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Sentry, un héros compliqué

Aujourd’hui, une rapide aparté sur un personnage Marvel singulier et pourtant assez méconnu, voire mésestimé. L’histoire de Sentry débute en 2000 par une campagne de marketing viral dans le magasine Wizard, dans lequel Stan Lee himself explique s’être rappelé d’un personnage qu’il avait crée au même moment que ses fameux Fantastiques, oublié pour une obscure raison.

Ce point d’entrée meta ouvre la voie à la première mini-série The Sentry, signée Paul Jenkins et Jae Lee. On y fait la rencontre de Robert Reynolds, quadragénaire désemparé par la vacuité de son existence. Le pauvre homme est hanté par les réminiscences d’une vie de super-héros, et finit par être persuadé qu’il fut autrefois celui que l’on nommait Sentry, le gardien doré.

Il s’est avéré que Bob avait raison: suite à l’ingestion d’un sérum, il est devenu l’homme le plus puissant de la Terre, et a côtoyé les Quatre Fantastiques, Spider-Man et bien d’autres au cours de sa croisade protectrice. Cependant, on apprend aussi durant cette mini-série que Sentry ne va pas sans Void: pour chaque acte bienveillant du héros, Void commet une atrocité d’égale importance.

La vérité, qui éclate à la fin de la mini-série, est dévastatrice pour Bob: Sentry et Void ne font qu’un, ils sont deux facettes de son esprit qui s’affrontent depuis le début, avec en jeu rien de moins que le sort du monde. Face à cette impasse, Robert avait fait le choix qui s’imposait: avec l’aide de Reed Richards et de Stephen Strange, Sentry a activé un mécanisme qui l’avait effacé de toutes les mémoires de la planète, neutralisant Sentry pour tenir Void à l’écart. Son retour était donc un erreur monumentale, si bien que Bob réitère son sacrifice et s’efface à nouveau des mémoires pour retourner dans l’oubli.

Ce nouveau sacrifice, en plus de marquer l’abnégation du personnage, concluait son histoire de façon assez péremptoire. C’était sans compter sur Brian Michael Bendis et ses Nouveaux Vengeurs.

En effet, en 2005, Sentry fait une nouvelle apparition, qui va complexifier son histoire. Suite à la séparation des Avengers, causée par la douloureuse trahison de la Sorcière Rouge, une nouvelle équipe se forme pour faire face à une évasion en masse de super-vilains. Ainsi, Captain America, Iron-Man, Spider-Woman, Luke Cage, Spider-man et Daredevil se réunissent-ils, bien vite rejoints par l’un des prisonniers, celui qui se nomme Sentry mais que personne ne connaît.

Bien vite après la formation de l’équipe, il devient clair que le cas de Sentry va poser un sérieux problème. En effet, les Avengers ne se sont pas encore remis du breakdown de la Sorcière Rouge, et il faut avouer que le comportement de Sentry, conjugué à sa puissance démesurée, inquiète les pontes du marvelverse, Stark en tête.

Confronté à son passé, Bob découvre qu’il a été manipulé des années auparavant par un vilain nommé le Général, secondé par le Cerveau, qui ont induit dans son esprit l’idée d’un croque-mitaine, dont il ne pourrait se défaire qu’en disparaissant des mémoires. Ces révélations font revenir Bob à lui, mais n’effacent pas pour autant le problème de Void, dont l’ombre plane encore de façon menaçante au-dessus du héros.

Des pages des New Avengers, Sentry repasse à une nouvelle mini-série, de Paul Jenkins cette fois secondé de John Romita Jr. On y apprend que Robert est atteint de schizophrénie et d’addiction, et qu’il a ingurgité le fameux sérum en pensant se procurer une dose de paradis artificiel. Les pouvoirs de Sentry et de Void ne seraient donc que la manifestation survitaminée des troubles dissociatifs de Robert, qui ne pourra donc jamais se débarrasser vraiment de ses deux identités antithétiques. La série reprend la mise en abyme initiée dans New Avengers, à savoir que Bob a inconsciemment inspiré un artiste de comics, nommé…Paul Jenkins, à raconter ses aventures sur papier.

Les années qui suivent voient Sentry participer aux missions des Avengers sous leurs différentes incarnations, tout en menant son combat intérieur contre Void. De plus en plus instable, il effraie son épouse Lindy, qui ne voit plus en lui qu’un monstre potentiel et incontrôlable, d’autant que les pouvoirs de Sentry semblent varier selon les auteurs, mais gagnent généralement en intensité. D’homme fort et volant, il se rapproche peu à peu de l’omnipotence, jusqu’à être capable de ramener sa femme d’entre les morts !

Vient ensuite la partie Dark Reign, durant laquelle Norman Osborn prend le pouvoir. L’ancien Bouffon Vert utilise le pouvoir de Sentry à son avantage, tout en manœuvrant pour offrir le contrôle à Void, notamment en ordonnant l’assassinat de Lindy. Osborn joue à un jeu très dangereux, et ne tardera pas à en payer le prix lors du Siège d’Asgard en 2010. Hors de contrôle, Sentry cède progressivement à l’influence de son alter-égo et tue l’avenger Arès, puis détruit Asgard avant de révéler son véritable visage.

Void sera vaincu par les Avengers, réunifiés pour la première fois depuis Civil War, puis jeté dans le Soleil par Thor. Ce n’est que quelques années plus tard qu’il reviendra, dans les pages d’Uncanny Avengers, par Rick Remender, Steve McNiven et Daniel Acuna. Ramené par les Jumeaux de l’Apocalypse en tant que Cavalier de la Mort, Bob se dit débarrassé du Void, qui, lassé du cycle sans fin de résurrection au cœur du Soleil, s’en est allé. Désormais persuadé d’être l’héritier d’Apocalypse, Sentry affronte Thor et les Avengers, avant de changer de camp en aidant les héros à repousser les Célestes.

Notre héros réapparaîtra ensuite dans les pages du Docteur Strange, qui requiert son aide pour retrouver son titre de Sorcier Supreme. Bien que cette apparition passe sous silence les événements d’Uncanny Avengers, elle prépare le terrain pour la mini-série de Jeff Lemire, qui va concocter en 2018 un nouveau paradigme pour le héros doré.

Côté analyse, il est aisé d’affirmer que Sentry représente une sorte de reflet Marvel de Superman. Il est souvent dit que la particularité qui est à la racine de la Maison des Idées est d’avoir des héros à problèmes. Il est donc tout à fait logique que le Superman sauce Marvel ait des problèmes à la mesure de son pouvoir. Ici, il s’agit tout simplement de la folie. Sentry est fou, dérangé, déséquilibré.

Ce qui est fascinant avec ce personnage est donc de constater l’impact qu’aurait un tel pouvoir sur la psyché d’un homme déjà fragile. Cela ajoute un aspect plus vraisemblable, malgré le caractère résolument invraisemblable de ses pouvoirs. On remarque aussi, de façon également plus réaliste, la défiance que provoque une tel puissance de la part des autres personnages, qui redoutent Sentry plus qu’ils ne le respectent. Là où Superman est souvent admiré dans la continuité classique, Sentry est craint, voire détesté pour ses actes commis en tant que Void. A ce titre, un élément symbolique assez fort concernant le personnage apparaît dans l’une des miniséries appréciées du public, Marvel Zombies. Dans cet univers en effet, Sentry est la source de l’infection, dans une ingénieuse boucle temporelle qui laisse penser que Sentry, transfuge malgré lui de l’univers DC, vient « contaminer » Marvel.

Certains de ses auteurs, Jenkins en tête, ont également utilisé la dichotomie Sentry/Void pour explorer la thématique de l’identité, mais aussi celle de la responsabilité et du repentir. A partir du moment où Bob ne reconnaît pas les actes de Void comme étant les siens, puisqu’il n’en conserve pas le souvenir, peut-il en être jugé responsable? Si oui, à quel point ?

Du point de vue purement narratif toutefois, il peut être reproché beaucoup de choses au personnage, mais surtout aux auteurs qui l’ont utilisé. En premier lieu, ses origines, volontairement ou involontairement, ne sont pas seulement drapées de mystère, elles ont floues, voire sur certains détails, incohérentes. Bendis lui-même explique que Void n’est que la résultante d’une manipulation mentale antérieure dans l’esprit de Bob, avant de sous-entendre, dans les pages de Dark Avengers, que le Void a une dimension biblique en le comparant à l’Ange de la Mort… Lemire, quant à lui, met de côté des événements importants (la mort de Lindy, la résurrection de Sentry en héritier d’Apocalypse…) pour se concentrer sur la relation de Bob avec ses alter-égos.

En second lieu, un grande partie de ses apparitions reste anecdotique, les scénaristes ne sachant généralement que faire avec un personnage aussi puissant: écarté ou gentiment ignoré durant Civil War et Secret Invasion, il finit en boss de fin de Siege avant d’être finalement sacrifié dans un soulagement presque général. Sa résurrection quant à elle offrait de nouvelles perspectives qui n’ont pas porté leurs fruits. Espérons que Marvel rebondira et saura exploiter ce personnage à son plein potentiel.

Lectures conseillées pour découvrir/suivre le personnage:

-Sentry, La Sentinelle, parution le 12/06/2019 chez Panini Comics

-Dark Avengers, éditon Deluxe, 2 volumes parus en 2012 et 2013 chez Panini Comics

-Siege, édition Deluxe, un volume paru en 2012 aux éditions Panini Comics

-Uncanny Avengers, éditions Deluxe, 2 volumes parus en 2020 et 2021 chez Panini Comics

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Uncanny X-force: la solution apocalypse

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Comic de Rick Remender, Jerome Opena, Esad Ribic, …
Panini (2015)/ Marvel (2010), 261 p.
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Contient les épisodes Uncanny X-force 1-10 et Wolverine Road to Hell. L’album comprend le contenu éditorial classique chez Panini à savoir une introduction contextualisant, la bio des trois principaux auteurs (Remender, Opena et Esad Ribic) et une galerie de couvertures alternatives, ainsi qu’un diagramme de lecture des albums Deluxe Panini sur les X-men et X-force. Rien d’exceptionnel mais la beauté des couvertures et des planches suffit à rendre le volume agréable.

L’X-force a été reformée par Wolverine pour mener les opérations nécessitant de se salir les mains, ce que refusent de faire les X-men de Cyclope réfugiés sur leur île d’Utopia. Financée par le richissime Angel et épaulé par le mercenaire immortel Deadpool, la télépathe Psylock et l’espion androïde Fantomex, la X-Force se retrouve au premier plan pour empêcher le retour du premier mutant Apocalypse…

En entamant cet album j’avais tout à la fois bon espoir devant un casting pareil et les très bons échos trouvés sur les blogs pour cet arc,tout en craignant une équipe de mutants que je ne connaissais guère. Pour vous rassurer il s’agit d’un excellent Marvel, relativement accessible pour peu que vous ayez Wikipedia pas loin pour se renseigner sur quelques personnages. Qui plus est, et c’est assez rare pour le souligner, c’est un album surprenant à plus d’un titre.

Résultat de recherche d'images pour "x-force la solution apocalypse"Tout d’abord l’écriture de ces épisodes est remarquable et nous fait retrouver un Rick Remender comme on le connaît, drôle, exigeant, limite intello. L’album est structurés autour d’une première histoire qui confronte directement X-force aux Cavaliers d’Apocalypse puis avec des mission one-shot qui déroulent les conséquences de cette confrontation. Sans être didactique, le scénariste se mets néanmoins à la portée du grand-public en insistant sur les caractères et les relations de ses personnages. Et ceux-ci sont tous intéressants, sauf peut-être un Logan qui, un peu à contre-emploi, se content de de jouer les boss, ce qui ne lui va pas. Si Deadpool et Fantomex sont très drôles dans leurs réparties décalées (ils font un peu double emploi mais le duo est efficace tout le long, sans en faire des caisses et en permettant d’en éliminer un des deux de temps en temps sans perdre la case humour) le plus intéressant reste la relation Psylock/Angel: ce dernier a été jadis Cavalier d’Apocalypse qui lui donna des ailes de métal et une puissance redoutable. Depuis le mutant est schizophrène, gardant au fonds de son esprit la personnalité du méchant Archangel qui ne demande qu’à prendre possession de ce corps pour aller réinstaurer une ère d’Apocalypse. Cela permet de dépasser le désormais connu débat entre les héros Résultat de recherche d'images pour "x-force la solution apocalypse ribic"partisans de la puissance assumée des mutants et ceux qui veulent cohabiter avec les humains. La relation amoureuse s’ajoute à la thérapie psychique d’Angel et le thème du ver dans le fruit. Comment faire confiance à l’un de ses plus puissants membres quand on sait qu’il peut nous trahir à chaque instant? On retrouve la problématique Jean Grey/Cyclope mais cela reste très intéressant à suivre. Ce qui est plus surprenant ce sont les états d’âme de ces bad-boys & girls de l’univers X-men… La raison d’être du X-Force ce sont les sales missions et Wolverine est connu pour être le plus insensible et pulsionnel des mutants. Du coup la spécificité « adulte » de l’équipe retombe un peu alors qu’en face les méchants sont particulièrement réussis.

Il est intéressant de lire avec un certain recul cet album paru au milieu des années 2000 et portant sur des recoins assez pointus de l’univers Marvel. Pour ceux qui ont vu la récente (et excellente!) série Legion sur Netflix vous retrouverez beaucoup de thématiques, que ce soit l’univers mental intérieur, mais aussi directement l’entité passionnante du Roi Ombre, de même que des proximités avec le jeu sur les réalités de Jupiter’s Legacy. Résultat de recherche d'images pour "uncanny x-force ribic"La structure du récit se rapproche assez de ce que fait Valiant, avec des intrigues assez simples mais des épisodes qui enrichissent tous l’ensemble cohérent. Si l’intrigue ne se termine pas vraiment à la clôture du volume, l’évolution (prévisible) reste très intéressante de par la richesse des personnages. Du coup on a assez envie de poursuivre sur les volumes suivants, surtout que les dessins semblent aussi qualitatifs que ceux de ce premier opus.

Car graphiquement la bar est mise très haut, avec notamment une première partie de Jerôme Opena très impressionnante et qui renvoie Esad Ribic au niveau de rajout industriel… Aucun des intervenants ne fait tache dans le décors mais il est vrai que la partie sur le combat contre les cavaliers est une vraie pépite visuelle et textuelle, peut-être encore Résultat de recherche d'images pour "uncanny x-force billy tan"plus belle que sur Seven to Eternity. Je reconnais que la partie sur « Le monde » (sorte d’intelligence artificielle ayant bâtie un monde intérieur comme une sorte de dimension parallèle) m’a laissé stoïque et le dessin du croate un peu en service minimum (hormis sur les magnifiques couvertures) ne suffit pas à renforcer l’intérêt… contrairement aux deux courts récits dessinés par Rafael Albuquerque et surtout Billy Tan avec ses faux airs de Guillaume Sorel. La solution Apocalypse est vraiment un superbe volume qui a le grand mérite de ne pas vous perdre. Je n’irais pas jusqu’à parler de porte d’entrée mais l’on prend un grand plaisir en compagnie de ces freaks. Ce n’est pas si souvent qu’un album Marvel est aussi cohérent et construit et l’on ne va pas bouder son plaisir.

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