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The world: Valentin Seiche – Kinaye (2019), 88 p. monochrome.
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Tremen: Pim Bos -Dadrgaud (2019), 64 p., monochrome
Hasard des publications, deux ouvrages étranges sont parus à quelques semaines d’écart, avec de grandes similitudes à la fois graphiques et dans la démarche de leurs auteurs. Deux prises de risque des éditeurs également puisque nous avons affaire à des albums ayant vaguement la forme de BD mais sans texte (ou quasi) et adoptant une narration qui rappelle plus l’art-book que la BD. Pas évident de trouver son public et super occasion que de voir ces objets hybrides. Qu’est-ce qu’on a donc?
Dans les deux cas il s’agit de projets d’illustrateurs, le français Valentin Seiche pour The World, le néérlandais Pim Bos pour Tremen. Tous deux travaillent dans l’animation et cela s’en ressent par l’importance du seul graphisme pour installer une atmosphère. Dans The World une petite narration pose le récit d’une guerre ancestrale entre robots et magiciens et de l’évolution du monde depuis, alors que Tremen (qui signifie « passage ») est totalement muet. Pour ce dernier la post-face de Marc Caro incite à aller voir le court métrage Ghozer de l’auteur… qui ne vous en apprendra pas beaucoup plus pour la simple raison que l’album édité par Dargaud vise avant tout à illustrer des visions graphiques dans un univers cohérent. Et c’est en cela qu’il est intéressant. Beaucoup de com’ a été faite sur une pseudo-filiation avec l’Arzach de Moebius. Personnellement je ne vois pas l’intérêt de ce parallèle tant l’itinérance surréaliste et muette n’a pas été inventée par le dessinateur de l’Incal. Il est certain que Metal Hurlant a influencé Pim Bos, comme toute une galaxie d’illustrateurs qui publient chaque jour sur internet des foules d’images fabuleuses mais le projet est bien de donner vie au monde intérieur de l’auteur.
Il est indéniable que le trait de l’auteur est fort, dans une tonalité grise, mettant en scène une galerie de créatures biomécaniques où la thématique du vers, de la torture et de la violence froide ne sont pas absents. J’ai trouvé l’album plus soft que le court-métrage, plus accessible bien qu’il ne soit pas destiné à tous les yeux. Je ne pense pas qu’il faille chercher de sens à cette pérégrination d’un humanoïde avec sa monture (l’insertion de Hopper dans ce monde montre de simples envies graphiques qui n’ont pas nécessairement de raison d’être), et l’on peut s’interroger sur le format BD (comme pour Zao Dao du reste). Je pense que l’éditeur aurait pu proposer un bel ouvrage au format à l’italienne donnant de la place pour découvrir cet univers fascinant. Il n’est pas nécessaire de beaucoup d’intrigue pour faire une BD et il aurait suffi d’un peu de travail d’écriture à Pim Bos pour donner une véritable histoire à son Tremen. L’auteur a préféré reprendre le format des courts-métrages d’animation et du coup c’est un peu frustrant.
Valentin Seiche lui fait un peu le chemin inverse puisqu’il début son monde par des cartons très explicatifs sur des images puissantes de guerre entre créatures mécaniques gigantesques et châteaux tortueux. Là aussi la vision est très inspirante et l’on sent l’influence forte des jeux vidéo dans la conception des planches en vue aérienne comme des cartons de personnages placés à la fin de l’ouvrage. Progressivement la narration disparaît pour laisser la place à quelque chose de plus difficile à suivre à mesure qu’il mets en scène des humains, dans un dessin qui rappelle beaucoup Singelin et son PTSD jusque dans le cadrage et le découpage. On est alors dans l’influence manga. Les cartons finaux font remonter l’intérêt en nous laissant penser que son projet pourrait donner lieu à d’autres albums puisqu’il parle de plusieurs époques d’évolution technologique jusqu’au Steampunk, confirmant l’esprit worldbuilding des jeux vidéo.
Chacun à leur façon, avec des techniques très différentes et l’envie de faire travailler le lecteur, Seiche et Bos proposent de fascinantes lucarnes sur des univers lointains, souvent durs et froids, sans doute en réponse à leur époque. On touche à la fois à la liberté totale du graphiste et aux limites de l’absence de récit. Pour le fan d’imaginaire et de graphisme que je suis, ça suffit à me satisfaire et je me dis que cela aura pu être un premier pied à l’étrier de la BD pour ces jeunes auteurs. Doivent-ils adopter ce média particulier et exigeant? Pas certains, beaucoup de dessinateurs se sont cassés les dents en perdant leur sève créatrice. Nous verrons dans les années à venir mais il est certain que l’imaginaire est infini et fascine toujours.