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Les damnés du Grand Large

La BD!

Histoire complète en 56 pages, écrite par Kristof Mishel et dessinée par Béatrice Penco Sechi. Parution chez Drakoo le 10/08/2022.

Merci aux éditions Drakoo pour leur confiance.

Suck my (Moby) Dick

Dans une taverne mal famée, emplie de marins ivres dont les oreilles tanguent encore avec le roulis du bateau qu’ils viennent de quitter, un étrange colporteur fait son apparition. Mal accueilli, comme tous les autres avant lui, il ne demande pourtant qu’une chose: le gîte et le couvert contre une histoire qui divertira l’assemblée des marins esseulés et les tiendra en haleine jusqu’au petit matin.

Le propriétaire de la taverne, initialement réticent, se laisse emporter par le charisme de ce conteur itinérant, et lui permet de rassembler autour de lui son auditoire, avec un avertissement toutefois: si son histoire convainc, il aura droit à son repas chaud, mais dans le cas contraire, son sang ira inonder le caniveau et son corps finira mangé par les poissons du port.

Qu’à cela ne tienne, le conteur, sûrement habitué à ce genre de défi et sûr de lui, se met en place et dévoile les tatouages qui ornent son corps, puis commence à raconter la meilleur histoire de son répertoire.

Le troubadour nous introduit le personnage de Rêveur, un jeune garçon embarqué sur le navire Alicante. Lorsqu’il ne souque pas les arquebuses, Rêveur dessine et écrit dans son carnet. Ce loisir lui a valu son surnom, mais aussi des regards circonspects des membres de l’équipage, qui pour la plupart, sont analphabètes.

Alors que la croisière suit son cours (à défaut de s’amuser) un des marins est retrouvé mort, pendu à un mât, la lettre A marquée sur le front. Cet évènement est le premier d’une série de macabres découvertes, les morts s’enchaînant alors que la superstition gagne l’ensemble de l’équipage. Et Rêveur, au milieu de tout ça, semble connaître la vérité sur les forces occultes qui menacent l’Alicante. Cela aurait-il à voir avec les démons tentaculaires qui gardent les océans ? Ou bien avec ceux, en chair et en os, qui arpentent le pont du navire ? La réponse se trouve au bout du récit de notre conteur tatoué.

Jusque là, la volonté apparente de Drakoo était de coopter des auteurs de romans pour les introduire au monde de la BD, comme c’était le cas par exemple pour les Gardiennes d’Aether, ou Démonistes. Dénicher de jeunes auteurs n’est semble-t-il toujours pas à l’ordre du jour, comme nous le prouve cet album. En effet, Kristof Mishel est un de ces auteurs de romans qu’Arleston aime recruter pour leur faire faire leurs premiers pas dans le monde de la BD. Ainsi, il s’assure une maîtrise narrative et un professionnalisme garantissant une certaine qualité à l’album, tout en ayant une marge d’intervention en tant qu’éditeur qui lui permet de se positionner en « sachant » auprès d’un auteur qui débute dans l’industrie très particulière de la BD.

Ce compromis fonctionne la plupart du temps, et c’est le cas ici aussi. La narration morcelée et la mise en abime sont utilisées avec tact par l’auteur, qui distille son mystère jusqu’à une double révélation finale qui renverse donc par deux fois les perspectives du récit. On est donc tenus en haleine à la fois par la destinée de Rêveur, jeune et frêle garçon au milieu d’un troupeau de marins violents et imbéciles, un peu comme Ismaël embarqué sur le Pequod dans Moby Dick, et par celle du conteur, qui joue sa vie sur le déroulé de cette histoire.

Graphiquement, les personnages dessinés par Béatrice Penco Sechi, avec leur traits émaciés et leurs grands yeux, participent à l’ambiance pesante du récit, où l’on s’attend à voir surgir à n’importe quel moment un tentacule visqueux ou une pince de crabe géante. On peut aisément comparer l’album, sur le même thème, avec la trilogie La Fille des Cendres, de Hélène Vandenbussche, parue entre 2015 et 2019 chez Le Lombard.

Les Damnés du Grand Large offre donc un récit bien mené qui vous tiendra en haleine de bout en bout, pourvu que vous ne souffriez pas du mal de mer.

***·BD·Nouveau !·Service Presse

Adlivun

Histoire complète en 168 pages, écrite et dessinée par Vincenzo Balzano. Parution en France le 04/02/2022 chez Ankama.

Merci aux éditions Ankama pour leur confiance.

Terreur des glaces

Le Capitaine Briggs, à la tête du Mary Céleste, décide de quitter la torpeur du port de Douvres, en 1847, et embarque son équipage dans une quête périlleuse qui ne comprend qu’une alternative: rentrer couvert d’or, ou ne pas rentrer du tout.

En effet, une généreuse récompense est offerte par la Marine Royale à qui ramènera sains et saufs les marins du Terror et de l’Erebus, deux navires partis en exploration dans le cercle polaire. De nombreuses rumeurs courent à propos de ces deux bâtiments et des eaux glacées dans lesquelles ils semblent s’être perdus. Mais cela n’arrête pas Briggs, et ce malgré la réticence de Jack, son second et médecin de bord.

Le Mary Céleste reprend donc la mer, pour une mission de sauvetage incertaine, qui va confronter son équipage à des secrets enfouis depuis longtemps sous les glaces polaires. Bien vite, Jack, Briggs et les autres vont être assaillis par des visions spectrales, des réminiscences morbides qui pourraient être les pauvres hères du Terror et de l’Erebus…

Après Clinton Road, Vincenzo Balzano revient pour explorer des évènements réels sous un angle fantastique. Cette fois-ci, nulle route maudite, mais des vaisseaux fantômes victimes de malédiction, et un capitaine taciturne qui ne révèle pas tout à son équipage. L’auteur puise cette fois-ci dans le folklore inuit, pour nous plonger dans une aventure contemplative qui ne met pas de côté l’épouvante.

S’il parvient à créer une ambiance pesante et immersive grâce à son dessin à l’aquarelle, Vincenzo Balzano semble toutefois moins à l’aise avec les règles qui régissent la magie inuit ici à l’œuvre. En effet, les révélations faites sur les origines de la malédiction m’ont paru quelque peu confuses, bien qu’elles semblent maîtrisées par l’artiste.

Un peu comme pour Clinton Road, l’auteur semble ici plus conteur visuel que véritable narrateur, la force de son récit provenant en premier lieu de l’impact des planches et du dessin, davantage que sur l’intrigue en elle-même.

Avec ses très belles planches et sa thématique, qui rappellent le Moby Dick de Sienkiewicz, Adlivun mêle habilement aventure contemplative et épouvante, malgré quelques soucis d’exposition quant aux aspects fantastiques de son intrigue.

***·BD·Nouveau !·Numérique

Sirènes & Vikings #1: Le Fléau des Abysses

La BD!

Premier album de 52 pages, d’une tétralogie, écrit par Françoise Ruscak et dessiné par Philippe Briones, sur une idée originale de Gihef et d’Isabelle Bauthian. Parution le 09/09/20 chez Humanoïdes Associés.

bsic journalism

Merci aux Humanos pour leur confiance.

Touché-Coulé

Outre leur culture guerrière, leur férocité et leurs dieux à marteaux, les Norrois furent connus pour leurs talents de navigateurs, et dont certains indices historiques laissent penser qu’ils auraient pu découvrir les Amériques bien avant un certain C. Colomb.

Et si ces remarquables marins conquérants avaient eu maille à partir avec des habitantes des mers, les mythiques Sirènes ? C’est le point de départ de cette anthologie qu’est Sirènes & Vikings, prévue en quatre tomes.

Après une escarmouche en mer qui coûta une fois de plus la vie à une sirène, Arnhild, princesse du royaume sous-marin, décide contre l’avis de sa reine de réveiller de Jormungand, terrible dragon des mers, créature invincible capable de déchiqueter les vaisseaux vikings.

Ingvald, le fils du Jarl, s’illustre davantage par son esprit affûté que par sa force brute. Conscient du danger que représentent les sirènes et leur monstre, il imagine un plan destiné à s’emparer de la conque magique permettant d’asservir le Jormungand. Le conflit entre norrois et sirènes pourra-t-il se résoudre sans conduire à l’extermination des deux parties ?

Roméo et Ariel

Il est indéniable que Sirène & Vikings bénéficie d’un pitch simple et accrocheur: un peuple de navigateurs affronte un peuple marin mythique. L’auteure s’appuie sur différents éléments de mythologie pour ériger un univers qui demeure cohérent tout en étant fantastique, à grands renforts de dragons des mers et de trolls.

Cependant, l’on voit assez rapidement que la guerre entre les deux clans sert en fait de simple cadre à quelque chose de plus grand: l’amour. Amours rendues impossibles par la haine aveugle que se vouent les Vikings et les Amazones des mers, mais qui auraient pu ironiquement les rapprocher.

Comme dans toute querelle intergénérationnelle, la haine finit par se suffire à elle-même, et les belligérants se font la guerre sans se connaître, en se basant simplement sur des préconçus voulant que l’autre camp est maléfique. Cette perpétuation du cycle de violence est bien sûr exacerbée par des quiproquos amoureux, des rivalités politiques, et bien entendu, par des complots visant le trône.

Il est plaisant de constater que la série s’offre un équilibre très bien trouvé entre la romance et le conflit, les deux étant interdépendants et indispensable à la bonne conduite de l’intrigue. L’autre point appréciable et la fongibilité des stéréotypes de genre, qui offre encore ici une nouvelle piste de réflexion.

Les dessins de Briones, déjà connu pour la version Rebirth d’Aquaman, font ici des merveilles, grâce à des décors sous-marins magnifiques et des personnages bien campés au travers d’un trait propre et assuré. Toutefois, l’on peut se demander si le reste de l’anthologie n’en viendra pas à se répéter, l’essentiel des enjeux étant exploré dans ce premier tome. Faisons confiance aux auteurs qui se succéderont pour ouvrir d’autres pistes !

****·BD·Mercredi BD

Le singe de Hartlepool

BD de Wilfried « the king » Lupano et Jérémie Moreau
Delcourt (2012), 92 p. Prix des libraires BD 2013.

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Une édition spéciale enrichie d’un cahier historique de 22 pages est également disponible. Format compact de l’excellente collection « Mirages » de Delcourt (celle de des albums de Cruchaudet, Un océan d’amour et Endurance par exemple). La couverture (qui ne reflète pas vraiment l’album mais participe à l’implication du lecteur pour ce pauvre singe) est très belle et inspirée.

En 1814 alors que la haine réciproque entre français et anglais est plus forte que jamais, un navire de l’Empire fait naufrage sur les côtes de la perfide Albion. En réchappent un jeune mousse élevé par une nourrice anglaise et un singe. Cela va déclencher dans ce petit village de pécheurs bouseux une réaction de haine absurde contre ce « français »… de singe!

Résultat de recherche d'images pour "le singe de hartlepool moreau"Attention, chez Lupano s’il y a toujours de l’humour, il peut être féroce, voir très noir. C’est le cas avec cette fable issue d’une légende anglaise (expliquée par une post-face de l’auteur) qui illustre le mécanisme de haine collective qui peut se déclencher lorsque le nationalisme exacerbé tombe sur des enclaves isolées. Les affreux sont des anglais, ils auraient pu être français ou malgaches… Car le propos est le même que dans toute fable, dans tous récit absurde (genre souvent exploité chez Lupano comme récemment avec son Cheval de bois, cheval de vent): explorer les mécanismes collectifs qui dépassant la raison et dévoilent les noires pulsions humaines et leur ridicule.

La mise en scène est très proche du théâtre, avec une presque unité d’action et un singe qui aurait pu être totalement absent (cela aurait pu renforcer le côté absurde). Mais les auteurs tentent par moment de nous présenter ce regard incrédule  du Chimpanzé pour toucher notre humanité justement. Résultat de recherche d'images pour "le singe de hartlepool moreau"Pourtant le propos n’est pas le tragique de sa situation (puisqu’on fréquente peu le singe) mais le côté ubuesque de cette population désirant utiliser cette présence « française » pour dépasser l’insignifiance de ce village trou du cul de l’Angleterre. Ainsi, si l’identité du français ne pose de problème à personne, tout l’enjeu des villageois, à travers un procès fidèle aux valeurs démocratiques de la grande Nation et des glorieux sujets de sa majesté est de prouver que l’espion attrapé préparait une invasion du Royaume par les troupes napoléoniennes… Le scénariste a tout bon lorsqu’il s’abstient, même avec le personnage témoin du médecin, de comparer les bons personnages des mauvais et de toute mièvrerie. La scène ne mérite pas de commentaire et Lupano laisse le lecteur-spectateur seul face à sa sidération. Tout est compris, il n’y a plus rien à dire.

Résultat de recherche d'images pour "le singe de hartlepool moreau"Graphiquement Moreau croque ses pécheurs de façon atroce, comme ce vieux vétéran des guerres américaines, sorte de morceau de barbaque sur un charriot (il a perdu ses jambes) ou le maire, plus simiesque que le singe. Les couleurs sont très jolies et participent à l’ambiance très théâtrale de la BD (le rouge sanglant du ciel lors du procès). Mais soyons clair: dans cette comédie humaine le dessinateur nous croque une farce, sorte de florilège de toutes les pires expressions et visages de l’humanité haineuse. On retrouve par moment l’esprit de Masbou sur De capes et de crocs lorsqu’il dessine des scènes de panique générale avec forces caricatures.

Le Singe de Hartlepoole est une BD cruelle. Lupano laisse peu de place à la compréhension dans la connerie humaine qui concerne à peu près tout le monde (sa série des Vieux Fourneaux est bien plus optimiste si l’on peut dire) et fait feu de tout bois, avec intelligence, subtilité, radicalité. Un grand scénariste.

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Cet article fait partie de la sélection de22528386_10214366222135333_4986145698353215442_n, cette semaine hébergée chez Mo’

Et les billets de Mokamilla et  Sulli, Anne, Noukette, Yvan, Jérôme, Hélène, Mango. Yaneck, Soukee Sandrine, Marion.