BD de Thierry Labrosse
Glénat (2023), 176p., intégrale des trois volumes.
Merci aux éditions Glénat pour cette découverte.
En 2111 Montréal est sous les eaux, victime du réchauffement climatique. Dans cette société inégalitaire où les plus démunis survivent seulement, une caste a accès au vaccin Jouvex qui garantit une restructuration moléculaire permettant de vivre jusqu’à 200 ans… Arrivé de sa province, un jeune homme va se retrouvé plongé dans une révolution aux coulisses plus troubles qu’elles ne le semblent…
Le québecois Thierry Labrosse est dans le circuit BD depuis les années 2000 où il a été mis pied à l’étrier par l’inévitable Arleston en pleine heure de gloire de Lanfeust, sur la série Morea, dont il a dessiné les cinq premiers tomes. Avec son dessin très technique, ses design SF ambitieux et son amour des jolies filles, le monde de la BD voyait en lui la prochaine star du neuvième art. Sans doute lassé d’un univers arlestonien formaté et finalement assez prude, il a choisi de voler de ses propres ailes en lançant la trilogie Ab Irato (« sous le coup de la colère ») qui part sur de très bonnes bases avant de révéler les faiblesses de Labrosse notamment en matière de dialogue.
Sur le plan graphique rien à redire, vous allez passer de magnifiques moments SF avec de grandes batailles futuristes, assauts de forces spéciales contre résistants, décors post-apo fourmillants et combat de la nemesis qui n’ont rien à envier aux meilleurs manga. Car la série est articulée de manière un peu schizophrène entre deux personnages: le jeune et naïf Riel qui se trouve embarqué malgré lui dans un conflit politico-industriel majeur en cherchant à sauver sa dulcinée, et une mystérieuse jeune femme dotée de capacités martiales et psychokinétiques phénoménales. Les deux intrigues avancent pour se rejoindre vaguement mais semblent juxtaposées tout le long sans que l’on sache trop pourquoi. Cela ne dérange pas tellement la lecture mais c’est assez frustrant car séparément ces deux intrigues sont très réussies.
Doté d’une galerie de personnages conséquente avec son grand méchant dirigeant la multinationale produisant le vaccin et corrupteur du beau monde politique, ses traitres et ses incorruptibles de la police, ses belles âmes dans un monde de brutes, on se plait à suivre cette révolution articulée autour d’une rébellion des bas quartiers pour l’obtention pour tous du précieux sérum. Pour revenir aux difficultés scénaristiques d’un auteur dont ce n’est pas le métier, outre des dialogues un peu faibles, on trouve certaines ellipses qui oublient de nous tisser des explications relationnelles entre certains personnages, ce qui ne luit pas à la compréhension d’une intrigue sommes toutes assez simple, mais perturbe un peu la fluidité du tout. Rien de grave mais une nouvelle illustration que scénariste est un métier et que la plupart des aventures solitaires de très bons dessinateurs oublient l’apport de leurs acolytes.
En digérant de très belles références classiques de la SF (l’être supra-naturel vengeur, la multinationale scientifique, la guerre-civile dans un Etat aux mains de l’argent,…), Thierry Labrosse nous invite au final à une très sympathique aventure SF qui apporte un léger exotisme en se situant dans une Montréal aux sonorités francophones qui rappelle par moment le travail de Bilal sur l’époque Metal Hurlant. En s’associant à un scénariste (dialoguiste) il aurait pu ambitionner une grande série, qui trouve ses limites dans un manque de liant mais réussit parfaitement dans ses scènes d’action et de tension psychologique. A découvrir. Depuis Ab Irato conclue il y a déjà sept ans, Labrosse s’est lancé dans une série auto-éditée inspirée du strip américain comme la Liberty Meadows de Frank Cho. On a hâte de lire ça!