****·BD·Jeunesse·Nouveau !

Harpoon

Histoire complète de Roc Espinet, parue aux éditions Spaceman Project le 21/10/2022.

Hardcore Vaïana

Pour autant que l’on sache, l’Île de Loimata est la seule terre émergée sur laquelle la vie peut prospérer. C’est du moins ce que pensent Litha et son peuple, insulaires dont les ancêtres ont survécu à un grand cataclysme qui a rasé une partie de l’île. Aujourd’hui, alors que Loimata porte encore les stigmates de cette catastrophe, un îlot en son sein demeure nappé dans un brouillard méphitique nommé le Funeste, frappé du tabou par les anciens. Son évocation et son exploration sont proscrites, car il se dit qu’une arme ancienne, puissante et maléfique, la Corne de Nicro, s’y trouverait encore, attendant de provoquer un nouveau cataclysme.

Litha quant à elle, est une farouche guerrière, élevée à la dure par une mère intransigeante pour être la meilleure, la plus impitoyable. Les sentiments n’ont pas eu de place dans sa vie, qu’elle a consacrée au combat et à la violence, jusqu’à devenir la cheffe militaire de Loimata, malgré la mort de sa mère. Le quotidien spartiate de Litha est bouleversé lorsque Loimata se retrouve encerclée par une immense flotte de bateaux, qui forment un blocus menaçant comme personne n’en a jamais vu.

Alors que les habitants se demandent encore qui sont ces envahisseurs et ce qu’ils cherchent, le sang de Litha ne fait qu’un tour, la jeune guerrière s’empresse de s’embarquer pour le Funeste pour y retrouver la Corne de Nicro, avec un objectif double: soustraire l’arme taboue à la convoitise des envahisseurs, et s’en servir contre eux pour protéger l’île.

Malheureusement, personne n’est jamais revenu vivant du Funeste, Litha n’est donc en rien préparée à ce qui l’attend là-bas. D’autant plus qu’utiliser cette arme représente certes une opportunité de vaincre les nouveaux ennemis, mais aussi un risque de raser la dernière moitié de Loimata.

En fiction (et aussi souvent dans la vraie vie), les menaces exigent une réponse appropriée et proportionnelle. Mais il existe aussi des situations face auxquelles le danger est si grand, qu’aucune réponse proportionnée n’existe. Il faut donc alors se tourner vers des solutions extrêmes, radicales, qui peuvent se révéler plus destructrices encore que la menace que l’on souhaite combattre. Les exemples sont nombreux, parmi lesquels le recours au Destructeur d’Oxigène dans le premier Godzilla, ou encore le voyage dans le Temps pour Avengers Endgame.

Dans Harpoon, la Corne de Nicro est l’équivalent du Destructeur d’Oxigène, car il représente à la fois la salut potentiel de Loimata et sa destruction tout aussi probable. Cet item narratif a pour effet bénéfique de confronter les personnages à de choix thématiques qui poussent l’histoire en avant, ce qui est un atout car il faut bien avouer que l’exposition (soit les 20 premières pages environ) se prend un peu les pieds dans le tapis.

L’auteur opte pour une protagoniste plutôt sombre, voire antipathique, s’éloignant du cliché de la princesse Disney que l’on pouvait voir dans Vaïana, autre récit d’aventure basé sur les cultures insulaires du Pacifique. Ce n’est qu’en se confrontant au Funeste que Litha apprendra la leçon dont elle a besoin pour retrouver un équilibre dans sa vie, faisant d’elle une héroïne à la face sombre mais au parcours intéressant. Le reste du casting n’est pas délaissé pour autant, chaque membre du groupe formé par Litha ayant un parcours défini, des sentiments et des aspirations propres, ce qui leur évite une fonction accessoire et permet de tisser un réseau de personnages dont les intéractions seront un des moteurs du récit.

L’autre moteur du récit est la redécouverte des secrets oubliés de l’île, les héros avançant littéralement dans le brouillard pour décoder les origines du tabou qui frappe leur histoire. Trahisons, rancoeurs, nous sommes donc ici face à une histoire plus sombre qu’il n’y paraîtrait à première vue. Graphiquement parlant, Roc Espinet parvient à donner corps à ses personnages ainsi qu’aux créatures du Funeste, mais on reste peut-être sur sa faim s’agissant des décors de l’île, finalement assez dépouillés (ce qui s’entend néanmoins si l’on considère le cataclysme). La palette graphique reste quant à elle sobre, ce qui colle à l’ambiance du récit mais pas nécessairement au décorum des îles du Pacifique.

Harpoon est un album plus profond et plus sombre que sa couverture ne laisse présager, un album certes couteux (30€ tout de même!) mais qui en vaudra le détour.

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Carthago #14: Courbée, je me redresse

Nouveau tome de 52 planches, de la série écrite par Christophe Bec. Ennio Buffi au dessin, parution le 05/10/22 chez les Humanoïdes Associés.

Merci aux Humanos pour leur confiance.

Si j’avais un requin-marteau

Lou Melville, hybride entre humains et tritons antiques, a échappé de peu à l’holocauste nucléaire qui a frappé le monde dans le tome 10. Missionnée par la mystérieuse espèce aquatique, Lou, capable de communiquer télépathiquement avec les Mégalodons, des requins préhistoriques gigantesques, avait pour but de conduire ces redoutables prédateurs hors de leur sanctuaire endommagé pour les conduire en sûreté dans les fonds marins.

Mais sa mission a connu des aléas, et la voilà coincée sur une plateforme pétrolière réamnagée en cloître épiscopal. Secourue par une communauté de moines, Lou pondère sa situation lorsqu’elle remarque des allées et venues étranges parmi ses hôtes. A sa grande surprise, elle s’aperçoit qu’une partie des religieux a abjuré ses croyances chrétiennes pour vénérer un mégalodon, qu’ils nomment Abzu, en référence à une divinité babylonnienne. Le culte païen est découvert par les autres moines, menant à une inévitable algarade fratricide. Que fera Lou pour se sortir de ce guêpier ?

Le tome 14 de Carthago reprend exactement là où s’arrêtait le tome 13. Si l’on pouvait déplorer jusque là une problématique liée au rythme, on se doit ici de constater que l’auteur a repris correctement les rênes de son intrigue en y insufflant davantage de dynamisme. On a droit ici à quelques retournements de situation, ainsi qu’à de la tension, accrue par la situation de huis-clos.

Tout ceci tire profit de la longue préparation que constituait le tome précédent, mais on ne peut passer à côté des petits défauts de mise en scène dont Christophe Bec se fait coutumier: des personnages qui monologuent de façon incongrue, ou des répliquent dont le niveau de langage ne correspond pas tout à fait à celui que l’on pourrait attendre du personnage. On pourrait néanmoins considérer que ces petites incongruités font partie su style de l’auteur, et qu’elle ne nuisent pas à l’immersion dans le récit.

Graphiquement, le niveau reste élevé grâce au dessin d’Ennio Buffi. Son trait réaliste brille notamment dans les séquences d’action, l’album contient quelques doubles pages qui valent vraiment le détour. Après une période d’essoufflement, la série Carthago reprend du rythme, et donc, de l’intérêt !

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Les damnés du Grand Large

La BD!

Histoire complète en 56 pages, écrite par Kristof Mishel et dessinée par Béatrice Penco Sechi. Parution chez Drakoo le 10/08/2022.

Merci aux éditions Drakoo pour leur confiance.

Suck my (Moby) Dick

Dans une taverne mal famée, emplie de marins ivres dont les oreilles tanguent encore avec le roulis du bateau qu’ils viennent de quitter, un étrange colporteur fait son apparition. Mal accueilli, comme tous les autres avant lui, il ne demande pourtant qu’une chose: le gîte et le couvert contre une histoire qui divertira l’assemblée des marins esseulés et les tiendra en haleine jusqu’au petit matin.

Le propriétaire de la taverne, initialement réticent, se laisse emporter par le charisme de ce conteur itinérant, et lui permet de rassembler autour de lui son auditoire, avec un avertissement toutefois: si son histoire convainc, il aura droit à son repas chaud, mais dans le cas contraire, son sang ira inonder le caniveau et son corps finira mangé par les poissons du port.

Qu’à cela ne tienne, le conteur, sûrement habitué à ce genre de défi et sûr de lui, se met en place et dévoile les tatouages qui ornent son corps, puis commence à raconter la meilleur histoire de son répertoire.

Le troubadour nous introduit le personnage de Rêveur, un jeune garçon embarqué sur le navire Alicante. Lorsqu’il ne souque pas les arquebuses, Rêveur dessine et écrit dans son carnet. Ce loisir lui a valu son surnom, mais aussi des regards circonspects des membres de l’équipage, qui pour la plupart, sont analphabètes.

Alors que la croisière suit son cours (à défaut de s’amuser) un des marins est retrouvé mort, pendu à un mât, la lettre A marquée sur le front. Cet évènement est le premier d’une série de macabres découvertes, les morts s’enchaînant alors que la superstition gagne l’ensemble de l’équipage. Et Rêveur, au milieu de tout ça, semble connaître la vérité sur les forces occultes qui menacent l’Alicante. Cela aurait-il à voir avec les démons tentaculaires qui gardent les océans ? Ou bien avec ceux, en chair et en os, qui arpentent le pont du navire ? La réponse se trouve au bout du récit de notre conteur tatoué.

Jusque là, la volonté apparente de Drakoo était de coopter des auteurs de romans pour les introduire au monde de la BD, comme c’était le cas par exemple pour les Gardiennes d’Aether, ou Démonistes. Dénicher de jeunes auteurs n’est semble-t-il toujours pas à l’ordre du jour, comme nous le prouve cet album. En effet, Kristof Mishel est un de ces auteurs de romans qu’Arleston aime recruter pour leur faire faire leurs premiers pas dans le monde de la BD. Ainsi, il s’assure une maîtrise narrative et un professionnalisme garantissant une certaine qualité à l’album, tout en ayant une marge d’intervention en tant qu’éditeur qui lui permet de se positionner en « sachant » auprès d’un auteur qui débute dans l’industrie très particulière de la BD.

Ce compromis fonctionne la plupart du temps, et c’est le cas ici aussi. La narration morcelée et la mise en abime sont utilisées avec tact par l’auteur, qui distille son mystère jusqu’à une double révélation finale qui renverse donc par deux fois les perspectives du récit. On est donc tenus en haleine à la fois par la destinée de Rêveur, jeune et frêle garçon au milieu d’un troupeau de marins violents et imbéciles, un peu comme Ismaël embarqué sur le Pequod dans Moby Dick, et par celle du conteur, qui joue sa vie sur le déroulé de cette histoire.

Graphiquement, les personnages dessinés par Béatrice Penco Sechi, avec leur traits émaciés et leurs grands yeux, participent à l’ambiance pesante du récit, où l’on s’attend à voir surgir à n’importe quel moment un tentacule visqueux ou une pince de crabe géante. On peut aisément comparer l’album, sur le même thème, avec la trilogie La Fille des Cendres, de Hélène Vandenbussche, parue entre 2015 et 2019 chez Le Lombard.

Les Damnés du Grand Large offre donc un récit bien mené qui vous tiendra en haleine de bout en bout, pourvu que vous ne souffriez pas du mal de mer.

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Sea of stars

Histoire complète en 288 pages, écrite par Jason Aaron et dessinée par Stephen Green. Parution en France chez Urban comics, collection INDIES, le 01/07/2022.

bsic journalism

Merci aux éditions Urban pour leur confiance.

Space is a place

Gil Starx est ce que l’on pourrait appeler un homme pressé. Constamment occupé par ses livraisons galactiques, il parcourt un océan d’étoiles pour satisfaire ses clients, toujours dans les temps. Et quand ont dit océan d’étoiles, il faut entendre littéralement cette expression.

En effet, l’environnement interstellaire visité par Gil Starx et d’autres humains est peuplé de créatures qui « nagent » dans le vide intersidéral, comme des poissons dans l’eau. Ainsi, on trouve des « baleines » de l’espace, des « requins-quarks », et toutes sortes d’animaux dont l’espace est le milieu naturel.

Cette fois-là, Gil transporte une marchandise désuète, le contenu d’un vieux musée, et voyage avec son fils Kadyn. Accaparé par son métier, Gil n’a jamais été très disponible pour sa famille, mais depuis la mort tragique de son épouse, il tente de reconnecter les liens avec son fils, qui s’ennuie ferme dans le vieux vaisseau de son paternel, qui a pris l’habitude d’éviter tout danger en ne naviguant que sans les secteurs cartographiés. Tout va basculer lorsque le duo sera attaqué par un gigantesque léviathan, qui détruira le vaisseau et séparera le père du fils.

Dès lors, Gil n’aura qu’un objectif: retrouver son fils. Le jeune garçon, en revanche, pense que son père est mort et doit s’acclimater aux mystérieux pouvoirs qu’il a obtenus dans l’accident.

On nage en plein délire

Alors que la tendance est à la hard SF, c’est à dire une science fiction basée sur les concepts et les théories scientifiques les plus pointus et avant-gardistes, Jason Aaron opte pour une SF fantasmagorique en reprenant les vieux codes de l’analogie maritime.

Ce lieux commun tire ses racines de la SF du début du 20e siècle, et ce qui était une métaphore est bien vite devenu littéral. Alors que John Fitzgerald Kennedy considérait déjà l’espace comme « le nouvel océan » lors de la fameuse « courses aux étoiles » avec l’URSS, les auteurs de SF se sont appropriés massivement cette analogie, en utilisant par exemple des termes techniques navals.

En effet, on parle de vaisseaux dans les deux cas, avec des croiseurs, des destroyers, des frégates, etc. Les vaisseaux spatiaux, à l’instar de leur homologues maritimes, ont des barques de survie, et il arrive même que des engins spatiaux soient munis de voiles (concept qui est validé par la science avec les fameuses voiles solaires, ce qui en fait un élément commun avec la hard SF). La comparaison ne s’arrête pas là, puisque les auteurs ont eu tendance à appliquer à l’espace des concepts et des contraintes typiquement navals, comme la bi-dimensionnalité du terrain, la friction, et des principes de navigations qui en réalité ne sont pas compatibles avec l’exploration spatiale.

Les planètes sont donc perçues comme des îles dans un vaste océan, et leur valeur stratégique y est même similaire. De Frank Herbert (Dune) à Pierre Boule (La Planète des Singes), en passant par Star Wars et Star Trek, ou La Planète au Trésor, rares sont les entrées littéraires et audiovisuelles à ne pas verser dans cette analogie. Alors pourquoi pas les comics ?

En ce qui concerne l’intrigue, on peut faire confiance à Jason Aaron, qui nous a déjà fait montre de son talent à de nombreuses reprises, pour construire un récit efficace centré autour de protagonistes intéressants et attachants. Le duo père/fils, Gil/Kadyn, fonctionne dès le début, et ne perd pas de son intensité même s’ils sont assez rapidement séparés. L’auteur, visiblement marqué par son long run sur Thor chez Marvel, insuffle également un souffle mythologique avec non pas des asgardiens, mais un autre peuple de l’espace, inspiré des Aztèques, et des divinités cosmiques qui se battent en détruisant des planètes. On n’en voudra pas au scénariste de recourir encore au fameux macguffin pour poursuivre son intrigue, qui est finalement assez simple mais néanmoins efficace.

A bien y regarder, on ne peut s’empêcher de percevoir dans la ligne narrative consacrée au père des airs d’Odyssée (Ulysse qui veut rentrer chez lui retrouver sa femme Pénélope et son fils Télémaque), et dans celle du fils, comme un goût du Petit Prince. En terme de références, on aura vu pire, avouez. Sur le plan graphique, on retrouve avec plaisir Stephen Green, qui livre de très belles planches, qui alternent décors spatiaux grandioses et scènes de survie plus intimistes.

Sea of Stars puise ses références dans les racines de la science-fiction, autour d’une belle histoire d’amour entre un père et son fils.

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Carthago #12: Albinos

La BD!

Douzième tome de 59 pages de la série Carthago, écrite par Christophe Bec et dessinée par Ennio Buffi. Parution le 03/02/2021 chez les Humanos.

bsic journalism

Merci aux Humanos pour leur confiance.

Les Dents de l’Amère

Suite et fin du diptyque consacré au personnage de Kaine, hybride d’humain et de triton dont l’existence avait été prouvée dans les précédents cycles de la série. Kaine, du fait de ses particularités physiques, ne passe jamais inaperçu dans les endroits où il passe. Rejeté par certains et traqué par d’autres, Kaine mène une vie de paria et de fugitif. Tombé entre les griffes de Wolfgang Fiersinger, le Centenaire des Carpates, le jeune hybride a subi la curiosité déshumanisante du collectionneur jusqu’à sa fuite. Poursuivi de toutes parts, Kaine avait fini par tomber à nouveau en captivité, exposé telle une bête de foire par des malfrats indonésiens (tout prend son sens dans le contexte).

Mon ami le Meg

Chez un être né de l’union de la Terre et de la Mer, la liberté est un appel inévitable. Aussi Kane s’échappe-t-il encore une fois pour retrouver les étendues aquatiques. Il apprend alors que les ports sont en ébullition suite à une série d’attaques commises par ce qui s’apparenterait à un Mégalodon, créature antédiluvienne, prédateur le plus féroce à avoir jamais parcouru les océans réapparu mystérieusement.

Le jeune hybride n’est pas qu’un bon nageur: son héritage de triton l’affuble d’une sensibilité particulière et d’un lien mystérieux avec les animaux aquatiques. Kane le sent: le Mégalodon Albinos traqué par tous les chasseurs de requin en mal de reconnaissance court paradoxalement un grand danger. Il s’embarque donc dans une course contre la montre afin de sauver ce trésor de la Nature.

Christophe Bec poursuit son exploration des origines de l’un de ses personnages principaux. Dans ce préquel, on retrouve les incontournables piliers de la série, London Donovan, Fiersinger et l’Albinos. Néanmoins, c’est bien Kane qui demeure au centre de l’intrigue, lui et son lien privilégié avec l’océan. Les scènes d’action puisent dans les parangons du genre et offrent quelques moments bien rythmés. La qualité du dessin d’Ennio Buffi est désormais notoire et participe en grande partie à l’attrait de l’album. Ce douzième tome raccroche les wagons avec l’intrigue principale tout en révélant les origines d’une protagoniste.

***·Comics·East & West·Littérature·Nouveau !·Service Presse

Moby Dick

Roman graphique de 44 pages de Bill Sienkiewicz, adapté du roman d’Herman Melville. Parution le 03/02/2021 aux éditions Delcourt. One-shot.

bsic journalism

Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

C’est pas l’Homme qui prend la Mer

On ne présente plus Moby Dick, roman de 1851 de plus de 600 pages écrit par Herman Melville (l’ancêtre du musicien Moby !). Généralement considérée comme l’une des œuvres majeures de la littérature américaine, elle raconte avec force détails le parcours d’Ismaël, jeune marin embarqué sur le baleinier Pequod. Tyrannisé par le Capitaine Achab, l’équipage du Péquod est lancé à la poursuite de Moby Dick, un fameux cachalot albinos connu pour sa férocité, dont Achab désire se venger. Le capitaine, unijambiste depuis sa dernière escarmouche avec la bête, est prisonnier de son obsession, et va entraîner son équipage dans un périple dont tous ne sortiront pas indemnes.

L’une des caractéristiques de Moby Dick est sa forte documentation, qui lui donne une authenticité rarement égalée depuis. En effet, le roman regorge d’éléments techniques sur la navigation et la chasse à la baleine, démontrant ainsi toute l’implication de Melville dans la rédaction de son roman.

Moby Dick fourmille également de symboles forts, qui furent repris de nombreuses fois depuis. La farouche baleine est vue par non pas comme un simple animal, mais comme une force de la Nature, une sorte de rétribution divine et insondable, qui n’est d’ailleurs jamais surmontée dans le roman. On trouve également dans le récit de profondes réflexions sur la nature du Bien et du Mal, et l’on ne compte plus non plus les références bibliques.

Chasse mortelle

Avec cette adaptation, Bill Sienkiewicz réussit l’exploit de condenser le roman-fleuve tout en conservant sa cohérence. Pour ce faire, l’auteur brise les codes narratifs pour mieux s’affranchir de carcans qui l’auraient desservi pour adapter ce classique hors-norme. Son trait tantôt réaliste, tantôt onirique fait de chaque planche un véritable tableau, un régal pour les yeux. La narration est tout de même très dense, l’album sera donc à conseiller aux lecteurs rompus aux textes prolifiques.

L’auteur privilégie la vengeance d’Achab, sans s’attarder outre-mesure sur les techniques de chasse des baleiniers, renforçant ainsi la cohérence thématique. Sienkiewicz nous rappelle que chez Achab, la vengeance a eu raison de la raison elle-même, et que celui qui combat des monstres doit, bien souvent, s’attendre à en devenir un lui-même.

Un classique intemporel à découvrir !

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Sirènes & Vikings #3: La Sorcière des mers du Sud

Troisième tome de 52 pages de la série créée par Gihef, avec Livia Pastore au dessin. Parution le 06/01/2021 aux éditions des Humanoïdes Associés.

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Merci auxHumanos pour leur confiance.

Triton et Juliette

Après deux tomes axés sur le conflit entre les norrois et les créatures aquatiques, voici venir un troisième tome centré davantage sur le royaume du peuple des mers. Blodughadda, l’une des neuf filles du roi Aegir, coule des jours insouciants, qu’elle occupe essentiellement à jouer des tours à ses sœurs. Un beau jour, sa mère lui confie la garde de Gildwin, un singulier triton affublé d’une marque runique identique à celle de la jeune sirène.

Initialement réticente, Blodughadda va peu à peu ressentir une connexion spéciale avec le triton, malgré le caractère prohibé de leur relation. En effet, les lois sous-marines édictées par Aegir interdisent les liens entre sirènes et tritons, confinant ces derniers aux grottes sous-marines dans lesquelles ils n’ont d’autre choix que de s’adonner à leurs bas instincts.

Gildwin, fort de son signe distinctif, développe bien vite des dons pour la magie, ce qui l’amène inexorablement vers une voix qui l’appelle dans les abysses, une voix liée au secret de ses origines…

Ariel la petite sorcière

Ce troisième tome vient apporter une rupture de rythme salutaire, après deux tomes mettant les sirènes face aux vikings. Ici, l’on en apprend davantage sur le folklore des sirènes, leurs coutumes et le rôle des tritons dans la hiérarchie sous-marine. Les guerriers du Nord, quant à eux, sont relégués au second plan, ce qui permet à la série de reprendre son souffle, certainement pour un retour en fanfare au prochain tome.

Gihef met donc à profit la trame classique des « star-crossed lovers » (amants maudits en français) pour explorer plus avant son univers, insufflant dans ce tome une réflexion quant aux traditions et archaïsmes inhérents à une société de castes.

Sirenes et Vikings maintient donc sa qualité, tant sur le plan narratif que sur le plan graphique !

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Avengers #2: Tour du monde

Deuxième tome de la série écrite par Jason Aaron, et dessinée par David Marquez et Ed McGuiness, dont un épisode dessiné par Sara Pichelli. L’album comprend les épisodes 7 à 12, parution le 21/10/2020 aux éditions Panini

Lames de fond

Après leur combat cataclysmique contre les Célestes, les Avengers reprennent leur souffle alors que retombent les poussières cosmiques de leur affrontement. 
Suite à cette crise sans précédent, un nouveau groupe d’Avengers s’est formé: le trio de tête composé de Captain America, Iron Man et Thor, suivi de près par des piliers du groupe tels que Black Panther, Doctor Strange, Captain Marvel et Miss Hulk, et un petit nouveau en la personne du tout récent Ghost Rider, Robbie Reyes. 

A peine installés dans leur nouveau QG, qui n’est rien de moins que la carcasse éternelle du tout premier Céleste ayant foulé le sol terrestre, les Avengers s’organisent pour mieux protéger le monde en évitant si possible de reproduire les erreurs du passé. Mais sauver le monde est une tâche ingrate, et les Avengers ne tarderont pas à le découvrir lorsqu’un ancien allié va faire surface, littéralement. 


Namor, souverain du royaume d’Atlantis et ancien avenger, refait parler de lui avec grand fracas. Connu pour son caractère ombrageux peu prompt aux concessions, le Sub-Mariner ne supporte plus les dégâts causés aux océans par les hommes de la surface, et entend bien leur en interdire l’accès, quitte à faire quelques victimes au passage. Pour cela, il a réuni son propre groupe de surhumains aquatiques, s’opposant directement aux Avengers. 

Namor est un personnage ambigu aux allégeances changeantes. D’abord vu comme un antagoniste, il finira par rejoindre les héros qu’il aura tenté de détruire, avant qu’il ne soit révélé qu’il combattait déjà les nazis aux cotés de Captain America au sein des Envahisseurs. Plus récemment, Namor avait cédé à l’influence du Phoenix lors de son arrivé sur Terre (Avengers vs X-men) et utilisé son pouvoir pour noyer le Wakanda sous un tsunami, ce qui lui a valu la haine inextinguible de Black Panther, qu’il retrouve dans cet album en sa qualité de président du groupe. 

L’affrontement écologique prend donc ici une tournure toute personnelle, sachant que les héros ne seront pas dans leur élément, c’est le moins que l’on puisse dire. 

Avengers, passés et présents

Après un démarrage aux enjeux dantesques, Jason Aaron poursuit sa saga vengeresse en revoyant l’échelle cosmique à la baisse pour un arc plus terre à terre. Il n’en oublie toutefois pas de glisser des petits implants çà et là, pour bien rappeler au lecteur que quelque chose de grand se prépare. 

L’album s’ouvre avec un flash-back explorant le concept-phare du scénariste, à savoir les Avengers Préhistoriques. Peu utile pour la compréhension de l’ensemble, ce flash-back aura au moins le mérite d’éclaircir un tant soit peu les origines de ces héros précurseurs. Aussi fun soit ce concept d’Avengers préhistoriques, le seul bémol qui demeure après lecture est le côté parfois trop invraisemblable qui s’en dégage. Certes, tout fan de comics est plus que largement habitué à suspendre son incrédulité, il n’en reste pas moins que certains éléments auraient pu être mieux amenés (je pense à certains détails de temporalité, ou au langage qui est vu comme un don qui aurait émergé soudainement chez une certaine catégorie d’individus, sans plus de détails). 

Le cœur de l’album, à savoir la bataille contre Namor, remet immédiatement les choses à leur pas de course et nous amène une myriade de nouveaux personnages, dont la Winter Guard, héros russes souvent rivaux des Avengers, et se paye même le luxe d’introduire (de nouveau) l’Escadron Suprême, ce qui promet son lot de batailles épiques. 

Jason Aaron n’en a toutefois pas que pour l’action et prend du temps pour développer certaines intrigues interpersonnelles, comme le duo Miss Hulk/Odinson, Stark/Danvers, et nous surprend même avec un duo Ghost Rider/Odin ! 

L’introduction de Blade en guise de cliffhanger nous laisse entrevoir un troisième volume axé sur le surnaturel. La suite bientôt !

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Sirènes et Vikings #2: Écume de nacre

La BD!

Deuxième tome de 52 planches, de la série imaginée par Gihef, avec Marco Dominici au dessin. Sortie le 04/11/20 aux éditions des Humanoïdes Associés.

bsic journalism

Merci aux Humanos pour leur confiance.

Fille des Mers, Enfant des Terres

Le village de Kättegland jouit d’une position de choix dans le détroit de Skagerrak, assurant à ses vikings un contrôle ferme sur les mers environnantes. Au sein du village, le Jarl Lothar prépare son fils Svein à lui succéder, mais le vétéran sait que son fils n’est pas le guerrier le plus vaillant de la communauté. Ce titre revient sans conteste à Freydis, jeune fille de pêcheur à la férocité et à la combativité sans égales.

Ce que les vikings de Kättegland ignorent, c’est que la force de Freydis s’explique par ses origines peu communes. En effet, elle n’est pas fille de viking, mais vient d’une glorieuse lignée de Sirènes, créatures mythiques ayant déjà causé bien des soucis aux norrois. Contrainte à l’exil à cause d’une prophétie, Freydis fut recueillie par un modeste couple de pêcheurs, consciente que sa nature véritable lui vaudrait l’opprobre des hommes.

C’est pas l’Homme qui prend la Mer

Loin des siens qui l’avaient rejetée, Freydis a ainsi pu s’épanouir, tout en cachant sa nature, grâce au don de sa lignée: celui d’avoir des jambes une fois sur la terre ferme, ce qui lui permit de ne pas se faire remarquer autrement que par sa bravoure.

Cependant, la flotte de Lothar revint un jour vidée de tous ses marins, à l’exception d’un seul survivant prostré à peine capable de prononcer le mot « sirènes »… la guerre est donc déclarée (encore) entre les vikings et le peuple de la mer.

Comme dans le premier tome, les auteurs s’amusent à nous transporter dans un monde fort en archétypes, celui des vikings, et y introduisent assez rapidement les mythiques sirènes. L’idée ici est toujours de confronter les deux peuples, sur fond de guerres de territoires et de conflits de loyauté.

Freydis, passerelle entre les deux mondes, sera-t-elle le catalyseur de la paix ou laissera-t-elle sa rancune décider de son allégeance ? La question nous tient en haleine tout au long de l’album, même si l’intrigue comporte moins de rebondissements que sur le premier tome, qui pouvait compter sur le triangle amoureux des protagonistes pour complexifier le tout.

Cette Écume de nacre est donc plus franche, plus brute dans son traitement de l’action, et nous offre des scènes de batailles plus brutales, en exhibant les différentes aptitudes des Sirènes en fonction de leur ascendance. L’univers original mis en place par Gihef trouve son ton et continue de s’étoffer. Pour le troisième tome, espérons que le conflit prendra un tournant surprenant en s’appuyant sur une mythologie riche et des personnages forts et nuancés, comme c’est le cas dans ces deux premières parties.

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Carthago #11: Kane

La BD!

Onzième tome de la série et première partie d’un diptyque, écrit par Christophe Bec et dessiné par Ennio Buffi. 54 planches couleurs, parution le 17/06/2020 chez Les Humanoïdes Associés.

bsic journalismMerci aux Humanos pour leur confiance. 

Fugitif Amphibie

La série Carthago nous a évoqué l’existence d’êtres hybrides, issus de croisements entre l’espèce humaine et celle des Tritons Antiques. Ces contacts inter-espèces se sont faits au cours des millénaires, et ont eu un coût exorbitant pour les êtres aquatiques, qui ont frôlé l’extinction et ont du se confiner dans les abysses, pour être ensuite oubliés du reste du monde.

Les hybrides sont donc le témoignage d’un autre temps, et la preuve que le monde recèle encore bien des mystères. Wolfang Feiersinger, surnommé le « Centenaire des Carpates », en sait davantage que le commun des mortels. Depuis des décennies, il utilise son immense fortune pour assouvir sa soif d’exploration, usant de moyens peu conventionnels pour enrichir sa collection cryptozoologique avec l’aide de London Donovan, un aventurier à sa solde pour de bien obscures raisons.

Alors que des forages sous-marins ont libéré des prédateurs antédiluviens qui essaiment les océans, le Centenaire sans scrupule a mis la main sur ce qu’il appelle des « spécimens », des êtes hybrides détenus captifs en vue d’être étudiés.

Parmi ces infortunés, se trouve le sujet Kane, qui n’est autre que le père de Lou Melville, protagoniste de l’intrigue principale ayant hérité de ses traits amphibiens. A cette époque, le jeune Kane n’a pas encore rencontré Kim Melville, qui deviendra plus tard la mère de son enfant. Épris de liberté, il enchaîne les évasions du centre de recherche où il est détenu contre son gré, et tente de rejoindre la mer pour échapper au joug du milliardaire et de ses sbires. Malgré ses efforts, il est systématiquement ramené au bercail, incapable de passer totalement inaperçu.

Cependant, le désir de liberté est plus fort que tout et Kane va tenter une ultime évasion. Parviendra-t-il à se soustraire à la féroce convoitise de Feiersinger ?

Le Prince des Mers

Après un dixième tome au travers duquel transparaissait un essoufflement certain de la série et de son intrigue, Christophe Bec s’offre une petite respiration par le truchement du flash-back, sur l’énigmatique père de Lou Melville.

Le personnage traqué nous est immédiatement sympathique, car sa différence en fait à la fois un marginal et une victime des travers humains, tout comme l’ont été ses ancêtres tritons. Ainsi, Kane n’est pas en mesure de rester en mer trop longtemps, mais n’est pas tout à fait à son aise sur terre non plus. Déchiré entre deux éléments, entre deux horizons contraires, il ne parvient pas à se projeter dans une vie normale ni à nouer des liens avec les autres, en tous cas pas avant sa rencontre prochaine avec Kim.

Ennio Buffi produit ici de très belles planches, avec une attention particulière portée aux décors et aux ambiances, ce qui renforce le sentiment que le dessinateur était en pilote automatique sur le dernier tome.

Ce onzième tome, exempt de révélations quant à l’intrigue principale, n’en redonne pas moins un air de fraîcheur à une série qui laissait craindre un enlisement.