Comic de Mark Millar, Matteo Scalera et Niro Giovanna (coul.)
Panini (2022) – 144p., one-shot.
Roland King appartient au passé. Il fut le chevalier noir des basses besognes du Royaume pour maintenir un système qui a besoin d’ordre. Et pour cela il était incontestablement le meilleur. Mais il a vieilli. Il a du ventre. Et il a une tumeur. Grosse comme un ballon. Six mois, c’est ce qu’il lui reste pour régler ses affaires. mais quand on a passé sa vie à dessouder des gentils pour maintenir en place des méchants, ranger sa chambre signifie lancer une vendetta. Une vendetta King size. Les ordures vont avoir mal. Très mal…
Il n’y a qu’un pas du Capitole à la Roche tarpéïenne. Millar sait que les fans adorent vouer aux gémonies leurs héros dès qu’ils s’institutionnalisent. Passer dans le giron de Netflix (dont on attend toujours les premiers fruits véritablement fructueux…) était un risque qui lui a apporté richesse, liberté créatrice… et exigence plus grande encore. Et comme dit sur le récent Magic Order 2 (il faudrait toujours se méfier des suites aux titres feignants!) cela fait longtemps qu’on n’avait pas lu on bon Millar. Tellement que personnellement je n’attend plus grand chose du golden-boy de l’explosion du comic-code et me contente d’acheter les miracles graphiques que la bande de dieux du dessin qu’il embauche à tour de bras proposent sur ses production. Et bien rassurez-vous, ce King of spies, aussi inattendu que Prodigy avait déçu, est une sacrée renaissance qui montre que le plus rosbeef des scénaristes américains en a encore sous le coude… et une sacré plume!
Car sur une intrigue vue mille fois et à laquelle on ne crois pas cinq minutes (quel twist final va bien pouvoir trouver Millar pour sauver son condamné?), l’auteur nous rappelle de manière éclatante son talent d’écriture, cette plume facile, moderne, non formatée. Et que s’il a opté au contraire d’un Alan Moore pour des acolytes très esthétiques, comme son immense compatriote ses scripts se suffiraient à eux-mêmes et laissent imaginer ce qu’il pourrait faire en dialoguiste de ciné… Jouant d’une construction complexes faite d’images passées et futures insérées dans un récit qu’on n’oublie pas de rendre très adaptable sur Netflix, Millar nous propose un personnage solide qui se présente lui-même comme le premier des monstres parti à la chasse aux monstres. Pour l’occasion, le scénariste que l’on sait contestataire et volontiers anticapitaliste dézingue tout notre beau monde ultralibéral où la morale est absente dès qu’il s’agit de maintenir un système en place. Reprenant subrepticement son propos politique de Jupiter’s Legacy, Mark Millar touche juste dans un style Vengeur sans limite que le statut des victimes autorise à toutes les outrances. Et pour ne pas réduire l’album à un blockbuster explosif magistralement mise en scène par le talentueux compère Scalera, King of spies propose aussi le touchant tableau d’un vieil homme dans ses faiblesses, à commencer par sa vie gâchée à semer des marmots dans chaque port sans autre chose à foutre que sa propre aventure. Arrivé à la fin il est l’heure du compte… mais que compter quand on a toujours été seul?
Si l’on peut chercher un regret à cet album ce sera à la fois sa brièveté (car oui, c’est une bien vrai one-shot) et le nombre de personnages ou éléments très intéressants lancés et aussitôt refermés, comme s’ils n’étaient destinés qu’à la Bible de la future version Netflix. Comme souvent Mark Millar fourmille de bonnes idées qu’il n’a soit pas le temps, pas l’envie, pas le courage de développer et qui nous laissent un soupçon de frustration positive.