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Stigma, odyssée sporale

Histoire (très) complète en 731 pages, écrite et dessinée par Quentin Rigaud. Parution chez Casterman le 09/02/2022.

Appuie (pas) sur le champignon

Frona, aidée de ses compagnons Atta, une fourmi humanoïde, et de Senso, un robot, écume la galaxie pour le compte du Centre, un conglomérat qui mène des recherches médicales. Chargé d’une mission de prélèvement sur la planète Amanite, le trio croise un groupe d’écoterroristes aux intentions obscures, qui libèrent une nuée de spores dévastatrice dans l’atmosphère.

Nos héros échappent de peu à cette sinistre rencontre, mais, leur vaisseau endommagé, ils échouent sur la planète Orchinae, un monde luxuriant et en apparence idyllique, mais qui comporte aussi son lot de secrets et d’imperfections. Quelque temps après leur arrivée sur Orchinae, Frona, Atta et Senso croisent de nouveau des écoterroristes, reconnaissables à leur accoutrement. Au même moment, une épidémie se déclare et sème l’hécatombe, forçant Frona et les alliés qu’elle trouvera sur son chemin à tout faire pour trouver un remède avant qu’il ne soit trop tard. Y a-t-il un lien avec les spores ? Et si oui, qui a apporté cette maladie sur Orchinae ?

Quentin Rigaud signe ici son premier album, qui a la particularité d’avoir été conçu quasi intégralement en stream via la plateforme Twitch avant d’atteindre sa forme papier. Le thème écolo saute bien évidemment aux yeux du lecteur, qui sera sans doute frappé par le volume proposé. En effet, on ne voit pas tous les jours des pavés de 731 pages, couleur qui plus est, il faudra donc vous attendre à quelques heures de lecture de plus que pour votre 46 planches habituel.

L’intrigue en elle-même n’est pas sans rappeler la triste actualité mondiale, puisque les héros se retrouvent confrontés à un pandémie mortelle, avec le passage obligé de la recherche du patient zéro, le cloisonnement de l’information au public et la course contre la montre pour trouver un remède.

Vous vous en doutez sûrement, le format généreux et l’aspect feuilletonnant génère inévitablement quelques longueurs dans le scénario, qui ne sont pas seulement dues à un découpage décompressé ou à un interlude dit de respiration. En revanche, l’auteur parvient sans trop de mal à rendre ses personnages attachants, ce qui passe par des personnalités différentes et travaillées (quoi qu’à la réflexion, l’auteur semble confondre profondeur psychologique et pleurnicherie byronienne) et des designs marquants, comme la protagoniste et son bras de lumière.

L’ensemble des dessins, en revanche, traduit le manque de maturité graphique de son auteur, même si on ne peut qu’être impressionné par ses 700+ pages qui sont en soi un exploit. Le trait en apparence naïf, pourrait se rapprocher de celui d’un Tom Sixmille. L’univers qu’il développe reste original, et fait penser par moment à celui de Poussière, notamment les architectures et la technologie hybride.

S’agissant du lectorat, il convient de faire attention, on trouve de la nudité et du sexe, ce qui pourrait le réserver à un public plus âgé que ce que le graphisme laisser suggérer.

***·BD·Nouveau !·Service Presse

Le Sang des Immortels

La BD!

Histoire complète en 104 pages, écrite par Françoise Ruscak, d’après le roman de Laurent Genefort, dessins de Francesco Trifogli. Parution le 13/10/2021 chez les Humanoïdes Associés.

bsic journalism

Merci aux Humanos pour leur confiance!

Who wants to live forever ?

Après des années de silence radio, le survivant d’une mission d’exploration est retrouvé dérivant dans l’espace. L’homme en question, le Professeur Glarith, prétend avoir été en contact, sur la planète Verfébro, avec un féroce prédateur baptisé le Drac, et en avoir retiré de stupéfiantes capacités de régénération et une longévité supérieure. En gros, le don d’immortalité.

Cette découverte représente bien évidemment un intérêt prioritaire pour certaines entreprises terriennes, dont la méga corporation Selfano dirigée par Klart Lagart, qui monte une nouvelle expédition sur Verfébro pour mettre la main sur un spécimen vivant de Drac et dupliquer le don d’immortalité. Ainsi, Nemrod, chasseuse intrépide, Samsara, mercenaire cupide mais terre à terre, Frère Jok religieux inquiet des répercussions d’une telle découverte, et le Docteur Teafor, intéressée par le remède afin de sauver sa fille malade, se retrouvent coincés sur la planète, après que la deuxième expédition ait connu un sort tragique. Les survivants n’en oublient pas pour autant leur mission et se mettent à la recherche du fameux Drac. Mais la planète ne livrera pas ses secrets d’immortalité sans faire payer un tribut aux explorateurs.

L’enfer vert

Après Les Peaux Épaisses, c’est un autre roman de Laurent Genefort qui est adapté chez les Humanos. L’intrigue, suffisamment dense, contient tout de même quelques longueurs et n’évite pas tous les poncifs du genre, comme la corporation cupide et malveillante (hello la Weiland Yutani !) ou le prêtre mesquin.

Le cadre, quant à lui, est magnifiquement mis en image par Francesco Trifogli, qui donne vie à des créatures pas nécessairement très originales, mais tout de même suffisamment convaincantes pour nous immerger dans ce monde hostile. Les interactions entre les personnages et leur rôle précis, font l’objet d’un traitement plutôt cohérent, et réservent même quelques coups de théâtre.

On bénéficie même, grâce à l’écriture de Françoise Ruscak, d’une réflexion intéressante sur les implications qu’aurait le don d’immortalité pour le genre humain: l’avidité destructrice des hommes qui menacerait la planète Verfébro, la solitude qu’implique le fait de vivre éternellement, et le sort peu enviable qui attend ceux qui ne peuvent pas mourir mais qui ressentent tout de même la douleur. Tout ceci est bien évidemment brossé assez prestement, notamment à cause du format qui ne permet pas de s’étaler trop longuement sur ce genre de considération.

Cette nouvelle adaptation de Laurent Genefort apporte donc son lot de questionnements et de rebondissements, servis adéquatement par les dessins de Francesco Trifoli.

***·Manga·Service Presse

Astra, lost in space 2-5

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Manga de Kenta Shinohara
Nobi-Nobi (2016) 2019, 240 p./volume, série finie en 5 volumes.

Un billet de découverte du premier volume est disponible ici. La maquette nobi-nobi est très didactique en proposant en fin de jaquette un résumé, la tomaison des cinq volumes, l’âge recommandé et les thématiques abordées. L’intérieur comporte des séquences dont le texte a été détourné humoristiquement. En début d’albums nous avons droit à un résumé général, un rappel des personnages et une jolie double illustration couleur à chaque tome. Également chaque volume se termine par quelques strips humoristiques reprenant les personnages dans des situations décalées. Globalement une édition très solide qui accompagnement parfaitement la lecture. A noter que la série a fait l’objet d’une adaptation animée.

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bsic journalismMerci aux éditions Pika pour leur confiance.

J’avais accueilli favorablement le premier tome de cette série déjà un peu ancienne, parue chez Nobi-nobi, label des éditions Pika développant un catalogue jeunesse. A ce titre, si Astra est indiqué en jeunesse on peut noter que les thématiques traitées au final des révélations sont relativement pointues dans la gamme SF et touchent résolument le Seinen. Ainsi la particularité de cette série remarquablement maîtrisée est de proposer en simultané deux genres assez éloignés: le récit de lycée et d’apprentissage sur un ton léger, et un thriller spatial et SF qui va assez loin dans les réflexions sur notre futur et assez sombre dans son traitement adulte. Et ce qui étonne le plus c’est que cet alliage très improbable fonctionne presque parfaitement tout le long des volumes de taille inégale (le dernier comporte plus de deux-cent cinquante pages quand les autres tournent autour de deux-cent).

Ainsi l’aventure commence sur un ton léger en nous promettant la visite de planètes tout à fait exotiques permettant d’imaginer faunes, flores et systèmes planétaires crédibles. L’aspect pédagogiques du shonen est très bien mené en donnant plein d’explications scientifiques simples sur la biologie via le personnage de Charce, spécialiste scientifique. La répétition de ces explorations planétaires serait sans doute devenue lassante si l’auteur n’avait pas adopté un rythme assez rapide, ne traînant pas sur les intermèdes plutôt dédiés aux relations entre personnages. Et en la matière il y a de quoi faire puisque avec neuf membres d’équipage les interactions sont nombreuses, que ce soit la résolution de sous intrigues, de tensions ou les découvertes de leurs passés… qui sont bien entendu directement liés à l’intrigue principale.

Si on constate quelques longueurs (selon l’âge auquel on va lire le manga, j’imagine que des adolescents seront plus pris que moi par les relations (amoureuses?) entre personnages) notamment sur le second volume, bien vite des éléments de résolution du thriller s’ajoutent et font monter la tension et l’envie d’avancer. Kenta Shinohara montre un remarquable talent pour disséminer les informations choc parfaitement réparties pour éviter que chacun des éléments de sa série ne prenne le dessus sur les autres. Auteur d’une précédente série de lycée humoristique, il est à l’aise dans son traitement des personnages et l’humour fonctionne ici encore très bien pour maintenir un esprit léger même après les moments les plus dramatiques. On est surpris de l’ambition du projet et de la profondeur des problématiques dans une série aussi courte, sans jamais avoir le sentiment d’un trop ou d’éléments inaboutis. Après la longue conclusion du cinquième volume (à l’entrée duquel on est un peu inquiet tant les révélations sont nombreuses) on referme cette série avec l’assez rare Astra Lost in Spaceimpression que tout a été dit, traité, conclu. Il est difficile de vous parler des problématiques au cœur de l’intrigue sans déflorer l’intérêt du manga mais l’identité que l’on se construit, la norme sociale et la liberté individuelle de se choisir un avenir sont bien l’essence du message que veut porter l’auteur. Ce sont les bases de tout manga de lycée mais en situant ses personnages dans un contexte de crise et de SF cela permet d’aller plus loin que les simples tempéraments archétypaux de départ. En post-face l’auteur indique qu’il voulait se mettre en danger avec ce manga en abordant un contexte SF qu’il maîtrisait mal. Et l’on peut dire que son projet est sur ce point parfaitement maîtrisé en rendant intéressant un traitement d’un futur possible assez original.

Projet risqué et hybride, Astra – lost in space s’avère une grande réussite thématique et scénaristique légèrement freiné par des dessins un peu simples (notamment pour les arrières-plans) malgré un chara-design très sympathique. Cela ne gène pourtant en rien un plaisir de lecture qui vous fera dévorer ces cinq tomes que vous soyez féru de SF ou novice dans le thème. Et en cela aussi c’est une fort belle découverte.

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****·BD·Nouveau !

Inhumain

La BD!

Récit complet en 93 pages, écrit par Denis Bajram et Valérie Mangin, dessiné par Thibaud De Rochebrune. Parution le 02/10/2020 aux éditions Dupuis.

Hobbes avait-il raison ?

L’humain a toujours eu soif d’expansion. S’il a les moyens techniques d’atteindre un endroit où il ne s’était jusqu’alors jamais rendu, il ira, quoi qu’il en coûte. C’est ainsi que s’est justifiée l’expansion spatiale de la Fédération Humaine, qui a envoyé au fil des siècles de nombreuses arches de colonisation à travers la galaxie.

Sur ordre du commandant de l’arche Alma Mater, nos quatre explorateurs, secondés par l’androïde Ellis, forment une mission de reconnaissance sur une planète inconnue, afin d’en déterminer la viabilité. Cependant, leur vaisseau se crashe au fond d’un océan, les laissant à la merci des abysses.

Contre toute attente, nos quatre éclaireurs sont secourus par des créatures marines tentaculaires, qui, comme ne le suggère pas nécessairement leur apparence, se comportent de façon bienveillante avec ces étrangers tombés du ciel.

Escortés à la surface sur les rivages d’une île, ils ne seront pas au bout de leurs surprises car ils tomberont nez à nez avec…des humains ! Comment des formes de vie identiques ont pu se développer à des années-lumières de la Terre, et dans un environnement si différent ? Accueillis parmi les indigènes, les pionniers iront de surprise incongrues en constats dérangeants, jusqu’à atteindre la troublante vérité de cette planète-océan…

Cargo Cult In Space (spoilers)

Dès les premiers jours passés sur l’île, les spationautes découvrent une société pacifique, en communion avec la nature, personnifiée par leur concept du « Grand Tout« . Mais les héros vont ensuite être confrontés à d’autres aspects questionnant de cette communauté, qui respecte des rituels de cannibalisme. Ceci, conjugué aux bizarreries de comportement des individus, finit de les convaincre que quelque chose ne va pas avec ces humains extraterrestres.

On ne présente plus Denis Bajram, ni sa maîtrise du genre SF (Universal War One/Two, rien de moins que neuf albums), qui tente ici avec Valérie Mangin un planet opéra ambitieux par ses thématiques et exigeant par son exécution. Le déroulé de l’intrigue nous tient en haleine, pas tant par les personnages qui sont davantage relégués à des items narratifs, mais grâce aux éléments de réponse distillés au compte-goutte au fil des pages.

L’aventure spatiale et la confrontation hypothétique avec d’autres formes de vie intelligente offrent un panel de thèmes déjà bien exploités. Les deux auteurs prennent donc le parti de garder le mystère entier jusqu’à un dénouement certes un peu rapide, pour mieux renverser les codes habituels, avec un fin mot très bien trouvé.

L’ensemble rappelle certaines œuvres de SF comme Pandorum, et d’autres traitant de la « colonie perdue ». En revanche, il faut déplorer la mise en couleur qui, sur les scènes de nuit (elles sont nombreuses), ne rendent pas service au magnifique dessin de Thibaud de Rochebrune.

Inhumain reste malgré tout un très bel album de SF, qui questionne la place de l’Homme dans le Cosmos et la menace inhérente que représente la vie pour elle-même.

BD·Mercredi BD·Nouveau !·Numérique·Service Presse

Retour à Belzagor

BD de Philippe Thirault et Laura Zuccheri,
adapté du roman « Les profondeurs de la terre » de Robert Silverberg
Les Humanoïdes associés (2017), 2 tomes parus.
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Les deux volumes ont été lus en version numérique, aucune information sur le travail d’édition/fabrication.

Sur Belzagor, après la décolonisation des exoplanètes survenue une vingtaine d’années plus tôt, la cohabitation se passe paisiblement entre humains et peuples autochtones intelligents, les Nildoror, sortes de pachydermes vaguement anthropomorphes et les Sulidoror, géants simiesques mutiques. L’ancien responsable colonial Gundersen reviens de son « exil » sur Terre et semble désireux de régler des comptes avec des évènements survenus dans sa jeunesse sur ce qu’on appelait alors Terre de Holman. Embauché par des ethnologues il va diriger une expédition secrète vers le sanctuaire sacré de la « Renaissance » qui va dévoiler des secrets enfouis sur cette planète très particulière.

album-page-large-32222Ce que l’on peut dire de ce double album c’est que le choix de communication de l’éditeur est celui du moindre risque. Qu’il s’agisse du titre, du type de dessins et jusqu’à la typo de couverture, tout semble pensé pour attirer les nombreux lecteurs de la série iconique de SF planétaire, Aldébaran et ses suites (de l’auteur Léo). L’on peut comprendre ce parti pris puisque de vraies similitudes existent entre ces deux univers et que les ouvrages de Léo ont plutôt bonne réputation. Personnellement je n’ai jamais accroché… et pourtant, je dois dire que Belzegor m’a pleinement happé et est pour moi l’une des meilleures séries BD de SF depuis quelques années!

Il faut dire que le matériau d’origine est riche et a inspiré pas mal d’auteurs depuis les années 70 (et notamment le Piège sur Zarkass de Yann et Cassegrain, là aussi adaptation, de l’auteur français de SF Stephan Wul cette fois et antérieur à l’ouvrage de Silverberg – j’avais moyennement aimé). Les thèmes de la décolonisation, de la découverte ethnologique des peuplades autochtones, du respect de l’autre, des03.jpg expériences mystiques ou encore de la communion avec la Nature, sont des thèmes classiques du Planet Opera (déjà dans le chef d’œuvre Dune). Ici les auteurs ont fait un remarquable travail préparatoire de développement crédible (visuellement et fonctionnellement) des créatures, flore et matériels du futur. Le design de Zuccheri parvient à éviter le ridicule que l’esthétique de la SF 70’s a pu parfois développer. La planète qui se dévoile à nos yeux est fascinante et réaliste, imaginative sans que l’on se contente de simples extrapolations de créatures terriennes. C’est un véritable plaisir que de découvrir une planète fonctionnelle et originale, comme l’avait été la visite sur Pandora à la sortie d’Avatar. Je constate années après années combien l’existence d’un univers hors-champ complexe et développé fait énormément à la réussite d’une BD. C’est le principal intérêt et la grande force de cette série de « SF ethnologique ».

Si la relation entre les deux ethnologues peut paraître un peu cliché (le couple en crise renouant les liens en expédition), l’ensemble retour_sur_belzagor_t1_id37221_3_45415_bigdes personnages est intéressant et le mystère du fonctionnement des indigènes dure tout au long des albums de façon très efficace. L’on progresse dans l’intrigue, lentement comme un voyage à dos d’éléphant, mais résolument, ce qui donne une vraie satisfaction de lecteur. Des bribes d’informations, parfois brutales, sont disséminées entre les aller-retours de l’histoire, ce qui maintient la tension. Dans une histoire linéaire (l’aboutissement connu est la cérémonie de la Renaissance) le dénouement est plus important que jamais. Ici les auteurs retombent sur leurs pieds… peut-être un peu rapidement, mais cela reste cohérent, intéressant, bien mené. L’éditeur mène une campagne de communication importante car il sait que cette série est de grande qualité. Elle aurait pu disposer d’un public encore plus large. Personnellement je suivrais ces deux auteurs qui sont une vraie découverte et notamment le cycle des épées de verre dont les quelques visuels que j’ai vu laissent entrevoir du très bon.

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Ce billet fait partie de la sélection  22528386_10214366222135333_4986145698353215442_nhébergé cette semaine chez Mille et une frasques!