humains vers des traits légèrement plus réalistes, ces derniers restent le point noir de la série. C’est vraiment dommage car cela empêche le lien d’empathie avec le lecteur (en contre-exemple du superbe travail d’expression de Corentin Rouge sur Rio et de Paul Gastine sur Jusqu’au dernier). Les personnages humains sont finalement peu nombreux mais demeure le putatif héros, Caleb, qui malgré ses pouvoirs temporaires ne parvient pas à endosser le statut de personnage central.Clipboard01.jpg

Orbital est ne singulière série que je ne classerais pas dans les blockbusters mais qui par ses défauts et son évolution que l’on ressent instinctive attire une grande sympathie par la générosité de ses auteurs qui semblent passionnés par leur univers sans être certain qu’un plan d’ensemble existe. Une BD qui semble progresser volume par volume avec talent et qui gomme progressivement ses quelques problèmes en nous emmenant sur des concepts SF très intéressants, vers l’infini, et au-delà…

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***·BD·La trouvaille du vendredi·Rétro

Le lama blanc

La trouvaille+joaquim
BD de Jodorowsky et Georges Bess
Les Humanoïdes associés (1989-2008), 255p., comprend les cinq volumes de la série.
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Le lama blanc fait partie de ces grands ancêtres dont personne ne parle trop mais que tout le monde respecte, ne serait-ce que par l’aura de ses deux auteurs, le mystique Jodorowski et le très grand Georges Bess dont c’est la seconde publication (la première déjà avec Jodo). Ce qui frappe le plus c’est la maturité du dessin de Bess qui ne sera guère meilleur après. On sent l’école Giraud, Serpieri et les italiens dans ces traits que gâchent (je le dis franchement) des couleurs vraiment criardes… On peut expliquer ce choix par l’époque et les possibilités techniques mais aussi par le souhait de donner une image psychédélique aux séquences mystiques de voyage astral et tout ce qu’on peut assimiler à du fantastique. Cela peut se défendre mais il reste que sur un plan purement graphique, si je ne suis jamais favorable à des trahisons de recolorisations commerciales, ici l’éditeur serait bien inspiré de proposer au dessinateur d’envisager de reprendre sa quadrichromie…

Au début du XX° siècle l’empire britannique pose ses fusils sur le plateau du tibet. Un couple de jeunes anglais souhaitant rencontrer la culture tibétaine se retrouve pris dans une razzia de pillards. Ils décèdent laissant seul un enfant confié à une famille locale. Élevé en vrai tibétain, Gabriel Marpa aura un destin unique, mystique, celui de la réincarnation du dernier grand maître des arts mystiques…

Le lama blanc - BD, informations, cotesRevenons à nos moutons pour cette saga en cinq volumes dont une suite (second cycle, prévu dès la fin du premier) a été donnée récemment par les mêmes auteurs et semble-t’il assassinée par la critique comme un délire sénile de Jodorowsky… Je prolongerais ma lecture du premier cycle par le second pour vous donner mon avis.

Les trois premiers volumes du Lama blanc sont passionnants de souffle, le scénariste employant les techniques de la grande aventure exotique et de la fantasy pour emmener le lecteur dans les premières années (terribles de souffrance, comme tout ce que fait Jodo!) de Gabriel. L’histoire nous fait suivre donc l’apprentissage de ce jeune tschilinga, réincarnation du dernier Maître alors que la lamasserie a été accaparée par un usurpateur qui trahit toutes les valeurs du bouddhisme. Pour qui a lu les autres œuvres du chilien et notamment les Méta-Barons, on trouve déjà l’essence de ses obsessions, avec cet enfant tout puissant devant assumer une souffrance inouïe, seul, rejeté par les siens et dont acquisitions de compétences supra-naturelles fera naître un être supérieur. Hormis dans le dernier tome qui tombe un peu dans un prosélytisme mystico-boudhique faute de combattant (ne jamais oublier l’adversité dans une histoire!), Jodo arrive à parler de spiritualité comme dans toute histoire de mages et de dragons. On adopte facilement cette vision des expériences extra-corporelles (expérimentées par l’auteur lui-même et utilisées dans une autre de ses sagas majeure, Alef-Thau) et du monde immatériel.

Serie Le Lama Blanc [ALADIN, une librairie du réseau Canal BD]La grande réussite est donc, appuyé sur les magistrales planches de Bess, cette description des tissus, de décors fascinants des traditions tibétaines et de cette nature impressionnante! Postulant une société dont les mythes et la religion abritent des effets magiques totalement réels sur le monde, le duo va jusqu’à incarner le yéti, formidablement imaginé, pourchassé par le père adoptif de Gabriel. La grande tragédie n’est jamais loin chez Jodo et le héros sera contraint par le destin à des actes qu’il réprouve. Se déroulant sur plusieurs décennies, le scénario marque des ruptures assez brutales sans que l’on ne soit perdu et se structure selon l’ancienne habitude en BD de sous-parties avec titres, sans doute destinées à la prépublication en magazine. On peut regretter la disparition assez rapide des personnages fort réussis des mentors de Gabriel et deux derniers albums où Jodo se perd un peu en son fumoir de Haschich… Mais force est de reconnaître que l’ensemble respire l’originalité (la tibetan fantasy?) et une solidité Le Lama Blanc - Intégrale 40 ans - BDfugue.comde narration, malgré le thème et les mantras fréquents qui étaient un vrai risque de perdre l’attention du lecteur. Par moments, lors de l’irruption du monde occidental, on se prend à penser qu’une plus grande linéarité classique, envoyant Gabriel en Angleterre puis revenant accomplir son destin, aurait pu hausser encore l’œuvre. Cela aurait impliqué probablement une série de dix tomes.

Le Lama blanc a donc quelques défauts lorsque le héros atteint les pouvoirs de la sagesse ultime et quelques hésitations de direction dans le recit. Trop puissant trop tôt il devient moins intéressant de suivre un personnage que plus rien ne peut atteindre. Mais la force des planches, l’ambition des auteurs, leur entièreté dans ce qu’ils veulent raconter, nous font néanmoins convoler avec eux avec grand plaisir sur les hauts plateaux tibétains. Avec une grosse envie de suite…

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***·BD·Rapidos

Renaissance #2: interzone

La BD!
BD de Fred Duval et Emem
Delcourt (2018-2020…), 2 volumes parus/3.

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badge numeriqueL’an dernier Duval, Blanchard et Emem frappaient un coup avec une nouvelle réussite dans un genre SF surchargé où il est toujours compliqué de trouver une ouverture originale. Si Bec a opté pour la complexité sur son Crusaders, Duval, en vieux briscard du scénario d’anticipation joue la linéarité et l’épure de l’intrigue pour développer ce qu’il fait si bien: les retournements de rôles et la réaction des humains à des situations de crise. Le premier tome avait un peu brisé son récit avec un gros flashback qui n’est ici plus nécessaire et les auteurs peuvent se concentrer sur la découverte du contexte planétaire en suivant les deux femmes associées chacune à un membre du couple alien qui structure l’histoire. Une fois l' »invasion » passée, on peut enfin découvrir la véritable menace que constituent les désaccords entre les peuples composant une organisation Renaissance que l’on croyait si unifiée.

Résultat de recherche d'images pour "renaissance emem"Outre le design juste génial, la grande originalité repose dans l’attitude des aliens dont la quasi absence d’expressivité faciale vise à illustrer une civilisation maîtrisant totalement à la fois la psyché et la matière… bien sur tout ne sera pas si simple et les réactions des humains comme les imprévus montreront que quelque soit l’avancée d’une civilisation, l’humilité est toujours une nécessité pour éviter les drames. Emem propose à la fois des technologies d’anticipation très crédibles (basées sur ce que nous connaissons) et des artefacts aliens totalement futuristes et brillants de bon goût. En seulement trois tomes il n’est bien entendu pas prévu de développer une conspiration complexe et ce Renaissance apparaît plus comme une illustration de notre futur proche instillant de nombreuses piques sur la supériorité occidentale et américaine que comme une saga SF policière comme peut l’être Sillage par exemple.

Intéressants dans tout ce qu’ils nous proposent, le trio confirme donc que (comme tout ce que touche Duval?) cette trilogie est une lecture à conseiller vivement. Seule l’ambition limitée du projet dispense d’en faire une série majeure, mais si vous aimez la SF intelligente et les beaux dessins n’hésitez pas une seconde!

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***·Comics·East & West·Nouveau !·Numérique·Service Presse

Omni

Recueil de 96 pages réunissant les épisodes 1 à 5 de la série Omni, écrite par Devin Grayson, dessinée par Alitha E. Martinez. Parution le 12/02/2020 aux Humanoïdes Associés.

couv_385571Le nouveau label H1 Comics, dont la diffusion en France est assurée par les Humanoïdes Associés, nous propose un univers partagé dans lequel évoluent des super-héros d’un nouveau genre. Les premières publications de cette écurie naissante, Ignited, Meyer, Strangelands et Big Country, ont posé les premiers jalons, et sont suivies par Omni. Blondin vous proposera samedi son avis sur Nicnevin.

Éveil Cognitif et ubiquité mentale

Cecelia Cobbina est une brillante chirurgienne qui n’a pas peur de se mettre en danger pour honorer son serment d’Hippocrate. Alors qu’elle opère en zone de guerre, en Afrique, son don s’active sous l’effet du stress. Dès lors, Cecelia sera capable de penser à une vitesse époustouflante, mobilisant neuf types d’intelligences qui lui permettront d’optimiser le traitement des informations par son cerveau.

Transformée en génie par cette expérience, Cecelia va, dans un premier temps, chercher à retrouver et aider des individus qui ont eux-aussi été « activés » de par le monde afin de lever le voile sur le mystère de leurs origines, avant d’envisager de mettre ses capacités au service de tous.

3, 2, 1, 0… Ignited !

Omni réussit le pari de traiter un personnage exceptionnellement intelligent de façon crédible, ce qui n’est jamais chose aisée. En effet, j’ai toujours trouvé périlleux de vouloir retranscrire plausiblement le fil d’une pensée surdouée lorsque l’on n’est soi-même pas un génie (ou en tous cas pas dans les proportions décrites dans l’œuvre), et ce, sans dissimuler ses inévitables lacunes dans un blala technique artificiel et souvent inadéquat.

C’est ce qui arrive malheureusement assez souvent, notamment dans les œuvres utilisant la science: l’auteur ne sait pas vraiment comment fonctionne tel ou tel concept, finit par en livrer une version fantasmée en croisant les doigts pour que le lecteur/spectateur ne relève pas davantage.

Ici, le personnage de Cecelia n’affiche pas une science décalée, noyée dans un propos volontairement obscur ou faussement complexifié. Ses déductions restent logiques et bien argumentées, basées de façon adéquate sur les différentes ressources intellectuelles qu’elle mobilise. Sur le plan de la narration, il faut souligner la trouvaille assez ingénieuse des auteurs, qui ont justement adopté un code couleur pour chaque type d’intelligence afin que le lecteur puisse s’y retrouver.

Parmi ces éléments de mise en scène, Omni évoque habilement des thématiques d’actualité, comme les enjeux écologiques, la place de la femme dans la société et le traitement des minorités.

S’agissant de l’univers partagé en lui-même, il demeure attractif pour le moment, même si le nombre de titres et leur publication très récente ne permet pas encore de juger sur le long terme.

Ce n’est pas un défaut en soi, mais on ne peut que relever des similitudes avec certaines autres œuvres , notamment celles qui utilisent le concept d’un évènement global qui provoque une génération spontanée de super-pouvoirs: le célèbre Rising Stars de J. Michael Straczynski, The New Universe avec son « Instant Blanc« , The End League de Rick Remender, sans oublier l’incontournable Earth X chez Marvel.

Omni offre des personnages attachants, évoluant dans un univers neuf et en pleine expansion. Espérons que la suite de la série saura transformer l’essai !

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